PAROLES ARMÉES II
L'OUVRAGE DE P.J. SALAZAR
J’ai essayé de montrer dans le blog précédent quel était l’enjeu de la bataille qui s’engage, en ayant pour objectif la destruction de l’État Islamique. À partir de cet enjeu, nous pouvons approfondir notre analyse à partir de l’ouvrage de P.J. Salazar.
Face à une conscience européenne, et singulièrement française, endormie par un demi-siècle de paix qui n’a été que vaguement troublée par des combats périphériques, Dae’ch a surgi au cœur de Paris pour assassiner de tranquilles citadins attablés aux cafés ou des spectateurs de chanteurs rocks et de matchs de foot.
Confronté au chaos provoqué par Dae’ch, P.J. Salazar s’attache à nous montrer où se situe ses forces, qu’il serait bien avisé de connaître avant de l’affronter.
Le discours de Dae’ch est un mélange de prédication religieuse et de harangue militaire qui galvanise, entraine et mobilise au nom de valeurs transcendantales, ignorées, voire niées par l’Occident qui s’en trouve empêché de comprendre ces « terroristes ».
Car ces derniers ne se qualifient naturellement pas ainsi. Ils se perçoivent comme des soldats de Dieu et de ses valeurs qui doivent maintenir puis élargir le Dar al-islam destiné à accueillir les musulmans opprimés ailleurs. Élargir, car la logique de son combat implique que ce territoire doive être agrandi par la conquête en fonction des opportunités, ce qui implique de mener en permanence une guerre « sainte » contre tous ceux qui ne se rallient pas à leurs thèses, musulmans sunnites mous, musulmans chiites et bien entendu non-musulmans.
Il est improductif de qualifier les Européens qui les rejoignent de « paumés », car ces derniers se voient plutôt comme des héros. Des héros parce qu’ils s’engagent pour une cause qui les transcende et qu’ils y mettent toute leur force et leur volonté au point d’y sacrifier leur vie. D’ailleurs, ceux qui les combattent sont frappés par leur absolue détermination.
Il faut donc être conscient de ce hiatus entre leur monde et le nôtre. Face à leur détermination d’une violence inouïe, nous recommandons le dialogue, la tolérance, l’amour. Face à leur grand dessein, nous prêchons pour le carpe diem et la consommation individuelle. Face à l’impératif de respect des commandements divins tels qu’ils les voient, nous sommes les avocats de la diversité, de la coexistence, du vivre-ensemble.
Comme nous nous refusons à reconnaître qu’il existe une différence fondamentale entre eux et nous, nous cherchons à tout prix à les inclure dans notre monde en les classant dans la catégorie des malades mentaux, fragilisés par les tares de notre société, le chômage, la discrimination, tares qu’il suffirait de corriger pour faire disparaître cette aberration : plus de crédits pour les banlieues ferait disparaître les partisans de Dae’ch qui deviendraient, ou redeviendraient, de doux pratiquants d’une religion musulmane apaisée ou « intégrée ».
Ce refus de reconnaître la différence, plus qu’une paresse intellectuelle, se niche dans la peur de ce monde d’affrontement et de violence qu’il faudrait identifier, justifier et organiser, un nouveau monde qui suppose de ranger dans les greniers de l’histoire notre période « bisounours ». Y consentir reviendrait à nous renier, à leur donner raison, nous dit-on.
En effet, nous sommes confrontés à un choix cornélien, nous adapter pour les combattre ou nous y refuser et capituler. Car P.J. Salazar relève que toutes les explications préfabriquées par les bisounours ne permettent pas de comprendre pourquoi des dizaines de milliers de personnes sont prêtes à mourir pour des idées que l’Occident croyait disparues.
