La trajectoire
Il y a quelques temps, je me suis intéressé à la notion de vérité. J'ai alors découvert comment elle ne pouvait être abordée qu'au travers de l'évolution de l'humanité, ce que j'appelle la TRAJECTOIRE. La notion de vérité change avec la manière dont l'homme voit le monde, et à ce titre il est frappant de constater à quel point le doute a envahi la pensée humaine. C'est cette histoire que je reprends ici, en une série de quelques articles, en lui ajoutant mes réflexions actuelles. Nous verrons qu'elle nous conduira à nous interroger sur le sens de l'étape actuelle de la pensée humaine.
La pierre polie annonce notre technologie, les révolutions de palais de l’Empire Romain contiennent en germe notre Moyen Âge puis notre Renaissance ; les paroles du Christ, de Bouddha et de Mahomet dessinent un tournant majeur de l’humanité, et plus prés de nous la guerre de 1914-1918 implique la nécessité d’une nouvelle Europe. L’histoire n’est rien d’autre que l’expérience des autres qui nous est transmise et que nous réinterprétons sans cesse. Elle exprime tout à la fois la violence, le cynisme mais aussi l’idéalisme des hommes. Elle nous conte l’effort inlassable accompli par l’espèce humaine afin de surmonter les contraintes de la nature et les difficultés de la vie en société. Des cités ont lutté contre des barbares, quelques hommes ont changé l’idée que l’on se faisait de la religion, d’autres ont bouleversé les méthodes de production. Les plus savants ont découvert les lois de la nature. Tous ces savoirs et ces savoir-faire ont produit les civilisations, égyptiennes, grecques, romaines, arabes, chinoises, nippones, indiennes, mayas, incas.
Nous avons naturellement égaré nombre des acquis de nos ancêtres. L’histoire de l’humanité est longue de six millions d’années, mais nous ne nous rappelons avec précision que les évènements les plus récents, depuis cinq mille ans tout au plus. En outre, nous réinterprétons chaque jour l’histoire dans le sens qui nous convient, croyant qu’elle nous conte la légende de nos progrès, alors qu’elle n’est que la chronique de la naissance, de la croissance et de la dégénérescence de notre espèce ; l’homme accumule toujours plus de connaissances, produit de plus en plus de biens, se multiplie, s’étend…Jusqu’à ce qu’il diminue en nombre et disparaisse. Et nous dans tout cela, quel est notre rôle ? que faisons-nous ? Mais commençons par le commencement.
Un petit homme descend de l’arbre…
Un jour, six millions d’années avant que vous ne lisiez ce texte, un petit homme, ou une petite femme comme Lucy, se décida enfin à descendre des arbres sur lesquels il, ou elle, avait l’habitude de vivre. Cela se passait sur la Terre, une planète moyenne d’une étoile assez ancienne que nous appelons le Soleil, située dans une galaxie quelconque que nous avons baptisée Voie Lactée, et, jusqu’à nouvel ordre, nulle part ailleurs. Le petit hominien se trouvait en Afrique orientale, c’est du moins ce que l’on pense aujourd’hui. Une fois installé par terre, mais sans doute quelque temps après, il décida en outre, lui ou ses descendants, de se planter sur ses pattes de derrière.
Aujourd’hui, on voit dans ces deux décisions le renoncement implicite de l’homme à ses comportements instinctifs, qui avaient pourtant assuré sa survie jusque-là. L’histoire de l’homme débuterait donc par ce rejet de l’instinct comme guide vital, l’obligeant à inventer en compensation de nouveaux comportements qui seront copiés de proche en proche, sous la forme d’un processus permanent d’accumulation culturelle.
Entre l’époque de la renonciation humaine à l’instinct et aujourd’hui, il s’est écoulé peu de temps. Il a déjà fallu trois millions d’années pour que l’un de nos ancêtres se décide à tailler un galet, puis deux millions d’années de plus pour que l’un de ses rejetons réagisse au froid, puis encore neuf cent mille ans pour qu’un autre de ses descendants prenne conscience qu’il était mortel. Si l’histoire de l’homme débute vraiment par l’acte fondateur de renonciation à l’instinct, l’histoire de l’homme n’est que la conséquence de la prise de conscience de sa condition dans l’Univers.
