Un feu d'artifice démocratique
En quelques jours, l’Iran, la France et l’Europe nous ont offert trois remarquables leçons de chose sur la détermination des hommes politiques à imposer leur volonté aux populations, au mépris non seulement de la morale la plus fondamentale, mais pire encore au sens de Machiavel, en opposition totale avec les principes qu’ils invoquent pour asseoir leur légitimité. Si bien que l’on peut dire que le slogan des opposants iraniens « Où est passé mon vote ? » s’applique à nous tous.
Commençons par l’Iran, parce que l’événement est spectaculaire. De nombreux éléments convergent pour conclure à une fraude massive organisée à l’occasion de l’élection, que l’on peut qualifier d’auto proclamée, du président Mahmoud Ahmadinejad. Bureaux de vote par bureaux de vote, les électeurs n’ont pas retrouvé leurs votes, les résultats ont été annoncés avec une rapidité extrême, tandis que les partisans du Président « élu », remarquablement discrets, abandonnaient la rue aux contestataires. Les conclusions sont simples dans le cas de l’Iran : des dirigeants essayent de garder le pouvoir contre la volonté exprimée de la population en truquant les votes. C’est une méthode rustique qui ne fonctionne qu’en s’appuyant fortement sur les bandes armées qui entourent tous les pouvoirs. À terme, le résultat ne peut être que la destruction du régime par les ambitieux qui vont se précipiter pour remplacer des apprentis sorciers à ce point affolés qu’ils se sont résolus à un expédient aussi simpliste que visible. Attendons la chute.
La France ensuite. Un attentat sanglant, attribué à la bien pratique nébuleuse Al-Qaida, met en cause les deux derniers Présidents de la République, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ainsi que le Premier Ministre de l’époque, Edouard Balladur. Le 8 mai 2002, un kamikaze projette un véhicule rempli d'explosifs sur un bus, tuant onze ingénieurs de la Direction des constructions navales (DCN) et trois Pakistanais qui travaillaient à la construction de sous-marins Agosta vendus par la France au Pakistan. Il semblerait que le contrat de vente prévoyait le versement par la France de commissions représentant 10% du montant de la vente, 1,2 milliards de $, à des officiels pakistanais. Ces commissions occultent seraient donc de 120 millions de $. Les magistrats instructeurs soupçonnent qu'une partie de ces sommes a été utilisée pour servir à financer la campagne présidentielle du Premier ministre Édouard Balladur, alors en compétition avec Jacques Chirac au premier tour de l’élection à la Présidence de la République
Ce dernier aurait provoqué une réaction violente des intermédiaires pakistanais en décidant d'interrompre le versement des commissions, qui transitaient par une compagnie offshore. Notez au passage la sincérité de nos dirigeants à lutter contre les paradis fiscaux et la fraude. Cette « hypothèse » s’appuie sur le rapport, saisi en 2008 dans les locaux de la DCN, qui a été rédigée par un ancien membre des services secrets français. Il y affirmait que l'attentat avait été réalisé grâce à des complicités au sein de l'armée pakistanaise qui auraient instrumentalisé un groupe islamiste pour obtenir la reprise du versement des commissions prévues. Face à ces révélations, la défense de l'ex-premier ministre Édouard Balladur consiste à déclarer que tout a été fait « de manière parfaitement régulière », tout en soulignant qu’il n’existe aucune preuve de l’existence de commissions versées à son profit. Dans ce genre de démenti, chaque mot étant soigneusement pesé, on notera qu'il ne dit pas qu’elles n’ont pas été versées, il dit qu’il n’y a pas de preuves. Quant à Nicolas Sarkozy, Ministre du Budget en 1993-1995 et directeur de la campagne d'Edouard Balladur, il a balayé d’un revers de main ce scenario. « Ecoutez, franchement, c'est ridicule », a-t-il dit « C'est grotesque, voilà. Respectons la douleur des victimes. Qui peut croire à une fable pareille ? ». Le principal terme de sa phrase est « franchement », c’est dire s’il s’agit d’un exercice de rhétorique.
La fable de l’arrêt des commissions est pourtant confirmée par le ministre de défense de l’époque Charles Million et par un ancien policier, Frédéric Bauer, qui décrit comment il a été mandaté en 1996 par la République Française. Il déclare qu’il a organisé un rendez-vous avec Ziad Takieddine, l’un des intermédiaires choisis par la DCN et Thomson CSF pour le paiement de certaines commissions. Lorsqu’il l’a informé de la décision prise par les autorités françaises, ce dernier s’est mis à rire, tout en lui confiant qu’il avait déjà touché personnellement 80% de ce que la France lui devait, soit quelques dizaines de millions de $. Sans doute s’estimait-il relativement satisfait...
