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Le blog d'André Boyer

ROBESPIERRE PERD LA MAIN

24 Novembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

ROBESPIERRE PERD LA MAIN

Peu ou prou, chacun des Conventionnels présents s’était senti visé par les imprécations de Robespierre.

 

La réponse de Cambon et le silence de Robespierre, empêché de parler par Thuriot qui présidait ce jour-là la Convention, firent que d’autres Conventionnels prirent assez de courage pour se ruer à la tribune, comme Billaud-Varenne qui hurla : « Il faut arracher le masque ! J'aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence complice de ses forfaits ! ».

Il fut suivi par Panis qui se fit un devoir d’avertir la Convention qu'une liste de proscrits avait déjà été dressée, puis par Challier qui somma Robespierre de se dévoiler : « Quand on se vante d'avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez ! » Le silence de Robespierre entraina sa désapprobation par la Convention. Il quitta derechef la séance pour se rendre au Club des Jacobins où il se fit acclamer en dénonçant la gauche du Comité de Salut Public, mais Collot d’Herbois et Billaud-Varenne partirent de leur côté aux Tuileries pour avertir le Comité de Salut Public, hostile en majorité à Robespierre, de la fronde de la Convention. 

À la fin de la séance de la Convention, le 26 juillet 1794, Robespierre avait été ouvertement soutenu par un seul député, Georges  Couthon*, avec qui il se rend au club des Jacobins. C’est encore Couthon qui demande l’exclusion du Club des Jacobins de tous les conventionnels qui ont voté dans l’après-midi contre le discours de Robespierre à la Convention. Une trentaine de députés montagnards présents sont ainsi exclus du Club sous les coups et les cris de « À la guillotine ! ».

Robespierre n’a pas encore perdu la partie. Il a pour lui la majorité des Jacobins, l’état-major de la Garde nationale dirigée par Hanriot et la Commune. Il espère bien pouvoir ressaisir la majorité parlementaire à la Convention le lendemain, avant de régler ses comptes avec ses ennemis.

Mais, dans la même nuit du 26 au 27 juillet, ses ennemis se sont réunis dans la salle des délibérations du Comité de Salut Public ou s’est installé Saint-Just, proche de Robespierre, qui prépare un discours qu’il doit prononcer le lendemain devant la Convention.

Les hommes qui sont assis à côté de lui, Billaud et Collot, se demandent s’il n’est pas en train, sous ses airs studieux, de préparer benoîtement leur acte d’accusation.

De son côté, Barère, craint une insurrection de la Commune en faveur de Robespierre. Pour la prévenir, il fait convoquer le maire de Paris, Lescot-Fleuriot, qu’il retient pendant quatre heures afin de désorganiser les préparatifs d’une éventuelle insurrection.

Au lever du jour, Saint-Just quitte le Comité de Salut Public en rassurant ses collègues à qui il promet de revenir leur lire son discours vers 10 heures du matin avant de le prononcer. Ses collègues l’attendront en vain jusqu’à midi, heure à laquelle Saint-Just leur fait parvenir un billet pour les prévenir qu’il lira son discours directement à la Convention. Il ne sait pas que ce billet le condamne à mort, car, dès qu’ils sont prévenus, ses collègues, furieux et inquiets, se précipitent à la Convention dont la séance a commencé à onze heures.

Mais le Comité de Salut Public, la Convention et à fortiori le Club des Jacobins ignorent qu’une conspiration s’est nouée dans la nuit, qui leur ôte les cartes des mains.

Le discours de Robespierre a indirectement dénoncé et donc menacé Barras, Fouché, Tallien, Lebon et Carrier. Ces hommes se sont précipités auprès des chefs de la Plaine, Boissy d’Anglas, Durand-Maillane et Palasne-Champeaux, en leur promettant la fin de la Terreur en échange de leur soutien. Ces derniers sont inquiets des risques qu’implique une conspiration contre Robespierre, mais ils finissent par s’y rallier, rassurés par la participation de Carnot et Barère au complot.