Car il s'agit de comprendre le monde pour le contrôler...
Samy Naceri et l'affaire d'Outreau
Je ne m’inquiète pas pour Samy Naceri parce qu’il fait partie de ces happy few à qui rien ne peut arriver. Mais si on est un type anonyme qui n’intéresse pas les médias et si en plus on a un profil de coupable, en somme si on ne s’appelle pas Samy Naceri, on ne peut pas frapper les gens, à fortiori leur donner des coups de couteaux, sans que le ciel ne vous tombe sur la tête, sans que les juges ne vous emprisonnent pendant des années, avec ou sans preuves. Vous risquez d’attendre des mois au fond d’une cellule que le juge d’instruction daigne vous entendre, désespérer qu’il vous écoute et qu’il vérifie vos dires et vos actes sans que les medias ne s’intéressent en rien à votre cas, quand ils ne vous accablent pas dés votre mise en examen. Jusqu’à ce que le scandale, après des années, explose à la figure des Ponce Pilate et des Tartuffes, ceux qui vous ont donné des leçons chaque soir dans les très étranges lucarnes qui insultent nos chaumières.
Il ne faut jamais oublier l’affaire d’Outreau, car elle est le symbole de l’innocence bafouée. Aujourd’hui encore, en écrivant sur cette affaire, l’émotion, l’indignation, me submergent. Le lecteur constatera que mon style s’en ressent. Mais rappelons nous encore une fois les faits.
Chaque année ou presque, le législateur ajoute de nouvelles garanties pour protéger les inculpés, pardon, les personnes mises en examen. La justice ouvre des voies de recours de plus en plus nombreuses pour limiter l’application de la détention provisoire, avant un jugement qui intervient bien souvent plusieurs années après les faits qui ont provoqué l’instruction. Pourtant, il suffit d’un petit juge débutant qui cherche à se faire un nom, d’une chambre d’accusation complaisante, de quelques experts aux ordres, pour que quatorze personnes innocentes passent plusieurs années en prison, pour que leur vie soit à ce point gâchée que l’un d’entre eux, plus fragile que les autres, se suicide. Comme toujours, les médias en quête de sensationnel, les « élites » à la recherche de boucs émissaires pour les jeter en pâture à l’opinion publique ont pesé beaucoup plus lourd que les garanties formelles qui protégent théoriquement la vie des « citoyens » français.
À l’époque, la mode était au réseau de pédophiles, alors on en a inventé un, sans preuve. Ne vous faites pas d’illusion, mesdames et messieurs, il suffit que votre profil ressemble à celui d’une catégorie diabolisée et peu importe les faits, votre vie peut être bouleversée de fond en comble pour satisfaire la soif de victime que l’idéologie à la mode réclame. Encore heureux que l’on ne vous guillotine pas comme sous la Révolution, mais c’est le même esprit qui souffle : il faut trouver des coupables pour justifier les discours dénonciateurs qui forment la base du discours politiquement correct français.
Le procès d’Outreau s’explique par l’affaire Dutroux. Ce monstre belge ne pouvait pas être un cas isolé. L’opinion publique supposait un « réseau » terme magique porteur d’ondes maléfiques au même titre que celui de secte, un réseau qui exploitait la bestialité humaine et l’appât du gain aux dépens d’innocents enfants. Elle n’en découvrit aucun, mais l’idée de « réseau » flottait dangereusement dans l’air du temps. À quelques kilomètres de là, de l’autre coté de la frontière, un jeune juge ambitieux était affecté à Béthune où il désespérait de se faire un nom. Il tombe sur une triste accusation d’inceste ; il n’en faut pas plus pour qu’il la transforme en un tour de main en une mirifique affaire de réseau pédophile. Les Belges ne l’avaient pas mis en évidence, les Français allait leur faire la leçon, comme d’habitude. Les experts qui ont besoin de vivre, comme tout le monde, confirmèrent ce qu’on leur demanda. Afin de noircir le tableau, on parla de notables pour un huissier, une infirmière ou un chauffeur de taxi, sachant qu’un notable dans l’imaginaire français est forcément, quelque part, pourri. Le fantôme du notaire de Bruay-en-Artois s’agitait, inutilement.
