UNE FRANCE PROTECTRICE
LE VILLAGE DE SERVAGES, DÉCOR DE L'AFFICHE DU CANDIDAT MITTERRAND EN 1981
On oublie souvent une règle toute simple qui régit toutes les espèces vivantes, y compris l’espèce humaine : le principe de protection. Selon ce principe, les êtres humains ont besoin de sécurité pour vivre. S’ils n’en ont pas, ils consacrent toute leur énergie à survivre jusqu’à ce qu’ils y renoncent pour se laisser mourir.
De ce point de vue, la société française répondait bien aux attentes de ses citoyens en matière de sécurité, jusqu’à une période récente.
Cette société française est implantée dans un pays tempéré, varié, plein de ressources et doté de fortes infrastructures. Son système d’éducation était excellent, ses scientifiques et sa technologie se classaient parmi les meilleures du monde. Son agriculture était largement en mesure de nourrir sa population et elle visait à l’excellence. À cet égard, il suffit de citer ses vins, ses fromages ainsi que sa production animale et végétale.
Son industrie se situait parmi les meilleures du monde, comme le montrait sa production aéronautique ou automobile. Elle disposait en outre d’une énergie bon marché, à l’abri des caprices du pétrole grâce à la mise en place d’un réseau unique au monde de centrales nucléaires. De plus, elle avait su développer un réseau d’entreprises de grande taille qui rayonnait dans toutes les parties du monde, de Danone à Lafarge en passant par Accor. Du point de vue financier, tout allait bien puisque ses caisses d’épargne et ses banques collectaient une épargne record qui finançait aisément les logements sociaux et les entreprises nationales.
On se sentait en sécurité en France. Elle avait une police efficace et l’une des meilleures armées du monde, capable d’agir en toute indépendance dans un large rayon d’action à l’abri de son parapluie atomique. Son administration structurait tout le pays, si bien que de Paris à Tahiti, on se sentait bien encadré, notamment grâce à une administration fiscale d’élite. La justice fonctionnait correctement grâce à un personnel judiciaire de qualité qui faisait respecter scrupuleusement les lois. D’ailleurs la criminalité se situait à un niveau raisonnable et son système pénitentiaire permettait de mettre les criminels hors d’état de nuire à la tranquillité publique aussi longtemps que nécessaire.
Quand, ici ou là, des insuffisances se faisaient sentir, l’État savait se réorganiser comme il a su le faire pour accélérer la délivrance des permis de construire ou pour répondre à la demande de téléphones. Quant à la cohérence du pays, des institutions modernisées en 1958 permettaient d’élire des hommes politiques de qualité qui la géraient avec efficacité. D’ailleurs, tous les problèmes étaient traités sur la place publique grâce à des medias qui faisaient écho à la plupart des tendances politiques du pays.
La société française était très protectrice en matière de santé et de soutien social. La croissance économique du pays était en bonne partie utilisée pour soigner les français, pour les protéger de la pauvreté s’ils ne trouvaient pas de travail et pour leur verser une retraite décente. Cette protection sociale était assurée grâce aux cotisations de la partie active du pays, avec des écarts de revenus limités par une des fiscalités les plus lourdes du monde.
Oui, même si ce tableau rose en occulte les aspects négatifs, la société française était incontestablement protectrice et peu de ses membres mettaient en cause les grands principes qui gouvernaient son fonctionnement, au point, qu’avec une arrogance un peu déplacée, certains la donnaient en modèle au reste du monde.
Aujourd’hui, pour se montrer bienveillant, on peut écrire que cette société française possède encore de beaux restes…
À SUIVRE
La Gauche désavouée par le Peuple, comme d'habitude...
LE MYTHE DES ATELIERS NATIONAUX EN MIETTES
Ce gouvernement provisoire de Gauche n’oublie pas ses engagements en faveur des droits de l’homme.
L’esclavage est aboli et la peine capitale est suspendue. Ils font supprimer la prison pour dettes, et n’oublient pas leur lutte pour faire libérer les peuples opprimés : rien que du moderne. Ainsi, une légion de volontaires est organisée pour aider la Pologne ; des colonnes de réfugiés, aidées par Ledru-Rollin, essaient sans succès de prendre le contrôle de la Belgique et de la Savoie.