Pour contrer la puissance manœuvrière de Robespierre à la Convention, ils mettent au point une tactique qui va se révéler payante : l’empêcher de prendre la parole en couvrant ses déclarations par des hurlements.

À onze heures, le 27 juillet 1794 (9 thermidor an II), la séance est ouverte par le Président Collot d’Herbois. Les tribunes, prévues pour neuf cents personnes, sont pleines à craquer depuis cinq heures du matin. Le match sanglant peut commencer.

Saint-Just, vingt-sept ans, très élégant dans son habit chamois et son gilet blanc, monte à la tribune. Il entame à peine son discours que Tallien, qui a compris qu’il va se prononcer en faveur de Robespierre, l’interrompt, l’accusant de parler en son nom personnel et non en celui du Comité de Salut Public. À ce moment précis arrivent, essoufflés, les membres du dit Comité, dont Billaud-Varenne qui  escalade la tribune et accuse Saint-Just de ne pas avoir respecté son engagement de soumettre son discours aux membres du Comité de Salut Public.

Comme Saint-Just ne répond pas, Billaud-Varenne s’attaque à Robespierre et lorsque celui-ci veut répondre, les conjurés, comme convenu, crient « À bas le tyran ! » pour couvrir sa voix, tandis que Saint-Just, qui n'a pas quitté la tribune, se contente de regarder.

Billaud-Varenne, dans le vacarme et la confusion, en rajoute en demandant l’arrestation d’Hanriot, de son état-major et aussi celle de Dumas, le président du Tribunal révolutionnaire, provoquant la réaction de Robespierre qui monte à la tribune mais qui ne peut toujours pas s’exprimer, sa voix étant couverte par la clameur des « À bas le tyran ! » qui fusent de l’assemblée et des tribunes.

Le président Collot d’Herbois donne alors la parole à Barère qui fait voter un décret ôtant à Hanriot le commandement de la garde nationale.

Vadier et Tallien lui succèdent, auxquels Robespierre tente de répondre, mais dès qu’il ouvre la bouche les cris couvrent sa voix. On l’entendra néanmoins prononcer cette adresse à Thuriot : « Pour la dernière fois, président d’assassins, je te demande la parole » à laquelle Thuriot, qui a remplacé Collot d’Herbois à la présidence, répond platement qu’il n’aura la parole qu’à son tour.

 

Dans ce tohu-bohu, c’est un député de l’Aveyron, Louis Louchet**, montagnard et ami de Danton que Robespierre avait fait guillotiner le 5 avril précèdent, qui ose demander un décret d’arrestation contre Robespierre...

 

* Georges Couthon sera logiquement guillotiné avec Robespierre et Saint-Just, le 28 juillet 1794, le surlendemain des faits relatés ici.

** Louis Louchet a continué sa carrière sous le Directoire et l’Empire comme Receveur des Impôts dans le département de la Somme…

 

À SUIVRE

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RÉFLEXIONS DE SCHOPENHAUER

17 Novembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

RÉFLEXIONS DE SCHOPENHAUER

Depuis cinq semaines, je vous entretiens de Schopenhauer, un philosophe irritant par son supposé pessimisme. Lui répondait qu’il était simplement réaliste.

 

Réponse facile, car il est plus facile d’être pessimiste qu’optimiste lorsqu’on se donne la vie comme sujet d’étude. Cependant Schopenhauer pose, avec la volonté de vivre, un postulat presque incontestable du processus vital dans lequel nous sommes projetés à la naissance, et il en déduit logiquement le reste, la morale, la civilisation, les mœurs, l’égoïsme, le bonheur et notre capacité inégale à en être conscient et à en tirer les conséquences.

Ci-après, j’ai choisi de présenter quelques-unes des formules qui illustrent sa pensée, parmi lesquelles vous trouverez des pépites, comme sa réflexion en même temps profonde, banale et actuelle sur la nature de l’homme.

 

Amoureux

« Tout état amoureux, si platonique soit-il, trouve son unique racine dans l’instinct sexuel. » 

Le monde comme volonté et comme représentation

 

Bonheur

« Un simple coup d'œil nous fait découvrir les deux grands ennemis du bonheur humain : la douleur et l'ennui. »

Le monde comme volonté et comme représentation.