Il a suffi de quelques jours de procès pour faire voler en éclats trois longues années d’instruction qui sont, paraît-il, nécessaires pour collecter les faits, accumuler les preuves, vérifier toutes les pistes, apporter la garantie que tout a été mûri, pesé, ausculté afin que soit chassé le moindre doute dans l’esprit du juge qui instruit. Pendant ces trois années, treize personnes innocentes croupissaient en prison que le juge prenait à peine le temps d’entendre et pas du tout celui de les écouter. Il avait sa conviction, elle lui suffisait. Quand je pense que vous, que mes proches, que moi, nous sommes tous à la merci d’un individu pareil à celui-là, que rien n’a préparé à démêler le vrai du faux, qui ne rêve que de promotion pendant que vous lui parlez d’injustice, je tremble.
On écoute, ou plutôt on sollicite la parole des enfants, on l’oppose à celle des adultes. On réclame des coupables à tout prix, on les fabrique.
De grâce, que l’on veuille bien nous épargner à jamais les antiennes de justice rendue, de vérité recherchée, de respect des citoyens dans cette République Française qui a tout simplement besoin de coupables, autrefois les aristocrates, hier les collaborateurs, aujourd’hui les racistes et les pédophiles. Inutile de nous offrir en expiation la farce d’une commission parlementaire impuissante et d’un « Conseil Supérieur de la Magistrature » impavide, dont la morgue s’inscrit dans son appellation même.
Dans ce pays, vous qui êtes les citoyens de cette République qui ose se proclamer celle des hommes libres, une République qui revendique d’être égalitaire et fraternelle, vous qui n’avez toutefois pas le bonheur d’appartenir à l’oligarchie, vous qui ne vous appelez par Samir Naceri, vous êtes corvéable à merci, emprisonnable à la discrétion de ces messieurs-dames qui n’hésiteront pas à envoyer les medias détruire votre vie et celle de vos proches avant de reconnaître avec la plus extrême répugnance qu’ils se sont peut-être trompés, et que donc, mais oui, qu’il se pourrait bien que vous ne soyez pas coupable.
C’est que le simple mot « innocent » leur arracherait la bouche. Ils vont prendre des mesures avec l’argent des autres citoyens, pour vous indemniser. N’oubliez pas de les remercier, ces messieurs dames, qui maintiennent en permanence dans leurs prisons des centaines « d’outreaux » potentiels, des mois, des années, pendant qu’ils prennent des vacances judiciaires sûrement bien méritées.
J’exagère ? Demandez à un juge ou à un avocat, en privé, ce qu’il en pense, et interrogez vous enfin sur ce que signifient vraiment en France les pauvres mots de liberté et d’égalité devant la loi. Il vous suffira de passer quelques jours en prison pour comprendre tout le sel de la fraternité que vous délivrent les fonctionnaires chargés de s’occuper de votre cas. Puis repensez à Samir Naceri.
Sans entrer dans les détails du tableau, il existe une séparation nette entre les membres de l’oligarchie et vous qui n’avez ni leur pouvoir, ni leur fortune, ni leur liberté d’action. Vous faites partie des exclus.
Il y a simplement des gens encore plus exclus que vous.
Vous avez dit justice?
Le président de la République a annoncé hier, devant des magistrats pétrifiés, que le juge d’instruction serait remplacé par le juge de l’instruction. Une catastrophe ! les juges dessaisis de leurs prérogatives ! l’indépendance de la justice en danger ! Eric de Montgolfier, procureur de Nice, déclare que « l’indépendance dans la conduite des enquêtes est essentielle ». Moi, je ne trouve pas que ce soit la question essentielle. Ce sont les justiciables qui m’intéressent, plus que les juges, les avocats et les policiers. Je comprends bien que ces trois professions aient des problèmes éthiques, techniques et existentiels, mais je crois que l’organisation de la justice est faite pour réduire l’injustice dont souffrent les individus dans la société. L’indignation devant le crime, la violence, les vols, les escroqueries, les abus de pouvoir suppose que la société y réponde par son soutien, moral et matériel. Elle doit reconnaître le tort subi, aider à le réparer, sanctionner les coupables, que ce soit dans les conflits opposant des intérêts privés entre eux ou des individus à la puissance publique.
