BONAPARTE HÉRITE DE LA RÉVOLUTION
La suite du coup d’État du 19 brumaire ne fut que routine.
Les Cinq-Cents expulsés, le président des Anciens fit voter un décret constatant « la retraite » du conseil des Cinq-Cents et nommant une commission exécutive provisoire de trois membres remplaçant les Directeurs.
Bonaparte et Sieyès complétaient cette première mesure par une réunion hâtive d’une cinquantaine de députés qui votaient, sous la présidence de Lucien Bonaparte, leur reconnaissance à Bonaparte et aux autres généraux présents. De plus, ils nommaient Bonaparte, Sieyès et Ducos membres de la commission exécutive, qui porteraient désormais le titre de consuls.
Vers 4 heures du matin, le 20 brumaire (11 novembre 1799), deux commissions étaient constituées pour discuter de la nouvelle constitution avec les consuls.
Un mois plus tard le 15 décembre 1799, les trois nouveaux consuls, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun, présentaient leur constitution aux Français et ils proclamaient « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ! »: c'était beaucoup s'avancer !
La population fit le gros dos : elle avait désormais l’habitude des coups d’État. Mais cette fois-ci, l’armée prenait directement le pouvoir en la personne de Bonaparte, qui se représentait comme un miraculé, « sauvé de l'assassinat par les grenadiers du corps législatif Bonaparte parvient à déjouer un complot Jacobin liberticide et menaçant les propriétés ». Comme par miracle, les journaux reparaissaient le lendemain, la rente montait, les propriétaires se ralliaient à Bonaparte qui situait son action au-dessus des partis, ne se voyant « ni bonnet rouge, ni talon rouge ».
Déjà une telle solution institutionnelle était en filigrane depuis que l’armée s’était imposée comme le principal soutien du régime lors du coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797). L’intermède du Directoire s’achevait, qui avait réussi à générer trois coups d’État entre mai 1797 et novembre 1799, en raison du refus du Directoire d’accepter le verdict des urnes.
Plus précisément, le constat que les électeurs restaient plus que jamais royalistes était inacceptable pour des dirigeants politiques régicides qui craignaient pour leur vie, pour des généraux ivres des succès obtenus grâce à la levée en masse et pour des jacobins viscéralement opposés à la royauté, au nom de l’égalité et de l’anticatholicisme.
De ce fait, l’avis des électeurs, et plus encore du peuple, ne comptait pas, pire que cela, il devait être combattu. Pendant la période du Directoire, la réaction des électeurs bafoués s'exprime par une abstention massive de quatre-vingts dix pour cent d’entre eux.
En outre, le Directoire est résolument anti-catholique, au point d’encourager une pseudo religion, la théophilantropie, parce que le catholicisme est source de normes, de morale qui dérange l'idéologie du Directoire et parce qu'il est du côté des royalistes. La volonté d’affaiblir le catholicisme explique aussi les décisions d’encourager le protestantisme et le judaïsme prises par les divers gouvernants depuis le début de la Révolution. Si finalement le Directoire n’est pas comparable à la Terreur en termes de tentative de contrôle des esprits, ce n’est qu’affaire de circonstances et non pas volonté ou philosophie politique.
La culture du Directoire est celle du coup d’État, qui s'achève, lorsque son pouvoir vacille, par la remise du pouvoir à un militaire. Car la force du Directoire réside dans les énormes effectifs militaires dont il dispose. À la tête de ces troupes, des généraux qui savent ce qu’ils doivent à la République mais aussi ce qu’elle leur doit. Aussi est-il naturel que le plus ambitieux d’entre eux, qui se révèle être aussi le meilleur stratège, se hisse à la tête de l’État, car il faut retenir qu’il ne prend pas le pouvoir contre le Directoire, mais à sa demande.
L’arrivée de Bonaparte n'est donc pas une rupture avec la Révolution. La République demeurera jusqu’en 1814, car les hommes au pouvoir restent, les principes subsistent, mieux encore, ils sont appliqués avec plus de rationalité, sans que la Terreur ne s’avère toujours nécessaire pour faire obéir le citoyen à l’État. Bonaparte fit ce que les politiciens de la Révolution n’avaient pas su faire, une organisation centralisée et rationnellement organisée, à son service, et de ce point de vue un très bon système de gouvernement se mit en place à partir de 1800, dont tous les historiens louent la logique, la cohérence et la pérennité.
Mais Il est curieux qu’ils en fassent crédit à Bonaparte premier Consul, pour reprocher à Napoléon d’avoir dilapidé l’héritage, comme si le système que le premier avait mis en place n’avait rien à voir avec la série de catastrophes qui se sont abattues sur la France par la faute du second.
L’aventure de Napoléon Bonaparte est celle d'un fils de la Révolution. Du fait de son extraordinaire destin personnel, de son génie stratégique, de ses qualités d’organisateur, Napoléon rencontre le rêve collectif d’une nation qui impose sa volonté à l’Europe avant de succomber, victime du nombre, des erreurs stratégiques et de la fatalité.
Ceci posé, Bonaparte n’a servi qu’à prolonger de quinze années un système politique issu de la Révolution qui n’avait pas d’avenir, car il ne s ‘appuyait sur aucune base démocratique et qui ne s’enracinait dans aucune tradition. Son maintien pendant cette période a tenu à la peur des classes dirigeantes de perdre les biens acquis pendant la révolution, aux rêves égalitaires entretenus par le prolétariat urbain, à la puissance des armes et au génie industrieux de Bonaparte.
Les soldats l’ont suivi jusqu’à ce qu’ils n’aient plus la force de le porter, les ouvriers l’ont soutenu en vain et les classes dirigeantes, comme d’usage, l’ont abandonné dès que ses défaites militaires ont démonétisé son maintien au pouvoir.
À SUIVRE
QU'ATTENDRE DE TRUMP?
Ces grands changements sociologiques que nous avons présentés précédemment se sont retrouvés dans les comportements électoraux du mardi 4 novembre.
La victoire républicaine s'est construite autour des électeurs blancs de la classe ouvrière à laquelle se sont ajoutés beaucoup plus d'électeurs hispaniques et noirs de la classe ouvrière qu'au cours de l'élection de 2020, en particulier les électeurs masculins de ces groupes. Pour ces derniers, la classe sociale comptait plus que la race ou l'ethnicité, car il n'y avait aucune raison particulière pour qu'un latino de la classe ouvrière soit particulièrement attiré par un libéralisme woke qui favorisait les immigrants sans papier et se concentrait sur la promotion des intérêts des femmes.