 

Chose en soi

« Chose en soi signifie ce qui existe indépendamment de notre perception, par conséquent ce qui existe par soi-même. »

Parerga et paralipomena.

 

Commencement et fin

« Quel contraste tout de même entre notre commencement et notre fin ! Le premier dans la folie du désir et l’extase de la volupté, l’autre dans la destruction des organes et l’odeur des cadavres. »

Parerga et paralipomena

 

Homme 

« L’homme est au fond une bête féroce. Nous ne le connaissons que dompté, apprivoisé par ce que nous appelons « civilisation » : aussi reculons nous d’effroi devant les explosions accidentelles de sa nature profonde. Que les verrous et les chaines de l’ordre légal tombent, que l’anarchie éclate, c’est alors que l’on voit ce qu’est vraiment l’homme »

Lichtstrahelen aus seinen Werken

 

Lire 

« Lire, c’est penser avec la tête d’un autre, au lieu de la sienne. »

Parerga et paralipomena

 

Philosophie

« Le philosophe ne doit jamais oublier qu’il pratique un art, et non une science. »

Parerga et paralipomena.

 

« Une philosophie, où l’on n’entend pas entre les lignes les pleurs et les grincements de dents et le terrible vacarme du meurtre général réciproque, n’est pas une philosophie ».

1858, Schopenhauer au cours d’une conversation avec Frédéric Morin.

 

Pitié

« Une pitié sans limites pour tous les êtres vivants, c’est le gage le plus ferme et le plus sûr de la conduite morale, et cela n’exige aucune casuistique. »

Lichtstrahelen aus seinen Werken (Pensées), J. Frauenstädt

 

Présent 

« Le présent seul est réel, tout le reste n’est qu’imaginaire. »

Parerga et paralipomena.

 

Professeur 

« Que bientôt les vers doivent ronger mon corps, c’est une pensée que je puis supporter ; mais que les professeurs rongent ma philosophie ! cela me donne le frisson. »

Cahiers manuscrits

 

Progrès 

« Le progrès c’est là votre chimère. Il est le rêve du XIXème siècle comme la résurrection était celui du Xème ; chaque âge a le sien. Quand, épuisant vos greniers et ceux du passé, vous aurez porté plus haut encore votre entassement de science et de richesse, l’homme doté de tant de biens en sera-t-il moins petit ? »

Parerga et paralipomena

 

Temps 

« Le temps est un dispositif de notre cerveau qui sert à donner à l’existence foncièrement illusoire des choses et de nous-mêmes une apparence de réalité par l’intermédiaire de la durée »

Parerga et paralipomena.

 

Toi-même 

« Tu dois comprendre la nature à partir de toi-même et non pas toi-même à partir de la nature. Voilà mon principe révolutionnaire ».

Cahiers manuscrits

 

Upanishad 

« L'Upanishad est, comme je l’ai dit, le produit de la sagesse suprême humaine. »

Parerga et paralipomena.

 

Vanité 

« Obtenir une chose désirée, c’est découvrir qu’elle est vaine ; nous vivons constamment dans l’attente du mieux, et souvent en même temps dans une aspiration pleine de repentir qui s’élance avec regret vers le passé. »

Parerga et paralipomena.

 

Vérité

« Chaque grande vérité, avant d’être trouvée, s’annonce par un pressentiment, un instinct, une image indécise comme dans un brouillard et un effort vain pour la saisir. »

Parerga et paralipomena

 

Vertu 

« La vertu ne s’enseigne pas, non plus que le génie. Espérer que nos systèmes de morale et nos éthiques puissent produire des gens vertueux, nobles et saints, est aussi insensé que d’imaginer que nos traités d’esthétique puissent produire des poètes, des sculpteurs, des peintres et des musiciens. »

Lichtstrahelen aus seinen Werken, J. Frauenstädt.

 

Vie 

« La vie est un décès constamment contrarié, une lutte permanente contre la mort qui finira par vaincre, c’est d’avance certain »

Parerga et paralipomena.