Puis, parce qu’il est professeur de rhétorique, il s’emploie à décrypter l’arsenal de propagande de Dae’ch, ses vidéos sophistiquées, ses magazines sur papier glacé, ses sites Internet. Il explique le rituel de ce qu’il appelle le porno politique, ces scènes monstrueuses d’égorgement, de décapitation et de crucifixion. Il montre que, contrairement aux nazis qui cachaient leurs crimes, Dae’ch les diffuse en visant d’un côté à effrayer ses adversaires et d’un autre côté à enrôler de futurs combattants pour une lutte implacable. Montrer l’absolue violence démontrerait que la détermination sera absolue…
Il évoque la fascination des chants djihadistes, les nachids, psalmodiés d’une voix sourde par des chœurs masculins. Il note que la communication de Dae’ch utilise souvent un langage châtié, poétique et lyrique, loin de celui des banlieues. Voici par exemple un extrait de la revue Dar al-islam de janvier 2015, que l’on croyait réservé à Bossuet :
« Qu’en est-il donc de ceux qui s’allient à ces hommes sans foi, s’attristent de leur mort, se désavouent des héros qui ont appliqué le jugement du Seigneur sur ses ennemis ? Ils n’ont fait que faire apparaître leur hypocrisie, leur manque de foi et leur absence d’amour envers l’envoyé du Seigneur. »
Notez au passage qu’ « Allah » a été remplacé par « Seigneur » et notez aussi, songeur, à « leur absence d’amour ». Leur absence d’amour…
Afin que nous ne restions pas désarmés, P.J. Salazar nous incite donc au réalisme, avant de nous questionner sur les valeurs que nous voulons défendre, et défendre jusqu’à quel point ? La liberté de conscience ? La laïcité ? La chrétienté ? L’Europe ? La France ?
Puis il conclut en proposant une stratégie de négociation avec le califat. Car « que le calife meure, assassiné par un drone, ne changera rien : il aura un successeur. » En ce sens, dit-il, « le califat nous remet dans la realpolitik: apprendre à coexister belliqueusement avec l’ennemi et non seulement le contrecarrer sur le terrain avec la force qui s’impose, mais aussi le contrecarrer sur le terrain de la persuasion. ».
« Paroles Armées » nous rappelle ainsi qu’il faut tout d’abord identifier Dae’ch, inventorier ses forces et ses faiblesses et reconnaître en même temps les nôtres. Puis qu'il nous faut rassembler nos moyens pour le vaincre, avant de trouver un modus vivendi avec un integrisme qui aura abjuré le terrorime, car une forme ou une autre d'intégrisme restera, mais nous aussi nous resterons.
En somme « Paroles Armées » est une sorte de contrepoint à « Soumission » de Houellebecq, un livre qui ne nous renvoie pas une image névrotique de notre société prête à toutes les soumissions mais qui nous incite à la lucidité et à la mobilisation pour retrouver enfin le chemin de la puissance, avant de cohabiter en position de force.
PAROLES ARMÉES I
LE PORTE AVION CHARLES DE GAULLE
Après l’attentat du 13 novembre, la France s’interroge sur la manière de lutter contre le terrorisme de Dae’ch et plus globalement sur les moyens de vaincre cette organisation.
Un ouvrage de Philippe-Joseph Salazar, Paroles Armées, paru en août 2015, décrypte la démarche idéologique de Dae’ch afin que nous puissions à notre tour nous réarmer idéologiquement.
Directeur du Centre d’études rhétoriques à l’Université du Cap en Afrique du Sud, cet expatrié de soixante ans a concentré ses recherches sur les techniques d’éloquence et de persuasion politiques. Son livre présente deux années de recherche sur les messages que cherche à transmettre Dae’ch.
Il nous rappelle qu’en même temps que l’organisation de l'Etat Islamique en Irak et au Levant islamique (EEIL) se transformait en État islamique, cette dernière proclamait le 29 juin 2014 le rétablissement du califat, le régime politique islamique qui a été aboli par Mustapha Kemal Atatürk le 19 octobre 1923. Comme l’a souligné lors de cette proclamation le porte-parole de l'EIIL, le califat doit être « le rêve de tout musulman », en fait de tout musulman sunnite, ce qui fait qu’il est « désormais de leur devoir de prêter allégeance au calife Ibrahim », ainsi nommé en référence à son véritable prénom. Et de fait, de nombreux groupes islamistes jusqu’en Libye et au Nigeria se sont ralliés au califat.
