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BONAPARTE HÉRITE DE LA RÉVOLUTION
BONAPARTE HÉRITE DE LA RÉVOLUTION
La suite du coup d’État du 19 brumaire ne fut que routine.
Les Cinq-Cents expulsés, le président des Anciens fit voter un décret constatant « la retraite » du conseil des Cinq-Cents et nommant une commission exécutive provisoire de trois membres remplaçant les Directeurs.
Bonaparte et Sieyès complétaient cette première mesure par une réunion hâtive d’une cinquantaine de députés qui votaient, sous la présidence de Lucien Bonaparte, leur reconnaissance à Bonaparte et aux autres généraux présents. De plus, ils nommaient Bonaparte, Sieyès et Ducos membres de la commission exécutive, qui porteraient désormais le titre de consuls.
Vers 4 heures du matin, le 20 brumaire (11 novembre 1799), deux commissions étaient constituées pour discuter de la nouvelle constitution avec les consuls.
Un mois plus tard le 15 décembre 1799, les trois nouveaux consuls, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun, présentaient leur constitution aux Français et ils proclamaient « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ! »: c'était beaucoup s'avancer !
La population fit le gros dos : elle avait désormais l’habitude des coups d’État. Mais cette fois-ci, l’armée prenait directement le pouvoir en la personne de Bonaparte, qui se représentait comme un miraculé, « sauvé de l'assassinat par les grenadiers du corps législatif Bonaparte parvient à déjouer un complot Jacobin liberticide et menaçant les propriétés ». Comme par miracle, les journaux reparaissaient le lendemain, la rente montait, les propriétaires se ralliaient à Bonaparte qui situait son action au-dessus des partis, ne se voyant « ni bonnet rouge, ni talon rouge ».
Déjà une telle solution institutionnelle était en filigrane depuis que l’armée s’était imposée comme le principal soutien du régime lors du coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797). L’intermède du Directoire s’achevait, qui avait réussi à générer trois coups d’État entre mai 1797 et novembre 1799, en raison du refus du Directoire d’accepter le verdict des urnes.
Plus précisément, le constat que les électeurs restaient plus que jamais royalistes était inacceptable pour des dirigeants politiques régicides qui craignaient pour leur vie, pour des généraux ivres des succès obtenus grâce à la levée en masse et pour des jacobins viscéralement opposés à la royauté, au nom de l’égalité et de l’anticatholicisme.
De ce fait, l’avis des électeurs, et plus encore du peuple, ne comptait pas, pire que cela, il devait être combattu. Pendant la période du Directoire, la réaction des électeurs bafoués s'exprime par une abstention massive de quatre-vingts dix pour cent d’entre eux.
En outre, le Directoire est résolument anti-catholique, au point d’encourager une pseudo religion, la théophilantropie, parce que le catholicisme est source de normes, de morale qui dérange l'idéologie du Directoire et parce qu'il est du côté des royalistes. La volonté d’affaiblir le catholicisme explique aussi les décisions d’encourager le protestantisme et le judaïsme prises par les divers gouvernants depuis le début de la Révolution. Si finalement le Directoire n’est pas comparable à la Terreur en termes de tentative de contrôle des esprits, ce n’est qu’affaire de circonstances et non pas volonté ou philosophie politique.
La culture du Directoire est celle du coup d’État, qui s'achève, lorsque son pouvoir vacille, par la remise du pouvoir à un militaire. Car la force du Directoire réside dans les énormes effectifs militaires dont il dispose. À la tête de ces troupes, des généraux qui savent ce qu’ils doivent à la République mais aussi ce qu’elle leur doit. Aussi est-il naturel que le plus ambitieux d’entre eux, qui se révèle être aussi le meilleur stratège, se hisse à la tête de l’État, car il faut retenir qu’il ne prend pas le pouvoir contre le Directoire, mais à sa demande.
L’arrivée de Bonaparte n'est donc pas une rupture avec la Révolution. La République demeurera jusqu’en 1814, car les hommes au pouvoir restent, les principes subsistent, mieux encore, ils sont appliqués avec plus de rationalité, sans que la Terreur ne s’avère toujours nécessaire pour faire obéir le citoyen à l’État. Bonaparte fit ce que les politiciens de la Révolution n’avaient pas su faire, une organisation centralisée et rationnellement organisée, à son service, et de ce point de vue un très bon système de gouvernement se mit en place à partir de 1800, dont tous les historiens louent la logique, la cohérence et la pérennité.
Mais Il est curieux qu’ils en fassent crédit à Bonaparte premier Consul, pour reprocher à Napoléon d’avoir dilapidé l’héritage, comme si le système que le premier avait mis en place n’avait rien à voir avec la série de catastrophes qui se sont abattues sur la France par la faute du second.
L’aventure de Napoléon Bonaparte est celle d'un fils de la Révolution. Du fait de son extraordinaire destin personnel, de son génie stratégique, de ses qualités d’organisateur, Napoléon rencontre le rêve collectif d’une nation qui impose sa volonté à l’Europe avant de succomber, victime du nombre, des erreurs stratégiques et de la fatalité.
Ceci posé, Bonaparte n’a servi qu’à prolonger de quinze années un système politique issu de la Révolution qui n’avait pas d’avenir, car il ne s ‘appuyait sur aucune base démocratique et qui ne s’enracinait dans aucune tradition. Son maintien pendant cette période a tenu à la peur des classes dirigeantes de perdre les biens acquis pendant la révolution, aux rêves égalitaires entretenus par le prolétariat urbain, à la puissance des armes et au génie industrieux de Bonaparte.
Les soldats l’ont suivi jusqu’à ce qu’ils n’aient plus la force de le porter, les ouvriers l’ont soutenu en vain et les classes dirigeantes, comme d’usage, l’ont abandonné dès que ses défaites militaires ont démonétisé son maintien au pouvoir.
À SUIVRE
UN COUP D'ÉTAT DE TROP
L’assassinat des plénipotentiaires français à Rastatt, le 28 avril 1799, fut le prélude à la reprise des combats face à une coalition qui comprend désormais la Turquie qui s’est jointe à l’Angleterre, l’Autriche, la Russie et Naples.
Les troupes anglaises débarquèrent en Hollande tandis que les Russes et les Autrichiens marchaient vers la Suisse. Ces offensives furent stoppées par le général Brune qui parvint à repousser le débarquement anglo-russe en Hollande et par le général Masséna qui battit les armées russes et autrichiennes à Zurich.
Tous ces événements militaires poussaient le Directoire à décréter une nouvelle levée en masse, l’armée française atteignant alors l’effectif considérable d’un million de soldats. Un emprunt forcé sur les riches fut institué pour équiper les nouvelles troupes, et une loi créa des listes d'otages dans chaque département.
Cette loi sur les otages, adoptée par les Conseils le 12 juillet 1799 (24 messidor an VII), prévoyait que les administrations des départements troublés par des assassinats politiques ou des émeutes pourraient arrêter comme otages les nobles, les parents d'émigrés et les ascendants des présumés coupables.
La situation politique devenait critique car l’agitation royaliste renaissait et risquait de provoquer en réponse, ce qui faisait craindre la réinstauration de la Terreur. Il fallait reprendre le contrôle. Pour se faire, en mai 1799, Sieyès remplaçait Reubell au Directoire, avec l’idée de modifier par le moyen désormais habituel d’un coup d’État, des institutions qu’il trouvait trop démocratiques (sic).
