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Le blog d'André Boyer
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CROIRE SAVOIR PRÉVOIR

1 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

CROIRE SAVOIR PRÉVOIR

Si vous voulez rester maitre de vos décisions, exercez vos facultés de raisonnement, ce qui implique d'ignorer les médias pour apprendre sans œillères.

 

Sans œillères : il s'agit de ne pas se faire piéger par les prévisions dont on nous abreuve, car elles sont fausses la plupart du temps puisqu'elles sont impossibles à faire.

Cette impossibilité tient à la complexité croissante du monde, d'où de forts obstacles à la prévision identifiés par un certain nombre de penseurs comme Jacques Hadamard, Henri Poincaré, Friedrich Von Hayek ou Karl Popper. Lorsque nous nous obstinons à croire qu'il est facile de comprendre le passé (voir Le Problème de Diagoras), nous risquons d'en faire de même pour l'avenir, estimant que n'importe quel journaliste peut nous en fournir les clés.

Dès lors, nous perdons toute chance d'apercevoir un Cygne Noir.

Si vous êtes allé à Sydney, en Australie, vous avez certainement admiré son Opéra*. C'est un magnifique bâtiment, mais c'est aussi un monument dédié à l'arrogance de la prévision financière puisque sa construction, de 1958 à 1973, a couté 102 millions de dollars, et encore en faisant des économies sur le projet initial, au lieu des 7 millions prévus !

Nous nous trouvons face à ce type d'erreur catastrophique à peu prés chaque fois que l'on fait une prévision un peu longue ou un peu complexe, si bien que respecter ses prévisions est un exploit rarissime. Demandez leur avis sur ce sujet aux ingénieurs qui construisent l'EPR de Flamanville, dont le coût de construction a été multiplié par trois et les délais de mise en service par 3,5, à supposer, ce qui est logiquement plus que douteux, que les dernières prévisions soient correctes. 

On a pu démontrer que nous avons presque toujours tendance à surestimer notre capacité à faire des prévisions. Alpert et Raiffa** ont ainsi découvert, et beaucoup d'expérimentateurs après eux, que les personnes à qui l'on demande de faire des prévisions sont excessivement confiantes dans leurs capacités à trouver le résultat exact.

Plus précisément, leurs travaux ont révélé qu'une personne appelée à fournir un intervalle de confiance de 50% à l'intérieur duquel elle estime qu'une certaine valeur est vraie, surestime le plus souvent sa capacité à prévoir. Albert et Raiffa ont en effet constaté qu’un pourcentage nettement plus faible d'intervalles, 33% au lieu de 50%, contenaient la vraie valeur, montrant par-là que les prévisionnistes avaient une confiance excessive dans la qualité de leurs estimations. Toutes les expérimentations qui ont suivies sont allées dans le même sens.

Comme l'humanité sous-estime la possibilité que l'avenir prenne un autre cours que celui qu'elle avait initialement envisagé, ce biais a un impact sur la vie des gens. Par exemple, tout le monde sait que 45 % des mariages conduisent à un divorce en France mais évidemment fort peu de couples envisagent une telle issue, surestimant leur capacité personnelle à y échapper, tant mieux d'un certain côté.

Dans ces conditions, comment faire confiance à l'expert qui prévoit l'évolution démographique du siècle à venir, le rendement de la Bourse les dix prochaines années, le déficit de l'assurance maladie en France dans dix ou vingt ans où la valeur du m2 à Paris dans cinq ans ?

Parce que c'est un expert ? En tout cas, pas en fonction de la quantité d'informations qu'il détient, car toute connaissance supplémentaire des détails d'une opération peut se révéler inutile et même nocive.

Inutile: un psychologue sur lequel nous reviendrons, Paul Slovic***, a demandé à des bookmakers de sélectionner les variables les plus utiles pour calculer les probabilités de victoire des chevaux, parmi quatre vingt huit variables qui avaient été utilisées dans d'anciennes courses de chevaux. Il communiqua ensuite les dix variables les plus utiles, selon eux, pour prévoir la victoire des chevaux et leur demanda de faire des prévisions pour les prochaines courses. Puis on communiqua aux bookmakers les dix variables suivantes, mais cela n'améliora pas la qualité de leurs prévisions. Il en advint de même lorsqu'on leur communiqua les suivantes. On constata finalement que plus on leur communiquait d'informations, moins elles étaient utiles.

Nocive: en revanche, plus on leur communiquait d'informations, plus le décalage augmentait entre la confiance que les bookmakers avaient dans les informations qu'ils utilisaient et leurs performances réelles. Or, l'accroissement de la confiance dans ses choix implique que l'on a moins tendance à changer d'avis lorsqu'une information inattendue nous parvient. En d'autres termes, plus on a confiance dans ses choix, plus on ne voit partout que des Cygnes Blancs.  

Je peux donc vous proposer une cinquième règle : Les prévisions sont plus complexes que vous le croyez ; pour en faire, évitez donc d'accumuler les informations, prenez du recul et usez de vos capacités d'analyse.  `

* Construit grâce, entre autres, aux 30 000 équations posées par un ingénieur d'origine corse, Joe Bertony.

** Alpert, M., & Raiffa, H. (1982). A progress report on the training of probability assessors. In D. Kahneman, P. Slavic, L A. Tversky (Eds.), Judgment under uncertainty: Heu- ristics and biases (pp. 294-305). Cambridge, England: Cambridge Univ. Press.

*** Paul Slovic, Baruch Fischoff and Sarah Lichtenstein, Behavioral Decision Theory, Annual Review of Psychology, 1977

 

À SUIVRE

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