En outre ces acteurs ne se souciaient pas beaucoup de la menace que représente Trump pour l'ordre libéral, alors que Trump est un protectionniste autoproclamé qui se propose d'établir des tarifs de 10% à 20 % sur tous les biens produits à l'étranger, une mesure qu'il pourra prendre sans avoir à solliciter l'autorisation du Congrès.
Ce faisant, il reste que Trump risque de provoquer des représailles massives en matière de droits de douane de la part des autres pays, ce qui pourrait le faire reculer. Mais il ne veut pas seulement lutter contre le néolibéralisme et le libéralisme woke, il menace aussi le libéralisme classique et si certains ne prennent pas sa rhétorique au sérieux, ils commettent probablement une erreur :
En matière d'immigration, Trump ne veut plus simplement fermer la frontière, il veut aussi expulser la plus grande proportion possible des onze millions d'immigrés sans-papiers déjà présents dans le pays, ce qui représente une tâche énorme du point de vue administratif. En outre, cette action aura des effets dévastateurs sur les industries qui dépendent de la main-d'œuvre immigrée, comme la construction et l'agriculture, et elle suscitera un énorme scandale moral, comme la gauche les aime, lorsque les parents expulsés seront séparés de leurs enfants citoyens américains.
En ce qui concerne l'État de Droit, Trump cherchera sans doute à se venger des injustices qui estime avoir subi de la part de ses détracteurs. À cet égard, il a juré d'utiliser le système judiciaire pour poursuivre tout le monde de Liz Cheney aux policiers et de Joe Biden à l'ancien chef d'état-major interarmées, Mac Milley et à Barack Obama. Il veut aussi faire taire les critiques des médias en leur retirant leur licence ou en leur imposant des sanctions et, pour pouvoir agir, il a chargé les républicains de recruter des juges compréhensifs.
Cependant, les changements les plus importants interviendront probablement dans la politique étrangère. L'Ukraine risque d'être de loin la plus grande perdante. Son combat contre la Russie s'est essoufflé avant même les élections et Trump peut la forcer d'accepter les conditions de la Russie, en retenant ses livraisons d'armes, comme l’a déjà fait la chambre républicaine pendant six mois l'hiver dernier.
Trump peut aussi gravement affaiblir l'alliance en ne respectant pas l'article 5 de la garantie de défense mutuelle. Les alliés et amis des États-Unis en Asie du Sud-Est ne sont guère en meilleure position que l'Ukraine. Trump a tenu des propos durs à l’égard de la Chine mais il admire aussi Xi Jinping pour ses qualités d'homme fort : il pourrait être disposé à conclure un accord avec lui sur Taïwan et ceci d'autant plus que Trump se déclare opposé par principe à l'usage de la force militaire, sauf peut-être au Moyen-Orient, où il est susceptible de soutenir sans réserve les guerres de Netanyahou contre Le Hamas, le Hezbollah et l’Iran.
Il y a de bonnes raisons de penser que Trump sera plus efficace dans la réalisation de ce programme qu'il ne l'a été lors de son premier mandat. Lui et les républicains se sont rendus compte qu'ils avaient été trahis par la haute administration, car lorsqu'il a été élu pour la première fois en 2016, il l'a dû s'appuyer sur les républicains de l'establishment qui ont souvent bloqué, détourné ou ralentis ses ordres.
Sa réaction à la fin de son mandat consista à émettre un décret créant un « Schedule F » destiné à priver de leur emploi les fonctionnaires fédéraux qu’il jugeait déloyaux à son endroit ou inefficaces. La résurgence du Schedule F est au cœur des plans de Trump pour son second mandat et il a fait établir des listes de potentiels fonctionnaires qui lui seraient personnellement loyaux, ce qui laisse penser qu’il semble capable cette fois de mettre ses plans à exécution.
Au cours de la campagne électorale, Kamala Harris a accusé à tort Trump d'être un fasciste, car il n'a pas l'intention d'instaurer un régime totalitaire aux États-Unis, mais plutôt d'organiser un déclin progressif des institutions libérales, sur le modèle du retour au pouvoir de Victor Orban en 2010.
Ce déclin a déjà commencé car Trump a contribué à accroître l'importante polarisation de la société américaine : il a fait passer les États-Unis d'une société de confiance à une société de défiance, il a diabolisé le gouvernement et affaiblit la croyance que ce dernier représente les intérêts collectifs des Américains, il a pratiqué une rhétorique politique grossière, il a enfin convaincu une majorité de républicains que son prédécesseur était un président illégitime qui lui a volé l'élection en 2020.
L'ampleur de la victoire républicaine qui s'étend de la Présidence des États-Unis, au Sénat et à la Chambre des Représentants est interprétée comme un mandat politique fort, confirmant les idées de Trump et l'autorisant à agir comme il l’entend.
Il reste aux Européens, comme aux autres parties du monde, à accepter ce prochain état de fait, à s’y s'adapter et à tenter d'en tirer avantage.
*D’après Francis Fukuyama (What Trump unleashed means for America Financial Times, 10 novembre 2024) selon une traduction adaptée par mes soins.
MAIS POURQUOI TRUMP?*
La victoire écrasante de Donald Trump et du parti républicain mardi 5 novembre va entraîner des changements majeurs, car elle signifie un rejet décisif par les électeurs américains du libéralisme et de la manière particulière dont la conception d’une « société libérale » a évolué depuis les années 1980.
Lorsque Trump a été élu pour la première fois en 2016, il était facile de croire que cet événement était une aberration. Trump se présentait face à un adversaire faible qui ne le prenait pas au sérieux et, de toute façon, Trump n'avait pas remporté le vote populaire. Lorsque Biden a remporté la Maison Blanche quatre ans plus tard, tout semblait être revenu à la normale après un funeste mais unique mandat présidentiel.
Après le vote de mardi, il semble désormais que ce soit la présidence Biden qui constitue l’anomalie, tandis que Trump inaugure une nouvelle ère dans la politique américaine, une nouvelle ère qui concerne le monde entier.