En outre, il faut se souvenir qu‘Oussama Ben Laden invoquait régulièrement « la catastrophe d’il y a quatre vingt ans » qu’avait été la disparition du califat qui avait symboliquement régné sur le monde musulman sunnite depuis la mort de Mahomet. Il faut se souvenir aussi que le mouvement des Frères Musulmans qui naquit en Égypte en 1928, cinq ans après l’abrogation du califat, se donna pour mission de le rétablir sur toute « la terre d’islam ». Car le califat désigne «l’émir des croyants » qui succède au prophète Mahomet. Après les quatre premiers califes qui ont régné à sa suite, le califat a connu son âge d'or au temps des Omeyyades (661-750) et surtout des Abbassides (750-1517) avant de connaître sa fin, provisoire on s’en rend compte aujourd’hui, avec le démantèlement de l'Empire ottoman.
Aussi terroriste soit-il, l’État Islamique est avant tout une nouvelle structure destinée à rétablir le califat.
On comprend dés lors que ni les Frères Musulmans, ni le Président de la Turquie Recep Tayyip Erdogan, fondateur du Parti de la Justice et du Développement opposé à l’œuvre d’Atatürk, ni les dirigeants des États salafistes de l’Arabie Saoudite et du Qatar ne peuvent s’opposer au concept de califat promu par Dae’ch, même s’ils ne sont pas forcément en accord avec les méthodes du nouveau calife à la personnalité contestée, Abou Bakr Al-Baghdadi.
Il faut donc tout d’abord admettre que si nous nous opposons de fait à l’existence du califat, nous nous opposons non seulement à toute une nébuleuse de groupes terroristes, mais aussi à des États puissants qui sont encore aujourd’hui nos alliés théoriques, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar.
En contrepartie, nos alliés sont désormais les adversaires de toujours du califat, les chiites conduits par l’Iran, une partie des sunnites conduits par l’Egypte, les Kurdes, les Alaouites conduits aujourd’hui par Bachar El Assad et toutes les minorités chrétiennes d’Orient, tous soutenus par une Russie inquiète.
Il nous faut aussi admettre que les anglo-saxons engagés dans une politique d’équilibre au service de leurs intérêts pétroliers, mais aussi l’Allemagne engluée dans sa dépendance vis-à-vis de la Turquie ne nous apporterons qu’un soutien distant et frileux.
Nous devons enfin comprendre qu’il nous faudra prier pour la chute d’Erdogan et finir par bombarder les champs pétroliers d'Arabie Saoudite.
Vaste programme...
Ce n’est donc pas un petit combat qui s’engage et qui s’arrêterait avec l’effondrement de Dae’ch et le départ rêvé d’Hafez El Assad.
À SUIVRE
La Révolution de 1830, un tour de passe-passe
LE ROI LOUIS-PHILIPPE, ROI DES FRANÇAIS
Malgré la concession de Charles X qui retire les quatre ordonnances ayant mis le feu aux poudres, la révolte se poursuit.
Thiers entretient le feu en proposant une solution. Il fait placarder dans Paris une proclamation en faveur du duc d’Orléans : « Charles X ne peut plus rentrer dans Paris, il a fait couler le sang du peuple. La république nous exposerait à d'affreuses divisions, elle nous brouillerait avec l'Europe. Le duc d’Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution. Le duc d’Orléans ne s’est jamais battu contre nous. Le duc d'Orléans était à Jemmapes. Le Duc d’Orléans a porté au feu les couleurs tricolores, le duc d’Orléans peut seul les porter encore ; nous n’en voulons pas d’autres. Le duc d’Orléans s’est prononcé ; il accepte la Charte comme nous l'avons toujours voulue et entendue. C'est du peuple français qu'il tiendra sa couronne ».