Son objectif était d’écarter aussi bien les royalistes que les jacobins, afin de faire régner l’ordre au profit du pouvoir. Mettant en pratique cet objectif politique, il commença par s’opposer à la poussée néojacobine avant de chercher à profiter du retour d’Égypte de Bonaparte, retour effectif le 9 octobre 1799, afin de l’utiliser pour un coup d’État qui lui permettrait de modifier la Constitution.
Le 18 brumaire An VIII (9 novembre 1799) au matin, tout était prêt. Les Conseils votèrent ce qu’on leur demandait, en particulier le Conseil des Anciens, qui fut appelé en catastrophe aux Tuileries à 7 heures du matin, pour apprendre tout de go que la République était menacée.
Affolés, les Anciens votèrent aussitôt un décret en quatre articles, décidant que « le Corps législatif est transféré à St Cloud, qu’il s’y réunira le lendemain à 12 heures, que toute autre délibération est interdite ailleurs et avant ce temps, que le général Bonaparte est chargé de l'exécution du présent décret et prendra toutes les mesures nécessaires pour la sûreté de la représentation nationale et que le général Bonaparte est appelé au sein du Conseil pour y recevoir le présent décret et prêter serment.»
Bonaparte, aussitôt nommé commandant de la garde nationale et de la 17e division militaire, se rendit devant le Conseil des Anciens, où il prononça un médiocre discours avant de prêter serment pour la sauvegarde de la République.
Au même moment, les généraux se réunirent sous la présidence de Lucien Bonaparte, qui leur fit connaître le décret des Anciens, suscitant quelques protestations. Ainsi qu’il en était convenu, Sieyès et Ducos démissionnèrent aussitôt, suivis par Barras. Les deux derniers Directeurs en fonction, Moulin et Gohier, refusèrent, également comme prévu, de démissionner et furent illico consignés au Luxembourg sous la garde de Moreau.
Au total, la journée du 18 brumaire s’était passé selon les plans. Des affiches sur les murs de Paris appelaient au calme et les bourgeois satisfaits faisaient monter la rente de plus d'un point.
Mais le lendemain 19 brumaire, les événements tournèrent à la confusion de Bonaparte.
Le château de St Cloud avait été préparé en hâte pour recevoir les Conseils qui devaient siéger, entourés par une troupe de 6000 hommes. Vers midi, le général Bonaparte surgit avec un détachement de cavalerie. À 14 heures, Lucien Bonaparte ouvrit la séance des Cinq-Cents. Mais les Anciens, qui avaient enfin compris qu’ils étaient manipulés, ne voulurent plus rien comprendre et suspendirent leur session afin de statuer sur le remplacement des trois directeurs démissionnaires.
Là-dessus, Bonaparte suscita l’hostilité des Anciens en pénétrant dans leur salle sans y être invité. Il ne fut pas mieux accueilli par le Conseil des Cinq Cent où il essuya des cris hostiles, perdit contenance et sortit de l'Orangerie.
De son côté, son frère Lucien tenta en vain de ramener le calme dans le Conseil des Anciens et quitta la salle pour rejoindre son frère. Ils se sentirent mieux au milieu des troupes qu’ils haranguèrent sans craindre d’être contredits. Lucien, plus entreprenant que son frère Napoléon, demanda aux gardes de « délivrer » la majorité des représentants d’une minorité agissante qu’il faut expulser : « Quant à ceux qui persisteraient à rester dans l'Orangerie il importe qu'on les expulse. »
Les grenadiers entrèrent dans l'Orangerie baïonnette au canon et expulsèrent les élus en cinq minutes.
De ce fait, le coup d'État parlementaire devenait un coup d'État militaire, qui échappait à son instigateur, Sieyès, pour bénéficier à son bras armé, les frères Bonaparte.
À SUIVRE
LE DIRECTOIRE DE LA BANQUEROUTE
La politique de force du Directoire le conduisit à redresser les finances de la République aux dépens des rentiers et des pays conquis.
Le Directoire organisa en effet "la banqueroute des deux tiers" qui reste jusqu’à ce jour l'unique banqueroute de la République. Le 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797), Dominique Ramel, ministre des Finances du Directoire, ferma le marché des titres publics et fit voter une loi annulant les deux tiers de la dette publique.
Il tentait ainsi de solder la dette publique et de rétablir l’équilibre des finances publiques après plusieurs années d’agitation révolutionnaire. Mais, comme les impôts ne rentraient pas, le Directoire redéfinit les contributions directes en établissant la contribution foncière, la mobilière, la personnelle, la patente commerciale ainsi qu'une célèbre contribution sur les portes et fenêtres. Il accrut également les droits d'enregistrement, un droit sur les tabacs étrangers, rétablit l'octroi à Paris et lança une batterie de recettes et de nouveaux impôts : une loterie nationale, un droit sur les chemins et un autre droit sur les hypothèques.
Ces mesures drastiques, si elles visaient à rétablir l’équilibre des comptes publics, eurent en contrepartie des effets négatifs : elles ruinèrent les petits rentiers touchés par « la banqueroute des deux tiers », accrurent le chômage et firent baisser les prix agricoles, plongeant les paysans dans la misère.
Mais, malgré ces mesures extraordinaires, les impôts rentraient difficilement alors que les victoires militaires, qui avaient permis de ponctionner les pays occupés, n'étaient plus au rendez-vous. Ces rentrées fiscales décevantes contraignirent la République à faire appel aux fournisseurs des armées pour boucler les fins de mois. Elle les paya en biens nationaux, ce qui créa de nouveaux riches et contribua à accroitre encore le discrédit du Directoire.
Alors que les royalistes avaient été exclus du pouvoir par le coup d’État du 18 fructidor an V (1797), ce fut l’opposition jacobine qui remporta les élections de Germinal an VI (avril 1798), du fait des difficultés économiques. Les néo jacobins obtinrent en effet, avec la faible participation électorale désormais habituelle, trois cents sièges sur les quatre cent trente-sept à pourvoir.
Le Directoire, mis à nouveau en minorité, cette fois-ci sur sa gauche, fit montre d’une grande inventivité pour contourner le suffrage des urnes. Pour y parvenir, il fit purement et simplement annuler, par le biais d’une commission ad hoc, toutes les élections qui pouvaient être dangereuses pour son pouvoir. Comme cette décision fut prise par la loi du 22 floréal an VI (11 mai 1798), l’on appela les cent vingt-six députés invalidés les « floréalisés ».
Les députés jacobins rescapés furent sélectionnés par les Conseils, qui choisirent les têtes qui leur revenaient, ce qui ne rendit pas ces derniers plus indulgents pour le Directoire. Au nom de la lutte contre la corruption, ils prirent pour cibles principales Barras et Reubell,. Les citoyens étaient d’autant plus sensibles à ce mot d’ordre que l’hiver 1798-1799 fut d’une exceptionnelle rigueur, rendant la vie de chacun difficile.
Aussi les élections suivantes, celles de l'an VII (mars avril 1799), se révélèrent encore plus mauvaises que celles de l'an VI. Elles concernaient trois cent quinze députés et comme presque tous les députés «floréalisés » l’année précédente furent réélus, le Directoire se sentit impuissant à réagir contre une poussée électorale aussi spectaculaire. La pression des Cinq-Cents s’accrut ; ils exigeaient du Directoire des explications sur sa politique, contraignant La Révellière-Lépeaux et Merlin de Douai à la démission. Quant aux néo-jacobins, ils préconisaient désormais une politique de salut public, leur sanglante marotte.
Le Directoire se trouvait en outre face à des difficultés militaires. Les victoires de la Convention, puis du Directoire, avaient complètement modifié la situation stratégique, donc politique, économique et sociale de la France.