Car les Américains ont voté en sachant parfaitement qui était Trump et ce qu'il représentait.
Le sachant, ils lui ont permis non seulement de remporter une majorité de voix, mais il a en outre remporté tous les États clés, la majorité du Sénat et il a conservé la Chambre des représentants. Étant donné leur domination actuelle sur la Cour suprême, les Républicains détiennent désormais les principaux moyens du gouvernement.
La nature profonde de cette nouvelle étape de l’histoire américaine semble liée à l’évolution du libéralisme. Sa version classique se présente comme une doctrine fondée sur le respect de l’égale dignité des individus par un État qui protège leurs droits et par des contrôles constitutionnels visant l’État à ne pas empiéter sur ces droits.
Mais au cours des cinquante dernières années, cette impulsion fondamentale a subi deux grandes distorsions. La première a été la montée du néolibéralisme, une doctrine économique qui sanctifiait les marchés et réduisait la capacité des gouvernements à protéger les citoyens touchés par le changement économique. Cette dernière a entrainé un enrichissement mondial, mais la classe ouvrière en Occident a perdu des emplois et la possibilité d’un ascenseur social, tandis que le pouvoir se déplaçait de ces pays occidentaux vers le Sud global.
La seconde distorsion a été la montée des politiques identitaires ou de ce que l’on pourrait appeler le « libéralisme woke », dans lequel l’intérêt progressiste pour la classe ouvrière a été remplacé par des protections ciblées pour un ensemble de groupes marginalisés : minorités raciales, immigrants, minorités sexuelles. Le pouvoir de l’État a été de plus en plus utilisé non pas au service d’une justice impartiale, mais pour promouvoir des résultats sociaux spécifiques pour ces groupes.
Entre-temps, les marchés du travail se transformaient en une économie de l'information. Dans un monde où la plupart des travailleurs étaient assis devant un écran d'ordinateur plutôt que de soulever des objets lourds sur les sols des usines, les femmes se trouvaient sur un pied d'égalité. Cela a transformé le pouvoir au sein des ménages et a conduit à la perception d'une célébration de la réussite féminine.
L’émergence de ces nouvelles conceptions du libéralisme a entraîné un changement majeur dans la base sociale du pouvoir politique. La classe ouvrière a compris que les partis politiques de gauche ne défendaient plus ses intérêts et s’est mis à voter pour les partis de droite.
C’est ainsi qu’aux États-Unis les démocrates ont perdu le contact avec leur base ouvrière et sont devenus un parti dominé par des cols blancs urbains et instruits, tandis que les ouvriers votaient républicain et qu’en Europe les électeurs communistes français et italien faisaient défection au profit de Marine Le Pen et de Giorgia Meloni.
Tous ces groupes étaient mécontents d’un système de libre-échange qui éliminait leurs moyens de subsistance tout en créant une nouvelle classe de super-riches, et étaient également mécontents des partis progressistes qui semblaient se soucier davantage des minorités et de l’environnement que de leurs conditions de vie qui se détérioraient.
*D’après Francis Fukuyama (What Trump unleashed means for America Financial Times, 10 novembre 2024) selon une traduction adaptée par mes soins.
À SUIVRE
DONALD TRUMP WON
It is an extraordinary victory: the second US President to be re-elected after being defeated at the end of his first term, he also obtained a majority in Congress and perhaps, at the time of writing, a majority in the House of Representatives, while collecting a majority of votes across the entire American territory.
Good. But it is not in this post written on the day of his re-election that I will offer explanations on the reasons for his success. However, it should already be noted that it was more of a referendum for or against D. Trump than a vote that separated him from the candidate Kamala Harris, so much so that, despite a fierce campaign on the ground, she was non-existent in the media: in fact, they mainly mentioned the qualities and especially the faults of Donald Trump and very little those of Kamala Harris. In the latter's defense, it is true that she only campaigned very late and as a simple replacement for a failing Joe Biden.
Even without knowing the United States in depth, one could have predicted the re-election of Donald Trump from a few visible signs: the attack he miraculously escaped, the defection of the Washington Post, the support of Robert F. Kennedy and then Elon Musk. Musk who would not have risked it if they had not been convinced that he had a strong chance of winning.
For my part, I had predicted Trump's victory in 2016, but I did not persevere this time, not having strong enough arguments to go forward with it.
For our information, I would like to emphasize here the dangerous role of the mainstream media , in France, Europe and Canada. They have almost all led a fierce campaign against D. Trump and as a result they have made us believe that their opinions were those of a good part of American voters. It is to the point that 65% of French people surveyed declared that they supported K Harris against 14% who were in favor of D. Trump. This anti-Trump media campaign has led us into a wall, because we are now faced with a president that we are supposed to hate and a country, the first in the world, that we do not understand.
Today, these same media are insisting on the danger that threatens us because of its future policy, so that, after having "led us up the garden path", they are making sure to scare us.
What's the point? Since D. Trump has declared urbi et orbi that he will lead a policy favorable, according to his point of view, to the United States and that he will pay only distracted attention to our fears and moods, unless we can oppose him with a favorable balance of power.
But we know that this is not the case at all, and calls for a united EU are as unrealistic as the analyses offered by the media on the election that has just taken place.
Therefore, if there is a lesson to be learned from the election of D. Trump to the presidency of the United States, apart from a couplet about "nothing is ever lost", it should not concern the United States but ourselves.
We are in a bad situation in Europe and particularly in France. Our economy has not been able to balance our foreign trade for a long time. In addition, the State deficit is tending to become dizzying and our partners are less and less willing to lend us ever larger sums for free. Finally, a sign of our loss of control over the French "system", our weaknesses in education, public security and now health are deepening.
This is why, as D. Trump prepares to implement his policy, good or bad for the United States, the question we are asked is to determine what is ours to regain control?
Until we do so, we will only have to observe an accelerated decline in our standard of living and a collapse of our lifestyle, while the media will take care of amusing us by pointing out to us the supposed culprits of our misfortunes, who are American, Russian, Chinese and foreigners of all stripes, to allow us who listen to them to spare ourselves the discomfort of action…
DONALD TRUMP A GAGNÉ
C’est une victoire extraordinaire : second Président US à être réélu après avoir été battu à l’issue de son premier mandat, il a obtenu également la majorité au Congrès et peut-être, à l’heure où j’écris, la majorité à la Chambre des Représentants, tout en recueillant la majorité des voix sur l’ensemble du territoire américain.
