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Le blog d'André Boyer
Articles récents

LE MONDE COMME VOLONTÉ ET COMME REPRÉSENTATION

12 Novembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

ARTHUR SCHOPENHAUER, naturellement

ARTHUR SCHOPENHAUER, naturellement

Schopenhauer s'est fortement situé dans la filiation de Kant, tout en rejetant une bonne partie de son éthique, mais cela ne l'a pas empêché de revendiquer aussi celle de Platon, sans oublier ses liens avec la philosophie indienne

 

Tandis que les Idées de Platon  ne sont que des copies imparfaites, qui ne constituent pas pour Schopenhauer des objets d'analyse mais uniquement de contemplation, ce dernier a trouvé dans la littérature de l’Inde une extraordinaire richesse de thèmes sur lesquels philosopher, mais sans y rencontrer une philosophie proprement dite.

Pourtant il revendiquait d'avoir fait de l’Oupnek'hat un de ses livres de chevet, dont il lisait la traduction française et il notait déjà, quelque temps avant d’achever le Monde : « Je ne crois pas, je l’avoue, que ma doctrine aurait pu se constituer avant que les Upanishads, Platon et Kant aient pu jeter ensemble leurs rayons dans l’esprit d’un homme. ». Il parait donc raisonnable d'estimer que la pensée indienne forme une sorte d'arrière-plan à sa philosophie dont témoigne le nom qu'il avait donné à son épagneul, Atma: l'âme du monde...

Je n'estime pas utile d'analyser, partie par partie, les quatre livres qui composent l'ouvrage. Ils nous donnent cependant les axes de sa réflexion philosophique : Épistémologie, Ontologie, Esthétique et Éthique. Nous essaierons de nous en tenir à ce qui nous parait essentiel dans sa pensée, plus encore que son caractère novateur, comme son approche de la sexualité[1], audacieuse pour l'époque,

Pour saisir l'essence de la pensée de Schopenhauer, il faut commencer par accéder à la signification des concepts qu'il utilise. Alors que le terme Wille signifie en français aussi bien la volonté que le vouloir, le désir voire l'effort, nous avons choisi de traduire le concept central du Wille zum Leben par la volonté de vivre[2]. En ce sens, Schopenhauer soutient que tous les êtres vivants, y compris l’homme, expriment une insatiable volonté de vivre. Et cette volonté de vivre, qui est la chose en soi de Kant et dont, selon Schopenhauer, nous ne pouvons pas saisir la raison d'être, ni la contrôler, n'a pas pour nous de raison d'être bien qu'elle nous pousse à agir, sans but ni rationalité. Dans cette veine, Schopenhauer écrit : "Les hommes ressemblent à des horloges qui ont été montées et qui marchent sans savoir pourquoi ; et chaque fois qu'un homme est engendré et mis au monde, l'horloge de la vie humaine est de nouveau montée pour répéter encore une fois son vieux refrain usé d'éternelle boite à musique, phrase par phrase, mesure par mesure, avec des variations à peine sensibles..."    

Afin de justifier cette vision de l'homme qui erre sans but, Schopenhauer introduit la notion de Vorstellung qui signifie la représentation ou l’image de tout ce qui est perçu par l’esprit, y compris la représentation de son propre corps. Cette image est générée par nos sens qui nous donnent seulement accès à une représentation du monde, mais non à son essence profonde, d'autant plus qu'elle est perturbée par la volonté de vivre qui domine notre esprit. 

Car l'homme découvre en lui-même, dans son corps et au fond de son désir, la volonté de vivre qui anime toute existence. C'est une impulsion instinctive et inconsciente qu'il ne parvient pas à contrôler et qui n'a aucune finalité, ni divine, ni historique, ni rationnelle. Il se retrouve prisonnier de l'inexorable loi du désir qui n'est qu'insatisfaction répétée et qui l'entraine dans un mouvement absurde, comme l'illustre la société de consommation.

Tel est le postulat de Schopenhauer, une volonté de vivre irrépressible et incontrôlée, qui est celle de l'homme à l'instar de tous les êtres vivants.

À la poursuite de buts à court terme dictés par nos désirs, nous ressentons forcément une souffrance engendrée par le décalage entre notre représentation d'un monde qui aurait un but téléologique, qu'il soit religieux, moral, esthétique ou autre et notre volonté de vivre, qui n’en a aucun.

Par conséquent, Schopenhauer est conduit à rejeter qu'il existe un monde "réel" doté d'une armature métaphysique. Ce monde-là, qu'il soit métaphysique ou rationnel, n'est que celui des images, car le monde de la volonté de vivre en est dépourvu : "La volonté́ est la substance de l’homme, l’intellect en est l’accident."

Schopenhauer tire les conséquences du principe qu'il énonce : il faut nous écarter du principe de raison pour nous réfugier dans cette partie de la représentation du monde que constitue la contemplation esthétique et en particulier la musique : « L’artiste nous prête ses yeux pour regarder le monde ».

Évoquant dans son dernier livre la question de la morale, nous dirions aujourd’hui de l’éthique, il considère que, comme la volonté vise sa propre satisfaction et qu’elle est donc une source d’égoïsme, la morale, visant à combattre l’égoïsme, est une négation de la volonté de vivre. Il explique qu’en revanche, le suicide n’est pas souhaitable, car il constitue un abandon de la vie, et non un abandon de la volonté de vivre.

Aucune raison supérieure n'étant à notre disposition pour nous guider, il reste à l'homme une ultime liberté, à condition d'accéder par un grand effort de représentation du monde, à une connaissance débarrassée de toute illusion qui nous fait avouer que « la souffrance est le fond de toute vie ».

Ce choix consiste, soit à abdiquer en oscillant sans cesse dans le cycle infernal du quotidien, « entre souffrance et ennui », soit à nous « affirmer pour nous nier ». En d'autres termes, pour limiter son malheur, l’homme n’a pas d’autre choix que de nier la volonté de vivre, créatrice de désirs, selon un ascétisme inspiré par le bouddhisme et les védas.

Ainsi, Schopenhauer qui a commencé son ouvrage avec Kant, se réfugie dans la pensée indienne pour l'achever. Lui qui se flattait de  ne pas écrire pour ne rien dire, parvient à le conclure par les deux magnifiques phrases suivantes :

« Pour ceux que la Volonté anime encore, ce qui reste après la suppression totale de la Volonté, c’est effectivement le néant. Mais, à l’inverse, pour ceux qui ont converti et aboli la Volonté, c’est notre monde actuel, ce monde si réel avec ses soleils et toutes ses Voies Lactées, qui est le néant. »

 

À SUIVRE

 

[1] Il a ainsi développé une Geschlechtsliebe, ou une Métaphysique de l'amour sexuel, dans laquelle il soutient que l'amour n'a aucun contenu réel sans l'amour sexuel qui n'est lui-même qu'une manifestation de la volonté de vivre.