Il est question aussi de libérer l’expression des idées progressistes, ce qui conduit à amnistier les délits de presse, à supprimer le droit de timbre pour les journaux, qui se multiplient, du moins à Paris où deux cent quatre-vingt (280 !) nouveaux journaux sont lancés à entre février et juin 1848. Après cette date, tout change. Les fonctionnaires et les magistrats peuvent désormais s’exprimer librement, tandis que l’obligation de prêter serment est supprimée.
Comme on peut s’en douter, les conséquences économiques de ces actes généreux se révèlent rapidement coûteuses. La consommation chute, l’argent est retiré des caisses d’épargne, les impôts ne rentrent plus. Il faut relever l’intérêt sur les dépôts des caisses d’épargne pour enrayer les retraits, ce qui n’empêche pas la rente à 5% de s’effondrer lors de la réouverture de la Bourse, le 8 mars 1848, passant de 116,10 à 75 francs. Mais il faut se résoudre à vendre les diamants de la couronne et finalement réduire de moitié le salaire des ouvriers embauchés dans les Ateliers Nationaux qui passe de 2 à 1 francs, compte tenu de l’affluence des candidats. Au 15 avril, on comptera quarante mille ouvriers embauchés. Mais déjà, le 16 mars, les impôts de 1848 sont surtaxés de quarante-cinq pour cent, une mesure qui pèsera lourd dans le vote des électeurs.
Aussi, malgré toutes ces mesures apparemment positives et l’instauration du suffrage universel, la gauche craint-elle de ne pas recueillir l’assentiment des électeurs. C’est pourquoi, quelques jours avant le scrutin, Ledru-Rollin envisage t-il, lors d’une réunion chez Georges Sand, à laquelle participe aussi Barbès et Flocon, d’organiser un coup d’État pour contrer la victoire électorale des républicains modérés qui se profile. Mais lorsqu’il apprend les projets sanglants de Blanqui le Pugétois et de ses acolytes Cabet et Raspail, il prend peur et aide Lamartine et Marrast à contrer une manifestation insurrectionnelle organisée le 16 avril par la gauche, une semaine avant les élections.
Comme le redoutaient les conjurés, les élections du 23 avril à l’Assemblée nationale constituante, effectuées au suffrage universel et au scrutin par liste, sont largement favorables aux républicains modérés, qui obtiennent la majorité des sièges. Les 900 élus de la nouvelle assemblée comptent un peu moins de 500 républicains modérés, 200 orléanistes, 100 légitimistes et 100 républicains de gauche et socialistes. La participation a été de 84% des inscrits, soit 7385 327 votants sur 9395 035 inscrits.
Et pour cause.
LA RÉPUBLIQUE ROUGE DANS SES OEUVRES
LAMARTINE DEVANT L'HÔTEL DE VILLE DE PARIS, LE 25 FÉVRIER 1848
Fin février 1848, la foule réclame la proclamation de la République.
Elle l’obtient, mais ce rassemblement, assez à gauche ma foi, veut aussi l’adoption du drapeau rouge. Lamartine s’y oppose, en utilisant le moyen du discours:
« Citoyens! vous pouvez faire violence au Gouvernement, vous pouvez lui commander de changer le drapeau de la nation et le nom de la France, si vous êtes assez mal inspirés et assez obstinés (...) pour lui imposer une République de parti et un pavillon de terreur. Le gouvernement, je le sais, est aussi décidé que moi-même à mourir plutôt que de se déshonorer en vous obéissant.(...) Je repousserai jusqu'à la mort ce drapeau de sang, et vous devez le répudier plus que moi, car le drapeau rouge que vous nous rapportez n'a jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple, en 91 et 93, et le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie. »
Il obtient gain de cause, en faveur des trois couleurs.
Le gouvernement révoque tous les préfets, dissous la Chambre des députés et supprime la Chambre des pairs. Il promet d’instaurer le suffrage universel (pour les hommes car pour les femmes il faudra seulement attendre 96 années de plus) et proclame le droit au travail, comme s’il en avait le pouvoir.
Humant le sens du vent, les curés se déportent vers la gauche et se joignent à la foule, en chantant toutefois des cantiques.