Il fallait désormais compter avec les généraux sur le plan politique, intégrer le flux de ressources financières émanant des territoires conquis et voir se développer une classe sociale formée des innombrables militaires envoyés ou revenus du front.
Les victoires militaires avaient en effet permis d’installer en Italie des « républiques sœurs », cisalpine, ligurienne, romaine et même parthénopéenne. La Suisse avait été transformée en République helvétique et la Hollande en République batave.
Déjà à l’avènement du Directoire, la France de 1795 était nettement plus étendue que celle de 1789. Depuis sa prise de pouvoir, il s’y ajoutait Avignon, la Savoie, Nice, les anciennes enclaves allemandes, l’évêché de Bâle et les ex-Pays-Bas autrichiens, ce qui représentait 580 000 km2, soit plus qu’aujourd’hui. La République comptait alors environ 32 millions d’habitants, dont 28 millions sur le territoire de l’ancien royaume.
Mais, pendant l’hiver 1798-1799, une nouvelle coalition dirigée contre la France s’ajouta à des insurrections royalistes en divers points du pays. À l’été 1799, la situation militaire était devenue critique, car les conquêtes de la République engendraient dans les pays conquis de multiples mécontentements, sociaux, nationalistes et religieux. En Belgique, une guerre des paysans dut être réprimée. En Suisse, les ruraux catholiques menaient une guerre d’embuscade. En Calabre, les insurgés chassaient progressivement les Français, qui perdirent Naples. Dans toute l’Italie, les insurrections et les coups de main tenaient les troupes en alerte. Le Directoire tenta en vain un débarquement en Irlande alors que Bonaparte se trouvait en difficulté en Égypte où il avait subi une défaite navale et s’enlisait dans un conflit avec les Turcs.
La situation devenait critique sur le plan militaire.
À SUIVRE
LA DICTATURE GAUCHISTE DU DIRECTOIRE
LA DICTATURE GAUCHISTE DU DIRECTOIRE
Les trois Directeurs de gauche ont donc préparé un coup d’État contre les Conseils avec le soutien des généraux, qui étaient clairement opposés au retour du roi et avec celui des éternels Jacobins, toujours prêts à brandir la violence révolutionnaire.
Pour l’organiser, la majorité du Directoire fit d’abord appel à Hoche, puis à Augereau qui contrôla, le 4 septembre 1797 au matin, les abords des Tuileries, ferma les barrières de Paris et fit arrêter les Députés et Directeurs identifiés comme opposants.
Ils étaient soutenus d’une part par les Jacobins, qui « considéraient le régime légal comme une concession faite aux contre-révolutionnaires, et ne voulaient que vengeance et proscriptions », ainsi que par les armées « comblés d'honneurs, gorgés d'argent, repus de plaisirs » (Michelet).
Quant au général Bonaparte, « Ses premiers succès avaient tous été remportés contre la faction royaliste, soit devant Toulon, soit au 13 vendémiaire ». En outre, « Que pouvait faire un roi pour sa destinée ? » (Michelet). C'est pourquoi, il choisit l'anniversaire du 14 juillet pour s’agiter en faisant rédiger des adresses hostiles aux royalistes et en promettant des fonds pour aider à la réalisation du coup d'État.
De leur côté, les royalistes pressaient Pichegru d’agir pour faire face au danger, mais ce dernier ne disposait d’aucun moyen significatif pour le faire.
Il ne restait plus au Directoire qu’à franchir le Rubicon, ce qu’il se décida à faire le 3 septembre 1796. La veille, Barras informa Rewbell et La Révellière-Lépeaux, puis fit rédiger, imprimer et afficher sur les murs de Paris des proclamations annonçant qu'un grand complot avait été formé contre la République. Vers minuit, Augereau disposa toutes les troupes de la garnison, avec une artillerie nombreuse, autour du Palais Législatif.
Mais nombre de députés, quoique avertis, voulurent tout de même se rendre à leur poste le lendemain, en se présentant, leurs présidents en tête, aux portes du Palais Législatif. On leur en refusa l'entrée et ils furent dispersés. Un certain nombre d’entre eux furent arrêtés et conduits au Temple. Les députés restants délibérèrent sous la surveillance de l'armée. Sous la contrainte militaire, ils durent « corriger » les élections dans quarante-neuf départements, ce qui leur permit d’éliminer cent quarante députés. Les élections aux administrations locales furent cassées dans cinquante-trois départements et remplacées par des nominations. Quarante-deux journaux furent supprimés et les lois contre les immigrés et les prêtres réfractaires furent remises en vigueur.
En outre, soixante-cinq « fructidorisés » furent condamnés, sans jugement, à la déportation, parmi lesquels figuraient les Directeurs Carnot et Barthélemy, les généraux Pichegru et Miranda, onze membres des Cinq-Cents et quarante-deux des Anciens. Huit moururent en déportation, les autres s’échappèrent et rentrèrent, qui en France, comme Pichegru et Barthélemy, qui en Suisse comme Carnot.
Les places des députés destitués restèrent vacantes. Les émigrés qui étaient rentrés en France durent quitter le pays dans les quinze jours. Les lois qui rappelaient les prêtres déportés, qui les dispensaient du serment et les obligeaient à une simple déclaration, furent rapportées et on procéda à des déportations massives de prêtres.
Tandis que les patriotes des faubourgs trouvaient la déportation trop douce pour les condamnés, la masse de la population, échaudée par les massacres qu’avaient engendré les révoltes précédentes, se soumit et se réfugia dans l’abstention qui caractérise toutes les élections depuis les toutes premières en 1791 qui connurent en moyenne une participation de dix pour cent.
Car si les trois Directeurs avaient fait ce que l’armée et les faubourgs attendaient d’eux, la majorité des électeurs se voyaient une nouvelle fois floués. Le coup d'État de Fructidor confirmait qu’il était désormais normal pour les politiciens de ce nouveau régime politique instauré une fois de plus de force, de violer la Constitution, la Loi et la Souveraineté de la Nation. On voyait désormais des conseils délibérants sous la menace des soldats, des généraux appelés à se prononcer, des élus déportés, la presse supprimée.
Dans le même esprit, le 20 janvier 1798 le général Berthier occupait Rome et enlevait le Pape Pie VI pour le déporter à Florence, avant de le transférer à Valence où il mourut.
Pie VI avait eu en effet le courage de s’élever contre la condamnation et l’exécution de Louis XVI, et il paya de sa vie ce courage. Je ne résiste pas à la tentation de vous livrer un extrait du discours, un discours que le Pape avait prononcé à la suite de la décapitation du Roi Louis XVI :
« Les philosophes effrénés entreprennent de briser les liens qui unissent tous les hommes entre eux, qui les attachent aux Souverains et les contiennent dans le devoir. Ils disent et répètent jusqu’à satiété que l’homme naît libre et qu’il n’est soumis à l’autorité de personne. Ils représentent, en conséquence, la Société comme un amas d’idiots dont la stupidité se prosterne devant les prêtres et devant les rois qui les oppriment, de sorte que l’accord entre le Sacerdoce et l’Empire n’est autre chose qu’une barbare conjuration contre la liberté naturelle de l’homme. Ces avocats tant vantés du genre humain ont ajouté au mot fameux et trompeur de liberté cet autre nom d’égalité qui ne l’est pas moins. Comme si entre des hommes qui sont réunis en société et qui ont des dispositions intellectuelles si différentes, des goûts si opposés et une activité si déréglée, si dépendante de leur cupidité individuelle, il ne devait y avoir personne qui réunît la force et l’autorité nécessaires pour contraindre, réprimer, ramener au devoir ceux qui s’en écartent, afin que la Société, bouleversée par tant de passions diverses et désordonnées, ne soit précipitée dans l’anarchie et ne tombe pas en dissolution. »
La pensée de Pie VI peut encore s’appliquer à nos contemporains !