Bien. Mais ce n’est pas dans ce billet écrit le jour de sa réélection que je proposerai des explications sur les raisons de sa réussite. Cependant, il faut d’ores et déjà noter qu’il s’agissait plus d’un referendum pour ou contre D. Trump que d’un vote qui le départageait de la candidate Kamala Harris, tant, malgré une campagne acharnée sur le terrain, elle a été inexistante dans les médias : en effet, ils évoquaient principalement les qualités et surtout les défauts de Donald Trump et fort peu ceux de Kamala Harris. À la décharge de cette dernière, il est vrai qu'elle n’a fait sa campagne que très tard et en simple remplaçante d’un Joe Biden défaillant.
Même sans connaitre en profondeur les États-Unis, on pouvait prévoir la réélection de Donald Trump à quelques signes visibles, l’attentat auquel il a échappé miraculeusement, la défection du Washington Post, le soutien de Robert F. Kennedy puis d’Elon Musk qui ne s’y seraient pas risqués s’ils n’avaient pas eu la conviction qu’il avait de fortes chances de gagner
Pour ma part, j’avais annoncé à l’avance la victoire de Trump en 2016, mais je n'ai pas persévéré cette fois, n’ayant pas d’arguments assez solides pour m’y avancer.
Pour notre gouverne, je souhaite insister ici sur le rôle dangereux des médias mainstream, en France, en Europe et au Canada. Ils ont mené presque tous une campagne acharnée contre D. Trump et de ce fait ils nous ont fait croire que leurs opinions étaient celle d’une bonne partie des électeurs américains. C’est au point que 65% des Français interrogés déclaraient soutenir K Harris contre 14% qui étaient en faveur de D. Trump. Cette campagne médiatique anti-Trump nous a conduit dans le mur, car nous voici désormais en face d’un président que nous sommes supposés détester et d’un pays, le premier du monde, que nous ne comprenons pas.
Aujourd’hui, ces mêmes médias insistent sur le danger qui nous menacent du fait de sa politique à venir, de sorte que, après nous avoir « mené en bateau », ils veillent à nous faire peur.
À quoi bon ? Puisque D. Trump a déclaré urbi et orbi qu'il mènera une politique favorable, selon son point de vue, aux États-Unis et qu'il ne prêtera qu’une attention distraite à nos craintes et humeurs, sauf si nous pouvons lui opposer un rapport de force favorable.
Or, nous le savons, ce n’est nullement le cas et les appels à faire front en nous appuyant sur une UE rassemblée sont aussi irréalistes que les analyses proposées par les médias sur l’élection qui vient d’avoir lieu.
Par conséquent, s’il faut tirer une leçon de l’élection de D. Trump à la présidence des États-Unis, en dehors d’un couplet sur le mode « rien n’est jamais perdu », elle ne doit pas concerner les États-Unis mais nous-même.
Nous sommes dans une mauvaise passe en Europe et particulièrement en France. Notre économie ne permet plus, depuis longtemps, d’équilibrer nos échanges extérieurs. En outre, le déficit de l’État a tendance à devenir vertigineux et nos partenaires sont de moins en moins disposés à nous prêter gratuitement des sommes toujours plus élevées. Enfin, signe de notre perte de contrôle sur le « système » France, nos faiblesses dans l’éducation, la sécurité publique et désormais la santé s'approfondissent.
C'est pourquoi, alors que D. Trump s’apprête à mettre en place sa politique, bonne ou mauvaise pour les États-Unis, la question qui nous est posée consiste à déterminer quelle est la notre pour reprendre la main ?
Tant que nous ne le ferons pas, nous n’aurons à observer qu’une chute accélérée de notre niveau de vie et un affaissement de notre style de vie, tandis que les médias se chargeront de nous amuser en désignant à notre vindicte les responsables supposés de nos malheurs, qui sont américains, russes, chinois et étrangers de tout poil, pour nous permettre à nous qui les écoutons de nous dispenser de l'inconfort de l'action…
RWANDA
À priori, nous avons tous quelques idées sur le Rwanda, un pays autrefois colonisé par la Belgique, qui a connu un génocide dont la France semble n’être pas tout à fait innocente et qui est dirigé par Paul Kagame, ce dernier, officiellement pour la raison précédente, ne se présentant pas vraiment comme un ami de la France.
Essayons donc de remettre ces idées reçues en ordre :
Depuis la capitale du Rwanda, Kagali, Paul Kagamé règne, c’est le moins que l’on puisse écrire, sur ce pays, dit « des mille collines » depuis le 24 mars 2000, qui le réélit sans aucune difficulté depuis.
Un petit pays au demeurant, 26338 km2, un peu plus petit que la Belgique, peuplé de 13 millions d’habitants (2021), et dont la population va continuer à croitre de 2,5 % par an, grâce à un indice de fécondité de 4,2 enfants par femme (2015).
C’est un pays dépourvu de ressources minières et énergétiques, enclavé puisqu’entouré de quatre pays, l’Ouganda au nord, le Burundi au sud, la Tanzanie à l’est et, pour le malheur de cette dernière, par la République du Congo à l’ouest.
Trois ethnies, les Hutus, les Tutsis et les Twa composent sa population, je n’ose écrire cohabitent. Elles usent de la même langue, le kinyarwanda, mais le pays s’autorise trois autres langues officielles, dans l’ordre l’anglais, le français et le swahili. La pénurie foncière et le manque de perspectives de développement ont provoqué de fortes tensions sociales et politiques qui préexistaient à la colonisation et qui ont culminées avec le génocide de 1994.
Prenons aussi conscience, du point de vue géographique, qu’il s’agit d’un pays de hautes terres bien arrosées, composé de trois parties bien distinctes, un fossé d’effondrement occupé par le lac Kivu à 1460 mètres d’altitude et prolongé par une petite plaine, la seule partie du Rwanda située à moins de 1000 mètres d’altitude, un grand escarpement qui domine le lac Kivu de plus de 1000 mètres et son versant oriental qui décroit de 2000 à 1200 mètres. Au sud se dresse la chaine des Virunga, un ensemble volcanique spectaculaire, avec le volcan Karisimbi situé à 4507 mètres (le Mont Blanc 4805 mètres) et partout, d’innombrables collines…
Le Rwanda est un pays densément peuplé, avec une croissance démographique encore forte, mais qui se ralentit comme partout dans le monde (cf. mes billets sur la démographie). Le génocide, même s’il n’a été qu’une parenthèse dans la dynamique démographique du pays, a eu des conséquences extrêmes : entre cinq cent mille et un million de morts, de gigantesques déplacements de populations et des traumatismes familiaux sans précédents.