 

Vouloir 

« Vouloir sans motif, toujours souffrir, toujours lutter, puis mourir, et ainsi de suite dans les siècles des siècles, jusqu’à ce que la croûte de notre planète s’écaille en tout petits morceaux. »

Le monde comme volonté et comme représentation.

 

 

FIN PROVISOIRE

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LE MONDE COMME VOLONTÉ ET COMME REPRÉSENTATION

12 Novembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

ARTHUR SCHOPENHAUER, naturellement

ARTHUR SCHOPENHAUER, naturellement

Schopenhauer s'est fortement situé dans la filiation de Kant, tout en rejetant une bonne partie de son éthique, mais cela ne l'a pas empêché de revendiquer aussi celle de Platon, sans oublier ses liens avec la philosophie indienne

 

Tandis que les Idées de Platon  ne sont que des copies imparfaites, qui ne constituent pas pour Schopenhauer des objets d'analyse mais uniquement de contemplation, ce dernier a trouvé dans la littérature de l’Inde une extraordinaire richesse de thèmes sur lesquels philosopher, mais sans y rencontrer une philosophie proprement dite.

Pourtant il revendiquait d'avoir fait de l’Oupnek'hat un de ses livres de chevet, dont il lisait la traduction française et il notait déjà, quelque temps avant d’achever le Monde : « Je ne crois pas, je l’avoue, que ma doctrine aurait pu se constituer avant que les Upanishads, Platon et Kant aient pu jeter ensemble leurs rayons dans l’esprit d’un homme. ». Il parait donc raisonnable d'estimer que la pensée indienne forme une sorte d'arrière-plan à sa philosophie dont témoigne le nom qu'il avait donné à son épagneul, Atma: l'âme du monde...

Je n'estime pas utile d'analyser, partie par partie, les quatre livres qui composent l'ouvrage. Ils nous donnent cependant les axes de sa réflexion philosophique : Épistémologie, Ontologie, Esthétique et Éthique. Nous essaierons de nous en tenir à ce qui nous parait essentiel dans sa pensée, plus encore que son caractère novateur, comme son approche de la sexualité[1], audacieuse pour l'époque,

Pour saisir l'essence de la pensée de Schopenhauer, il faut commencer par accéder à la signification des concepts qu'il utilise. Alors que le terme Wille signifie en français aussi bien la volonté que le vouloir, le désir voire l'effort, nous avons choisi de traduire le concept central du Wille zum Leben par la volonté de vivre[2]. En ce sens, Schopenhauer soutient que tous les êtres vivants, y compris l’homme, expriment une insatiable volonté de vivre. Et cette volonté de vivre, qui est la chose en soi de Kant et dont, selon Schopenhauer, nous ne pouvons pas saisir la raison d'être, ni la contrôler, n'a pas pour nous de raison d'être bien qu'elle nous pousse à agir, sans but ni rationalité. Dans cette veine, Schopenhauer écrit : "Les hommes ressemblent à des horloges qui ont été montées et qui marchent sans savoir pourquoi ; et chaque fois qu'un homme est engendré et mis au monde, l'horloge de la vie humaine est de nouveau montée pour répéter encore une fois son vieux refrain usé d'éternelle boite à musique, phrase par phrase, mesure par mesure, avec des variations à peine sensibles..."    

Afin de justifier cette vision de l'homme qui erre sans but, Schopenhauer introduit la notion de Vorstellung qui signifie la représentation ou l’image de tout ce qui est perçu par l’esprit, y compris la représentation de son propre corps. Cette image est générée par nos sens qui nous donnent seulement accès à une représentation du monde, mais non à son essence profonde, d'autant plus qu'elle est perturbée par la volonté de vivre qui domine notre esprit. 

Car l'homme découvre en lui-même, dans son corps et au fond de son désir, la volonté de vivre qui anime toute existence. C'est une impulsion instinctive et inconsciente qu'il ne parvient pas à contrôler et qui n'a aucune finalité, ni divine, ni historique, ni rationnelle. Il se retrouve prisonnier de l'inexorable loi du désir qui n'est qu'insatisfaction répétée et qui l'entraine dans un mouvement absurde, comme l'illustre la société de consommation.