Il est rejoint par soixante députés menés par Jacques Laffitte qui invitent le duc d’Orléans à venir à Paris pour être nommé Lieutenant du royaume. De leur côté, les républicains demandent à Lafayette de les aider à abolir la Royauté, pour la remplacer par une République.
Cette forte agitation incite le Roi Charles X à se retirer à Rambouillet le 31 juillet, laissant la place libre à Paris où une commission municipale forme un gouvernement provisoire.
De son côté, le duc d’Orléans accepte la Lieutenance générale du royaume proposée par les députés. Il paraît à l’Hôtel de Ville où Lafayette se rallie officiellement à lui, écartant du même mouvement l’hypothèse républicaine.
Le 1er août, le duc d’Orléans nomme un nouveau gouvernement provisoire et convoque les Chambres pour le 3 août. Deux rois s’opposent ce jour là, le Roi légitime à Rambouillet et un roi putschiste à Paris.
Le premier se décide le lendemain 2 août à céder au second. Charles X est effrayé par le maréchal de Maison qui est orléaniste. Ce dernier lui annonce qu’une offensive orléaniste se prépare contre lui ce qui le décide à abdiquer.
Il convainc en outre son fils d’en faire autant afin de se donner les gants de nommer régent le héros du jour, le duc d’Orléans, à charge pour lui de « faire proclamer l’avènement d’Henry V à la couronne », son petit-fils le duc de Bordeaux, âgé de dix ans.
Cette proposition de régence est rejetée par le duc d’Orléans qui déclare ne tenir son autorité que des représentants de la France.
Charles X jette alors l’éponge et se retire en Angleterre.
Le tour est joué.
Une fois de plus, le régime a été renversé par l’émeute, même si l’abdication du roi sauve vaguement les apparences. Certes, le régime a souvent modifié le système électoral des députés et de nombreuses conspirations montrent que les Bourbons étaient difficilement acceptés, ce qui n’était guère étonnant après vingt-deux ans de bouleversements politiques. Mais la Charte n’était pas si mauvaise : la France vivait sous un régime en grande partie parlementaire, qui fonctionnait.
Il est vrai cependant que le roi avait agi de façon particulièrement maladroite en juillet 1830, mais fallait-il pour autant que les parlementaires l’escamotent, lui, sa dynastie et son régime ?
Pour les politiciens de 1830, la souveraineté du peuple se limitait aux quelques centaines de personnes qui participaient au jeu politique, et qui décidaient de le modifier pour leur propre usage. N'en est-il pas toujours de même?
D’ailleurs, pendant que Paris se soulevait, le pays tout entier restait calme, à l’exception de Nantes, où il y eut des affrontements violents avec des manifestants. La population ne réclamait aucun changement de régime, si bien que les politiciens qui installent la monarchie de Juillet agissent dans le mépris absolu des souhaits de la population. Il leur restait donc à animer seuls la vie politique jusqu’à ce que la mécanique s’enraye à nouveau dix-huit ans plus tard.
Les politiciens qui organisent la révolution de juillet 1830 portent une très lourde responsabilité. En modelant le pouvoir politique à leur guise, ils reconnaissent que ce sont eux seuls qui le légitiment. Ils n’ont rien au-dessus d’eux, ni le roi qu’ils chassent, ni le peuple qu’ils ignorent.
La Révolution de Juillet abolit définitivement, en même temps que la dynastie des Bourbons, l’idée de légitimité comme garde-fou des politiques. Ces derniers sont désormais seuls entre eux, tant que la démocratie ne se sera pas imposée à eux. On l’attend encore.
LA RESPONSABILITÉ DES POLITIQUES
ÉMILE OLLIVIER, L'HOMME QUI FAISAIT LA GUERRE "D'UN COEUR LÉGER"
Pour excuser les actions des femmes et des hommes politiques, on dit souvent qu’un peuple n’a que les politiques qu’il mérite.
Cet aphorisme ne contient qu’une part de vérité. Les politiques ne dépendent qu’assez faiblement du peuple, même si les électeurs sont responsables de leur choix, parmi ceux qui leur sont proposés.
