PREMIÈRE MISSION À YAOUNDÉ
10 Octobre 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
On l’a compris, je ne suis pas resté immobile durant les trois années de mon affectation à Dakar. Je me suis notamment rendu deux années de suite au Cameroun pour une mission d’enseignement à l’Université de Yaoundé, avant d’y retourner encore une fois après mon retour en France.
Vu de France, le Cameroun est proche du Sénégal, mais en avion, avec une ou deux escales, il faut au moins huit heures pour parcourir les 4500 kilomètres qui séparent les deux villes. De plus, l’atterrissage à l’aéroport de Yaoundé était plutôt sportif, car la piste était trop courte pour l’Airbus qui m’y transportait. C’est écrire qu’une mission d’enseignement n’est pas forcément de tout repos…
Je donnais pendant deux semaines un cours de TQG (techniques quantitatives de gestion) en Maitrise de Gestion à la Faculté de Sciences Économiques de Yaoundé et j’étais (bien) logé à l’hôtel du Mont Fébé, connu pour son golf, mais situé de l’autre côté de la ville.
Tous les jours ouvrables, une voiture venait me chercher le matin, me ramenait entre midi et quatorze heures à l’hôtel et m’y ramenait le soir vers 17 heures. Je ne raconte pas ce détail par hasard, car, durant mon premier séjour à Yaoundé, j’ai subi un incident, qui est resté unique durant l’ensemble de mes séjours en Afrique.
Peu après midi, le chauffeur me ramenait donc vers l’hôtel. Nous étions arrêté à un feu rouge. Erreur que je ne fis plus jamais, ma fenêtre était ouverte. Un homme s’approche de la voiture, me donne un coup de poing sur la pommette, le chauffeur démarre brusquement et brule le feu rouge. Commentaire du chauffeur : « Si je n’avais pas démarré, on risquait de mourir tous les deux ». Le décodage de l’incident, c’est que l’on ne pouvait pas savoir si cet acte de violence sur un Européen n’aurait pas attiré instantanément une foule qui risquait de nous frapper à son tour, sans même savoir pourquoi, à moins qu’à l’inverse qu’elle ne roue de coups mon agresseur. Dans le doute, il était donc préférable pour le chauffeur de quitter les lieux au plus vite.
Les cours rassemblaient une quinzaine d’étudiants de niveau de formation variable mais acceptable et j’appris à cette occasion que les bamilékés étaient de bons étudiants et d’excellents gestionnaires. Ces cours avaient lieu dans un bâtiment sans murs, simplement couvert d’un toit de tôles. Lorsqu’il pleuvait et il pleuvait souvent et fort, la pluie rebondissait sur le toit avec un tel bruit qu’il fallait arrêter le cours, le temps que l’orage tropical se calme.
À 17 heures, il faisait encore jour. J’allais un soir à la piscine de l’hôtel où je vis un monsieur installé sur une chaise pliante. Je le saluais et c’est ainsi que je fis une des belles rencontres de ma vie, le Professeur Marc Penouil.
Professeur de Sciences Économiques à l’université de Bordeaux I avant de devenir son futur Président, il avait passé le début de sa carrière en Afrique Centrale où il s’était intéressé à la socio-économie du développement. Ce soir là, il me fit cadeau de son ouvrage sur « Le développement spontané : les activités informelles en Afrique », une découverte intellectuelle inattendue pour moi, prés de la piscine de l'hôtel.
L’auteur fait l’hypothèse que le passage à l’industrialisation peut se faire de façon classique par du développement importé ou par la transformation plus lente des structures socio économiques, ce qu’il appelle le développement spontané et il apporte à l’appui de cette hypothèse toutes les études menées durant dix ans par une équipe d’économistes au travers de l’Afrique francophone.
Je voudrais rendre hommage ici à son travail, qui remet en cause la nécessité du développement importé, cette forme de développement qui conduit à une imitation des structures qui ont été imaginées ailleurs et dans d’autres circonstances que dans les pays où on les appliquent, provoquant toute une série d’effets négatifs à long terme.
À ce processus, Marc Penouil en oppose un autre, le développement spontané, qui est plus que jamais d’actualité avec la question centrale de l’adaptation des sociétés humaines aux dégâts écologiques, entre autres, qu’a provoqué la dynamique incontrolée de la mondialisation.
Cette vision du développement a été très récemment renforcée par l’attribution du Prix Nobel d’Économie au Professeur Paul Romer, pionnier de la théorie du développement endogène, que j’avais eu le plaisir d’inviter à participer aux Rencontres Scientifiques sur l’Économie des Phosphates à la Faculté de Droit et de Sciences Économiques de Nice, les 12 et 13 décembre 2012…