Pendant ce temps, il ne se passe presque rien en province, comme si la révolution était l’apanage exclusif des Parisiens. Le gouvernement provisoire ne chôme pas, qui fait pleuvoir en rafale les mesures dans les jours qui suivent.
Dés le 27 février, la République est solennellement proclamée. Une semaine plus tard, une assemblée constituante est convoquée qui devra être élue au suffrage universel pour tous les Français de sexe masculin âgés de plus de 21 ans, ce qui fait passer le nombre d’électeurs de deux cent cinquante mille à neuf millions trois cent quatre vingt quinze mille.
Ces électeurs reconnaissants vont-ils voter à gauche ?
Le vote est prévu pour le 23 avril, à la demande de la gauche qui cherche à le retarder au maximum pour avoir le temps de peser sur le scrutin.
Les socialistes obtiennent que des emplois soient « créés » à Paris par l’État grâce à l’invention des Ateliers nationaux et que la durée du travail soit réduite, curieusement plus à Paris qu’en province. Politiquement parlant, ce n’est pas si curieux que cela car les ouvriers parisiens forment l’appui le plus précieux de la gauche socialiste. Aussi la durée du travail est-elle diminuée d’une heure, pour être ramenée à 10 heures à Paris et à 11 heures en province.
On voit donc que la création d'emplois aidés n’est pas une invention récente, pas plus que les combines politiciennes.
HIC ET NUNC
LE LEVIATHAN DE HOBBES
Le dernier blog s’est conclu par un postulat qui avançait que les experts n’étaient pas en mesure d’arbitrer entre les valeurs de référence de la société, parce que la décision politique obéissait à d’autres logiques.
En effet, l’expertise reste un moment préalable à la décision proprement politique, mais elle ne peut pas la remplacer. Cette dernière obéit à d’autres logiques, notamment l’évaluation des rapports de force mais aussi les préoccupations de carrière des politiques.
Cependant une troisiéme objection à la décision technocratique est plus fondamentale. Justifier une décision politique par des considérations techniques, voire scientifiques suppose une représentation du réel intemporelle, hors sol. Or, prendre une décision politique implique une mise en situation spatio-temporelle particulière et irréductible à tout autre situation du même type. C’est toujours ici et maintenant, dans un contexte historique, culturel, géographique, social donné, que le politique prend sa décision.
On ne saurait donc décider qu’un choix politique sera préférable au choix opposé sans tenir compte de la particularité des circonstances. Qui peut donc avoir la prétention de déduire une décision particulière à partir d’un savoir scientifique général ?
Si le passage de la rationalité du savoir à celle du pouvoir est malaisé, il est nécessaire de revenir sur la question de la justification de la décision politique et donc sur les fondements de son autorité.
Car, si l’on prend acte de ce que le savoir accumulé ne dispense pas de décisions qui ne découlent pas de ce savoir, il faut accepter de convenir que la décision politique n’a pas de fondements rationnels, qu’elle est autonome, qu’elle ne renvoie qu’à elle-même. Par conséquent, son symbole ne se niche pas dans le cabinet d’experts, il se situe dans l’homme politique lui-même, dans son charisme qui en fait un leader.
Certes, la complexité des sociétés nécessite l’intervention d’experts qui sont chargés de proposer les moyens les plus appropriés à la réalisation des fins mais le choix de ces fins ne renvoie qu’au leader et à la liberté de son pouvoir de décision.
Dés lors, la décision politique échappe à toute forme possible de rationalisation, révélant que toute tentative de rationalisation du pouvoir n’est qu’une pseudo-raison, renvoyant au libre arbitre du politique à qui il appartient de décider.
Si vous voulez des exemples, prenez donc toutes les décisions politiques récentes, de la guerre en Libye à la réforme du droit du travail en passant par le mariage pour tous et examinez-les du point de vue de leurs pseudos justifications rationnelles. Vous constaterez qu’elles ne peuvent être légitimées que par des valeurs dans le meilleur des cas ou au pire par des calculs politiciens, mais jamais au nom d’une rationalité scientifique qui s’imposerait au décideur et à ceux qui subissent ses décisions.
Or, si l’autorité politique ne peut pas se fonder sur la rationalité des choix, elle est renvoyée à la formule du Léviathan de Hobbes :
Auctoritas non veritas facit legem
Fonder une deuxième République?