Dans cette affaire, quelles sont nos certitudes ? Le versement de commissions occultes est un fait avéré sous le contrôle de d’Edouard Balladur et de Nicolas Sarkozy, Ministre du Budget de l’époque. Est tout aussi avéré l’arrêt du versement de ces commissions, sur ordre de Jacques Chirac, une fois élu Président de la République. Nous ne savons pas avec certitude si ces commissions donnaient lieu à des rétro versements vers des autorités politiques françaises, mais c’est une pratique logique lorsque l’on s’engage dans des opérations occultes : je te tiens, tu me tiens par la barbichette…À fortiori, nous savons encore moins à quoi ont servi ces probables rétro versements, mais il faudrait être vraiment naïf pour croire qu’ils n’ont servi qu’à alimenter les caisses des partis. Et nos certitudes sont diablement instructives pour comprendre le mécanisme de notre exemplaire « démocratie française », puisque nos dirigeants avouent pratiquer des trafics financiers illicites au nom d’une raison d’État dont ils s’estiment seuls juges, sans aucun contrôle de quiconque. Sed quis custodiet ipsos custodes ? écrivait déjà Juvénal. Méfions nous donc comme de la peste des bonnes intentions antidémocratiques de nos dirigeants.
L’Europe enfin. On se souvient que le gouvernement français avait soigneusement évité de consulter les électeurs français sur le Traité de Lisbonne qui remplaçait le projet de Constitution Européenne rejeté le 29 juin 2005 par près de 55% des suffrages exprimés. Le gouvernement irlandais avait dû, à son grand regret sans doute, se plier à la décision de la Cour Suprême d’Irlande qui établit que tout amendement aux traités de l’Union européenne doit être soumis à l’approbation des électeurs et ce qui devait arriver, arriva : le 12 juin 2008, les Irlandais ont rejeté par referendum le traité de Lisbonne par 53,4 % des voix. Mais récemment le Premier ministre irlandais Brian Cowen a indiqué qu’il « envisageait » d’organiser un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne début octobre après avoir obtenu des garanties censées rassurer sa population qui a rejeté une première fois le texte.
Les dirigeants européens viennent en effet de s’accorder sur des « garanties » visant à « rassurer » ce pays qui avait cru possible de rejeter le traité de Lisbonne. Ils certifient que ce dernier n'affectera en rien ni la neutralité militaire de l'Irlande, ni son interdiction de l'avortement, ni son régime fiscal et que chaque pays gardera un commissaire à Bruxelles. Ces assurances seront compilées dans un document qui ne concerne que l’Irlande et aucun autre pays européen.
En clair, cela signifie deux choses : tout d’abord que les dirigeants européens s’unissent pour acheter le vote irlandais au prix de concessions qu’ils n’offrent pas aux populations qui n’ont pas eu l’opportunité de rejeter le texte. Ensuite, que la volonté des dirigeants européens n’est pas de soumettre un projet au veto des citoyens européens, mais de le faire adopter coûte que coûte, une fois qu’ils se sont mis d’accord entre eux. Ils forment ainsi un syndicat de dirigeants unis contre les peuples, déterminé à faire avaler de force leur amère potion au malade qu’est le citoyen européen. Il n’est pas étonnant que le patient européen finisse par vomir cette Europe-là. Et puis, qui sait, il n'est pas certain que ces diables d'Irlandais acceptent de se laisser acheter.
En conclusion, de l’Iran à l’Europe en passant par la France, tous les dirigeants n’ont qu’une obsession, se passer des peuples pour gouverner. Il serait bon que nous commencions à chercher les moyens de nous passer d’eux, avant qu’ils ne nous étouffent.
L'incertain scientifique
L’incertain scientifique
Dans un article précèdent, le 5 juin dernier, intitulé « La vérité, ça n’existe pas, je rappelai que la vérité ne peut être représentée que par le langage. Les limites de notre langage font que nous ne pouvons pas avoir une connaissance objective des faits et des choses. Mais quand on parle de langage, il ne s’agit pas seulement de langage parlé ou écrit, mais aussi des langages formalisés et spécialisés qu’a construit la science, qui a finalement été forcée de reconnaître qu’elle ne possédait pas le secret de l’objectivité, puisqu’elle ne disposait que de langages subjectifs.
Les peintres ont souvent l’intuition des changements de paradigme. Ils étaient en phase avec les ébranlements scientifiques et philosophiques au temps de la Renaissance. Ils l’ont été aussi lorsque le Cubisme a fragmenté la réalité, que le Dadaïsme a barbouillé les espaces et que le Surréalisme a aboli la différence entre le rêve et la réalité. Car c’est à cette époque de révolte artistique que l’incertitude s’est introduite dans la pensée scientifique.