Malgré ces évènements dramatiques, le processus de densification de l’espace, entamé après 1945, se poursuit, atteignant aujourd’hui plus de 400 habitants au km2 et faisant du Rwanda le pays africain le plus densément peuplé.
Sur cet espace, on trouve un habitat dispersé avec des rugo, enclos familiaux entourés des parcelles cultivées, qui a récemment évolué vers des regroupements autour des marchés, des paroisses, des équipements de santé et administratifs encouragés par une politique de villages. Une nouvelle donne urbaine émerge autour de la capitale, Kigali et son million d’habitants, qui devrait provoquer de grandes mutations, ne serait-ce qu’en raison des faibles perspectives de progrès dans des campagnes aux effectifs humains pléthoriques (cf. mes billets sur la révolution agricole en cours).
Aujourd’hui, le Rwanda reste un pays essentiellement rural, avec une trame foncière composée de micro-exploitations, souvent d’un hectare, qui pratiquent une polyculture complétée par un peu d’élevage autour de la bananeraie familiale.
La banane joue en effet un rôle central dans ces exploitations familiales : elle fournit la « bière de banane » une boisson vendue, offerte et partagée qui cimente les relations sociales. La banane contribue aussi, bien sûr, à l’alimentation des hommes et des animaux, à la fourniture de matériaux pour les toits et les clôtures et à la fumure des champs. À la bananeraie s’ajoute l’assolement saisonnier haricot-sorgho complété par des plantations diverses.
L’opinion publique occidentale a appris à différencier les Hutus cultivateurs et les Tutsi éleveurs, qui ne sont pourtant pas des ethnies au sens habituel du terme, car tous parlent la même langue, le kinyarwanda, partagent de nombreuses valeurs culturelles et cohabitent depuis longtemps. Cette différenciation entre les cultivateurs hutus et les éleveurs tutsis plonge ses racines dans une période ancienne au cours de laquelle les détenteurs de bétail furent en situation de pouvoir.
Mais il s’agit aujourd'hui d’une instrumentalisation politique, car la séparation entre les agriculteurs et les éleveurs est devenue depuis longtemps caduque.
À SUIVRE
LES INÉGALITÉS ET LES BESOINS AGRICOLES
Ces inégalités d’équipement et de productivité entre les différentes agricultures du monde ont des effets très négatifs pour les perdants de la compétition.
D’un côté, quelques millions d’actifs qui disposent d’un matériel important et qui utilisent les intrants les plus efficaces, peuvent produire plus de deux mille tonnes de céréales par an pour chaque travailleur ! D’un autre côté, des centaines de millions de paysans, qui ne peuvent utiliser qu’un outillage manuel et n’ont pas les moyens d’acheter les intrants modernes, délivrent une tonne de céréales par an, par travailleur ! Ils ont donc une productivité mille fois moindre. Mille fois ! Car la révolution agricole du XXe siècle a entrainé un centuplement de l’écart entre les deux types d’agriculture.
À cela s’ajoute de fortes inégalités des prix des moyens de production, que ce soit pour la terre comme pour la main d’œuvre, qui entrainent d’importants écarts de prix de revient. Ainsi, dans les grandes exploitations d’Argentine ou d’Ukraine, la terre ne coûte que quelques dizaines d’euros par hectare et la main d’œuvre quelques milliers d’euros par travailleur et par an. Cela explique l’appétit du gestionnaire d’actifs Black Rock pour les terres ukrainiennes. Dans ces grandes exploitations, le prix de revient d’une tonne de blé est inférieure à 80 euros la tonne alors que, dans les exploitations familiales modernes d’Europe de l’Ouest, il est de l’ordre de 150 à 250 euros la tonne. Quant aux centaines de millions de paysans produisant une tonne de céréales par an, le prix de revient moyen s’élève à 400 euros la tonne
La faible productivité confrontée aux bas prix des produits agricoles expliquent pourquoi 70% des pauvres vivent en milieu rural. Selon la FAO, les trois quarts des personnes sous alimentées sont des ruraux, alors que cette dernière relève que cette pauvreté paysanne massive provient aussi du manque d’accès à la terre, confisqués par de grands domaines publics ou privés. Beaucoup de paysans ne disposent en conséquence que de quelques ares qui ne leur permette pas de couvrir les besoins alimentaires de leurs familles et ils sont contraint d’aller chercher du travail au jour le jour pour des salaires dérisoires.
Ces populations n’ont aucune autre opportunité d’emploi salarié ou d’auto-emploi dans un secteur non agricole ni d’accès à un quelconque système de sécurité sociale. Leur dépossession signifie donc leur éviction de tout moyen d’existence.
La situation économique des paysans sans terre est encore plus grave, si c’est possible. Souvent contraints de migrer en fonction des travaux saisonniers, ils sont particulièrement frappés par la pauvreté, les maladies, les accidents du travail et le chômage. Leur nombre est estimé à 450 millions de personnes, alors que loin de se ralentir, les acquisitions de terre ont au contraire tendance à s’accroitre.
Elles sont le fait, soit d’entreprises privées diverses, compagnies agro-alimentaires, d’institutions financières, soit de fonds souverains qui, comme la Chine ou les pays du Golfe, visent soit la sécurisation de leurs approvisionnements en denrées agricoles soit d’étendre leurs activités en prévision d’un accroissement des prix agricoles à moyen terme.
Au total, les formes d'agriculture issues de la deuxième révolution agricole ne paraissent ni généralisables ni soutenables à long terme pour des raisons économiques, sociales et écologiques.
En effet, le sort des centaines de millions de paysans qui n'ont pas les moyens d'acheter des engrais minéraux ou des pesticides va s’aggraver car le prix des engrais va probablement augmenter en raison de l'accroissement des coûts d'extraction des phosphates et de la hausse du prix de l'énergie nécessaire pour fabriquer les engrais azotés. Ce ne sont pas les nouvelles formes d'agriculture qui les emploieront, car, justement, elles ne demandent que peu de main-d’œuvre.