LEDRU-ROLLIN, L'UN DES PRINCIPAUX ACTEURS DE LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER 1848
Avec mon blog du 20 février 2016, j’ai achevé une série de blogs sur la Restauration avec le renversement de la Monarchie de Juillet le 24 février 1848, à la suite d’une émeute, une de plus. Ce ne sera pas la dernière.
La précédente, en 1830, avait été manigancée par les orléanistes, les républicains n’étant ni assez forts, ni assez organisés, pour s’imposer. Les politiciens libéraux, républicains et royalistes, avaient mené une guérilla de dix-huit ans pour renverser le régime faiblement légitime de Louis-Philippe qui n’avait pas voulu leur concéder l’accroissement progressif du nombre d’électeurs.
Les nouveaux maîtres de l’État ont utilisé, comme toujours, l’inflammabilité de la rue parisienne pour imposer leur volonté au pays tout entier. On voit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, lorsque l’on constate que le régime actuel ne craint rien de plus qu’une manifestation dans les rues de Paris, pourvu qu’elle soit initiée par la gauche.
Ce qui est instructif, c’est que la Deuxième République a reproduit jusqu’à la caricature les débats qui agitent la France en ce début du XXIe siècle. Ces débats inquiétèrent si fort les électeurs qu’ils se précipitèrent dans les bras de Louis-Napoléon, qui leur paraissait susceptible de les sauver à la fois des griffes des bourgeois conservateurs et des féroces mâchoires des rouges.
Les quatre ans qui séparent Louis-Philippe de Louis-Napoléon donnent le spectacle de bourgeois républicains et conservateurs croyant se disputer le pouvoir, tandis que les révolutionnaires se chargent d’effrayer le bon peuple et que le petit-neveu de Napoléon arrive juste à temps pour ramasser la mise.
Une histoire lourde d’enseignement pour les temps modernes.
Le 24 février 1848, Louis-Philippe abdique donc au profit de son petit-fils, le comte de Paris. Tandis que les députés débattent de l’organisation de la régence, les insurgés envahissent le Palais-Bourbon.
Le régime a vécu.
L’abdication de Louis-Philippe contraint la classe dirigeante, qui tient à continuer à l’être, à se rallier à la République. À l’appel de Lamartine, les députés approuvent la formation d’un gouvernement composé de républicains modérés, avec Arago, Ledru-Rollin, Garnier-Pagès, Crémieux, Marie, Dupont de l’Eure et Lamartine lui-même. Ledru-Rollin (1807-1874) est chargé de nommer des Commissaires généraux qui, dans les départements, doivent remplacer les Préfets, à qui il confère, comme sous la Convention, des pouvoirs illimités. Il s’agit pour ces Commissaires généraux de préparer les élections face aux notables provinciaux.
Mais les insurgés ne sont pas tous satisfaits. Ils constituent un autre gouvernement, plus radical, qui s’installe comme d’habitude à l’Hôtel de Ville de Paris.
Vers minuit, ce 24 février 1848, un compromis est trouvé entre les deux gouvernements pour constituer un gouvernement d’union qui intègre Armand Marrast, Flocon, Louis Blanc et le mécanicien Albert en tant que secrétaires d’un gouvernement qui ne proclame pas encore la république, mais qui déclare la « vouloir ».
Dés le 25 février 1848, ce gouvernement prend ses premières décisions au milieu d'une foule qui réclame la proclamation de la République.
L'AUTORITÉ DU POLITIQUE QUI SAIT
LE POLITIQUE QUI SAIT CE QU'IL FAUT FAIRE ET COMMENT LE FAIRE
Dans un blog publié le 19 janvier dernier, j’interrogeais les fondements de l’autorité de l’homme politique, sans cesse requis de convaincre le peuple qu’il respecte l’esprit de la pièce qu’il joue et dont le peuple est censé être l’auteur.