Or, que voit-on ? Je ne mentionne pas le cas des victimes d’agression physique mais simplement de vol. Vous avez vécu cette expérience, probablement, et vous avez constaté à quel point votre cas les intéressait peu, ces pauvres policiers. C’est qu’un policier n’est pas une assistante sociale, il n’est pas payé pour redresser ce qui a été tordu, définitivement, dans les rapports sociaux. Il n’est pas payé pour. Il est payé pour avoir un emploi, un emploi dans lequel il lui faut accepter d’être mal considéré par le public en échange de quoi il dispose de pas mal de liberté pour bricoler et du droit à une retraite à 55 ans. Mais il y a des limites. Si on continue à l’embêter, il va encore se suicider. Les policiers sont plus fragiles que vous ne le croyez, laissez les donc tranquilles, oubliez-les.
Et n’allez pas croire que les juges vont s’intéressez à vous. Eux, ils ont le pouvoir de vous persécuter, pas celui de vous réconforter. Si on peut narguer un policier, l’insulter puis se plaindre ensuite à la justice et aux médias d’avoir été rudoyé, mais on ne peut pas agir ainsi avec un juge. Si les avocats le titillent, il repousse l’affaire à une date ultérieure et plus ou moins indéterminée. Si les vacances judiciaires approchent, il renvoie l’affaire. S’il manque un papier, une signature, si quelqu’un oublie de cocher une case, il annule la procédure. Et hop ! débouté le plaignant, libéré le délinquant. Lui le juge, avec la complicité active des avocats, il lui faut deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, et je ne m’arrête là que par souci de style, pour juger. Il faut que le dossier soit complet, que les rapports d’expertise ne soient pas contradictoires, il faut un complément d’information, il faut qu’il ne manque aucun bouton de guêtre pour aller au procès. Ce n’est pas sa faute, il applique la loi, c’est tout.
Vous les justiciables, vous devez comprendre que c’est LA garantie d’une bonne justice, rendue dans la sérénité. Venez voir les montagnes de dossiers qui stagnent sur son bureau. Vous croyez qu’il n’a que vous à juger ? D’ailleurs, parlons-en du jugement. Il s’agit de juger en toute indépendance et placidité. Si c’est un tant soit peu délicat, on mettra le jugement en délibéré. Ensuite on ira en appel, dans quelques années. On recommencera tout, en plus soigné, vous le pensez bien, nous sommes en Cour d’Appel ! On finira le travail en Cassation. Là, il faudra prendre vraiment tout son temps, bien réfléchir, on ouvrira les dossiers en les observant sous un angle nouveau, celui de la procédure sans se préoccuper du fonds. Vous ne savez pas, vous qui êtes des béotiens en matière de droit, tout ce que peut contenir le monde merveilleux de la procédure.
Je n’ose compter ni les années ni le nombre de plaignants qui sont morts, enterrés et oubliés, avant que la Justice ait fini de dérouler sa procédure infinie. Et encore faut-il faire exécuter un jugement, une fois délivré. Il faut réquisitionner un policier, trouver un huissier. Il faut écrire, sommer, et sommer à nouveau. Il faut que les policiers se résolvent à agir, il faut qu’ils aient la chance de trouver le justiciable, et s’ils ne le trouvent pas, qu’ils le fassent savoir à qui de droit (c’est le cas de le dire) et qu’ils relancent toute la procédure d’exécution. Il faut qu’il y ait une place en prison, un compte en banque qui ne soit pas vide, une adresse qui soit juste.
La justice, un univers merveilleux hors du temps, hors de la vie, qui vous met hors de vous.
L’affaire Outreau en est la parfaite illustration et c’est elle qui explique la prochaine suppression du juge d'instruction.