[2] C'est l'expression choisie par les tous derniers traducteurs, en 2009, du Monde comme volonté et représentation, alors que la traduction précédente d'Auguste Burdeau datait de 1889, ce qui la rendait difficile à lire pour le lecteur du XXIe siècle.

 

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DE KANT À SCHOPENHAUER

4 Novembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

EMMANUEL KANT

EMMANUEL KANT

Schopenhauer est âgé de 31 ans quand il publie un ouvrage qui, estime-t-il, révolutionne la pensée philosophique. Il attendra presque toute sa vie que la corporation des philosophes en convienne.

 

Le Monde comme volonté et comme représentation, publié dans une première édition à Leipzig en 1819, a connu deux éditions supplémentaires du vivant de Schopenhauer, passant à deux volumes en 1844 qui permettent de suivre l’évolution de sa pensée sur un quart de siècle et enfin une troisième édition en 1859, publiée un an avant sa mort, qui accroit encore l'ouvrage de 136 pages. L’auteur renvoie aussi à d’autres additifs insérés dans le second volume des Parerga et Paralipomena, écrits sept années après la deuxième édition de son ouvrage majeur, Le Monde comme volonté et comme représentation.

La pensée de Schopenhauer a évolué, entre ses trente et un ans lors de la première édition et ses soixante-dix ans de la troisième édition. Cependant, la continuité de sa pensée reste manifeste dans le contexte philosophique de la première moitié du XIXe siècle, qui se veut dans le prolongement de la pensée de Kant et en opposition avec celle de Hegel.

Cette pensée de Kant (1724-1804) est très récente pour Schopenhauer qui l’a lue avec grand soin, deux ans durant et il lui a consacré un long article, sous forme d'appendice à la première édition du Monde comme volonté et comme représentation, dont il recommande à ses lecteurs de s’imprégner avant d’aborder l'ouvrage principal.

Pour Schopenhauer, Kant est le véritable initiateur des études philosophiques. Il se réfèrera aussi à Platon, à Berkeley et à Hume, mais Kant reste son guide premier, car il estime que Kant est l’auteur de trois apports décisifs à la construction de sa vérité philosophique :

Tout d’abord, Kant a distingué le phénomène de la chose en soi, Le premier se révélant à nous, tandis que la seconde ne pouvant que nous échapper. C'est pourquoi, selon Schopenhauer, les vérités éternelles n’existent que dans notre tête et ce que nous appelons des vérités objectives ne sont que des phénomènes perçus par notre cerveau. 

Mais, si ce que nous appelons le monde objectif n’existe qu’en tant que construction cérébrale, ce que Schopenhauer appelle un phénomène, nous les scientifiques qui prétendons nous appuyer sur des faits « objectifs », selon une volontaire tautologie, des vérités objectives que nous mettons en lumière par nos observations et nos enquêtes, nous nous racontons littéralement des histoires. Je vous invite à réfléchir sur les conséquences de cette subjectivation des faits, que les scientifiques ont tant de mal à admettre, sinon en prenant d’infinies précautions (Karl Popper) ou en contournant le problème.

Ce premier apport de Kant, mis en exergue par Schopenhauer a donc de profondes conséquences sur notre façon de voir le monde.  

Le second apport de Kant est tout aussi considérable, mais l'approche de Schopenhauer en renforcera considérablement la portée et en modifiera le sens.

Kant a en effet proclamé l’autonomie de la conscience morale, en d’autres termes la possibilité pour l’être humain de choisir sa morale, hors des contingences matérielles. Nous sommes loin du déterminisme de Hegel, qui aboutit à un homme qui agit bien ou mal en fonction de sa condition matérielle et à toute une tradition philosophique et finalement politique qui justifie les révoltes d’une population par son mal être objectif.

Du coup, la volonté humaine devient quelque chose d'objectif qui s'élève au-dessus des contingences du monde. Kant n'a cependant pas franchi ce pas qui consistait à passer de la conscience morale à la volonté humaine pour reconnaitre que c'était elle qui était une "chose en soi". Schopenhauer a franchi ce pas, en qualifiant cette volonté d'un vouloir vivre qui anime non seulement l'homme mais tous les êtres vivants au sein de la nature. Ce vouloir vivre, que l'on peut qualifier de force vitale, Schopenhauer le place au centre de sa philosophie, comme Nietzsche à sa suite.  

Le troisième mérite que Schopenhauer attribue à Kant est lié au premier. Il lui reconnait d’avoir donné le coup de grâce à ce qu'il appelle la philosophie scolastique qui s'est engagée à revenir toujours, après quelques détours, aux dogmes de l'Église. Cet engagement la contraint à élever les lois édictées par l'Église au rang de vérités éternelles et de prendre ainsi le phénomène pour la réalité.

 

Armés de ces trois apports de Kant, nous voici désormais prêts, du moins je l'espère, à déchiffrer le mécanisme de la pensée de Schopenhauer, tel qu'il l'expose sans fard dans Le Monde comme volonté et comme représentation...

 

A SUIVRE 

 

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SCHOPENHAUER IGNORÉ PUIS ENCENSÉ

28 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

HOUELLEBECQ, UN DISCIPLE RÉCENT DE SCHOPENHAUER

HOUELLEBECQ, UN DISCIPLE RÉCENT DE SCHOPENHAUER

L'œuvre de Schopenhauer l'a sauvé de ses angoisses, mais partiellement et pas tout de suite.

 

Partiellement, car Schopenhauer sera toujours angoissé, y compris pour la postérité de son œuvre. Ainsi, à la fin de sa vie, reconnu et encensé, il se demandera encore, avec beaucoup de réalisme j'en conviens, ce qu'il adviendrait de sa philosophie entre les mains des professeurs de philosophie.

Pas tout de suite, car il lui faudra attendre trente ans pour qu'il soit enfin reconnu en tant que philosophe. Car, depuis l'arrêt de ses cours à Berlin, se dressait un mur de silence auquel Hegel n'était pas étranger. Pour sa part, en dehors des ouvrages qu'il fit paraitre, AS ne cessa de lancer pendant toutes ces années de violentes attaques contre la philosophie enseignée dans les universités, tandis qu'il guettait d'un œil tourmenté la plus petite allusion à sa propre philosophie dans les journaux allemands et étrangers.

Il faut convenir que la soutenance de sa thèse à l'université́ d'Iéna en 1813, De la quadruple racine du principe de raison suffisante, puis la publication de Sur la vue et les couleurs en 1816, qui adoptait la theorie de Goethe sur les couleurs, et la première édition de son ouvrage principal, Le Monde comme volonté́ et comme représentation en janvier 1819, auront fort peu de retentissement.