Le moyen dont dispose l’homme politique pour convaincre le peuple du bien fondé de ses actions consiste à justifier l’objectif qu’il poursuit par ses jugements de valeur et à revendiquer son savoir-faire pour les mettre en œuvre. « Mon ennemi, c’est la finance » revendiquait hautement François Hollande en guise de jugement de valeur et implicitement il se faisait fort, une fois au pouvoir, de prendre les moyens pour lutter contre…
Pour ce faire, le politique prétend se fonder sur un savoir. Les valeurs et les moyens qu’il invoque sont supposés provenir du progrès des connaissances. C’est pourquoi il cherche toujours à décrédibiliser les discours de ces adversaires en les qualifiant de passéistes ou d’irréalistes.
Lui revendique d’être rationnel et même d’être doublement rationnel. Tout d’abord, Il dispose d’une rationalité théorique fondée sur la science. Par exemple, il est forcément écologiste parce que la science nous renseigne sur les dangers de l’activité humaine pour son environnement.
Ensuite, il est rationnel en pratique, ce qui justifie le choix qu’il a fait de l’activité politique. Par exemple, les politiques français justifient le cumul des mandats en tant que nécessité de connaître intimement la réalité concrète des territoires tout en agissant au niveau national.
Le politique est donc celui qui sait et qui sait faire.
Selon une conception du pouvoir clairement technocratique, il prend ainsi témérairement le contrepied de l’interdit que Hume a posé contre toute démarche allant du savoir au devoir…
Ce recours à la compétence justifie des cabinets, souvent pléthoriques, où oeuvrent des conseillers techniques, qui sont par définition des experts détenant les connaissances nécessaires à l’élaboration des décisions, y compris sur l’état de l’opinion et sur les moyens de la convaincre. D’où l’omniprésence de gourous de la communication qui entourent nos politiques. De même, malgré nombre d’échecs patents, l’appel récurrent à des personnalités issues de la société civile pour exercer le pouvoir politique est justifié par la connaissance scientifique ou technique qu'ils ont d’un domaine d’exercice du pouvoir.
Le politique dispose de l’autorité qui lui a été confiée par le peuple, mais il prétend la dépasser en disposant d’un surcroît d’autorité provenant de sa compétence. C’est une tradition qui remonte à la République de Platon et qui s’est épanouie au travers des utopies du XIXe siècle, du positivisme d’Auguste Comte, du socialisme scientifique de Marx jusqu’aux certitudes de l’économie de marché globalisée d’aujourd’hui.
Dans cette perspective, l’homme politique est justifié par ses certitudes fondées sur la science, ce qui lui fait proclamer qu’il n’y a pas d’alternative à ses décisions, puisqu’il détient la vérité.
Or, on peut observer qu’une telle approche de la politique est fondamentalement optimiste, puisqu’elle s’appuie sur la conviction que les progrès des connaissances permettent de rationaliser les décisions politiques.
Ce qui fait que cette vision du pouvoir politique prête à débat, car elle présuppose que l’État n’est qu’un vaste appareil administratif rationalisé. Il est vrai qu’une tradition de pensée issue des Lumières a longtemps cru que plus une société serait rationnelle mieux elle assurerait à la fois le bonheur et la dignité de ses membres.
Or, l’histoire a montré que la rationalisation du pouvoir conduisait à des monstruosités. De plus, la rationalisation du pouvoir n’annule pas la problématique de la décision, tant les désaccords sur les choix ultimes subsistent. Par exemple, les impératifs de la modernisation de l’économie sont dictés par des choix qui font appel à des valeurs de référence, telles que la rentabilité ou la confiance dans l’avenir, des valeurs qui s’opposent à d’autres valeurs comme la solidarité ou la tradition.
Ce n’est donc pas au pouvoir des experts d’arbitrer entre les valeurs de référence de la société, car la décision politique obéit à d’autres logiques.
FACE AU JURY
L'HOMME RÉVOLTÉ, UN OUVRAGE FONDATEUR.
C’était évidemment une étape importante pour moi, cette convocation par le jury du CNU 06 qui allait décider de mon recrutement éventuel comme Maitre-Assistant en Sciences de Gestion en cette journée de janvier 1980.
En me rendant au rendez vous qui m’était fixé au 45 rue des Saints-Pères dans le sixième arrondissement, je ne savais pas qu’elle allait se révéler encore plus importante pour mon avenir que je ne le pensais.