Une société francaise en loques
Quelle société voulez vous laisser à vos enfants ? Nous n’avons, nous individus, qu’une seule arme pour lutter contre la dérive d’une société qui nous opprime, la lucidité. Ces écrits veulent contribuer à une prise de conscience des effets de la tyrannie de l’oligarchie sur la vie de « citoyens » réduits à l’impuissance, jamais consultés, toujours méprisés. Observez ce que vous vivez :
Vous arrivez en France après un séjour à l’étranger, même court. Vous débarquez à Roissy. Des douaniers vous regardent passer, faussement indifférents et indubitablement ennuyés. Comme ils sont héroïques de venir travailler dans ce lugubre aéroport si tôt le matin ! Ils devisent entre eux, sans s’occuper de vous. Ce n’est pas qu’ils constatent que vous n’avez rien à déclarer ou que votre tête leur plait, mais c’est que leur travail les ennuie. Le fait même de travailler les horripile. Ils mériteraient bien mieux que ce job minable, on les sous-estime, on les sous-emploie, on les sous-paie bien sûr. Leurs chefs sont, par définition, des incapables. Heureusement qu’ils ont les trente-cinq heures, les RTT, les congés, la retraite à 55 ans ou 56 ans, la pêche, les copains. Et vous voudriez qu’ils soient sympathiques, souriants, zélés ? Voilà ce que vous exprime le regard torve qui vous accueille.
Avec la coopération gracieuse et involontaire des douaniers, vous êtes tout de suite dans l’ambiance que vous retrouverez partout, dans les rues, dans les magasins, dans les cafés et bien sûr dans les administrations. Bonjour les relations humaines, vous êtes de retour au pays des mécontents de leur sort. Une barrière s’est automatiquement élevée entre vous, qui êtes mal vu à priori, et celui qui est chargé de vous aider, de vous servir ou de vous contrôler. Le fait que vous rémunériez ses services, soit avec votre argent personnel (le serveur de café) soit avec vos impôts (le douanier), n’impressionne pas le bougon qui vous fait face. Ne lui demandez rien de plus que le strict minimum. Soyez heureux qu’il daigne bien vous écouter, il ferait beau voir, qu’en plus, il vous réponde ou qu’il se presse. « Chacun son tour, Madame, calmez-vous, vous voyez bien que je travaille » comme si c’était un exploit individuel et gratuit. « S’il ne tenait qu’à moi, Monsieur, je serais ailleurs plutôt qu’à vous servir ».
Je crois que vous voyez assez clairement ce que je veux dire, vous l’avez vécu des centaines de fois : vous êtes un gêneur pour celui qui a la lourde charge de vous fournir une prestation quelconque, et il tient clairement à vous faire savoir qu’il n’est à son poste que contraint et forcé par les dures circonstances de la vie, la malchance en fait. Il ne fera que le minimum, et s’il est de mauvaise humeur, rien du tout. Je vous laisse le loisir de nourrir cette réflexion par vos expériences personnelles.
Dans la rue, ne vous avisez pas de sourire à quelqu’un : il vous prendrait au mieux pour un fou. Les « gens » passent, indifférents et maussades, sans vous regarder ni s’intéresser à votre sort. Je ne mentionne que pour mémoire la tête sinistre que font les « gens » dans le métro. Ne les bousculez pas, ne les « calculez » pas, ils pourraient se vexer, venir vous demander des explications ou pire vous agresser. Dans les bus, n’attendez pas que quiconque se lève pour vous laisser sa place. Ne vous aventurez qu’avec prudence sur un passage protégé qui ne sera respecté que contraint et forcé. Évitez de faire remarquer à celui qui vous a doublé dans une file d’attente qu’il est incorrect. Si vous vous y risquez, il se chargera en échange de porter un jugement sévère sur votre intolérance. Intolérance, le mot est lâché qui permet à chacun d’agir à sa guise sans se préoccuper le moins du monde des effets de ses actes sur l’autre. Ne protestez pas, bien sûr, contre celui qui brûle un feu rouge : il serait capable de prendre la peine de s’arrêter pour vous casser la figure. Ce serait une bonne leçon pour vous : en l’interpellant, vous avez insulté sa dignité et vous vous êtes mêlé de ce qui ne vous regarde pas, étant donné que c’est son affaire s’il veut brûler un feu rouge, pas la vôtre.
Dans un immeuble, il est rare que les « gens » se parlent dans les ascenseurs et à fortiori fassent connaissance entre eux, se côtoyant sans s’adresser la parole pendant une décennie ou plus si nécessaire. Sauf si le voisin du haut fait du bruit ou fait couler de l’eau sur votre balcon. Alors le contact s’établit, mais sur le mode de la guerre à outrance.