La science avait commencé par élaborer un univers ordonné, dont elle découvre au fil du temps ans les failles, des fragments de désordre. Elle revendique d’être capable de les corriger, et c’est cela qu’elle appelle le progrès scientifique, cette marche en avant incessante vers la vérité. Mais la question qui se pose, au fur et à mesure de ces renoncements à des vérités dépassées et de ces nouvelles vérités provisoires est de savoir si la science permettra d’atteindre asymptotiquement la vérité, ou si ses méthodes ne contiennent pas des virus cachés qui vont entraîner la science à délaisser la vérité pour des chimères.
La physique ne se gène pas en tout cas pour secouer les certitudes scientifiques. Elle se met à décrire, dès le premier quart du XXe siècle. Du coup, elle se trouve contrainte de rendre compte d’un monde chaotique, contradictoire, où se déroulent des évènements non observables, et où circulent des particules indétectables dont l’origine est indéterminée et dont les effets sont imprévisibles. C’est Einstein qui décrit un univers où la masse et l'énergie ne sont que deux aspects d'une même réalité insaisissable et où les parallèles se rencontrent. Le battement d’aile du papillon devient le symbole universel du désordre qui peut pervertir n’importe quel système. Pour couronner le tout, le principe d’incertitude de Bohr et Heisenberg appliqué aux électrons nous démontre que l'observateur est partie prenante dans l'expérience qu’il mène, si bien qu’aucune expérience ne peut être considérée comme objective.
Plus fondamentalement encore, , Henri Poincaré a remis en question dès 1902 le postulat central de la logique scientifique dans « La Science et L'Hypothèse ». Il montre que n’importe quel ensemble d'hypothèses peut être organisé pour s'ajuster formellement au résultat de l’expérience. On peut en conclure que les scientifiques choisissent par convention les hypothèses qui leur conviennent et finalement les résultats qui en découlent. En montrant que le lien entre l'hypothèse et la preuve est construit artificiellement, Poincaré introduit le doute dans la notion de démonstration. En d’autres termes, les mathématiques et la logique ne seraient que des systèmes forgés artificiellement pour organiser notre perception du monde. C’est ce qu’écrit également Kuhn quelques décennies plus tard, lorsqu’il décrit les révolutions scientifiques comme des changements de paradigme, ce qui signifie que les découvertes scientifiques sont dépendantes de la perspective choisie par le chercheur.
Poincaré est également rejoint par Frege qui définit les mathématiques comme une simple création du cerveau. Ce dernier soutient que la raison ne fournit rien de plus qu’une vérité contingente puisqu’elle se contente de confirmer ce que l’esprit sait déjà par l’induction, l’intuition ou l’observation. Il faut ajouter à l’analyse de Frege les apports de Gödel, qui a démontré que les nombres ne sont que de simples hypothèses et qu’il n’existe aucune logique qui permette d’affirmer que des propositions mathématiques soient justes ou fausses.
Toutes ces remises en cause de la validité de la preuve, si centrale dans la démarche scientifique, contraignent la science à reconnaître que ses démonstrations sont entachées d’incertain, de subjectivisme et d’auto-justification qui affaiblissent sa légitimité. En effet, celle-ci trouvait sa source dans la quête de la vérité objective, de LA vérité.
Désormais, la science n’apparaît plus comme l’arme absolue pour découvrir la réalité du monde.
De la pensée unique à la capitulation devant l'opinion
Nous avons vu dans un article précèdent, publié le 27 mai dernier intitulé « Les médias votent oui, le peuple vote non, le président annule le vote » qu,e lorsque les medias ne parviennent pas à faire voter le peuple dans le sens voulu par l’oligarchie, le pouvoir politique en France n’hésite pas à annuler le vote sur la Constitution Européenne en barrant le vote d’un trait de plume sous la forme d’une nouvelle procédure mécaniquement adoptée par un Parlement aux ordres.
Les journalistes tentent naturellement d’y répondre en niant être de connivence avec l’oligarchie, comme cherche à le montrer l’ouvrage "Média Paranoïa" de Laurent Joffrin qui illustre cet article. De façon presque comique, Alain Duhamel, qui est employé par Laurent Joffrin en tant que chroniqueur de Libération, se charge de formuler un jugement positif sur cet ouvrage dans un article du Point du 15 janvier 2009. D’après lui et en toute objectivité, l’ouvrage « se caractérise par sa franchise et sa vivacité, par sa clarté et par sa force de conviction ». Il rappelle que les Français ne font pas confiance aux médias français, mais qu’ils ont tort. Il rappelle les « clichés » dont sont victimes les médias : « les médias malhonnêtes travestissant régulièrement la réalité ; les médias conformistes véhiculant une pensée unique ; les médias dépendants, aux ordres des puissances économiques ; les médias connivents, entretenant des relations incestueuses avec le pouvoir politique …»
« Autant d’idées reçues, ajoute Duhamel, auxquelles adhèrent malheureusement une forte majorité de Français, autant d’idées fausses » notamment le cliché de « la manipulation de l’opinion par les médias : y croire, c’est sous-estimer l’autonomie des citoyens ». On se demande du coup pourquoi les éditorialistes et chroniqueurs de France persistent à nous asséner leurs vérités sans avoir l’air de penser une seule seconde que nous sommes susceptibles de ne pas y croire. Ainsi, Alain Duhamel s’exprime régulièrement dans le Point, dans Libération, sur Canal+, sur RTL, sur France 2 et dans la Presse régionale quotidienne, sans avoir peur d’écrire que l’on aurait tort d’estimer qu’une « pensée unique » sévit dans l’univers médiatique.