Il en est de même lorsqu'il publie en 1836 De la volonté́ dans la nature, qui se présente comme une confirmation scientifique de sa métaphysique. L'ouvrage est un échec en termes d'édition puisque seulement 125 exemplaires seront vendus sur un tirage déjà modeste de 500 exemplaires. En 1840, alors qu'il est âgé de 52 ans et qu'il n'est toujours pas reconnu comme philosophe, il répond au concours lancé par la Société Royale des Sciences à Copenhague, qui invitait à répondre à une question touchant "la source et le fondement de la philosophie morale".

Il traita le sujet avec beaucoup de force dans son essai intitulé Le Fondement de la morale, effectuant une critique radicale de la métaphysique kantienne, posant que la « volonté de vivre » l'emportait sur les impératifs nés de la Raison, et que la morale, loin de s'appuyer sur des impératifs abstraits comme la loi ou l'obligation, obéissait d'abord à l'ordre des sentiments.

Schopenhauer était si ignoré, ou rejeté, que, bien qu'étant le seul candidat, le prix lui fut refusé. Il eut le mérite de ne pas se décourager et de publier difficilement en 1841, Les deux problèmes fondamentaux de l'éthique, qui rassemblait deux de ses œuvres, Essai sur le libre arbitre et Le Fondement de la morale.

La parution de la deuxième édition du Monde comme volonté́ et comme représentation, en 1844, comportait d'importants suppléments qui en doublèrent le volume, mais elle n'eut guère plus de succès que la première édition. En outre, le profond remaniement de sa thèse, De la quadruple racine du principe de raison suffisante donna encore lieu en 1847 à une parution confidentielle.

Mais la publication en 1851 de Parerga et Paralipomena (suppléments et omissions, en grec) en deux volumes sonna la fin définitive de son purgatoire. L'ouvrage traitait, dans un style facile d'accès et sur des sujets familiers, les thèmes de la philosophie, de son histoire, de sa dénaturation universitaire, de la nature du monde et de la vie, de la religion, des formes et conditions de la sagesse, de l’éthique, de la logique, du droit, de la politique, de l’esthétique, de la langue, de la physionomie et même des femmes, tout cela de manière incisive, parfois provocante.

L'édition de Parerga et Paralipomena ne fut pas plus facile que les autres et il ne fut tiré qu'à 750 exemplaires seulement. Mais il attira l'attention de John Oxenford, traducteur anglais de littérature allemande qui en fit une recension élogieuse pour l'English Quarterly journal Westminster Review en 1852. L'année suivante, Oxenford rédigea pour cette revue un article sur la philosophie de Schopenhauer intitulé " Iconoclasme dans la philosophie allemande " qui fut traduit en allemand et imprimé dans la Vossische Zeitung. Schopenhauer était lancé.  

Il faut souligner que ce ne sont bien entendu pas ses collègues philosophes qui le reconnurent en premier, mais le grand public. Ce furent d'abord des magistrats, des avocats, des négociants, des artistes, des journalistes, des jeunes gens en général qui adhérèrent à sa philosophie.

Les philosophes professionnels vinrent après, tandis qu'un grand nombre de célébrités se reconnaissent par la suite dans ses écrits, à commencer par Nietzsche : "Je suis, déclara-t-il, un de ces lecteurs de Schopenhauer qui, après avoir lu la première page de lui savent avec certitude qu'ils iront jusqu'à la dernière, et qu'ils écouteront chaque parole sortie de sa bouche."

Tolstoï s'enthousiasma pour ses écrits : "Un émerveillement incessant à lire Schopenhauer et une abondance de joies intellectuelles comme je n’en avais encore jamais éprouvé". Freud observa que Schopenhauer était l'un des très rares penseurs "qui ont aperçu clairement les conséquences considérables du pas que constituerait, pour la science et la vie, l’hypothèse de processus psychiques inconscients."

Ce furent ensuite, dans le désordre, August Strindberg qui vit en lui "un esprit profond, peut-être le plus profond de tous.", puis Gustave Flaubert, suivi par Taine et Proust qui lui rendirent hommage. Plus tard, ce fut l'hommage de Thomas Mann, de Søren Kierkegaard ou de Jorge Luis Borges qui déclare "Si j'ai étudié sérieusement l'allemand, c'est seulement afin de pouvoir lire Schopenhauer dans le texte."

Il en fut de même pour Guy de Maupassant ou pour Richard Wagner qui note: "Je suis pour l'instant exclusivement occupé d'un homme qui m'est apparu dans ma solitude comme un envoyé du ciel : c'est Arthur Schopenhauer, notre plus grand philosophe depuis Kant."

Plus récemment, Charles Chaplin écrivit: "j'ai acheté trois volumes du Monde comme volonté et comme représentation et depuis plus de quarante ans je n'ai pas cessé d'en relire des pages."  et pour terminer, Michel Houellebecq lui a rendu hommage.

Bref, AS a largement récupéré dans la postérité, le déficit de considération qu'il a subi la plus grande partie de sa vie. Auparavant Il disposera de neuf ans pour profiter de sa gloire, jusqu'à son décès du 21 septembre 1860, au cours duquel son médecin, entrant chez lui, le trouva assis sur son canapé, paisible, mort probablement d'une crise cardiaque à 72 ans. Pendant cette période, il vécu l'existence retirée d'un misanthrope, dont les visiteurs venaient écouter la conversation sarcastique à la table d'hôte de l'hôtel d'Angleterre de Francfort.

 

Avant d'analyser ses œuvres, tirons deux leçons de la vie de Schopenhauer, pour nos amis universitaires en premier lieu mais finalement pour tous : vos collègues ne reconnaitront que contraints et forcés la qualité de vos travaux et surtout, si vous croyez en ce que vous faites, ne vous découragez jamais. Avec un peu de chance, vous n'aurez pas besoin de mourir pour que l'on reconnaisse vos mérites...

 

À SUIVRE

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L'ORGUEIL ANGOISSÉ DE SCHOPENHAUER

23 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

HEGEL ET SCHOPENHAUER (VIEUX)

HEGEL ET SCHOPENHAUER (VIEUX)

Le début de ses ennuis s’annonce au bout de quelques mois. Pendant qu’il se détend en Italie, il apprend en août 1819 la faillite de l’entreprise dans laquelle il avait placé les fonds reçus en héritage et qui lui permettaient de vivre de ses rentes.

 

AS comprend alors, tout philosophe qu'il est, qu'il n’a plus les moyens de flâner entre Rome et Naples. Il rentre en Allemagne en octobre 1819, pour constater que ce ne sont pas les ventes de son ouvrage, un échec cuisant, qui lui permettront de se renflouer. Il croit trouver un moyen de subsistance en se faisant inscrire en février 1820 sur la liste des docteurs enseignants de l’Université de Berlin, ce qui devrait lui permettre de faire également la promotion de ses idées et donc de son ouvrage.

Orgueil, défi, provocation, AS estime qu'il peut se confronter au célébrissime Hegel, en donnant son cours à la même heure que ce dernier.