En outre, du côté des méfaits écologiques de la seconde révolution agricole, certains pensent que les plantes génétiquement modifiées (PGM) pourraient contribuer à résoudre certains des problèmes environnementaux car elles nécessitent moins de pesticides, alors qu’elles couvrent aujourd'hui plus de 10% des superficies cultivées du monde alors que les superficies en agriculture biologique représentent moins de 2% des superficies cultivées. Mais étendre la culture des PGM est particulièrement risqué dans les régions tropicales parce que les écosystèmes cultivés y sont plus complexes que ceux des régions tempérées et que les variétés sauvages de plantes tropicales sont susceptibles de se croiser avec des PGM cultivées.
Compte tenu de ces risques, de plus en plus d'auteurs appellent à une nouvelle révolution agricole, la « révolution doublement verte », fondée sur des pratiques respectueuses de l'environnement, accessibles aux producteurs pauvres, et tirant parti au mieux des fonctionnalités écologiques naturelles des écosystèmes. Des écosystèmes cultivés de ce genre existent déjà dans plusieurs régions agricoles très peuplées du monde, comme dans certains deltas d'Asie du Sud-Est, aux alentours de Pondichéry en Inde, au Rwanda et au Burundi, au Yucatán et à Haïti. Ces écosystèmes cultivés associent étroitement sur une même parcelle des cultures annuelles, de l'arboriculture, de l'élevage et même de la pisciculture, produisant ainsi de très fortes quantités de biomasse utile par unité de surface.
Il reste que, quelle que soit l’évolution des techniques agricoles, les défis à relever par les agriculteurs du monde seront immenses d’ici 2050. Avec l’augmentation prévue de la population malgré la baisse de la fécondité, les besoins en kilocalories d'origine végétale pour nourrir la population humaine pourraient doubler à l'échelle mondiale d’ici 2050 par rapport à leur niveau de 1995, auquel s’ajoute les matériaux pour produire des textiles, des bois, de la pâte à papier et des agrocarburants. En outre, il sera nécessaire de mettre en place des politiques de développement agricole durable qui permettent aux centaines de millions d'agriculteurs pauvres de couvrir leurs coûts de production, de vivre correctement de leur travail, d'investir et de progresser en productivité.
Les éléments déterminants de ces politiques seront le niveau et la stabilité des prix payés aux producteurs agricoles, la répartition de l'accès aux ressources productives, la terre, le crédit et l'eau d'irrigation.
Au début du XXIe siècle, les inégalités des conditions de travail et de productivité n'ont jamais été aussi fortes, mais elles doivent être corrigées à l'horizon de 2050, du point de vue de la productivité et des inégalités pour répondre aux besoins de la population humaine.
SURVOLER L'AFRIQUE DE LA GESTION
Cette même année 1996, j’effectuais avec mon ami, le Professeur Jean Claude Tarondeau, un audit de l'École Française des Affaires, antenne de la Chambre de Commerce Française au Maroc.
La mission résultait d’un accord entre la FNEGE et le Ministère des Affaires Étrangères qui s’inquiétait des subventions qu’il versait à une École des Affaires qui semblait peu efficace au plan des recrutements.
Nous avons donc découvert une école qui abritait des formations surtout techniques, perdue au milieu d’immenses bâtiments vides qui étaient situés dans la banlieue de Casablanca, dans le quartier Aïn Sbaa. Cette visite et nos rendez-vous avec la direction de la Chambre Française de Commerce et d’Industrie du Maroc permirent de nous ancrer dans la conviction qu’il existe partout des fromages, mais le rapport que nous avons rédigé n’a pas permis de modifier sensiblement l’organisation de l’école, qui a ma connaissance est toujours active.
En 1998, au travers de la FNEGE et à la demande du Secrétariat d’État à la Coopération (SEC), qui sera absorbé par le Ministère des Affaires Étrangères l’année suivante, j’ai été contacté avec quelques collègues pour étudier les moyens de renforcer les formations au management dans l’Afrique Subsaharienne.
Pour ma part, la FNEGE m’a proposé d’évaluer les formations à la gestion au Burkina Faso, au Cameroun et au Gabon. Je me suis donc rendu en premier lieu à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), la deuxième ville du pays peuplée aujourd’hui d’un million d’habitants qui est aussi sa capitale économique.
J’y ai visité l'Institut supérieur de l’information et de gestion (ISIG), aujourd’hui rebaptisé Université Aube Nouvelle qui a depuis considérablement élargi ses domaines de formation. À l’époque, soutenu par le SEC et le CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur), l’Institut délivrait d’excellentes formations techniques en informatique, qu’il était question de relier plus nettement à la gestion des entreprises, constituées surtout de PME locales.
J’ai découvert en effet à Bobo-Dioulasso, bien que l’essentiel des emplois se retrouvent dans l’administration et le commerce, des huileries, de l’agro-industrie lié entre autres au coton, des industries légères comme la fabrication de piles électriques, ainsi que de la mécanique, de la métallurgie et de la chimie.
Revenant par la route à Ouagadougou, la capitale, j’ai pris l’avion pour Douala en faisant escale dans le romantique aéroport de Cotonou.
Douala, que je connais un peu, car j’y ai de grands amis que je visitais lorsque j’allais faire cours à Yaoundé, est une ville industrieuse et foisonnante, peuplée aujourd’hui de six millions d’habitants dans une atmosphère équatoriale.
Nous rencontrâmes surtout à Douala l’œuvre de nos concurrents québécois qui étaient actifs depuis longtemps dans le domaine technique, au travers de l’IUT de Douala et les écoles techniques qu’ils soutiennent. En outre l’ESSEC de Douala nous parut fort bien implantée et il nous sembla qu’il fallait s’associer à ces différentes actions menées sur place, d’autant plus qu’au centre du Cameroun, l’UCAC (l’Université Catholique de l’Afrique Centrale) était aussi active qu’appréciée.