Car ce choix est limité, comme celui qui s’offrait aux dernières élections présidentielles. Le plus que pouvaient faire les électeurs pour changer le cours des évènements, presque rien bien entendu, était de changer la tête de l’exécutif et ils l’ont fait.
On peut aussi objecter que les politiques agissent en fonction de leur future réélection, donc des attentes des électeurs. Mais ces attentes, les politiques s’arrangent pour les orienter vers ce qu’ils ont à offrir et ils disposent pour ce faire de l’outil médiatique, d’autant plus prêt à les épauler que l’existence des journaux, des chaines de télévision et des radios en dépend totalement.
Si les politiciens agissent en gardant en lisière un peuple impuissant à orienter leurs choix, comme dans la Grèce de Tsipras, ils se trouvent en revanche investis d’une responsabilité qui dépasse un simple mandat du peuple lorsqu’ils décident d’altérer la vie des gens jusqu’à les faire tuer pour des causes qu’ils leur imposent.
En se cantonnant à la France, on peut citer nombre d’exemples historiques de décisions prises par les politiciens qui ont eu des conséquences énormes sur le peuple français et sur d’autres peuples qui en ont été les victimes collatérales:
Ainsi Charles de Gaulle porte la responsabilité d’avoir remis le pouvoir en Algérie au FLN.
Philippe Pétain et les députés qui lui ont donné les pleins pouvoirs portent la responsabilité de l’institution du régime de Vichy qui a collaboré avec le régime nazi.
Georges Clemenceau porte une part importante de responsabilité dans la deuxième guerre mondiale, en ayant été le principal acteur en 1919 du traité de Versailles considéré par le peuple allemand comme injustement vexatoire.
Raymond Poincaré porte la responsabilité, côté français, du déclenchement de la guerre de 1914 en ayant fait pression sur les Russes pour qu’ils mobilisent.
Emile Ollivier, chef du gouvernement de Napoléon III, porte la responsabilité directe de la désastreuse guerre de 1870 et ainsi de suite en remontant dans la chronologie de l’histoire de France, les décisions de Napoléon III, Napoléon 1er, Louis XIV…
Car on peut aujourd’hui encore s’interroger à juste titre sur le degré d’approbation par la population des décisions prises par les responsables politiques que je viens de citer:
Le peuple français était-il prêt en 1870 à faire la guerre à l’Allemagne pour tenter de l’empêcher de s’unir ?
Le peuple français était-il prêt à sacrifier un million quatre cent mille de ces jeunes hommes pour briser provisoirement la puissance de l’Allemagne, alors que, dans les urnes, il s’était prononcé pour la paix trois mois auparavant ?
Le peuple français, obnubilé par la « Der des der », voulait-il à ce point humilier le peuple allemand que ce dernier en devienne obsédé par l’annulation du traité de Versailles, de gré ou de force?
Le peuple français voulait-il, après une défaite militaire majeure et deux cent mille morts, collaborer avec l’Allemagne d’Hitler ?
Le peuple français voulait la paix en Algérie. Mais voulait-il la torture et la mort de cent à deux cent mille harkis ? Le départ précipité d’un million et demi de pieds noirs ? La rupture entre l’Algérie et la France ?
Ces quelques exemples mettent en lumière l’autonomie des politiques face au peuple dans leur prise de décision, car il est très difficile de les empêcher d’agir comme l’a tenté Jean Jaurès qui l’a payé de sa vie, qu’ils ont tous les moyens d’influencer la population et qu’ils peuvent, dans une certaine mesure, ignorer ses desiderata comme Sarkozy l’a montré avec le referendum sur la Constitution Européenne.
Au fond, les politiciens ont la maitrise du court terme tandis que le peuple en subit les conséquence sur le long terme, si bien que les hommes politiques ne se hissent à la hauteur des hommes d’États que lorsqu’ils sont capables de relier court terme et long terme.