Le résultat ne se fait pas attendre, c’est un échec éclatant : AS parlait devant une salle presque vide, tandis que l'on ne pouvait pas trouver de place chez Hegel. Aussi AS ne tint qu'un semestre et le cours fut arrêté le semestre suivant faute d'auditeurs.

Nous sommes en 1821. AS entame une relation discrète avec une actrice, Caroline Medon, relation qu'il maintiendra plus ou moins toute sa vie puisqu'il lui léguera une forte somme. Avant elle, il a fait en vain sa cour à une autre actrice, Caroline Jagemann. La belle Caroline Medon a plusieurs amants, ce qui déplait évidemment à AS. Avant lui, en ces temps de quasi absence de contraception, elle a déjà eu un enfant d'un autre amant, sans doute Louis Medon, dont elle a pris le nom. Bref AS est épris et jaloux.

En mai 1822, AS a suffisamment rétabli ses finances pour repartir en Italie, à moins que l'envie du "voyage italien" ne l'ait emporté sur sa gêne financière. Il laisse Catherine Medon seule à Berlin en croyant, vain espoir, qu'elle sera suffisamment attachée à lui pour ne céder à aucun amant pendant toute son absence. Or il apprend qu'elle a eu un second enfant, Gustav, le 27 mars 1823, soit dix mois à peine après son départ en Italie!

Cela explique, partiellement au moins, sa dépression de 1823 et il s'en console en notant dans son carnet intime : « Si, par moments, je me suis senti malheureux, ce fut par suite d'une erreur sur la personne, en me prenant par exemple pour un chargé de cours qui n'est pas promu titulaire de chaire et qui n'a pas d'auditeurs [...] Mais je suis celui qui a écrit Le Monde comme volonté et comme représentation et qui a apporté une solution au grand problème de l'existence. [...] C'est celui-là, moi, et qu'est-ce donc qui pourrait inquiéter celui-là dans les années qui lui restent encore à vivre ? ». Toujours l’orgueil (justifié) et pas un mot au sujet de Catherine.

Deux ans plus tard, il revient à Berlin où il vit jusqu'en 1831. Lorsque qu'il proposera en 1831 à Catherine Medon de fuir avec elle de Berlin à cause du choléra pour s’installer à Francfort où il séjournera le reste de sa vie, il posera comme condition qu'elle n'amène pas son fils Gustav avec elle! Et, oblitérant toute psychologie féminine, il sera profondément blessé qu'elle refuse, si bien qu'il ne maintiendra plus avec elle que des relations épistolaires jusqu'à sa mort, lui laissant un fort héritage...à condition qu'elle ne l'utilise pas pour son fils !

On voit donc se dessiner un personnage orgueilleux et sentimental, mais également dépressif. Il tient cela de son père, Floris Schopenhauer, qui s'est probablement jeté du grenier dans le canal derrière la maison après une vie entrecoupée de phases dépressives et d’obsession suicidaire.

Son père qu'il admirait, un banquier pourtant prospère, était obsédé par la folie qui rodait autour de sa famille. Car deux de ses frères avaient dû être internés pour des troubles psychiques et la grand-mère paternelle d'AS était devenue folle après la mort de son mari. Quant à Adèle, la sœur cadette d’AS, rongée par la solitude, elle sera obsédée par l’idée de se suicider.

AS, sauf à la fin de sa vie, sera habité par cette même angoisse existentielle. Il confiera à son carnet secret : « De mon père j’ai hérité cette maudite anxiété contre laquelle je me suis bien battu de toutes les forces de ma volonté ».

Il écrira aussi, de façon tragi-comique : « Quand survenait un bruit au cours de la nuit, je sortais du lit et prenais une épée, ainsi qu'un pistolet que je maintenais constamment chargé. » [1]

Finalement, seul son chien, un caniche qu'il appelait Atma (« âme du monde » en sanscrit), trouvera grâce à ses yeux. Il a d'ailleurs légué une partie de sa fortune à sa gouvernante pour qu'elle recueille son chien et s'occupe de lui jusqu'à sa mort.

 

Mais il est temps de s'intéresser directement à l'œuvre d'Arthur Schopenhauer, d'autant plus que, vers la fin de sa vie, cette œuvre l'a sauvé de ses angoisses...


[1] Cité par Rüdiger Safranski, Schopenhauer et les années folles de la philosophie, PUF, 1990

 

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UN AUTOMNE AVEC SCHOPENHAUER

19 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

A. SCHOPENHAUER À 21 ANS

A. SCHOPENHAUER À 21 ANS

Né à Dantzig (Gdansk), Arthur Schopenhauer (AS) a vécu entre 1788 et 1860, mais il aurait pu vivre n'importe quand, puisque, selon lui, l'histoire est un mensonge.

 

Schopenhauer publia en 1819 la 1ere édition de sa grande œuvre, Le monde comme volonté et comme représentation. Avant d'en analyser le contenu, il me semble intéressant de parcourir sa vie afin de comprendre comment il a été conduit à écrire cet ouvrage et ce qui s'est passé pour lui, après le lancement de son œuvre qui a failli le dévorer.

La mère d’AS, Johanna Trosiener, avait 19 ans quand elle s’est mariée avec son père, Henri Schopenhauer, un riche commerçant de 38 ans. Son père choisit le prénom d’Arthur, pour le préparer au métier de commerçant européen auquel il le destinait, parce qu’il avait la vertu d’être international.

AS semblait donc né sous une bonne étoile. Lorsqu’il eut cinq ans en 1793, sa famille quitta Dantzig pour la ville libre de Hambourg, afin de fuir l’occupation prussienne, qui n’était pas apparemment appréciée par tous. Sa sœur naquit neuf ans après Arthur, en 1797, et c’est aussi l’année où son père décida de s’occuper de son éducation de futur commerçant : son avenir montrera que le futur est aussi un mensonge.

L’éduquer à être commerçant signifiait pour son père l’étude des langues et les voyages. À neuf ans (à neuf ans !) il l’envoya chez son correspondant au Havre pour qu’il y apprenne le français, en plein Directoire et pendant deux années. L’éducation était apparemment rude à l’époque et l’affection paternelle lointaine…

De retour à Hambourg, il ne cessa pas de suivre son père lors de ses déplacements commerciaux en Allemagne. Puis, lorsqu’il acheva ses études commerciales à 15 ans (on ne faisait pas d’écoles de commerce entre 18 et 23 ans à l’époque) son père l’envoya pendant un an et demi voyager en Europe, de mai 1803 à septembre 1804. Il séjourna assez longtemps à Londres pour parler ensuite couramment anglais et il voyagea aussi en France, en Savoie, en Suisse, en Bavière et en Autriche, qui devaient être des destinations commerciales courantes de son père.

