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Le blog d'André Boyer

ODE À L'AUDE

18 Octobre 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

ODE À L'AUDE

Le département de l’Aude vient de subir une catastrophe climatique. La ville  de Trèbes a été particulièrement touchée avec neuf victimes d’une inondation trop tardivement signalée, cette  même ville qui avait déjà été victime en mars dernier d'un attentat islamique dans son supermarché, avec  quatre morts et quinze blessés, dont le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame.

Or, il y a quatre ans, j’avais consacré un billet au département de l’Aude que je venais de visiter avec des amis et j’avais déjà perçu les attraits culturels et les meurtrissures économiques de ce département. C’est pourquoi je reprends ici l’essentiel de mon récit du 8 juillet 2014.

 

Nous avions décidé de visiter l’Aude en raison de ses attraits gastronomiques, vinicoles et artistiques, dans l’ordre. Nous avons naturellement commencé par Carcassonne, ville de carte postale. Puis plongeant dans l’Aude profonde, nous avons visité un domaine viticole. Ces vignobles n’ont vraiment connu le succès qu’à partir de celui de la blanquette de Limoux, inventée en 1531 par les moines de l’abbaye de Saint-Hilaire qui se sont fait « chiper » la technique de vinification par Dom Pérignon, un moine d’Hautvillers, qui en a assuré le triomphe avec le champagne.

Après avoir partagé un repas bucolique au sein du village fortifié de Pieusse, nous avons trouvé refuge le soir à Alet-les-Bains dans un pittoresque hôtel qui se trouve au sein même de l’ancien évêché. Curieuse ville qu’Alet-les-Bains, fortifiée et presque abandonnée, avec quelques résurgences de vie, une exposition ici, un musée là, un casino ailleurs.

Le lendemain, un fort périple automobile nous attendait, qui a commencé par le chemin cathare conduisant aux pentes escarpées entourant le môle arrondi de Montségur, le dernier refuge de ces pauvres Cathares, déjà victimes à l'époque de la fureur des centralisateurs royaux.

Puivert, où nous avons déjeuné, montre bien l’état d’abandon de nos villages. De là, nous avons traversé les paysages désertiques qui séparent l’Aude des Pyrénées Orientales.  Nous avons alors vu les montagnes changer brusquement d’aspect, les sommets dénudés succédant aux pentes couvertes de forêts auxquelles nous avait accoutumée la riante Aude. Il était perceptible que la Méditerranée étendait désormais son influence sur les panoramas qui s’offraient à nous, jusqu’à ce que nous nous arrêtions à Maury, aux vignobles enfin gorgés de soleil.

Il fallut pourtant nous résoudre à faire demi-tour pour rejoindre Quillan, où les deux visages de la ville, qui n’étaient autres que les deux visages du département, voire de la France tout entière, nous attendaient.

Certes Quillan détient encore un trésor, sa charcuterie, mais il a perdu une industrie qui l’avait rendu célèbre, le Formica. Depuis, la ville se meurt, ce que démontre la chute de son équipe de rugby, autrefois championne de France, aujourd’hui en Fédérale 3. Le club peine à recruter dans le désert industriel quillanais, car il est difficile de trouver un emploi pour d'éventuelles recrues, sauf par l’entremise ultime de la mairie. Lorsque nous partagèrent notre désolation avec un limonadier de Quillan, adepte du jeu à XIII entre amateurs gérés par des bénévoles, il nous asséna cette pensée définitive qui nous laissa coi : « L’avenir, Monsieur, il est ce que l’on en a fait… ».

Pas « ce que l’on en fait », notez la nuance, « ce que l’on en a fait » : le futur jaillit directement du passé.

À Quillan, dans l’Aude et dans toute la France, qu’est-ce que l’on en a fait de l’avenir? Est-ce que l’on s’en est vraiment occupé? Alors, l’avenir, il se construit quand même autour des usines vides et du tourisme, ultime espoir. Suffira t-il à faire vivre ces villes et ces campagnes avec l’aide de la vigne, des fonctionnaires, des retraités et des chômeurs indemnisés? Car des industries, il n’en reste rien, absolument rien.

Nous sommes retournés à notre hôtel situé dans l’ancien évêché d’Alet, avec son jardin romantique qui entoure des ruines grandioses. Est ce que le tourisme permettra de sauver cet hôtel au charme unique, plombé par son isolement et les exigences des normes?

Le dernier jour de notre périple, nous nous sommes repliés sur Limoux. Le marché remplissait ses rues et ses parkings, offrant victuailles et produits de l’artisanat, dont on ne savait s’il  provenait de l’Aude ou de la Chine. Ce jour là, la ville jouait à être prospère, mais on sentait bien, au nombre d’étals et de clients, que le cœur n’y était pas.

Pourtant, observant une propriété viticole à Brugairolles, prés de Limoux, centrée sur une belle demeure surmontée d’un restaurant, je me disais que le métier de vigneron présentait de nombreux attraits, celui de vivre entouré de la nature, de travailler en sortant de chez soi et de maitriser tout le cycle de production jusqu’à la bouteille de vin, ce produit « noble ».

Mais, à observer la condition de vigneron, il ne me semblait pas que la rentabilité de ce métier soit si facilement accessible que cela. Acheter un vignoble, vivre heureux et mourir ruiné assis sur un capital immobilier que l’on se refuserait jusqu’au bout à céder, était-ce là le destin des vignerons?

 

Quittant l’Aude pour parcourir la route de Limoux à Revel et sa magnifique place du marché, en passant par Castelnaudary transformé en ville dortoir toulousaine, avant de redécouvrir Narbonne la délaissée, je songeais mélancoliquement combien l’Aude était belle, dans son agonie.

 

 

 

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