Il me semble bien qu’aujourd’hui la société française est à la recherche de quelqu’un qui ressemble à un homme d’État.
L'AUTORITÉ DU FUTUR?
LEHMANN BROTHERS, LA PROMESSE DU PROGRÈS FINANCIER
L’autorité reposait sur la sacralisation du passé, qui s’efface rapidement. Il reste donc l’autorité du futur sur lequel cherche à s’appuyer la modernité.
Les modernes, depuis la révolution Galileo Copernicienne, ne se réfèrent plus à la tradition. Ils l’ont remplacé par la transmission du savoir, qui vise à maitriser la nature.
L’idée de progrès qui caractérise la période moderne implique en effet de croire en la capacité de l’homme à utiliser au mieux les potentialités du monde, ce qui conduit à faire de la perspective du progrès issu de l’action humaine le nouveau fondement de l’autorité.
Selon l’idée du progrès, l’homme est donc requis d’élaborer un projet, concept si cher à la gestion des entreprises, par lequel il organise le présent en fonction d’un futur attendu, espéré ou projeté, tandis que les acquis du passé s’éloignent toujours plus vite dans les brumes de ce qui est acquis, achevé et qui ne mérite plus que d’être oublié.
L’humanité est tenue d’inscrire son action dans une histoire porteuse de progrès et même de progrès en constante accélération. Le progrès ne peut en effet que progresser. Sinon, quel sens donner à un progrès qui ne progresse pas ou, pire, qui régresse ? D’où un nombre toujours croissant de chercheurs qui doivent sans cesse élargir notre champ d’action. D’où l’allégresse de découvertes porteuses de nouveaux horizons comme l’informatique ou d’un plus grand nombre de connections entre de plus en plus de cerveaux, comme Internet.
Mais, d’où aussi notre désarroi lorsque la recherche patine, en pharmacie par exemple, où lorsque l’accélération des acquis se transforme en désaccélération, comme en Europe ou même comme en Chine.
Le concept de progrès s’applique non seulement à l’humanité, mais à ses organisations. Ainsi l’entreprise doit coûte que coûte accélérer sa croissance, d’où la croissance externe qui consiste à dévorer son propre environnement et obtenir sans cesse des gains de productivité, sans hésiter à « dégraisser » son personnel.
Mais le progrès vers quel objectif ? Car si l’homme, auteur de l’histoire, est sommé de produire un but, de quoi s’agit-il ? Plus de croissance ? Plus de bien être ? Plus d’espérance de vie ? Jusqu’où ? Pour toujours ?
Ce sont des questions oiseuses pour celui qui doit faire l’histoire, sans avoir le temps de la penser, mais il ne peut évacuer la question de la finalité. Car, si l’homme ne s’appuie plus sur la tradition, il lui faut assumer la finalité, donc devenir démiurge, comme Hitler, comme Mao Tsé Toung, comme Pol Pot, mais aussi comme Georges W. Bush, ou plus modestement comme le patron d’une entreprise qui, tout d’un coup, bascule dans le vide, comme Lehmann Brothers en 2007.
En effet, la crise des Subprimes est emblématique de la crise du futur.
Les banques qui avaient lancé des produits monétaires « dynamiques » ont dû faire face à la stupéfaction de leurs clients qui pensaient avoir investi à court terme et sans aucun risque dans les titres les plus liquides, alors qu’ils ne pouvaient plus récupérer leurs fonds.
Jamais ils n'auraient cru prendre un risque en capital sur des titres de trésorerie à court terme. Ils découvraient que le concept de « dynamisme » recouvrait l'inclusion d'une partie du marché des crédits immobiliers américains risqués au sein de leur patrimoine « sans risque », sans qu'ils en aient jamais été mis informés.
Ont-ils continué à croire dans la finalité des banques ?
La promesse du progrès est-elle fiable, au point d’accepter que l’autorité du futur se substitue, dans ces temps modernes, à l’autorité de la tradition ?