J’entrais dans le bâtiment pour suivre les flèches « CNU » jusqu’à un contrôle d’identité et une salle d’attente. L’heure de convocation était fixée à dix heures, mais le jury était en retard. L’attente, s’ajoutant à l’enjeu, me rendait progressivement nerveux. Au bout d’un moment assez long, vingt minutes peut-être, je vis un jury rigolard passer devant moi, qui sortait se détendre et boire un café.
Ils s’en fichaient de me faire patienter. Ma nervosité se transformait progressivement en agressivité. Je me persuadais que mon avenir ne procédait pas des quelques minutes de confrontation qui m’attendaient, qu’il ne dépendait que de moi, de ce que j’étais, de ce que je voulais…
J’entrais enfin dans la salle, animé, on l’a compris, par un sentiment de révolte. Le jury était composé d’une vingtaine de personnes que je connaissais en grande partie pour les avoir rencontrées dans des colloques ou dans des réunions de recherche. Je supposais que l’un d’entre eux au moins allait m’écouter avec bienveillance, le Professeur Xavier Boisselier, qui avait été le Directeur de mon IAE et l’un des membres de mon jury de thèse.
Je présentais en une vingtaine de minutes mes travaux, dont le morceau de bravoure était constitué par ma thèse sur le « Système fiscal et choix de la firme », complétée par quelques articles. Vinrent les questions des membres du Jury.
La dernière d’entre elles détermina grandement la suite de mon existence professionnelle.
Un professeur que je connaissais assez bien me demanda, de manière inattendue, si j’avais intégré dans mes analyses le concept d’impôt négatif. J’étais déstabilisé par sa question qui sortait du cadre de mon approche de la fiscalité des entreprises. Défensivement, je lui répondis en lui demandant de préciser ce qu’il entendait par « impôt négatif » car, autant que je me souvenais, ce concept, comme beaucoup, avait donné lieu à plusieurs approches. Ce fut à son tour d’être surpris, car il avait posé cette question sans trop y réfléchir.
Il resta quelques instants silencieux avant de prononcer quelques phrases confuses. Je lui répondis froidement que, lorsque l’on ne connaissait pas la signification d’un terme scientifique, il était préférable de s’abstenir de poser une question à son propos.
La stupeur saisit la vingtaine de membres du jury du CNU, qui me regardèrent en silence. Pour faire bonne mesure, je m’adressai à eux avec une arrogance perceptible pour leur demander s’ils avaient d’autres questions à me poser, ce qui sous-entendait que j’attendais d’eux des questions plus pertinentes. Après quelques instants d’un silence pesant, le Président me répondit que non, personne n’avait de questions supplémentaires à me poser. Je ramassais derechef mes affaires, je les saluais et je sortis.
L’affaire tourna du bon côté, je l’ai appris le lendemain. Le jury décida de se moquer de l’auteur de la question sur « l’impôt négatif ». Ils plaisantèrent en lui faisant remarquer qu’il s’était bien fait moucher avec sa question floue. Ils auraient pu tout aussi bien décider que mon arrogance était vraiment insupportable et me renvoyer, moi et mes humeurs, à la session de l’année suivante afin que je comprenne la notion de respect du jury.
Mieux encore pour moi, le jury décida, non seulement de proposer ma nomination à la fonction de Maitre-Assistant à l’IAE de Nice à l’unanimité, mais en outre de me classer officieusement tout à fait en tête de la centaine de candidats examinés au cours de la session 1980 du CNU. J’avais gagné le jackpot, mais, je le répète pour que mes lecteurs ne croient pas que je recommande une telle stratégie qui n’était que le résultat non calculé de mes émotions, l’affaire aurait pu tourner très mal.
De mon côté, tout à mon humeur arrogante, je me souviens que je sortis de la salle absolument convaincu que j’avais emporté le morceau, à tel point que j’affirmais peu après à Luc Boyer avec qui j’avais rendez-vous, que, bien sûr, tout s’était bien passé et que j’allais être assurément recruté, mais sans toutefois lui en conter les détails.
On le voit, en apparence du moins, je ne doutais de rien.
À SUIVRE
SURMONTER L'ÉCHEC
LE POUVOIR EST TOUJOURS UNE DROGUE
Ceux qui suivent cette rubrique personnelle de mon blog, se souviendront peut-être que j’ai publié un blog le 11 janvier dernier, intitulé « Démissionner, un acte périlleux », qui s’achevait par un échec surprenant pour la première étape locale de ma candidature aux fonctions de Maitre-Assistant.