À SUIVRE
LES ERREMENTS DÉMOCRATIQUES DU DIRECTOIRE
Il faut reconnaitre que, dans les premiers mois du Directoire, la liberté de la presse et la liberté religieuse furent respectées. Les importations de denrées améliorèrent les approvisionnements dans les villes, non sans aggraver la situation financière de l’État.
Le problème économique principal restait l'inflation, ce qui décida le Directoire à supprimer l'assignat. Une loi autorisa la création de mandats territoriaux qui pouvaient être échangés contre des assignats et permettaient d'acquérir les biens nationaux à des conditions très favorables. Ceux qui saisirent l’aubaine purent acquérir des biens nationaux avec des billets sans valeur et ils devinrent par conséquent des adversaires résolus du retour des immigrés.
À partir du 21 mars 1796, le franc seul eut un cours légal, fixé à cinq grammes d'argent. À l'inflation succéda la déflation ; les artisans se retrouvèrent au chômage et le Directoire ne parvint plus à payer les fonctionnaires. Il dut céder des propriétés nationales, vendre des biens nationaux aux enchères et se retrouva dans l'obligation d'emprunter partout, au dey d'Alger*, à des commerçants de Hambourg ou à divers financiers. Puis il trouva la solution à ses mécomptes financiers en prélevant de fortes contributions de guerre sur les pays conquis.
Quant au problème politique du Directoire, il se situait surtout à l’extrême gauche. Babeuf, qui faisait une critique radicale de la famille, de la religion et de la propriété fut arrêté et exécuté lorsqu’il fonda un comité insurrectionnel.
Enfin, le problème militaire conduisait à la recherche de la paix. La Convention avait déjà conclu la paix avec la Prusse, la Hollande et l'Espagne. Restaient l'Autriche et l'Angleterre qui refusaient de voir la rive gauche du Rhin sous contrôle français. Pour obtenir une paix favorable, Carnot proposa de lancer une manœuvre de diversion en Italie du Nord, tout en menaçant Vienne avec deux armées sur le Rhin et le Danube. Grâce au génie militaire de Bonaparte qui, avec peu de soldats et de moyens, obtint des victoires stratégiquement déterminantes, la diversion italienne se transforma en victoire décisive, pendant que les armées françaises piétinaient sur le Rhin.
La campagne d'Italie permit donc de signer, le 17 octobre 1797, le traité de Campo-Formio qui donnait à la France les Pays-Bas, la frontière sur le Rhin, la place forte de Mayence et les îles Ioniennes, tandis que l'Autriche recevait une partie de la Vénétie, l'Istrie et la Dalmatie et reconnaissait la république Cisalpine. Il créait cependant un problème politique car il avait été signé directement par Bonaparte, et non par le Directoire.
Auparavant, les élections d'avril 1797 avaient bouleversé la situation politique: elles furent en effet une catastrophe pour les Conventionnels, dont onze d’entre eux seulement furent réélus sur deux cent seize députés.
À la suite de ces élections, le corps législatif élut deux royalistes, Pichegru et Barbé-Marbois aux présidences respectives des Cinq-Cents et des Anciens et cette nouvelle situation créa une dissension au sein du Directoire, Barthélemy et Carnot à droite s’opposant désormais au trio de gauche, Barras, La Révellière-Lépeaux et Reubel.
La nouvelle majorité projetait de révoquer les lois révolutionnaires en attendant de pouvoir restaurer la royauté, ce qui poussait les trois Directeurs de gauche du Directoire à préparer un coup d’État contre les Conseils.
Ils se servirent de la révélation opportune de négociations entre Pichegru et le Prince de Condé pour le justifier. Jean-Charles Pichegru (1761-1804), sergent-major avant la Révolution puis monté rapidement en grade jusqu’à devenir en 1793 général en chef de l’armée du Rhin, puis de l’armée du Nord avec laquelle il avait conquis la Hollande avant d'être à nouveau chargé de l’armée du Rhin et de la Moselle en 1795-1796, prit contact avec Condé qui lui promit monts et merveilles s’il aidait les royalistes à restaurer Louis XVIII.
Le Directoire s'étonna de ses revers sur le Rhin en même temps qu'il le soupçonnait de royalisme contre lui. On lui retira son commandement, mais sa popularité persistante lui valut d’être élu en mars 1797 député au Conseil des Cinq-Cents par les monarchistes puis Président de ce même Conseil.
Lorsque le Directoire organisa le coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), ses contacts avec les immigrés furent présentés comme une conspiration et le Directoire en profita pour faire arrêter, non seulement Pichegru, mais tous les dirigeants du parti royaliste qu’il fit déporter en Guyane*.
* La France n'ayant toujours pas remboursé ses dettes en 1827, le dey Hussein eut l'outrecuidance de s'en offusquer et donna un coup d'éventail au consul de France, ce qui provoqua l’expédition d'Alger en 1830, et in fine la conquête de l'Algérie.
** Pichegru réussira à s’évader de Guyane et à rejoindre Londres. En 1804, il conspire avec Cadoudal et Moreau pour enlever Bonaparte. Trahi par « l’ami » qui l’héberge, il est arrêté le 28 février 1804 et six jours plus tard, il est retrouvé étranglé dans la prison du Temple, officiellement suicidé.
À SUIVRE
LES VALEURS CONTRE LA DEMOCRATIE
S’il y a une leçon à tirer de la Terreur, c’est que ce sont des politiciens qui se voulaient très vertueux qui ont commis les pires crimes politiques jamais accomplis en France.
Les successeurs de Robespierre, Hitler, Staline, Pol Pot étaient tous des hommes qui proclamaient vouloir le bien de leur peuple ; comme par hasard, ils font aussi partie de la liste des meurtriers les plus monstrueux que l’humanité ait jamais connu.
Car les politiciens de la Terreur ont renié les principes fondamentaux de la démocratie qui leur avait pourtant permis de recevoir délégation de leurs électeurs pour gouverner en leur nom.Dans une démocratie, on n’attend pas des dirigeants qu’ils aient une idée géniale pour sauver le pays mais qu’ils soient attentifs aux volontés exprimées par les différentes catégories de la population; qu’ils transmettent les informations nécessaires aux citoyens pour former leur jugement et non qu’ils les cachent sous couvert de « raison d’État »; qu’ils permettent aux médias de jouer un rôle d’intermédiaires entre eux et le public et non celui d’outil de propagande et qu’ils se soumettent aux verdicts des urnes au lieu de chercher à en travestir les résultats.
Si en France, on se permet tant d’entorses à la démocratie, c’est au nom de valeurs que l’on prétend infliger au peuple français, qui relèvent d’un magistère moral et non du pouvoir politique.
C’est en quoi « les valeurs républicaines », que la Terreur avait l’intention vertueuse d’imposerau peuple français comme une purge sanglante, différent de celles des démocraties pour lesquelles le pouvoir vient par définition du peuple et non de ses dirigeants et de leur soi-disant "valeurs": la République ou la démocratie, il faut choisir, voilà l’enseignement de la Terreur.
À la Terreur et à son retour de flamme que fut la Convention thermidorienne, succéda le Directoire dont les mœurs républicaines furent également pleines d’amers enseignements.