Le dernier Roi de France cède, puis résiste, avant de céder encore
CHARLES X, DANS LE COSTUME DE SON SACRE À REIMS
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Villéle a finalement perdu son quitte ou double, Il démissionne le 3 janvier 1828.
Il est remplacé par un modéré, Martignac. Ce dernier ne peut gouverner, car il est en butte à l’hostilité du roi, des ultras et à la méfiance des libéraux, malgré les tentatives d’ouverture du gouvernement, notamment dans le domaine scolaire, puisque l’Université recouvre en avril 1828 son autorité sur l’enseignement primaire et qu’une ordonnance organise en juin 1828 un contrôle plus étroit des écoles secondaires ecclésiastiques. Pour se concilier, en vain, les libéraux et les ultras, une loi en faveur de la liberté de la presse supprime l’autorisation préalable, le 18 juillet 1828.
Mais Martignac n’a pas la confiance de Charles X, qui l’accule à la démission pour le remplacer par son ami le Prince de Polignac, le 8 août 1829.
Polignac est connu comme étant « l’homme de Coblence et de la contre-révolution » comme l’accuse dès le surlendemain le Journal des Débats qui engage aussitôt une campagne de presse contre lui et le Roi.
La défiance contre Polignac est telle que, quelques jours après l’ouverture de la session parlementaire, le 16 mars 1830, 221 députés adoptent une adresse de défiance contre le ministère qui met en demeure le Roi de renvoyer les ministres ou de dissoudre la Chambre.
C’est à ce dernier choix que se résout Charles X le 16 mai 1830, mais, au cours des élections qui suivent, l’opposition obtient 274 députés contre 143 pour le ministère.
Le Roi réplique à ce désaveu le 25 juillet en signant quatre ordonnances qui procèdent à une nouvelle dissolution, modifient le système électoral, convoquent de nouvelles élections pour le mois de septembre et suspendent la liberté de la presse. Il justifie dans l’exposé des motifs cette dernière ordonnance en dénonçant « la démocratie turbulente » qui « fausse les conditions ordinaires du gouvernement représentatif ». Les ordonnances sont publiées le lendemain dans le Moniteur.
À l’initiative de Thiers, quarante-quatre journalistes signent une protestation contre la suspension de la liberté de la presse, ce qui pousse quatre journaux d’opposition décident de paraître sans autorisation le 27 juillet. Des émeutes s’amorcent, menées par des artisans, des boutiquiers, des typographes, des étudiants tandis qu’une trentaine de députés réunis chez Casimir Perier décident de protester contre les ordonnances, sans toutefois soutenir l’insurrection armée.
Le 28 juillet, les émeutes s’étendent sur la rive droite de Paris. Les troupes de Marmont se regroupent autour du Louvre et des Tuileries, en attendant des renforts. On commence à évoquer le nom du duc d’Orléans. Le 29 juillet, Paris échappe en grande partie au contrôle de Marmont dont deux régiments font défection.
Le Duc d’Angoulême remplace Marmont à la tête des troupes regroupées autour de Saint-Cloud, où le roi et les ministres se concertent. Pendant ce temps à Paris, les députés reconstituent la garde nationale dissoute en 1827 et nomment La Fayette à leur tête. Une commission municipale est organisée pour maintenir l’ordre.
Le 30 juillet, Charles X cède en retirant les ordonnances et en nommant le Duc de Mortemart président du Conseil. La Révolution est-elle finie ?
LE JOUR DE GLOIRE
CE QUI RESTE DU THÉSARD APRÉS LA SOUTENANCE...
La soutenance de la thèse avait été fixée au 2 janvier 1979. Aussi, je profitais des fêtes de Noël afin de la préparer tout en prenant quelques vacances. Cette dualité d’objectifs allait s’avérer périlleuse.
Je passais quelques jours dans le Nord de l’Allemagne, peaufinant mes arguments dans des cafés où l’on diffusait de la musique classique. Il a fait beau et froid tout au long de mon séjour, sauf le matin de mon retour vers Nice...