Je le sais, je brosserais un tableau trop noir des relations sociales à la française, si je n’ajoutais pas qu’elles ne signifient en rien que les individus ne sont ni plus mauvais ni meilleurs en France qu’ailleurs sur Terre, que ces relations sociales n’ont aucun rapport avec les relations affectives qui se créent entre des personnes qui se connaissent et enfin qu’il existe de nombreux contre-exemples, que vous avez en tête comme moi, de personnes rencontrées charmantes, serviables, disponibles, alors que vous vous attendiez, comme moi, au pire. Mais c’est là que le bât blesse : d’une façon générale et à priori, on ne s’attend pas à être bien reçu, ou bien traité, ou bien considéré lorsque l’on prend contact de façon anonyme et impersonnelle avec l’un des habitants de ce pays qui est le mien. L’accueil varie certes selon les régions. Mais aujourd’hui, il diffère moins à l’intérieur du pays qu’en comparaison avec les pays étrangers. Il me rappelle parfois l’accueil que l’on trouvait avant 1989 dans les pays de l’Est. Cette comparaison n’est pas fortuite, car elle signifie que cette insatisfaction tient moins à des facteurs culturels qu’à une insatisfaction ressentie vis-à-vis de l’activité que l’on effectue, et d’une façon plus générale par rapport aux leçons de vie que la société nous a données. Il y a quelque chose de bureaucratique, de glacé, de stalinien dans la société française. Ce n’est pas par hasard que la France soit devenue la patrie de la pensée unique.
Je me souviens de ce petit événement banal et sans gravité : un agent de la RATP chargé de vendre des billets dans une station de métro ou il n’y avait pas de distributeurs automatiques et qui a quitté brusquement le guichet qu’il occupait devant une file de dix personnes, arguant hautement que son service venait juste de se terminer à l’heure pile. Que chacun se débrouille ! Il est intéressant que ce soit une histoire banale.
Pour ne pas se résigner
Cet article est le premier d’une série consacrée au fonctionnement oligarchique de la société française. Il reprend les principaux arguments, en les actualisant, que j’ai utilisé pour écrire mon ouvrage intitulé « Trente trois ans d’arrogance »
Les Français sont pris en otage par une oligarchie qui les dirige avec incompétence, qui leur ment et qui les exploite. Tous les jours, à la télévision, dans les radios, les périodiques, des journalistes se chargent de filtrer les nouvelles en mettant en avant ce qui leur paraît important et en laissant dans l’ombre ce qu’ils considèrent comme nocif pour la vérité officielle. Chacun d’entre nous, témoin d’un événement relaté par les medias, a été surpris par la manière dont les faits étaient relatés. De plus, les medias se chargent de nous expliquer ce qu’il faut en penser, et ils ne se gênent guère pour porter des jugements de valeur sur les gens et les choses. La situation est aggravée par le fait qu’il existe en France entre l’ensemble des medias, à de très faibles exceptions prés, un extraordinaire consensus qui traduit leur profonde connivence. Avez-vous entendu une seule chaîne de TV ou de radio, un seul quotidien national ou régional prendre parti pour le « non » au referendum du 29 mai 2005, alors que la moitié de la population au moins, d’après les sondages, votait « non » ? On essaye d’imposer aux Français une façon « convenable » de penser, comme disait Chirac. En France, le délit d’opinion existe, il est durement réprimé par le biais d’associations financées par les subventions de l’État, qui se chargent de porter plainte à sa place contre vous, dès que vous pensez mal. Voilà pourquoi j’écris que les Français sont pris en otage.
Qui les mène par le bout du nez ? Une oligarchie jalouse de ses prérogatives.
Il est patent, au point que plus personne ne s’en étonne, que ce pays est dirigé par un petit groupe de quelques milliers de personnes qui se réservent l’exclusivité du pouvoir politique et économique. Très rares sont ceux qui parviennent à être élu sans avoir leur aval. Il suffit de regarder la composition des assemblées, les noms des membres des corps constitués ou des patrons des grandes entreprises. Il suffit de parcourir les curriculum vitae de ces gens-là pour comprendre comment ils sont arrivés au pouvoir. Ni par hasard, ni par mérite, mais par cooptation. Prenez le cas, que vous avez déjà probablement oublié, de ce pauvre Gaymard par exemple, ex-ministre des Finances et maladroit occupant d’un appartement de 600 m2. Il serait sans nul doute resté un obscur énarque, s’il n’avait été coopté par l’influente famille Legendre. Une oligarchie nous gouverne, qui s’auto reproduit et qui a donc besoin de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, afin d’assurer la pérennité de son pouvoir.