S’ils se faisaient des illusions sur leur popularité, les élections qui suivirent démontrèrent aux Jacobins qu’ils avaient eu au moins raison de craindre leur résultat. La composition des deux assemblées indiquait nettement que la volonté des électeurs était ignorée par les anciens conventionnels, alors que les nouveaux élus comptaient 120 royalistes pour seulement 45 républicains.
Malgré le décret des Deux Tiers et les pressions exercées par la Convention sur les électeurs, seulement 376 Conventionnels sur les 500 qu'imposait le décret furent réélus, ce qui obligea la Convention à désigner elle-même les 124 députés manquants.
Élu le 31 octobre 1795, le Directoire était composé de La Révellière-Lépeaux pour l'instruction et la religion, de Reubell pour la diplomatie, de Barras pour les affaires intérieures, de Carnot pour la guerre et de Le Tourneur, ce dernier jouant un rôle mineur dans le groupe. Ces cinq hommes qui composent le Directoire, trois avocats et deux soldats, méritent l’attention car ils fournissent un tableau fidèle du pouvoir issu de la Révolution.
Louis Marie de La Révellière-Lépeaux (1753-1824) est avocat à la veille de la Révolution, grand partisan de l’égalité. Il vote la mort du roi, s’oppose à Robespierre et à Danton et soutient la Gironde contre Marat. Proscrit, il revient à la Convention après la chute de Robespierre.
Quand la Révolution éclate, Jean-François Reubell (1747-1807) est également avocat. À la Constituante, il soutient les droits des hommes de couleur et se spécialise dans la dénonciation des tyrans, des privilèges du clergé et des juifs. Membre du Directoire, il se consacre à la diplomatie de la « Grande Nation ».
Paul François Jean Nicolas, vicomte de Barras (1755-1829), qui a laissé l’image d’un libertin et d’un corrompu, entre dans l’armée à seize ans dont il démissionne à la fin de la guerre d’Indépendance. Il est député à la Convention, où il siège à la Montagne et vote la mort de Louis XVI. Il met la « Terreur à l’ordre du jour » à Marseille et à Toulon, où il remarque Bonaparte. Au soir du 9 Thermidor, il commande l’action militaire qui permet la prise de l’Hôtel de Ville et la fin de Robespierre.
Il est supposé avoir des opinions de gauche, ce qu’il montre en s’opposant aux poursuites contre les conspirateurs babouvistes ainsi qu’à toute tentative de restauration royaliste, notamment lorsqu’il organise le coup d’État de Fructidor.
Lazare Carnot (1753-1823) est le fils d’un avocat qui devient militaire. Il est élu à la Législative et à la Convention où il siège à gauche. Il vote la mort de Louis XVI, mais se tient à l’écart des Jacobins. Membre du Directoire, il prend l’initiative des poursuites contre Babeuf et ses amis. Il se rapproche des royalistes, ce qui l’oblige à s’enfuir lors du coup d’État de Fructidor. Il continuera cependant sa carrière d’organisateur sous le Consulat et l’Empire. Ses fils et petits-fils seront également des hommes politiques et des scientifiques importants.
Le Tourneur ou Letourneur (1751-1817) est capitaine quand il est élu à la Législative. Réélu à la Convention, il vote la mort de Louis XVI, mais est hostile à Robespierre.
La composition politique du Directoire montre que le nouveau régime était dirigé par les mêmes hommes et confronté aux mêmes problèmes que la Convention thermidorienne. Il devait se garder à gauche des Jacobins et des Royalistes à sa droite.
À SUIVRE
JULES FERRY ET LA VOLONTÉ DE PUISSANCE
Jules Ferry en arrive alors à la question clé, qui justifie à ses yeux définitivement l'expansion coloniale, la politique de puissance qui permettra à la France d'exercer une forte influence en Europe et dans le monde, une politique qui conduira inévitablement à la guerre avec les rivaux que l'on a suscités, comme le lui fait remarquer M. Paul de Cassagnac.
M. Jules Ferry. Voilà ce que j'ai à répondre à l'honorable M. Pelletan sur le second point qu'il a touché.
Il est ensuite arrivé à un troisième, plus délicat, plus grave, et sur lequel je vous demande la permission de m'expliquer en toute franchise. C'est le côté politique de la question.
[...]
Messieurs, dans l'Europe telle qu'elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou maritimes, les autres par le développement prodigieux d'une population incessamment croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou d'abstention, c'est tout simplement le grand chemin de la décadence !
Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l'activité qu'elles développent ; ce n'est pas « par le rayonnement des institutions »... (Interruptions à gauche el à droite) qu'elles sont grandes, à l'heure qu'il est.
M. Paul de Cassagnac. Nous nous en souviendrons, c'est l'apologie de la guerre !
M. de Baudry d'Asson. Très bien ! la République, c'est la guerre. Nous ferons imprimer votre discours à nos frais et nous le répandrons dans toutes les communes de nos circonscriptions.
M. Jules Ferry. Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l'écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expansion vers l'Afrique ou vers l'Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c'est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c'est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs. - Très bien ! très bien ! au centre.) Je ne puis pas, messieurs, et personne, j'imagine, ne peut envisager une pareille destinée pour notre pays.
Il faut que notre pays se mette en mesure de faire ce que font tous les autres, et, puisque la politique d'expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l'heure qu'il est toutes les puissances européennes, il faut qu'il en prenne son parti, autrement il arrivera... oh ! pas à nous qui ne verrons pas ces choses, mais à nos fils et à nos petits-fils ! il arrivera ce qui est advenu à d'autres nations qui ont joué un très grand rôle il y a trois siècles, et qui se trouvent aujourd'hui, quelque puissantes, quelque grandes qu'elles aient été descendues au troisième ou au quatrième rang. (Interruptions.)
Aujourd'hui la question est très bien posée : le rejet des crédits qui vous sont soumis, c'est la politique d'abdication proclamée et décidée. (Non ! non !) Je sais bien que vous ne la voterez pas, cette politique, je sais très bien aussi que la France vous applaudira de ne pas l'avoir votée ; le corps électoral devant lequel vous allez rendre n'est pas plus que nous partisan de la politique de l'abdication ; allez bravement devant lui, dites-lui ce que vous avez fait, ne plaidez pas les circonstances atténuantes ! (Exclamations à droite et à l'extrême gauche. - Applaudissements à gauche et au centre.) ... dites que vous avez voulu une France grande en toutes choses...
Un membre. Pas par la conquête !
M. Jules Ferry. ... grande par les arts de la paix, comme par la politique coloniale, dites cela au corps électoral, et il vous comprendra.
M. Raoul Duval Le pays, vous l'avez conduit à la défaite et à la banqueroute.
M. Jules Ferry. Quant à moi, je comprends à merveille que les partis monarchiques s'indignent de voir la République française suivre une politique qui ne se renferme pas dans cet idéal de modestie, de réserve, et, si vous me permettez l'expression, de pot-au-feu... (Interruptions et rires à droite) que les représentants des monarchies déchues voudraient imposer à la France. (Applaudissements au centre.)
M. le baron Dufour. C'est un langage de maître d'hôtel que vous tenez là.
M. Paul de Cassagnac. Les électeurs préfèrent le pot-au-feu au pain que vous leur avez donné pendant le siège, sachez-le bien !
M. Jules Ferry. Je connais votre langage, j'ai lu vos journaux... Oh ! l'on ne se cache pas pour nous le dire, on ne nous le dissimule pas : les partisans des monarchies déchues estiment qu'une politique grande, ayant de la suite, qu'une politique capable de vastes desseins et de grandes pensées, est l'apanage de la monarchie, que le gouvernement démocratique, au contraire, est un gouvernement qui rabaisse toutes choses...