Le samedi 30 décembre au matin, quelle ne fut donc pas ma surprise de retrouver ma voiture couverte d’une épaisse couche de neige qui continuait à tomber en abondance. Les portières de la voiture étaient soudées par la glace, au point que je dus me résoudre à y entrer par la porte du coffre!
Le blizzard s’était abattu sur la ville dans la nuit. Pas un véhicule ne circulait dans les rues. J'hésitais, mais je me risquais finalement sur l’autoroute où je me retrouvais à peu près seul, avec si peu de visibilité qu’il me fallut parfois sortir de la voiture pour la guider en marchant sur le côté, moteur au ralenti.
C’est peu d’écrire que j’étais inquiet.
Je me voyais bloqué sur l’autoroute, obligé d'attendre les secours et arrivant à Nice après la date de soutenance. Mais au bout de quelques heures passées à me frayer un passage au travers d’un éther cotonneux, je réussis à passer au-delà du front de la tempête, la neige cessa, la pluie prit le relais et j’atteignis Bonn.
J’avais échappé d’extrême justesse au blocus qui, d'aprés la radio, touchait désormais tout le Nord de l’Allemagne. J’eus à peine le temps de déjeuner que le front de neige me rattrapa. Il me fallut partir rapidement pour atteindre l’étape suivante, à Dijon, où je fus à nouveau rattrapé par la tempête pendant mon sommeil.
J’arrivais finalement l’après midi du 31 décembre à Nice où la vague de froid, certes atténuée, me rejoignit aussitôt. J’étais invité le soir à un réveillon pour le Nouvel An, où je me rendis en me promettant de n’y rester que jusqu’à minuit, mais pris par l’ambiance, je rentrais en définitive chez moi à cinq heures du matin.
Aux quarante-huit heures de conduite automobile dans des conditions difficiles, s’ajoutait la fatigue de la soirée du 31 décembre et mon intervention n’était pas encore prête !
J’y consacrais donc l’après midi du 1er janvier.
Puis vint le temps de la soutenance, le 2 janvier à partir de neuf heures du matin, qui se déroula dans l’auguste salle des thèses de la Faculté de Droit de Nice, aux murs tapissés de livres reliés de cuir.
Le jury était composé, outre mon directeur de thèse, le Recteur Jean-Claude Dischamps, du Professeur Xavier Boisselier, Directeur de l'IUT de Nice, du Professeur Jacques Lebraty, Directeur de l'IAE de Nice, du Professeur Karl Roskamp de la Wayne State University aux États-Unis et de Joseph Raybaud, Maître-Assistant à l'Université de Nice.
C’était un grand jury, qui a eu le mérite de lire une thèse obscure sur les relations entre la fiscalité française et les décisions des entreprises. Obscure, parce que dans ma rage de produire des démonstrations, j’avais littéralement truffé le texte de calculs et de formules qui devenaient de plus en plus complexes au long des pages, jusqu’à paraître absconses dans les derniers développements de la thèse.
Sauf mon directeur de thèse, ils n’avaient pas pu la parcourir en détail, mais j’eus la surprise de constater que le Professeur Boisselier avait tout de même réussi à relever une erreur de logique commise vers la page quatre cent, sur les six cent deux pages que j’étais parvenu à produire.
Autant que je me souvienne, le Jury me distribua au moins autant de compliments que de critiques. De mon côté, malgré la fatigue bêtement accumulée, j’étais assez concentré sur mon sujet pour faire face aux objections sans trop me démonter.
Une bonne vingtaine de mes amis étaient présents. Nous attendîmes ensemble le verdict, qui se révéla conforme à mes espérances : la thèse était soutenue avec mention très honorable et les éloges du Jury. Je recevrais ultérieurement le prix de la meilleure thèse 1978 décernée par la Faculté de Droit et de Sciences Économiques de Nice et le premier prix de thèse de la Ville de Nice.
J’étais heureux, fier, soulagé et bientôt déprimé. La thèse avait empli ma vie, même si je m’en étais bien souvent évadé. Il allait falloir vivre sans elle