À 16 ans, il devint un employé de l’entreprise familiale. Évidemment, cette activité à laquelle l’avait destiné son père ne l’intéressait pas, sinon on n’écrirait pas sur lui comme philosophe. Néanmoins, il s’y plia jusqu’à ce que son père meure en avril 1806, moins de deux ans après son retour, en tombant, volontairement dit-on, dans un canal situé derrière la maison. Sa thèse du « vouloir vivre » est sans doute liée à cet évènement fondateur de sa propre vie.

Sa mère, âgée de 40 ans et peu portée sur les activités commerciales, vendit le fonds de commerce pour s’installer à Weimar où elle comptait exercer ses talents littéraires, ce qu’elle fit avec succès. Comme toujours à cette époque, elle tint un salon auquel participa son fils qui y rencontra Goethe, avec lequel il se lia profondément d’amitié.

Pour sa part, AS entama des études littéraires à Weimar, puis, à 21 ans, des études philosophiques à Göttingen et à Berlin. Comme tous les bons étudiants qui ont besoin de modèles pour avancer, il subit de façon excessive l’influence de ses professeurs, en l’occurrence le philosophe Schultze à Göttingen. Il en tira cependant la substantifique moëlle en retenant qu’il existait quatre références essentielles en philosophie, Kant et Platon en premier, Aristote et Spinoza en second : on saurait plus mal choisir.

Armé de ce viatique, Il se rendit ensuite à Berlin de 1811 à 1813 pour mettre un point final à ses études. Il avait l’intention d’écouter Fichte, mais ce dernier n’eut pas l’heur de le convaincre et il quitta Berlin pour soutenir sa thèse à 25 ans, avant de retrouver Goethe à Weimar qui resta l’un de ses inspirateurs, mais aussi de se brouiller avec sa mère, ce qui aura l’avantage de l’obliger à s’installer seul à Dresde où il écrira son grand œuvre. 

Cette grande œuvre, il lui faudra quatre ans pour l’achever, jusqu’à ce qu’il confie en septembre 1818 à son éditeur Le monde comme volonté et comme représentation, avant de partir, le cœur tranquille, pour un long voyage en Italie, tandis que son ouvrage paraissait au début de 1819.

 

Le cœur tranquille…

Il ne savait pas, comme beaucoup de doctorants lorsqu’ils mettent un point final à leurs thèses, que l’achèvement de sa grande œuvre signifiait le début de ses ennuis et de ses déceptions.

 

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LES ENCG EN GESTATION

15 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

ENCG SETTAT

ENCG SETTAT

 

 

Dans cette rubrique que j’ai appelé « Interlude », réservée aux lecteurs de ce blog qui me connaissent, j’ai commencé à traiter cet été de ma vie universitaire récente. Mais la réaction de mes lecteurs m’a montré qu’ils étaient plus intéressés par le récit de mes histoires anciennes qu’actuelles, que je vais donc laisser murir.

 

Lors des quatre années de direction de l’IECS Strasbourg, j’ai très peu écrit, car je n’avais évidemment que fort peu de temps disponible. À peine, en 1992, un petit article sur mon expérience, avec « L'exportation de la gestion dans les pays d'Europe Centrale et Orientale (Centre Inffo). » et un article dans la Revue Française de Gestion, dirigée alors par mon ami Renaud de Rochebrune aujourd’hui décédé, intitulé « Le Marketing-mix écologique », écrit en collaboration avec Christophe Poisson, prélude à une thèse qu’il soutiendrait plus tard. 

Puis en 1995, deux ouvrages liés l’un à l’autre, l’Essentiel de la Gestion aux Éditions d’Organisation, autour de l’idée ambitieuse d’offrir un panorama de la gestion, à mi-chemin entre un dictionnaire et une encyclopédie. Ce livre m’a demandé un travail considérable, qui n’a jamais été dépassé par aucun des autres livres consacrés à la gestion que j’ai écrits. Je n’en ai, comme on peut s’en douter, pas été récompensé par un grand succès de librairie, mais j’ai du moins pu en tirer un ouvrage en tchèque avec la forte collaboration de mes amies Hana Machkova et Stanislava Hronova, toutes deux impliquées dans l’aventure de l’IFTG, intitulé « Strucny Vykladovy Slovnik Managementu ».

Je n’ai pas beaucoup écrit, mais, en dehors de la direction de l’IECS Strasbourg, j’ai largement contribué en 1993 à la création des trois premières ENCG (École Nationale de Commerce et de Gestion) au Maroc, plus précisément à Settat, Agadir et Tanger. Depuis, signe de leur succès, elles ont essaimé dans toutes les grandes villes du Royaume.

Dans le cadre de la coopération franco-marocaine, le Ministère des Affaires Étrangères (MAE) français avait organisé une mission chargée d’évaluer et d’organiser ces écoles de gestion qui étaient en construction dans les trois villes précédentes.

Le but du Ministère Marocain était de professionnaliser une partie de l’enseignement supérieur de gestion, qui était jusqu’alors l’apanage d' écoles privées, à l'exception de l'ISCAE, fortement adossées à des Écoles de Commerce souvent françaises, et corrélativement, de réduire les effectifs colossaux inscrits dans les Facultés de Sciences Économiques et de Gestion des grandes villes marocaines, à commencer par Casablanca.

Le gouvernement marocain avait besoin des avis d'un groupe d'experts pour rationaliser l'organisation de ces écoles, en dehors des querelles intra-marocaines sur le modèle à suivre, marocain, français, américain ou tout autre variante. La France ayant proposé son assistance pour l'expertise et pour la formation des cadres des futures écoles, le Maroc avait implicitement choisi le modèle français des écoles de commerce. Le MAE s'était adressé à la FNEGE qui avait proposé trois experts avec des profils complémentaires, Jean-Pierre Helfer, alors Directeur de l'IAE de Paris, Michel Klein, Professeur de Finances à HEC Paris et moi-même, Directeur de l'IECS Strasbourg.

 

C'était théoriquement une répartition idéale avec un représentant du public, du privé et du semi-public, mais voilà, les circonstances ont modifié radicalement l'équilibre de ce groupe d'experts...

 

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ROBESPIERRE VACILLE

6 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

PIERRE-JOSEPH CAMBON (1756-1820)

PIERRE-JOSEPH CAMBON (1756-1820)

Dans mon billet du 18 août dernier, je notais que la famine menaçait le pouvoir de la Montagne.

 

Oui, la Montagne était menacée d’être débordée sur sa gauche, un temps par les « enragés » puis par les Hébertistes qui s’emparèrent à leur tour de la question des subsistances.

Les Hébertistes étaient dangereux car ils étaient soutenus par la Commune, ils étaient très populaires auprès des sans-culottes et ils disposaient de deux appuis au Comité de Salut Public, avec Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Il s’y ajoutait que le club des Cordeliers leur était acquis et qu’ils pouvaient compter sur l'armée révolutionnaire.

Hébert réclamait non seulement la mort pour les accapareurs, mais exigeait la déchristianisation forcée du pays, provoquant l’inquiétude de la Convention qui craignait de susciter une opposition radicale de la part des catholiques.