M. de Baudry d'Asson. C'est très vrai !
M. Jules Ferry. Eh bien, lorsque les républicains sont arrivés aux affaires, en 1879, lorsque le parti républicain a pris dans toute sa liberté le gouvernement et la responsabilité des affaires publiques, il a tenu à donner un démenti à cette lugubre prophétie, et il a montré, dans tout ce qu'il a entrepris...
M. de Saint-Martin. Le résultat en est beau !
M. Calla. Le déficit et la faillite !
M. Jules Ferry. ...aussi bien dans les travaux publics et dans la construction des écoles... (Applaudissements au centre et à gauche), que dans sa politique d'extension coloniale, qu'il avait le sentiment de la grandeur de la France. (Nouveaux applaudissements au centre et à gauche.)
Il a montré qu'il comprenait bien qu'on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique et comme la Suisse républicaine, qu'il faut autre chose à la France : qu'elle ne peut pas être seulement un pays libre, qu'elle doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l'Europe toute l'influence qui lui appartient, qu'elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses moeurs, son drapeau, ses armes, son génie. (Applaudissements au centre et à gauche.)
Quand vous direz cela au pays, messieurs, comme c'est l'ensemble de cette oeuvre, comme c'est la grandeur de cette conception qu'on attaque, comme c'est toujours le même procès qu'on instruit contre vous, aussi bien quand il s'agit d'écoles et de travaux publics que quand il s'agit de politique coloniale, quand vous direz à vos électeurs : « Voilà ce que nous avons voulu faire » soyez tranquilles, vos électeurs vous entendront, et le pays sera avec vous, car la France n'a jamais tenu rigueur à ceux qui ont voulu sa grandeur matérielle, morale et intellectuelle (Bravos prolongés à gauche et au centre. - Double salve d'applaudissements - L'orateur en retournant à son banc reçoit les félicitations de ses collègues.)
Aujourd'hui, la France en est toujours, avec ses moyens, à justifier la politique qu'elle conduit par des considérations stratégiques et économiques, mais elle n'a toujours pas abandonné l'idée qu'elle disposait d'un droit moral sur les anciennes colonies françaises, suscitant au pire l'ire des Africains et au mieux leur sourire. Que la Russie ou la Chine interviennent en Afrique apparait souvent en France comme un crime de lèse-majesté: mais enfin la France est une démocratie, le pays des droits de l'homme, aller frayer avec ces pays impurs est parfaitement illégitime...
Si les diplomates et les journalistes français connaissaient vraiment l'Afrique et un peu l'histoire, ils se tairaient.
LA POLITIQUE COLONIALE DE LA FRANCE
Il est peu probable que vous ayez déjà lu le compte-rendu de la séance parlementaire du 28 juillet 1885. Or, il le mérite, car il décrit avec un cynisme roboratif la politique coloniale française jusqu’à ces dernières années, qui ont été marquées par l’échec total de notre politique africaine.
Depuis le début des années 1880, la France cherche à coloniser de nouveaux territoires : la Tunisie, en 1881, l’Annam en 1883 et le Tonkin en 1885 deviennent des protectorats français. La séance parlementaire du 28 juillet 1885 est consacrée à la discussion d’un projet de crédits extraordinaires pour financer une expédition à Madagascar où la France tente d’imposer son protectorat, en concurrence avec les Anglais. Jules Ferry, ancien maire et député de Paris,joue à cette occasion un rôle majeur devant l’Assemblée Nationale, car il est le porte-parole de cette nouvelle politique de conquête coloniale défendue par la gauche moraliste de l’époque. Face à un adversaire tel que Georges Clemenceau, il défend dans le langage fleuri alors en usage, dans l’ordre les bienfaits économiques, humanitaires ensuite et stratégiques enfin, du colonialisme français qui sera effectivement appliqué par lui et ses successeurs. Il fait face à deux types d’opposition, l’une de principe à gauche qui invoque les grands principes de la République qui risquent d’être bafoués par le processus de colonisation et l’autre, plus timide à droite, qui trouve que la colonisation coûte trop cher. Vous pourrez ainsi constater que le débat est finalement moderne.
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M. Jules Ferry. Messieurs, je suis confus de faire un appel aussi prolongé à l'attention bienveillante de la Chambre, mais je ne crois pas remplir à cette tribune une tâche inutile. Elle est laborieuse pour moi comme pour vous, mais il y a, je crois, quelque intérêt à résumer et à condenser, sous forme d'arguments, les principes, les mobiles, les intérêts divers qui justifient la politique d'expansion coloniale, bien entendu, sage, modérée et ne perdant jamais de vue les grands intérêts continentaux qui sont les premiers intérêts de ce pays.
Je disais, pour appuyer cette proposition, à savoir qu'en fait, comme on le dit, la politique d'expansion coloniale est un système politique et économique, je disais qu'on pouvait rattacher ce système à trois ordres d'idées ; à des idées économiques, à des idées de civilisation de la plus haute portée et à des idées d'ordre politique et patriotique.
Sur le terrain économique, je me suis permis de placer devant vous, en les appuyant de quelques chiffres, les considérations qui justifient la politique d'expansion coloniale au point de vue de ce besoin de plus en plus impérieusement senti par les populations industrielles de l'Europe et particulièrement de notre riche et laborieux pays de France, le besoin de débouchés.
Est-ce que c'est quelque chose de chimérique ? est-ce que c'est une vue d'avenir, ou bien n'est-ce pas un besoin pressant, et on peut dire le cri de notre population industrielle ? Je ne fais que formuler d'une manière générale ce que chacun de vous, dans les différentes parties de la France, est en situation de constater.
Oui, ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigé dans la voie de l'exportation, ce qui lui manque de plus en plus ce sont les débouchés.
Pourquoi ? parce qu'à côté d'elle l'Allemagne se couvre de barrières, parce qu’au-delà de l'océan les États-Unis d'Amérique sont devenus protectionnistes et protectionnistes à outrance ; parce que non seulement ces grands marchés, je ne dis pas se ferment, mais se rétrécissent, deviennent de plus en plus difficiles à atteindre par nos produits industriels parce que ces grands États commencent à verser sur nos propres marchés des produits qu'on n'y voyait pas autrefois. Ce n'est pas une vérité seulement pour l'agriculture, qui a été si cruellement éprouvée et pour laquelle la concurrence n'est plus limitée à ce cercle des grands États européens pour lesquels avaient été édifiées les anciennes théories économiques ; aujourd'hui, vous ne l'ignorez pas, la concurrence, la loi de l'offre et de la demande, la liberté des échanges, l'influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s'étend jusqu'aux extrémités du monde. (Très bien ! très bien !)
C'est là une grande complication, une grande difficulté économique.
[...]
C'est là un problème extrêmement grave.
Il est si grave, messieurs, si palpitant, que les gens moins avisés sont condamnés à déjà entrevoir, à prévoir et se pourvoir pour l'époque où ce grand marché de l'Amérique du Sud, qui nous appartenait de temps en quelque sorte immémorial, nous sera disputé et peut-être enlevé par les produits de l'Amérique du Nord. Il n'y a rien de plus sérieux, il n'y a pas de problème social plus grave ; or, ce programme est intimement lié à la politique coloniale.
[...]
Messieurs, il y a un second point, un second ordre d'idées que je dois également aborder, le plus rapidement possible, croyez-le bien : c'est le côté humanitaire et civilisateur de la question.