Notre dernière étape nous conduisit à Libreville (Gabon) avant de nous ramener en France. Nous y arrivâmes pendant le week-end, le pire moment pour découvrir Libreville, tant l’ambiance y était faible, sous un ciel uniformément gris. Mais le lundi nous vîmes la ville et le pays sous un autre jour en découvrant l'Institut Africain d'Informatique (IAI), une école inter-États créée en 1971, sous l’égide de l’OCAM (l’organisation commune africaine et malgache), qui semblait emplie de dynamisme et de projets, ce qui nous sembla fort prometteur.
Depuis, de nombreuses écoles de commerce et d’informatique se sont installées à Libreville, dont j’ignore le contenu et le niveau de formation. Reprenant l’avion, nous commençâmes donc à rédiger un rapport qui était plutôt optimiste sur l’avenir de l’enseignement de la gestion en Afrique.
Mais ma propre expérience, fondée sur mes assez longs séjours d’enseignement en Afrique et la direction du Laboratoire de Gestion Africaine que j’avais initié à mon retour de Dakar, où j’avais enseigné la gestion à l’Université Cheik Anta Diop, me murmurait à l’oreille qu’il y manquait la continuité dans l’effort, à commencer par celle de la France et la coopération sans réserve entre les États africains…
À la fin de la même année 1998, j’effectuais un mission sous l’égide d’Edufrance en Inde, dont j’attendais beaucoup…
À SUIVRE
UN COUP D'ÉTAT DE TROP
L’assassinat des plénipotentiaires français à Rastatt, le 28 avril 1799, fut le prélude à la reprise des combats face à une coalition qui comprend désormais la Turquie qui s’est jointe à l’Angleterre, l’Autriche, la Russie et Naples.
Les troupes anglaises débarquèrent en Hollande tandis que les Russes et les Autrichiens marchaient vers la Suisse. Ces offensives furent stoppées par le général Brune qui parvint à repousser le débarquement anglo-russe en Hollande et par le général Masséna qui battit les armées russes et autrichiennes à Zurich.
Tous ces événements militaires poussaient le Directoire à décréter une nouvelle levée en masse, l’armée française atteignant alors l’effectif considérable d’un million de soldats. Un emprunt forcé sur les riches fut institué pour équiper les nouvelles troupes, et une loi créa des listes d'otages dans chaque département.
Cette loi sur les otages, adoptée par les Conseils le 12 juillet 1799 (24 messidor an VII), prévoyait que les administrations des départements troublés par des assassinats politiques ou des émeutes pourraient arrêter comme otages les nobles, les parents d'émigrés et les ascendants des présumés coupables.
La situation politique devenait critique car l’agitation royaliste renaissait et risquait de provoquer en réponse, ce qui faisait craindre la réinstauration de la Terreur. Il fallait reprendre le contrôle. Pour se faire, en mai 1799, Sieyès remplaçait Reubell au Directoire, avec l’idée de modifier par le moyen désormais habituel d’un coup d’État, des institutions qu’il trouvait trop démocratiques (sic).
Son objectif était d’écarter aussi bien les royalistes que les jacobins, afin de faire régner l’ordre au profit du pouvoir. Mettant en pratique cet objectif politique, il commença par s’opposer à la poussée néojacobine avant de chercher à profiter du retour d’Égypte de Bonaparte, retour effectif le 9 octobre 1799, afin de l’utiliser pour un coup d’État qui lui permettrait de modifier la Constitution.
Le 18 brumaire An VIII (9 novembre 1799) au matin, tout était prêt. Les Conseils votèrent ce qu’on leur demandait, en particulier le Conseil des Anciens, qui fut appelé en catastrophe aux Tuileries à 7 heures du matin, pour apprendre tout de go que la République était menacée.
Affolés, les Anciens votèrent aussitôt un décret en quatre articles, décidant que « le Corps législatif est transféré à St Cloud, qu’il s’y réunira le lendemain à 12 heures, que toute autre délibération est interdite ailleurs et avant ce temps, que le général Bonaparte est chargé de l'exécution du présent décret et prendra toutes les mesures nécessaires pour la sûreté de la représentation nationale et que le général Bonaparte est appelé au sein du Conseil pour y recevoir le présent décret et prêter serment.»
Bonaparte, aussitôt nommé commandant de la garde nationale et de la 17e division militaire, se rendit devant le Conseil des Anciens, où il prononça un médiocre discours avant de prêter serment pour la sauvegarde de la République.
Au même moment, les généraux se réunirent sous la présidence de Lucien Bonaparte, qui leur fit connaître le décret des Anciens, suscitant quelques protestations. Ainsi qu’il en était convenu, Sieyès et Ducos démissionnèrent aussitôt, suivis par Barras. Les deux derniers Directeurs en fonction, Moulin et Gohier, refusèrent, également comme prévu, de démissionner et furent illico consignés au Luxembourg sous la garde de Moreau.
Au total, la journée du 18 brumaire s’était passé selon les plans. Des affiches sur les murs de Paris appelaient au calme et les bourgeois satisfaits faisaient monter la rente de plus d'un point.
Mais le lendemain 19 brumaire, les événements tournèrent à la confusion de Bonaparte.
Le château de St Cloud avait été préparé en hâte pour recevoir les Conseils qui devaient siéger, entourés par une troupe de 6000 hommes. Vers midi, le général Bonaparte surgit avec un détachement de cavalerie. À 14 heures, Lucien Bonaparte ouvrit la séance des Cinq-Cents. Mais les Anciens, qui avaient enfin compris qu’ils étaient manipulés, ne voulurent plus rien comprendre et suspendirent leur session afin de statuer sur le remplacement des trois directeurs démissionnaires.
Là-dessus, Bonaparte suscita l’hostilité des Anciens en pénétrant dans leur salle sans y être invité. Il ne fut pas mieux accueilli par le Conseil des Cinq Cent où il essuya des cris hostiles, perdit contenance et sortit de l'Orangerie.
De son côté, son frère Lucien tenta en vain de ramener le calme dans le Conseil des Anciens et quitta la salle pour rejoindre son frère. Ils se sentirent mieux au milieu des troupes qu’ils haranguèrent sans craindre d’être contredits. Lucien, plus entreprenant que son frère Napoléon, demanda aux gardes de « délivrer » la majorité des représentants d’une minorité agissante qu’il faut expulser : « Quant à ceux qui persisteraient à rester dans l'Orangerie il importe qu'on les expulse. »
Les grenadiers entrèrent dans l'Orangerie baïonnette au canon et expulsèrent les élus en cinq minutes.