Tel est le postulat de Schopenhauer, une volonté de vivre irrépressible et incontrôlée, qui est celle de l'homme à l'instar de tous les êtres vivants.

À la poursuite de buts à court terme dictés par nos désirs, nous ressentons forcément une souffrance engendrée par le décalage entre notre représentation d'un monde qui aurait un but téléologique, qu'il soit religieux, moral, esthétique ou autre et notre volonté de vivre, qui n’en a aucun.

Par conséquent, Schopenhauer est conduit à rejeter qu'il existe un monde "réel" doté d'une armature métaphysique. Ce monde-là, qu'il soit métaphysique ou rationnel, n'est que celui des images, car le monde de la volonté de vivre en est dépourvu : "La volonté́ est la substance de l’homme, l’intellect en est l’accident."

Schopenhauer tire les conséquences du principe qu'il énonce : il faut nous écarter du principe de raison pour nous réfugier dans cette partie de la représentation du monde que constitue la contemplation esthétique et en particulier la musique : « L’artiste nous prête ses yeux pour regarder le monde ».

Évoquant dans son dernier livre la question de la morale, nous dirions aujourd’hui de l’éthique, il considère que, comme la volonté vise sa propre satisfaction et qu’elle est donc une source d’égoïsme, la morale, visant à combattre l’égoïsme, est une négation de la volonté de vivre. Il explique qu’en revanche, le suicide n’est pas souhaitable, car il constitue un abandon de la vie, et non un abandon de la volonté de vivre.

Aucune raison supérieure n'étant à notre disposition pour nous guider, il reste à l'homme une ultime liberté, à condition d'accéder par un grand effort de représentation du monde, à une connaissance débarrassée de toute illusion qui nous fait avouer que « la souffrance est le fond de toute vie ».

Ce choix consiste, soit à abdiquer en oscillant sans cesse dans le cycle infernal du quotidien, « entre souffrance et ennui », soit à nous « affirmer pour nous nier ». En d'autres termes, pour limiter son malheur, l’homme n’a pas d’autre choix que de nier la volonté de vivre, créatrice de désirs, selon un ascétisme inspiré par le bouddhisme et les védas.

Ainsi, Schopenhauer qui a commencé son ouvrage avec Kant, se réfugie dans la pensée indienne pour l'achever. Lui qui se flattait de  ne pas écrire pour ne rien dire, parvient à le conclure par les deux magnifiques phrases suivantes :

« Pour ceux que la Volonté anime encore, ce qui reste après la suppression totale de la Volonté, c’est effectivement le néant. Mais, à l’inverse, pour ceux qui ont converti et aboli la Volonté, c’est notre monde actuel, ce monde si réel avec ses soleils et toutes ses Voies Lactées, qui est le néant. »

 

À SUIVRE

 

[1] Il a ainsi développé une Geschlechtsliebe, ou une Métaphysique de l'amour sexuel, dans laquelle il soutient que l'amour n'a aucun contenu réel sans l'amour sexuel qui n'est lui-même qu'une manifestation de la volonté de vivre.

[2] C'est l'expression choisie par les tous derniers traducteurs, en 2009, du Monde comme volonté et représentation, alors que la traduction précédente d'Auguste Burdeau datait de 1889, ce qui la rendait difficile à lire pour le lecteur du XXIe siècle.

 

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DE KANT À SCHOPENHAUER

4 Novembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

EMMANUEL KANT

EMMANUEL KANT

Schopenhauer est âgé de 31 ans quand il publie un ouvrage qui, estime-t-il, révolutionne la pensée philosophique. Il attendra presque toute sa vie que la corporation des philosophes en convienne.

 

Le Monde comme volonté et comme représentation, publié dans une première édition à Leipzig en 1819, a connu deux éditions supplémentaires du vivant de Schopenhauer, passant à deux volumes en 1844 qui permettent de suivre l’évolution de sa pensée sur un quart de siècle et enfin une troisième édition en 1859, publiée un an avant sa mort, qui accroit encore l'ouvrage de 136 pages. L’auteur renvoie aussi à d’autres additifs insérés dans le second volume des Parerga et Paralipomena, écrits sept années après la deuxième édition de son ouvrage majeur, Le Monde comme volonté et comme représentation.