Sur ce point, l'honorable M. Camille Pelletan raille beaucoup, avec l'esprit et la finesse qui lui sont propres ; il raille, il condamne, et il dit : qu'est-ce que c'est que cette civilisation qu'on impose à coups de canon ? Qu'est-ce sinon une autre forme de la barbarie ? Est-ce que ces populations de race inférieure n'ont pas autant de droits que vous ? Est-ce qu'elles ne sont pas maîtresses chez elles ? Est-ce qu'elles vous appellent ? Vous allez chez elles contre leur gré ; vous les violentez, mais vous ne les civilisez pas.
Voilà, messieurs, la thèse ; je n'hésite pas à dire que ce n'est pas de la politique, cela, ni de l'histoire : c'est de la métaphysique politique... (Ah ! ah ! à l'extrême gauche.)
Voix à gauche. Parfaitement !
M. Jules Ferry. et je vous défie - permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan -, de soutenir jusqu'au bout votre thèse, qui repose sur l'égalité, la liberté, l'indépendance des races inférieures. Vous ne la soutiendrez pas jusqu'au bout, car vous êtes, comme votre honorable collègue et ami M. Georges Perin, le partisan de l'expansion coloniale qui se fait par voie de trafic et de commerce.
[...]
Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... (Rumeurs sur plusieurs bancs à l'extrême gauche.)
M. Jules Maigne. Oh ! vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l'homme !
M. de Guilloutet. C'est la justification de l'esclavage et de la traite des nègres !
M. Jules Ferry. Si l'honorable M. Maigne a raison, si la déclaration des droits de l'homme a été écrite pour les noirs de l'Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous appellent pas ! (Interruptions à l'extrême gauche et à droite. - Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
M. Raoul Duval. Nous ne voulons pas les leur imposer ! C'est vous qui les leur imposez !
M. Jules Maigne. Proposer et imposer sont choses fort différentes !
M. Georges Périn. Vous ne pouvez pas cependant faire des échanges forcés !
M. Jules Ferry. Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures... (Marques d'approbation sur les mêmes bancs à gauche - Nouvelles interruptions à l'extrême gauche et à droite.)
M. Joseph Fabre. C'est excessif ! Vous aboutissez ainsi à l'abdication des principes de 1789 et de 1848... (Bruit), à la consécration de la loi de grâce remplaçant la loi de justice.
M. Vernhes. Alors les missionnaires ont aussi leur droit ! Ne leur reprochez donc pas d'en user ! (Bruit.)
M. le président. N'interrompez pas, monsieur Vernhes !
M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures...
M. Vernhes. Protégez les missionnaires, alors ! (Très bien ! à droite.)
Voix à gauche. N'interrompez donc pas !
M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures ont des devoirs...
M. Vernhes. Allons donc !
M. Jules Ferry. Ces devoirs, messieurs, ont été souvent méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. (Très bien ! très bien !) Mais, de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation.
M. Paul Bert. La France l'a toujours fait !
M. Jules Ferry. Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu'un peut nier qu'il y a plus de justice, plus d'ordre matériel et moral, plus d'équité, plus de vertus sociales dans l'Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions oeuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ? Est-il possible de nier que, dans l'Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se rencontrent dans l'histoire de cette conquête, il y a aujourd'hui infiniment plus de justice, plus de lumière, d'ordre, de vertus publiques et privées depuis la conquête anglaise qu'auparavant ?
M. Clemenceau. C'est très douteux !
M. Georges Périn. Rappelez-vous donc le discours de Burke !
M. Jules Ferry. Est-ce qu'il est possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses populations de l'Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? Est-ce que notre premier devoir, la première règle que la France s'est imposée, que l'Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations européennes et que la conférence de Berlin vient de traduire le droit positif, en obligation sanctionnée par la signature de tous les gouvernements, n'est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible trafic, et l'esclavage, cette infamie. (Vives marques d'approbation sur divers bancs.)
[...]
M. Jules Ferry. Voilà ce que j'ai à répondre à l'honorable M. Pelletan sur le second point qu'il a touché.
Il est ensuite arrivé à un troisième, plus délicat, plus grave, et sur lequel je vous demande la permission de m'expliquer en toute franchise. C'est le côté politique de la question.
[...]
À SUIVRE
BONAPARTE SAUVE ENCORE LA CONVENTION
Bonaparte sauve encore la Convention
Le 10 mars dernier, je vous ai présenté la constitution « tordue » des Thermidoriens. Elle n’est pas passée comme une lettre à la poste…
Comme d’habitude, le referendum au suffrage universel qui fut organisé pour approuver cette constitution se caractérisa par une forte abstention et de nombreuses irrégularités.
Les résultats officiels firent état de 1.057.390 voix en faveur de la Constitution dite de l’An III et de 49.978 voix contre. Pour sa part, le décret des deux tiers ne fut approuvé que par 205.498 voix pour et 108.754 voix contre.
Il faut noter, alors que l’on déplore en ce début de XXIe siècle des taux d’abstention « records » de 60%, que le taux d'abstention du referendum de l'époque s’éleva à 78% pour la Constitution de l’An III et à 94% pour le décret des deux tiers !
Cela n’empêcha pas cette nouvelle constitution d’être proclamée le 23 septembre 1795. Elle impliquait d’élire ensuite le corps législatif. Mais, avant que les élections législatives ne se déroulent, les royalistes parisiens formèrent un comité insurrectionnel, s’estimant lésés, à Just titre, par le décret des deux tiers et les fraudes.
L'épreuve de force eut lieu 4 octobre 1795.
Une petite armée commandée par le général Danican chercha à encercler les Tuileries pour faire capituler sans combat la Convention, protégée par les troupes du général Menou qui plièrent face aux royalistes. C'est alors que Barras remplaça le général défaillant par Bonaparte qui, aidé par Murat, récupèra des pièces d'artillerie avec lesquelles il fit mitrailler les forces royalistes sur les marches de l'église Saint Roch, faisant 200 tués avant de disperser les survivants.
Napoléon s'imposait une deuxième fois, en tant que défenseur des régicides. La première fois, il avait déjà repris Toulon aux Anglais pour le compte de la Convention de la Terreur, et, cette fois, il sauvait la Convention thermidorienne.
Le 14 vendémiaire (6 octobre 1795), Paris était occupé militairement et l'émeute étouffée, sans que ne soit toutefois exercée une répression excessive qui aurait trop renforcée les partisans de la Terreur. Le 16 octobre, Bonaparte était élevé par Barras au grade de général de division et le 26 octobre, tandis qu'entrait en vigueur la nouvelle Constitution, il devenait commandant en chef de l'armée de l'intérieur en remplacement de son mentor qui faisait son entrée au Directoire.
En se séparant, la Convention prononça une amnistie générale dont elle excluait les révoltés de Vendémiaire, les prêtres réfractaires et les immigrés. Elle décidait également que la Place de la Révolution deviendrait la Place de la Concorde, un excellent choix puisqu’il a perduré jusqu’à ce jour…
Reste pour nous à tirer le bilan de la Terreur. Peu se risquent à la glorifier mais nombreux sont ceux qui lui trouvent des excuses: elle aurait été provoquée par l’état d’extrême tension du pays; les menaces austro-prussiennes auraient déclenché le processus; le roi a joué la politique du pire; il fallait sauver la République; la Terreur a échappé à la volonté des responsables qui ont essayé d'en punir ses excès ; Robespierre voulait le bonheur du peuple…
Du point de vue politique, elle a tout simplement été une stratégie de prise et de contrôle du pouvoir et elle s'est appuyée sur une idéologie qui prétendait vouloir faire respecter, au travers du pouvoir politique, de grands principes philosophiques.