De ce fait, le coup d'État parlementaire devenait un coup d'État militaire, qui échappait à son instigateur, Sieyès, pour bénéficier à son bras armé, les frères Bonaparte.
À SUIVRE
L'HIVER DÉMOGRAPHIQUE QUI S'ANNONCE
C'est à peine si l'on se commence à réaliser que l'explosion démographique ne montera pas jusqu’à dix ou douze milliards d’êtres humains en 2100, alors que la crise démographique est déjà présente parmi nous.
Il est donc plus que temps de s'inquiéter des conséquences de la baisse du taux de natalité. Je sais, il y a des raisons de s'inquiéter à court terme, le déficit du budget de l'État, la baisse de productivité européenne ou la guerre d'Ukraine.
Mais, au même titre que les conséquences écologiques de notre style de vie, la baisse du taux de fécondité a des conséquences bien plus lourdes, bien plus universelles et bien plus profondes que ces crises conjoncturelles. L'année 2023 marque, à ce titre, un tournant dans l'histoire de l'humanité, car c'est l'année où, pour la première fois, les humains n'ont pas fait assez de bébés pour assurer la survie de la population.
Pourtant, selon les projections de la population mondiale effectuées par les Nations unies, l'indice synthétique de fécondité était encore de 2,25 en 2023, soit un peu plus que le taux de remplacement théorique de 2,1. Mais les Nations unies ont surestimé cet indice, en raison de l'absence de statistiques dans de nombreux pays et de leur sous-estimation du taux de fécondité de remplacement.
Lorsque l’on a pu recueillir des pays statistiques fiables comme en Colombie, le nombre de naissances en 2023 était inférieur de 10 à 20 % aux estimations de l'ONU. En outre, le taux de fécondité de remplacement de 2,1, réaliste en Europe, ne s’applique pas à l'ensemble du monde, car dans de nombreux pays en développement le pourcentage de femmes qui survivent jusqu'à l'âge de la procréation est inférieur à celui des pays développés.
Un niveau de fécondité insuffisant pour renouveler la population mondiale ne signifie cependant pas qu’elle est déjà en train de diminuer, car elle est pour le moment compensée par l’accroissement de la longévité.
Si la tendance actuelle se poursuit, la population humaine devrait atteindre son maximum dans une trentaine d'années, avant de commencer à chuter.
Il faut noter que la baisse de la fécondité n’est pas limitée aux pays développés, car elle s’est produite partout et à un rythme plus rapide que prévu par les statistiques de l’ONU.
La Corée du Sud est le cas le plus extrême, avec un taux de fécondité de 0,72 en 2023 alors qu'il était encore en 2015 de 1,24, et il n'y a aucun signe de ralentissement de ce déclin. La même tendance est observée dans toute l'Asie, en Chine, au Viêt Nam, à Taïwan, en Thaïlande, aux Philippines et au Japon.
Cette tendance n'est pas propre à l'Asie. En Turquie, le taux de fécondité est passé de 3,11 en 1990 à 1,51 en 2023. Au Royaume-Uni, le taux de fécondité était de 1,83 en 1990 et il n’était plus que de 1,49 en 2022. La situation en Amérique latine est également frappante : le Chili et la Colombie avaient des taux de 1,2 l'année dernière, l'Argentine et le Brésil étaient à 1,44 alors que tous ces pays avaient des taux de fécondité élevés il y a trente ans.
Une liste non exhaustive de pays où le taux est inférieur au taux de remplacement diminue rapidement comprend l'Inde, les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Bangladesh, l'Iran et toute l'Europe. Nous en savons moins sur l'Afrique en raison de la mauvaise qualité des données, mais celles qui sont disponibles suggèrent toutefois qu'elle connaît un déclin rapide : là où nous disposons d'informations plus fiables, l'Égypte, la Tunisie ou le Kenya, les taux de fécondité s'effondrent à un rythme sans précédent.
La prise de conscience de la baisse du taux de fécondité soulève généralement quatre questions :
1 La baisse de la population ne sera-t-elle pas bénéfique pour l'environnement ? Sur le plan quantitatif sans doute, mais le risque réside dans la faible priorité à l’environnement accordée par une population confrontée à de graves problèmes budgétaires dus au vieillissement de la population.
2 L'immigration peut-elle résoudre le problème démographique ? C’est oublier que la baisse de la fécondité concerne toute la planète. Chaque Argentin qui s'installe en Espagne atténue les problèmes démographiques de l'Espagne mais aggrave ceux de l'Argentine. Par ailleurs, pour maintenir une population constante dans un pays comme la Corée du Sud, il faudrait que, d'ici 2080, 80 % des personnes vivant dans ce pays soient des immigrants, ce qui parait irréaliste.
3 L'IA ne permettra-t-elle pas de pallier à l'effondrement de la population en faisant tout le travail à notre place ? C’est envisageable mais complexe, tant il est parait plus facile, à priori, d'apprendre à une machine à lire des états financiers qu'à vider des bassins de lit dans un Ehpad.
4 Les politiques publiques ne peuvent-elles pas permettre d'accroitre à nouveau la fécondité ? De la France à la Corée du Sud en passant par Singapour et la Suède, des politiques d’aide financière ou de congés parentaux ont été mises en place, avec un succès limité dans le temps. Le facteur purement pratique qui explique la baisse des taux de fécondité semble être le coût du logement. À Mexico ou à Séoul, les taux de fécondité très bas sont probablement davantage dus aux prix élevés de l'immobilier qu'à toute autre variable et l'État ne peut pas y faire grand-chose.
Finalement élever un enfant est un engagement profond et à long terme, alors que nos structures sociétales sont devenues profondément hostiles aux familles nombreuses et que les normes sociales ont évolué. Du coup, élever des enfants n'est plus une priorité pour beaucoup.
Par conséquent, tant que nous ne parviendrons pas à inverser la tendance à la baisse des taux de fécondité, préparons-nous à affronter un hiver démographique qui s'annonce bien plus rude qu'on ne veut bien l'admettre aujourd’hui…
Librement adapté d'un article de Jesús Fernández Villaverde, professeur d’Économie à University of Pennsylvania, Philadelphie.