La pensée de Schopenhauer a évolué, entre ses trente et un ans lors de la première édition et ses soixante-dix ans de la troisième édition. Cependant, la continuité de sa pensée reste manifeste dans le contexte philosophique de la première moitié du XIXe siècle, qui se veut dans le prolongement de la pensée de Kant et en opposition avec celle de Hegel.

Cette pensée de Kant (1724-1804) est très récente pour Schopenhauer qui l’a lue avec grand soin, deux ans durant et il lui a consacré un long article, sous forme d'appendice à la première édition du Monde comme volonté et comme représentation, dont il recommande à ses lecteurs de s’imprégner avant d’aborder l'ouvrage principal.

Pour Schopenhauer, Kant est le véritable initiateur des études philosophiques. Il se réfèrera aussi à Platon, à Berkeley et à Hume, mais Kant reste son guide premier, car il estime que Kant est l’auteur de trois apports décisifs à la construction de sa vérité philosophique :

Tout d’abord, Kant a distingué le phénomène de la chose en soi, Le premier se révélant à nous, tandis que la seconde ne pouvant que nous échapper. C'est pourquoi, selon Schopenhauer, les vérités éternelles n’existent que dans notre tête et ce que nous appelons des vérités objectives ne sont que des phénomènes perçus par notre cerveau. 

Mais, si ce que nous appelons le monde objectif n’existe qu’en tant que construction cérébrale, ce que Schopenhauer appelle un phénomène, nous les scientifiques qui prétendons nous appuyer sur des faits « objectifs », selon une volontaire tautologie, des vérités objectives que nous mettons en lumière par nos observations et nos enquêtes, nous nous racontons littéralement des histoires. Je vous invite à réfléchir sur les conséquences de cette subjectivation des faits, que les scientifiques ont tant de mal à admettre, sinon en prenant d’infinies précautions (Karl Popper) ou en contournant le problème.

Ce premier apport de Kant, mis en exergue par Schopenhauer a donc de profondes conséquences sur notre façon de voir le monde.  

Le second apport de Kant est tout aussi considérable, mais l'approche de Schopenhauer en renforcera considérablement la portée et en modifiera le sens.

Kant a en effet proclamé l’autonomie de la conscience morale, en d’autres termes la possibilité pour l’être humain de choisir sa morale, hors des contingences matérielles. Nous sommes loin du déterminisme de Hegel, qui aboutit à un homme qui agit bien ou mal en fonction de sa condition matérielle et à toute une tradition philosophique et finalement politique qui justifie les révoltes d’une population par son mal être objectif.

Du coup, la volonté humaine devient quelque chose d'objectif qui s'élève au-dessus des contingences du monde. Kant n'a cependant pas franchi ce pas qui consistait à passer de la conscience morale à la volonté humaine pour reconnaitre que c'était elle qui était une "chose en soi". Schopenhauer a franchi ce pas, en qualifiant cette volonté d'un vouloir vivre qui anime non seulement l'homme mais tous les êtres vivants au sein de la nature. Ce vouloir vivre, que l'on peut qualifier de force vitale, Schopenhauer le place au centre de sa philosophie, comme Nietzsche à sa suite.  

Le troisième mérite que Schopenhauer attribue à Kant est lié au premier. Il lui reconnait d’avoir donné le coup de grâce à ce qu'il appelle la philosophie scolastique qui s'est engagée à revenir toujours, après quelques détours, aux dogmes de l'Église. Cet engagement la contraint à élever les lois édictées par l'Église au rang de vérités éternelles et de prendre ainsi le phénomène pour la réalité.

 

Armés de ces trois apports de Kant, nous voici désormais prêts, du moins je l'espère, à déchiffrer le mécanisme de la pensée de Schopenhauer, tel qu'il l'expose sans fard dans Le Monde comme volonté et comme représentation...

 

A SUIVRE 

 

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