La recette pratique de la Terreur a consisté à faire place nette de tout ce qui faisait obstacle au pouvoir d’un État chargé d’unifier une nation, les privilèges provenant de la naissance, des charges, des corporations et des vœux religieux, pour installer les préfets, les commissaires, les juges, les bourreaux qui allaient appliquer de grands principes à la pauvre matière humaine.
L’horreur était en vue, car les acteurs de la Terreur ont organisé une oppression systématique, accru sans cesse les pouvoirs des tribunaux, supprimé tous les droits de la défense, envoyé des commissaires pour exciter l’ardeur des bourreaux et des délateurs. Ces hommes ont promulgué l’incroyable loi des suspects: étaient suspects tous « ceux qui, par leur conduite, leurs relations, leurs propos ou leurs écrits se sont montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté; ceux qui ne pourront justifier de leurs moyens d'existence et de l'acquit de leurs devoirs civiques ; ceux qui n'auront pu obtenir de certificat de civisme; les ci-devant nobles qui n'ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution, les émigrés, même s'ils sont rentrés, les prévenus de délits, même acquittés… ». Délit d’opinion, délit de faciès, délit de classe, tout y est.
La Terreur a engendré les deux cent mille morts du génocide vendéen, les soixante-deux mille guillotinés, les dizaines de milliers de personnes livrées à la mitraille dans les villes révoltées et tout un pays soumis à des tyrans qui se croyaient tout permis au nom de leurs principes.
Face à ce passif monstrueux, on cherche en vain le moindre actif, à moins que l’invention du totalitarisme ne soit considérée comme une gloire nationale.
À SUIVRE
LA CONVENTION NE MAITRISE QUE LE PRÉSENT
Nous avons laissé le 9 février dernier (mon blog intitulé « En même temps la Convention) tout faire et son contraire…
Le danger qui menaçait les Thermidoriens au pouvoir se situait toujours dans les faubourgs, base des sans-culottes, dont le combustible provenait de la faim qui tenaillait les grandes villes, à commencer par Paris où d’énormes queues se formaient devant les boulangeries, alors que la ration de pain passait de 1 livre et demie en février 1795 à un quart de livre en mai 1795, six fois moins!
Le 1er avril 1795, les sans culottes, saisissant le prétexte des accusations portées contre Barère, Collot d’Herbois et Billaud-Varenne qui passaient pour leurs défenseurs, envahirent la salle de la Convention en réclamant du pain.
Ils furent évacués par les gendarmes tandis que les trois accusés étaient déportés, que Paris était mis en état de siège avec le général Pichegru chargé de réprimer l'agitation dans les faubourgs. C’est dire qu'elle était la nervosité des Thermidoriens.
Une deuxième alerte intervint trois mois plus tard, le 20 mai 1795, alors que la Convention était envahie à nouveau aux cris de : « Du pain et la Constitution ! ». Les députés s’enfuirent, à l’exception de ceux d’entre eux, que l’on appelait les Crétois parce qu’ils siégeaient à la crête de la Montagne et étaient favorables aux sans-culottes,
Les forces militaires de la Convention reprirent le contrôle des Tuileries et passèrent à l’offensive dans les faubourgs, arrêtant soixante-deux députés et cinq mille jacobins.
Pendant ce temps, la paix des cimetières s’installait dans l’ouest de la France. Hoche avait fini par signer une amnistie avec Charrette et les Chouans, en leur garantissant la restitution de leurs biens confisqués, la liberté de culte et la dispense du service militaire.
Mais comme le génocide pratiqué par les troupes républicaines ne pouvait être rayé d’un trait de plume. la guérilla contre les troupes républicaines se poursuivait en Bretagne et en Normandie. Une attaque coordonnée entre immigrés et Chouans fut organisée à la fin du mois de juin 1795. Une armée de quatorze mille Chouans se rassembla dans la région de Quiberon, Charrette reprit les hostilités en Vendée et quatre mille émigrés furent débarqués dans la baie de Carnac par une flotte anglaise. Cependant, ils n’étaient pas assez organisés et soutenus par la croisière anglaise pour faire face à Hoche, qui les battit et les captura le 21 juillet 1795.
Sur le front de la guerre étrangère, il était aussi difficile pour les Thermidoriens de mécontenter les généraux que de se passer des revenus des conquêtes.
D’où l’invasion de la Hollande le 10 octobre 1794, qui fut transformée en République Batave. C’est à cette occasion que la cavalerie de Pichegru réalisa un exploit sans précèdent en capturant la flotte hollandaise bloquée par la glace au Helder. La Hollande fut aussitôt amputée de la Flandre Hollandaise pour être rattachée à la Belgique, elle-même annexée à la France, cette dernière étant reconnue par un traité de paix conclu entre la République Française et la Prusse, pressée de retourner ses troupes contre la Pologne.
Selon l’habitude de ces années-là, la Convention thermidorienne saisit l’opportunité d’une situation politique apaisée pour préparer une nouvelle constitution destinée à remplacer celle qui, souvenez-vous, reposait, inappliquée, au milieu de la salle de ses délibérations.
La nouvelle Constitution représentait un effort remarquable pour éviter les écueils qui avaient marqué la Révolution. Par certains côtés, elle était trop sophistiquée. Elle retournait à un régime électoral restreint, qui réduisait le corps électoral aux notables : les citoyens nés et résidents en France de 21 ans qui payaient une contribution directe, réunis en assemblée primaire par canton élisaient les électeurs du deuxième degré à raison de un pour deux cents citoyens.
Ces grands électeurs devaient avoir 25 ans et disposer d'un revenu personnel important. Ils élisaient les membres du corps législatif ainsi que les différents juges. Le législatif était formé de deux chambres, le conseil des Cinq Cents qui avait l'initiative des lois, et le conseil des Anciens, composé de 250 membres âgés d’au moins 40 ans et mariés ou veufs, qui approuvait ou rejetait les propositions des Cinq Cents.
Le corps législatif élisait l'exécutif, mais ne pouvait pas le révoquer. Ce dernier exécutif, le Directoire, était composé de cinq membres, renouvelé par cinquième tous les ans, choisis à bulletins secrets par les Anciens, parmi une liste qui devait contenir le décuple des postes à pourvoir, liste établie par le Conseil des Cinq Cents.
Les Directeurs sortants ne pouvaient pas être réélus avant cinq ans et les décisions du Directoire devaient être prises à la majorité de trois membres sur cinq.
Les attributions de l'exécutif étaient limitées par la nouvelle constitution à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, la disposition de la force armée, la nomination des généraux et des ministres.
Le Directoire n'avait pas le droit de dissolution sur les chambres ni le droit de veto sur les lois. De plus, la Trésorerie échappait au Directoire pour être confié à cinq commissaires élus dans les mêmes conditions que le Directoire et le pouvoir judiciaire étaient séparé du législatif et de l'exécutif, avec des mandats courts, 2 ans pour les juges de paix, 5 ans pour les juges départementaux et du tribunal de cassation.
Échaudés par les changements permanents de la Constitution, les conventionnels mirent en place une procédure de révision qui s'étalait sur neuf ans.
Comme les Conventionnels ne tenaient pas à être balayés par les élections à venir, ils votèrent, avec un culot roboratif, le décret dit « des deux tiers » qui imposait le maintien de cinq cents anciens conventionnels parmi les sept cent cinquante députés des Conseils des Cinq Cents et des Anciens, dispensés donc des élections.
À SUIVRE