Aussi, lorsqu’en mars 1794, Hébert tenta de prendre la direction de l'agitation contre le coût des subsistances, la Convention le fit exécuter, lui et ses lieutenants, sans provoquer, à son grand soulagement, de réactions dans les faubourgs.

La Convention avait aussi des opposants de droite, « Les Indulgents » qui estimaient que le processus de la Terreur allait trop loin. Elle les fit également exécuter, dont Camille Desmoulins et Danton, guillotinés le 5 avril 1794.

À cette étape de la Terreur, Robespierre dominait le Comité de salut public. Il fit remplacer tous les tribunaux révolutionnaires de province par le seul Tribunal Révolutionnaire de Paris, afin d’accélérer le rythme des supplices :

  • le 18 avril 1794, dix-sept hommes et femmes accusés d'affamer le peuple sont exécutés, 
  • le 20 avril 1794, vingt-quatre parlementaires passent à la guillotine, 
  • le 22 avril, c'est au tour de Malesherbes, Le Chapelier et Thouret,
  • le 8 mai, les vingt-sept fermiers généraux, dont Lavoisier, sont exécutés, puis deux jours après, Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI.

Pour Robespierre, cela n’allait pas assez vite. La loi du 22 prairial an II ( 10 juin 1794) s’efforça d’y remédier, inaugurant la période dite de la « Grande Terreur » : la loi déclarait que « le Tribunal Révolutionnaire de Paris a en charge de punir les ennemis du peuple dans les délais les plus courts, que la peine portée contre tous les délits dépendant dudit tribunal est la mort, que, s'il existe des preuves soit matérielles soit morales, il ne sera pas entendu de témoins, que la loi donne pour défenseur aux patriotes calomniés des jurés patriotes ; elle n'en accorde point aux conspirateurs. »

On vit alors des prisons entières vidées et conduites à l'échafaud, avec toutes sortes d’erreurs. on vit apparaitre une sorte de trou noir qui aspirait tous les acteurs de la Terreur vers la guillotine, se rapprochant toujours plus du centre du pouvoir.

Au cœur du système, l’Incorruptible concoctait une nouvelle « épuration », cette fois-ci à sa gauche, tandis que ses collègues le soupçonnaient de vouloir accéder à la dictature depuis la cérémonie de l’Être Suprême.

Pour préparer ce nouveau coup de filet, Robespierre ne parut plus au Comité de Salut Public à partir du 29 juin 1794, tout en continuant à fréquenter régulièrement le Club des Jacobins dont il faisait exclure ses ennemis. Ceux qui se sentaient menacés par Robespierre se rapprochèrent et s'unirent pour faire face à l'épreuve de force, et c'est alors qu'il se décida à passer à l’attaque le 26 juillet 1794, en montant à la tribune de la Convention. 

Désorientant les députés, il appela à épurer sans plus attendre les deux Comités, le Comité de Salut Public et le Comité de Sûreté Générale. Pour s’assurer du soutien de la droite, Robespierre n'omit pas de signaler au cours de sa harangue qu'il avait sauvé soixante-quinze Girondins, avant de s’attaquer à la gauche de l'hémicycle en la stigmatisant pour son système financier suspect, son exécrable conduite de la guerre et le mauvais usage qu’elle faisait de la Terreur.

Il déclara notamment : « La contre-révolution est dans l'administration des finances... Quels sont les administrateurs suprêmes de nos finances ? Des Brissotins, des Feuillants, des aristocrates et des fripons connus : ce sont les Cambon, les Mallarmé, les Ramel. »

Stupéfaite, l'Assemblée commenca par approuver Robespierre, sauf qu'il venait de mettre en cause nommément Pierre Joseph Cambon. Ce dernier n’était pas un député anonyme : négociant en toiles à Montpellier et député de l’Hérault, il faisait partie du Comité de Salut Public depuis avril 1793. Sa réputation d’expert financier lui avait valu de devenir Président du Comité des Finances. Il avait présidé plusieurs fois la Convention. C’est lui qui avait fait voter le Décret sur l’administration révolutionnaire française des pays conquis, à propos duquel il a écrit au Général Dumouriez chargé d’administrer la Belgique conquise : « Quand on aura ruiné les Belges*, quand on les aura mis au même point de détresse que les Français, alors on les admettra comme membres de la République ».

Ce n’était donc pas un tendre ! C’est lui aussi qui avait fait approuver la loi sur la confiscation des biens du clergé et qui avait créé le 24 août 1793 le  Grand-Livre de la Dette publique par lequel  la Convention reconnaissait les dettes de l’Ancien Régime, afin de se rallier les rentiers à la Révolution,

Mais juste après que Robespierre l'eut désigné à la vindicte publique, sa peau ne valait plus très cher et c’est pourquoi il eut le courage de monter à la tribune pour contrer Robespierre à qui il déclara dans un silence de mort : « Avant d'être déshonoré, je parlerai à la France, un seul homme paralyse la volonté de la Convention : Cet homme c'est Robespierre ! ».

* L’ironie de l’histoire voulut que Pierre Joseph Cambon fût contraint de s’exiler sous la Restauration chez les Belges, ceux la même qu’il voulait affamer: il est mort à Bruxelles le 15 février 1820…

 

 

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LA BAISSE DE FÉCONDITÉ EUROPÉENNE

1 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

ÉGLISE NOTRE DAME DE LA VISITATION À CHAMPLAIN

ÉGLISE NOTRE DAME DE LA VISITATION À CHAMPLAIN

En Europe, tous les taux de fécondité nationaux sont inférieurs à celui qui serait nécessaire au maintien de la population qui y vit.

 

En France, le taux de fécondité était de 1,9 pour 100 femmes en 2022, grosso modo stable depuis une trentaine d’années et donc inférieur au maintien de la population. Mais il est important de noter qu'il en est de même dans toute l’Europe, avec des taux particulièrement bas en Italie, en Grèce, en Roumanie et en Slovaquie.

De même, à l’est de l’Europe, la Russie connait un taux de 1,5% en 2020, de 1,38% en Biélorussie et de 1,22% en Ukraine, ce qui rend plus dramatique encore les pertes humaines dues à la guerre dans ce dernier pays. En 2020, deux cents écoles ont fermé en Pologne par manque d’effectifs. Pour sa part, le Portugal pourrait perdre la moitié de sa population d’ici à 2060. Déjà les territoires de l'est de l'Union Européenne ont perdu 6 % de leur population depuis 1990, soit 18 millions de personnes, soit l'équivalent de la population des Pays Bas.

De nombreux Européens pensent que cet affaissement démographique est une bonne nouvelle, parce qu'il correspond à leurs choix de vie : "nous aurons davantage d'espace", "nous polluerons moins", "les prix baisseront". Ils ne voient pas qu'en revanche, moins de jeunes, c'est aussi moins de contribuables pour payer leurs soins médicaux et leurs futures retraites, moins de consommateurs, moins de demande, moins de croissance et plus de pression migratoire.