Ce serait acceptable, à tout le moins tolérable, si les membres de notre oligarchie étaient compétents, s’ils étaient sélectionnés en fonction de leur mérite et écartés lorsque leur incompétence éclatait au grand jour. Ils essaient de nous le faire croire. Nous avons, disent-ils, les meilleurs hauts fonctionnaires du monde, et les politiques les plus intelligents. Avant la Société Génerale et son système de contrôle interne qui laisse filer 5 milliards d’Euros sans s’en apercevoir , il y a eu l’énorme scandale du Crédit Lyonnais qui a coûté au peuple français aux alentours de 17 milliards d’Euros. Il n’aurait pu intervenir nulle part ailleurs qu’en France, et nulle part ailleurs on n’aurait osé prendre aucune sanction à l’encontre de ses responsables. Haberer coule une retraite tranquille dotée d’une très confortable pension. Mieux encore, Trichet a été promu président de la BCE, la Banque Centrale Européenne. Incompétence, gabegie, impunité, voilà les trois devises logiques de notre oligarchie.
La population française est prise en otage par une oligarchie qui l’exploite. C’est tout naturel, sinon à quoi serviraient tous ces efforts pour contrôler le peuple, le mener en bateau et le faire avancer dans la direction voulue ? Ils font ce qu’ils peuvent, nos dirigeants, pour tirer le maximum de nous. Ils nous taxent à satiété, parvenant à un quasi-record du monde des prélèvements obligatoires. Plus il y a d’impôts, plus il existe de possibilités de commissions. Les nombreux procès relatifs au détournement de fonds de nos élus s’étalent sous les yeux des candides. On peut aussi jeter un coup d’œil aux palais de la République Française, aux logements de fonction, aux avantages en nature pour s’en convaincre. Il paraît qu’ils doivent s’accorder des privilèges pour le prestige du pays, prendre des avions spéciaux ou aménager de luxueuses ambassades à nos frais. Les Français sont exploités par des gens qui les prennent manifestement pour des imbéciles.
Ce que j’écris ne plaira ni aux oligarques qui nous gouvernent ni à leurs contempteurs. Jailli d’un sentiment d’indignation, un sentiment quotidiennement entretenu par la honteuse propagande médiatique qui nous enveloppe, je m’adresse à ceux qui ne croient pas que vivre consiste fondamentalement à se résigner. Ceux qui proclament qu’ils resteront en place quoi qu’il advienne, ceux qui renient leurs promesses aussitôt arrivés au pouvoir, ceux qui échouent toujours mais qui ne le reconnaissent jamais, ceux qui changent les lois électorales pour garder le pouvoir, ceux qui menacent les électeurs s’ils ne votent pas bien, ceux qui adaptent le système judiciaire pour protéger leurs forfaits, comptez vous les approuver longtemps ? Quelle société voulez-vous laisser à vos enfants ?
« Régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personnes, à une classe restreinte et privilégiée », selon le Petit Robert. J’emploierai également les termes d’élite, de microcosme ou de nomenklatura, le premier exprimant la prétention d’un groupe de personnes à conduire le pays, le second une société restreinte dans laquelle se déroulent les luttes d’influence du pouvoir central et la troisième regroupant les personnes qui bénéficient des avantages réservés à ceux qui gravitent autour du pouvoir.
Instantanéité, révérence et nombrilisme
Les journalistes ont deux réactions professionnelles qui ne leur permettent pas de saisir la complexité des choses.
