LE CROCODILE QUI VOULAIT CROQUER LE DOCTORANT
10 Avril 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
Au printemps 1976, je savais ce qu’il me restait à faire. Logiquement, j’aurais dû m’y consacrer à cent pour cent. Mais les démons de la dispersion ne m’avaient pas quitté pour autant.
Il fallait m’investir dans l’Université du Troisiéme Age, qui marchait très fort. Naturellement, j’étais vivement sollicité pour la manager et je ne me voyais pas y renoncer au moment où elle connaissait un plein succès (voir mes blogs sur le sujet). J’imaginais de nouveaux programmes, j’organisais leur articulation, je donnais des interviews à la télévision régionale et jusqu’au journal Le Monde, je me faisais applaudir…
De plus, j’avais l’occasion unique de participer, après le Liban et la Syrie au congrès de l’Aupelf qui se tenait à Abidjan. C’était ma première incursion en Afrique : je me souviens encore de l’odeur de la forêt tropicale qui m’a aussitôt saisi et de la magnificence d’une ville d’Abidjan en plein boom, suffisamment active pour attirer des immigrants de tous les pays environnants. Nous sommes en plein « miracle ivoirien ».
Nous étions en mai 1976, dans un pays dirigé par Félix Houphouët-Boigny depuis l’indépendance en 1960 jusqu’en 1993, les congressistes se retrouvèrent à l’Hôtel Ivoire, une véritable ville avec ses jardins, ses piscines, ses restaurants et même, luxe suprême voire arrogant dans un pays tropical, sa patinoire.
Le pays était calme, les Ivoiriens sympathiquement directs et Houphouët ne reculait pas devant l’implantation d’une nouvelle capitale dans son village natal, à Yamoussoukro. Il y construisit un bel aéroport, un Institut Polytechnique et même une Basilique de béton et d’acier, Notre-Dame de la Paix, sur le plan de Saint-Pierre du Vatican. Notre congrès se déroulait à Abidjan et à Yamoussoukro avec une incursion dans le nord de la Cote d’Ivoire, à Korhogo.
De Yamoussoukro, je retiens la visite des incroyables immeubles construits au milieu de la jungle, le luxe décalé des fauteuils en cuir rouge de l’Hôtel Président (il ne pouvait s’appeler autrement) et surtout les crocodiles de la réserve qui peuplent le lac entourant le Palais Présidentiel. Avec les autres membres du congrès, dont Xavier Boisselier, je m’approchais du lac. Sur ses berges, une dizaine de crocodiles dormaient au soleil. Nous étions séparés d’eux de quelques dizaines de mètres et d’un mur d’une hauteur d’un mètre cinquante environ.
Pour faire le malin, je l’avoue, je descends sur la berge et je m’approche à une dizaine de mètres des sauriens. Mes collègues photographient la scène et je m’apprêtais à en faire de même pour le crocodile le plus proche lorsque je m’avisais que ce dernier commence à bouger dans ma direction. Je me retirais vivement, plus exactement je prenais mes jambes à mon cou. J’arrivais à temps au pied du mur (sinon je n’aurais pas eu le loisir d’écrire ce blog) suivi de prés par le crocodile qui se révéla plus véloce que moi et je sautais aussitôt sur le mur. Sauvé.
Cela n’a pas été le cas de tout le monde. Des années plus tard, le 20 aout 2012, dans des circonstances quasiment identiques, le gardien des crocodiles, pourtant expérimenté, Dicko Toké, s’est finalement fait dévorer par eux !
Mais pour ma part, l’aventure imprudente s’est bien terminée. Les spectateurs soulagés ont fini par éclater de rire, et je me souviens que Xavier Boisselier racontait encore l’anecdote des années plus tard. Après cet incident, nous sommes allés en petit avion jusqu’à Korhogo, aux frontières du Burkina Faso, avec ses usines d’égrenages de coton, ses unités de production de sucre à Ferkessédougou…et son eau minérale livrée par bateau et camion depuis Evian, à vingt fois le prix français !
Jamais je n’ai oublié la Côte d’Ivoire qui est restée le pays sub-saharien que je préfère, si bien que je suis très heureux que l’IAE de Nice, sur mon initiative et surtout grâce à l’action résolue de Mantiaba Coulibaly et du soutien de l’Université de Côte d’ivoire, vienne d’ouvrir un Master Marketing.
Avant cette incursion en Afrique, j’avais participé à d’intéressantes Journées nationales des I.A.E. de Bordeaux, fin avril 1976, où nous avions entendu les déclarations péremptoires de Raymond Barre, quatre mois avant qu’il ne devienne Premier Ministre de Valery Giscard d’Estaing qui le qualifia à l’occasion de « l’un des meilleurs économistes de France ». J’en profitais, avec mon camarade et ami, Jean-Jacques Desjardins, pour présenter une communication intitulée « Essai sur le choix optimal de la firme entre le marché interne et le marché d'exportation ». Ce fut par ailleurs un congrès mémorable à plusieurs égards. Jacques Lebraty nous fit savoir qu’il candidatait à la direction de l’IAE de Nice et les visites et les activités autour du congrès restèrent dans la mémoire de tous les participants, en tout cas de la mienne…
J’avais donc présenté une communication de plus, mais la thèse dans tout cela ? l’histoire de cette thèse désormais correctement définie mais toujours esquivée, se poursuivait…