LA CRISE DE LA CULTURE
Je suis heureux de vous livrer mon analyse de « La crise de la culture » d’Hannah Arendt, qui reste un ouvrage fondamental pour la compréhension du monde d’aujourd’hui.
Le titre original de La Crise de la culture* est : « Between Past and Future » avec comme sous-titre : « Eight Exercises in Political Thought ». Il était composé de six essais dans sa première édition, publiée en 1961 et révisé en 1968. Dans cette deuxième édition, il comprend huit essais introduits par une préface intéressante, qui traitent de grands sujets philosophiques, tels que la liberté, l’education, l’autorité, la tradition, l’histoire et la politique.
Le titre qui a été choisi pour l’édition française est donc réducteur. Dans son ouvrage, Hannah Arendt décrit les différentes crises à laquelle la société moderne est confrontée, qui sont plus que jamais d’actualité tant elles se sont approfondies depuis un demi-siècle, dont celle de la culture.
Plus précisément, Hannah Arendt écrit que l'homme se tient sur une brèche qui se situe entre le passé révolu et l'avenir inconnaissable, et il ne peut se maintenir dans cette brèche que s’il parvient à résister tout à la fois aux forces du passé et du futur. Autrefois, les hommes s’appuyaient sur la tradition ; ils ne le peuvent plus aujourd’hui.
La préface de l’ouvrage s'ouvre sur une citation de René Char, « Notre héritage n'est précédé d'aucun testament » et y rajoute celle de Tocqueville « Le passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres. ». Elles signifient bien que, le fil de la tradition ayant été rompu, nous sommes dans un monde d’héritiers privés de testament.
H. Arendt met en évidence comment cette remise en question de la tradition a conduit à la montée de la pensée individualiste, qui permet aux individus d’être plus autonomes dans leurs croyances, mais qui, en contrepartie, les obligent à créer de nouvelles valeurs qui impliquent de nouvelles normes.
Aussi le concept d'histoire est-il un thème central de l'œuvre de Hannah Arendt. Tandis que la conception antique de l’histoire la voyait comme une narration d'événements enchâssés dans une perspective cyclique du temps, l’âge moderne, inspiré par la philosophie des Lumières appuyées sur les avancées scientifiques desquelles découlent les progrès technologiques, a apporté une transformation radicale à l’histoire.
Cette dernière est désormais linéaire, liée à l’idée de progrès. L'histoire est désormais vue comme un processus continu d'amélioration, modifiant radicalement la façon dont les sociétés perçoivent l'avenir et la façon dont les individus se situent dans le temps.
Abordant les principes sur lesquels se fondent les sociétés humaines, H. Arendt aborde ensuite la question de l’autorité, qui joue pour elle un rôle crucial dans le maintien de l'ordre et de la stabilité. Elle en définit la nature, qui n’est pas une affaire de pouvoir coercitif ou de contrôle, mais une forme d'influence qui repose sur la légitimité, la reconnaissance et finalement le consentement volontaire des individus : l'autorité serait une force morale.
Or, l'autorité est essentielle pour la préservation de la liberté, un concept complexe, qui possède deux dimensions : « la liberté de » et « la liberté pour ».
La « liberté de » concerne la capacité des individus à ne pas être soumis aux forces extérieures qui la restreigne, afin de faire leurs choix et d'exercer leur volonté sans ingérence. Elle insiste sur l'importance de cette liberté négative qui est la base de la sphère privée de la vie, dans laquelle les individus peuvent agir sans contrainte, en fonction de leurs désirs personnels.
Il s’y ajoute la « liberté pour », qui est la capacité d'agir dans le monde avec d'autres individus. C'est dans cet espace public que les individus exercent leur liberté d'une manière authentique en tant qu'acteurs politiques. Cette liberté est étroitement liée à la pluralité, lorsque chaque individu est considéré comme unique et donc que la diversité des perspectives et des opinions est respectée. Elle implique de reconnaitre la capacité des individus à prendre des initiatives et à être responsable de leurs actes.
Pour H. Arendt, l'exercice de la liberté est la manifestation la plus élevée de la condition humaine, une liberté constamment menacée par la conformité et l’emprise de la bureaucratie, une liberté qui passe par l'action collective, le dialogue et la participation citoyenne afin de maintenir une société démocratique.
De son point de vue, ces menaces sur la liberté sont liées à la crise de l’éducation. Elle examine comment l'éducation, en tant que processus de transmission des connaissances, des valeurs et des normes culturelles, a été affectée par les changements sociaux et culturels de l'ère moderne. Cette éducation a été conçue de manière utilitaire, axée sur la formation de compétences pratiques ou professionnelles plutôt que sur le développement de la pensée critique et de la citoyenneté active. Mais cette orientation pratique de l'éducation moderne homogénéise les individus, les traitant comme des futurs travailleurs et des consommateurs, sans les encourager à cultiver leur individualité, ce qui produit une perte de diversité et d'originalité, dommageable pour la société.
Traiter l'éducation comme un simple investissement pour des résultats futurs lui semble funeste, alors qu’il faudrait la considérer comme une fin en soi, visant à cultiver la pensée, la curiosité et la compréhension du monde.
* La traduction française parue en 1972 est fondée sur la deuxième édition, parue en 1968. Elle est composée de huit essais qui ont été traduit par Patrick Levy (Gallimard Folio)
À SUIVRE
POUR ÉCRIRE UN COMMENTAIRE, ALLEZ SUR "COMMENTER CET ARTICLE, OU SI LA RUBRIQUE N'APPARAIT PAS, CLIQUEZ SUR "LIRE LA SUITE" CE QUI FERA APPARAITRE LA RUBRIQUE "COMMENTAIRE".