Tout d’abord, ils réagissent à court terme, jugeant l'événement instantané sans aucun recul historique. C'est ainsi que le bombardement israélien (400 morts et plus ce n'est pas rien) doit être situé dans le contexte d'une guerre de 60 ans. Un jour, ce conflit qui ne peut pas trouver de solution en lui-même sera dépassé par quelque chose d'autre et l’on n'en entendra plus parler, comme on n'a plus entendu parler des conflits balkaniques qui ont duré de 1820 à 1914 entre turcs et populations orthodoxes, puis ils ont resurgi 80 ans plus tard. Alors condamner les uns ou les autres, chercher des "solutions", c'est vain.
Ensuite, ils sont naturellement du côté du manche, mais comme ils ne sont que des thuriféraires du pouvoir, ils ont besoin de le justifier moralement. D'où la pensée unique. Toute personne qui s'en écarte est doublement condamnée, parce qu'elle les met en cause personnellement et parce qu'elle menace les fondements du pouvoir. C'est ce que fait Dieudonné. Il n'est pas logique, il n'en a pas besoin, il se contente de taper où cela fait mal, le colonialisme, les juifs, le fondement résistant du pouvoir. Donc il doit être vomi, mais ils se rendent bien compte qu'en le faisant, ils le renforcent. Alors, ils guettent la faute impardonnable, ils essayent de l'isoler. C'est de bonne guerre, mais c'est inutile. Dieudonné se contente de montrer leurs contradictions, leurs hypocrisies, et comme tout cela ne risque pas de disparaître, il y aura toujours quelqu'un pour exploiter le filon.
La boucle est bouclée lorsque les journalistes trouvent finalement que le sujet le plus susceptible d'intéresser les spectateurs est naturellement leur vie personnelle à eux, les "médiatiseurs". Ainsi a t-on assisté, vendredi soir à une émission en "prime time" sur FR3 entièrement consacrée à Michel Drucker dont on a tracé l'hagiographie de son vivant, aux frais des téléspectateurs. Comment nous signifier plus clairement que nous, les "citoyens" ordinaires, n'avons qu'un rôle à jouer, celui de spectateurs, complété par celui de contributeurs?
Le grand défi qui nous est lancé, dans une société qui nous raconte des histoires à dormir debout, qui cherche à nous manipuler en faveur du pouvoir et qui nous écarte de la lumière des médias, c'est d'y trouver notre place en tant qu'acteur...
IL DIVO ou la tragédie du pouvoir
Paolo Sorrentino propose un film qui raconte la vie politique de Giulio Andreotti, un des patrons de la Démocratie Chrétienne, sept fois Président du Conseil de la République Italienne. Au travers du film, on peut juger que Giulo Andreotti est un salaud, un corrompu, un comploteur, un cynique, un mafieux et j’en passe. On peut aussi penser qu’il est un bouc émissaire. Ceux qui méprisent la vie politique italienne, et c’est une des données du politiquement correct français, en conclueront que la démocratie italiennne est pourrie et que Giulo Andreotti en est son digne représentant. C’est une façon simple d’aller voir des films pour trouver des raisons de conforter ses idées recues.
Il me semble plus intéressant de voir en Andreotti un vrai politique, un homme de pouvoir qui l’assume pleinement, un manager public dans toute son épaisseur. Si je devais retenir une phrase parmi les nombreux aphorismes que propose Andreotti, ce serait approximativement celle-ci « il faut faire le mal pour le bien de tous ». Cela exprime l’essence de la tragédie du pouvoir. Celui qui l’exerce croit, il ne feint pas de le croire, il le croit vraiment, au besoin il se persuade de le croire, qu’il fait le mal au nom du bien de la collectivité.
Il est vrai que le pouvoir suppose le mal et que quelqu’un doit l’assumer. Le vrai homme de pouvoir en prend la responsabilité. S’il ne la prenait pas cette responsabilité, il n’y aurait pas de pouvoir. C’est sa justification, mais aussi son drame intime qui l’isole de tous, et au bout de la route, le laisse seul, abandonné. Mais le drame collectif est ailleurs. Tout ce mal accompli au nom du bien, de quel bien s’agit-il ? n’est ce pas finalement du mal pour le mal ? Cela nous conduit au débat qui ne doit jamais être refermé sur les moyens que le pouvoir s’octroie pour faire ce qu’il appelle le « bien ». Pour moi, les moyens du pouvoir ne doivent jamais excéder ce que permet la morale ordinaire des hommes.