Cet échec de ma candidature au niveau local était surprenant, humiliant même, compte tenu du niveau scientifique relativement élevé de mes travaux et de mes actions au service de l’Université qui consistaient à avoir créer et gérer l’Université du Troisième Age et à avoir tenté de développer le CEPUN.
Comme tout échec, c’était une excellente leçon à prendre qui appelait à ne jamais oublier l’importance de la jalousie dans les relations humaines face au risque que représente le renoncement au pouvoir pour celui qui accomplit ce geste audacieux, qui est aussi, il faut le reconnaître, une marque d’orgueil.
Car l’acte de démission, qui a joué un rôle important et positif dans ma vie à trois reprises et que j’ai souvent recommandé à mes étudiants afin qu’ils prennent le courage de conduire leur vie professionnelle plutôt que de la subir, est évidemment périlleux.
C’est en effet à la fois un acte de libération personnelle mais aussi une déclaration de guerre à ceux qui s’accrochent au hochet du pouvoir pour, au fond, se donner une raison de vivre. Ceux-là voient avec terreur arriver la fin de leurs fonctions, toujours provisoires, et au bout du chemin survenir le temps de la retraite, de l’oubli et de l’inaction. Plus d’ordres à donner, plus de réunions où les participants sont bien obligés de vous écouter, plus d’emplois du temps que l’on est contraint de respecter, plus d’air accablé de celui qui a une charge à assumer et parfois plus de subordonnés à harceler (lire sur ce sujet l’excellent ouvrage de Marie-France Hirigoyen, « le harcèlement moral »). Les drogués du pouvoir n’apprécient guère qu’on leur signifie frontalement, par l’acte de démission, la vacuité de leur projet de vie.
À l’époque, je devais bien être conscient du défi que j’avais ainsi lancé à certains de mes collègues, c’est pourquoi je ne fus pas excessivement surpris de la rebuffade que je venais de subir, ce qui fit que je me préparais sans état d’âme à la suite de ce qui était clairement un combat.
Il s’agissait en effet d’être recruté malgré l’opposition de ceux qui me l’avaient signifié.
La vraie bataille se jouerait devant le CNU 06, c’est à dire le Conseil National des Universités en Sciences de Gestion qui disposerait d’un rapport rédigé par deux de ses membres sur ma candidature et sur celle de la personne classée première par la Commission de Spécialistes de Nice. Ce Conseil, au contraire de la Commission de Spécialistes locale, était tenu de m’entendre, de me poser des questions et d’avoir mes réponses. Il se réunissait en janvier 1980, dans des locaux cédés à cet effet rue des Saints-Pères à Paris par la Faculté de Médecine au Ministère de l’Enseignement Supérieur.
Je préparais soigneusement mon exposé dans les semaines qui précédèrent et je me rendis à Paris à cet effet, mais aussi pour rencontrer mon homonyme et ami, Luc Boyer, qui était à l’époque Secrétaire du CDFG, le Cercle Doctoral Francophone de Gestion organisé par les Professeurs Sylvain Wickham de l’Université Paris Dauphine et Jacques Lebraty, Directeur de l’IAE de Nice, afin d’écouter et d’aider les doctorants en Sciences de Gestion.
Jacques Lebraty avait pris conscience que ma disponibilité récente pouvait être mise au service du CDFG. Il m’avait demandé de succéder à Luc Boyer, qui était accaparé par de multiples autres fonctions, dont celle de directeur du BTE (Bureau des Temps Élémentaires), dispensateur d’un fort programme de formation continue.
En ce mois de janvier 1980, mon programme à Paris était simple. Je devais me présenter devant le jury du CNU 06 le matin, rencontrer ensuite Luc Boyer pour mettre au point la passation de pouvoir entre nous, puis rentrer à Nice.
C’était une journée importante pour moi, car le soir je serai, soit Maitre- Assistant, soit recalé, c’est-à-dire rétrogradé parmi les assistants incapables d’être reconnus comme aptes à faire partie de la communauté universitaire, jusqu’à ce que leur persévérance à se présenter ait raison de la lassitude bienveillante des jurys.
À SUIVRE, NATURELLEMENT.