Quoi qu'en pensent ses habitants, comme l'Europe est à l'origine de la Révolution Industrielle, que les sociétés européennes comptent parmi les plus laïques du monde et que les femmes y jouissent culturellement d'une grande égalité en droit, il est logique que cette Europe soit à l'avant garde la décroissance démographique. C'est pourquoi les taux de fécondité sont en baisse en Europe depuis presque deux siècles, c'est à dire depuis le début de la Révolution Industrielle. Pendant cette période, on a observé des variations, telles que l'accentuation de la baisse pendant la période qui entoure la crise de 1929 et au contraire le redressement provisoire de la natalité à partir de la fin de la guerre de 1940-1945, et même pendant cette guerre.  

Mais la tendance de fond, bicentenaire, est liée à des facteurs matériels comme l’urbanisation qui rend difficile, pour une famille, d’élever de nombreux enfants et à des facteurs socio-psychologiques, avec en tout premier lieu l’autonomie croissante des femmes qui a fait baisser le taux de fécondité, génération après génération, cette autonomie psychique s'appuyant sur l'autonomie physique atteinte dans les années 1960 avec la pilule contraceptive. 

Cette autonomie a été acquise contre la religion, qui offre un exemple éclatant de la dégradation de l’influence de la société sur la fécondité. Les catholiques comme les protestants étaient opposées à la contraception, ce qui donnait de grandes familles dirigées par mari et femme dans leurs rôles traditionnels respectifs de soutien de famille et d’épouse au foyer. Mais en Europe, la messe dominicale n’est désormais plus fréquentée que par une faible minorité de la population, l’influence de l’Église a baissé et l’union libre, sans mariage religieux, devient majoritaire. L'exemple de la France indique que la messe dominicale n'est fréquentée que par 6% des Français selon leurs déclarations* contre 31% en 1961.

Si l'on élargit nos observations en regardant vers le Québec, parce qu'il est particulièrement marqué par l'influence de l'Église sur la société, le taux de natalité y était de 39,5 pour 1000 en 1900, il était encore de 24 pour 1000 en 1962 pour s'effondrer brutalement en 4 ans, passant à 17 pour 1000 en 1968 : la "révolution tranquille" du gouvernement Jean Lesage était passée par là. Et ce taux de natalité a continué de baisser régulièrement par la suite pour n'atteindre plus que 9,3 pour 1000 en 2022, soit 80700 naissances, alors que la même année le Québec accueillait 70000 immigrés réguliers.

Sans l'immigration, l'immense Québec, trois fois la France, deviendrait en quelques dizaines d'années une zone quasi désertique, tout simplement parce que l'injonction faite aux familles et en particulier aux femmes de faire des enfants pour maintenir la société traditionnelle québécoise catholique n'est plus entendue, ni même plus du tout formulée...

Revenons à l'Europe pour constater que tous les chiffres vont dans le même sens: le taux de nuptialité (nombre de mariages civils pour mille habitants) baisse partout, avec un record de faiblesse pour la France: 2,3 pour 1000 habitants en 2021 alors qu'il était de 7,8 pour 1000 habitants en 1970. Quant au taux de divorce de ces mariages dont le nombre est déjà en chute libre, il dépasse désormais 50%.

 

Inutile de vous abreuver d'autres chiffres, puisqu'ils convergent dans le même sens que la donnée fondamentale que constitue la baisse de la fécondité en Europe.

 

Doit-on en conclure que la population européenne actuelle va disparaitre, submergée qu'elle va être par la population immigrée, à moins qu'il soit possible de pratiquer des politiques natalistes qui inverseront la tendance ?

 

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* Jérôme Fourquet, L'archipel français, Seuil, 2019

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DES PRÉVISIONS JUSTES, DES RÉSULTATS FAUX

15 Septembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

ORGUEIL EXCESSIF OU PIED DE NEZ AU FUTUR?

ORGUEIL EXCESSIF OU PIED DE NEZ AU FUTUR?

Lors de mon avant dernier billet, intitulé « L’ORIGINE DE LA BAISSE DE LA FERTILITÉ » j’ai fait peser tout le poids de cette baisse de la fertilité sur la volonté des femmes de réduire le nombre des enfants qu’elles souhaitent, désormais non entravée aux plans physique et social.

 

Je maintiens cette assertion, et, pour conforter mon argumentation, je vous propose d’analyser le décalage que l’on a constaté dans le passé entre les projections démographiques et la réalité des faits observés.

Le film « le Soleil Vert » a été réalisé en 1973 et il décrit une humanité de 80 milliards d’habitants en 2022, réduite à se nourrir avec ses propres cadavres. En 2022, factuellement, il n’y avait QUE 8 milliards d’habitants sur Terre et la nourriture restait plus variée que dans le film.  

Or le thème du Soleil Vert découle directement de Malthus, un économiste injustement accusé d’avoir un cœur sec, alors qu’il était profondément préoccupé par le sort des déshérités. Plus tard, la même injustice touchera Taylor, mais dans les deux cas, cette injustice s’expliquera par le décalage entre les intentions des auteurs et les conséquences négatives de leurs théories respectives.

Pour Malthus donc, il existe un décalage fondamental entre la croissance forcémentgéométrique de la population et la croissance arithmétique de la production. Concentrons-nous sur le premier terme de sa proposition : la croissance géométrique de la population s’explique par l’appétence pour le sexe qui conduit les êtres humains à avoir beaucoup d’enfants, comme les lapins dont les effectifs explosent avant de s’effondrer sous l’effet de la pénurie de nourriture et la voracité des prédateurs.

Or, Malthus ne prévoyait pas qu’allaient s’inscrire dans les comportements humains la capacité de pratiquer la contraception et donc la possibilité de découpler plaisir sexuel et nombre d’enfants.

Paul Elrich, dans La bombe P publiée en 1968, maintenait encore la contradiction entre croissances démographique et économique en l’appliquant aux pays « sous-développés ». Selon lui, les progrès médicaux et agricoles avaient permis la baisse de la mortalité dans ces pays, mais les limites de ces progrès étaient désormais atteintes. Une fois posé ce postulat, il ne restait plus qu’à recommander aux États de forcer les populations à baisser leur taux de natalité ou à subir une augmentation du taux de mortalité par maladies, famines ou même guerres.

Quarante-cinq ans plus tard, ces prédictions ne se sont pas réalisées et nul n’a forcé les populations à réduire leur natalité, si ce n’est la soi-disant politique de l’enfant unique en Chine qui n’a été que très partiellement mise en œuvre. En revanche, le bien être des populations s’est accrue, si l’on en croit la réduction rapide de la proportion des personnes en situation d’extrême pauvreté[1], à 15% contre 55% en 1950.

Mais entretemps, en 1970, le best-seller mondial Les Limites à la Croissance publié par le Club de Rome et livré par le MIT et ses modèles informatiques de l’époque livre une conclusion sans appel qui résonne encore fortement dans les milieux gouvernementaux comme scientifiques, donc dans les médias et dans la malheureuse opinion publique condamnée à s’inquiéter de tout et sommée d’obéir aux injonctions qui en découlent.

Dans ce rapport du Club de Rome, tout y passe : « Si les tendances actuelles à la croissance de la population mondiale, de l’industrialisation, de la pollution, de la production alimentaire et de l’épuisement des ressources se poursuivent, nous atteindrons les limites de la croissance sur notre planète au cours des cent prochaines années ». Historiquement, nous nous en approchons et les signaux d’alarme se multiplient, désormais centrés sur le climat. La température monte, les calottes glaciaires fondent, le niveau de CO2 s’accroit et le GIEC nous lance des avertissements réguliers. Mais les populations ne s’y conforment pas, les croisières se poursuivent, les équipements en climatisation se généralisent et le remplacement des véhicules à combustion par des véhicules électriques s’effectue à pas précautionneux, tandis que la population continue à s’accroitre, pour le moment.

Autant écrire que si les prévisions sont souvent justes, les conséquences qui en sont tirées se révèlent invariablement fausses, car toutes sortes de variables interviennent, alors que les prévisionnistes n’en intègrent que quelques-unes dans leurs calculs. En d’autres termes, oui, le monde bouge, mais les hommes s’adaptent, et très vite. Encore qu’ils s’adaptent mieux au présent qu’au futur, dont ils ne voient qu’une image incertaine, floue et incomplète.

Pour le moment, dans un certain nombre de pays, surtout situés en Europe et en Extrême Orient, le taux de fécondité est insuffisant pour assurer le maintien de la population. Ailleurs, le taux de fécondité baisse. Mais dans le futur, ces taux vont-ils continuer à évoluer dans le même sens ? Personne n’en sait rien.

 

Observons donc ce qui se passe aujourd’hui, notamment en Europe, alors que l’on s’inquiète pour les conséquences d’un futur dont les contours sont incertains, sauf pour les prophètes.

 

[1] En 2022, ce seuil était fixé à moins de 2,15 $ par jour (Banque Mondiale).

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REQUIEM POUR PRIGOJINE

3 Septembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

REQUIEM POUR PRIGOJINE

Le patron du groupe Wagner, Yevgeny Prigojine est mort d'un excès de confiance en lui-même.  

 

Il a en effet commis trois erreurs :

- Tout d'abord, il a cru qu'il était un chef militaire compétent.

- Ensuite, il a tenté un coup d'État contre un ancien du KGB.

- Et, finalement il a échoué dans toutes ses tentatives.

Il est inévitable que l'on discute pour savoir qui l'a tué et comment il est mort. Il semblait raisonnable, compte tenu du temps qui s'est écoulé depuis l'échec du coup d'État de Prigojine, de conclure que le président russe Vladimir Poutine avait décidé de lui laisser la vie sauve.

Mais apparemment, cela n'a pas été le cas.

Une des premières théories sur la mort de Prigojine était qu'un missile sol-air avait abattu son avion. L'origine incertaine de ce missile pouvait permettre à Poutine de neutraliser les soupçons selon lesquels il aurait organisé l'assassinat.

La théorie du missile ouvre la possibilité de rejeter la responsabilité sur les Américains ou sur les Ukrainiens. Le problème de cette théorie est que Prigojine était plus précieux vivant que mort. Il avait effrayé Poutine en organisant un coup d'État qui s'était approché à moins de deux cent kilomètres de Moscou. Son existence pouvait amener les Russes et ses ennemis à penser que Poutine était devenu irrésolu à un moment où le président russe ne peut pas se permettre de laisser planer des doutes sur sa détermination. Un Prigojine vivant, c'était le cauchemar de Poutine et le rêve des Américains et des Ukrainiens.

Aussi est-il plus probable qu'une bombe ait été placée dans l'avion alors qu'il se trouvait sur le tarmac et s'apprêtait à quitter Moscou.

On peut également se demander pourquoi Poutine a attendu si longtemps pour éliminer Prigojine. Mais s'empresser de tuer Prigozhin aurait été un signe de peur, alors que le laisser en liberté a pu faire penser que Poutine avait d'une manière ou d'une autre autorisé ou au moins souhaité le coup d'État de Prigojine, et démontré que Poutine ne le craignait pas. En outre, la période de latence a affaibli la légende de Prigojine.  

La dernière question, la plus intéressante, est de savoir comment et pourquoi un ancien agent de Poutine est devenu le chef d'une force paramilitaire. Les États-Unis ont recours à des forces privées comme Blackwater, mais elles n'ont jamais atteint le niveau de Wagner. Elles n'opèrent pas non plus en vertu de leur propre pouvoir et remplissent les fonctions les moins importantes. Or, Wagner était une force militaire importante et à part entière. Cette force privée a été utilisée dans divers conflits de moindre importance, lorsque la Russie ne souhaitait pas y envoyer sa force principale, mais après le début de la guerre en Ukraine, Poutine l'a concentré en Russie, puis en Ukraine.

L'explication de ces localisations successives de Wagner viennent du manque de confiance de Poutine en son propre état-major.

L'ouverture de la guerre, avec des chars massés sans tenir compte de la logistique, a renforcé ses inquiétudes. Le problème était suffisamment flagrant pour que, même après le début de l'invasion, Kiev ait pu croire que l'attaque par le nord n'était qu'une diversion et que l'effort principal serait déployé ailleurs. Mais lorsque l'armée russe a attaqué, elle s'est immédiatement enlisée et elle a constamment tenté de s'emparer de villes sans importance militaire au lieu de chercher à briser les forces ennemies.

Cette erreur de départ a contraint Poutine à déployer Wagner pour montrer son mécontentement et créer une concurrence, qui a obligé l'état-major général à modifier sa stratégie. Depuis l'armée russe s'est attachée à détruire les forces ukrainiennes et la situation militaire s'est inversée, au profit des troupes russes.

Mais, pendant plusieurs mois, Il y a eu deux armées sous des commandements différents. Inévitablement, l'armée régulière et Wagner se sont fait concurrence pour les missions et le ravitaillement. Les obus d'artillerie ont notamment fait l'objet de disputes de plus en plus violentes et publiques.

Poutine n'est pas intervenu de manière décisive dans ce conflit entre les deux armées russes. C'est Prigojine qui est allé trop loin, en critiquant l'état-major et, par voie de conséquence, Poutine. Lorsque le Kremlin a finalement tenté de le réduire, Prigojine a pris les devants, mais la maladresse de son coup d'État montre qu'il n'avait pas les moyens de le gagner, et encore moins de l'exploiter.

 

Poutine a survécu et il conduit maintenant la guerre comme il l'entend.

 

 

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