Mais cette pensée unique, qui n’existe d’ailleurs pas d’après Alain Duhamel, ne s’impose pas toujours. Dans de rares situations, les medias se trouvent dans l’obligation de s’aligner sur l’opinion après avoir tenté en vain de la manipuler. Ces situations présentent l’avantage de montrer clairement que les medias ont pour objectif d’imposer leur opinion et non d’informer leurs publics.
En voici deux exemples pris entre mille, puisque les medias « malaxent » l’opinion tous les jours, sans désemparer :
Au début de l’affaire du sang contaminé, aucun politicien ni aucun journaliste n’y voyait matière à scandale public. Souvenons nous du célèbre « responsable mais pas coupable » de Georgina Dufoix, prononcé un dimanche soir sur TF1 face à Anne Sinclair, la femme du Ministre des Finances de l’époque, Dominique Strauss Kahn. Accessoirement, personne ne s’offusquait qu’une ministre soit interviewée par une femme de Ministre. Puis, devant la montée irrépressible du scandale, les medias finirent par convenir que l’affaire du sang contaminé était un scandale immense, tout en exonérant par avance les pauvres politiciens qui avaient été poursuivis. Comme par hasard, la justice se rendit à leurs arguments en faveur de l’irresponsabilité politique. Tout était bien qui finissait bien dans le meilleur des mondes oligarchiques possibles.
Sur un sujet plus léger, les médias, notamment le journal Libération dans l’exemple que nous avons choisi, étaient majoritairement hostiles au film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain au début de sa fabuleuse carrière. Le 31 mai 2001, Serge Kaganski, le rédacteur en chef des Inrockuptibles, jugeait ainsi le film dans le journal Libération :
« Ce film présente une France rétrograde, ethniquement nettoyée, nauséabonde. Voilà qu’on nous bassine avec un film dont[…] le propos insignifiant masque à grand peine une vision de Paris, de la France et du monde particulièrement droitière. C’est le repli du pâté de maison. Nul besoin d’être agrégé de sociologie et d’histoire pour savoir que l’idéologie du village est profondément réactionnaire. Que vois-je dans le Montmartre de Jeunet ? des Français qui fleurent bon le terroir […]. Mais où sont les Maghrébins, les Turcs, les Chinois ? […] Où sont ceux qui vivent une sexualité différente ? […] Si le démagogue de La Trinité-sur-Mer cherchait un clip pour illustrer ses discours, il me semble qu’Amélie Poulain serait le candidat idéal ». serait le candidat idéal ».
La même année, en fâcheuse contradiction avec les oukases de Serge Kazanski, cinq millions de personnes en France virent Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, qui est devenu entre-temps l’un des plus grands succès du cinéma français de tous les temps.
Cette colère contre un peuple rétif à suivre les jugements et les prescriptions des oracles médiatiques montre la tentation permanente des medias de dire le « vrai » et de chercher à convaincre un public qui est supposé se ranger à leur avis, si seulement il était bien informé et intelligent comme les journalistes qui donnent leurs opinions. Ils confondent à dessin l’information et la manipulation. Cette dernière apparaît au grand jour dès lors que convergent le chœur de discours médiatiques parfaitement synchronisés, comme s’il existait une vérité d’évidence qui se trouve être par hasard celle qu’il est de bon ton d’afficher au sein de l’oligarchie au pouvoir.
Au pays des solutions
Je sais que j’ai tort d’écrire les lignes qui suivent. Je vais attirer encore un peu plus de monde au Maroc, et ce n’est pas forcément une bonne action. Mais puisque je ne m’adresse qu’à des amis…
Depuis la toute première fois en 1967, chaque fois que je quitte le Maroc, j’ai un sentiment de regret qui me fait hâter le moment d’y revenir. Pourtant, ce n’est pas le seul pays que j’aime, loin de là. Mes voisins italiens me permettent d’éclairer instantanément la journée par leur cordialité. Au-delà de la Manche, les Anglais nous démontrent que l’on peut vivre à sa guise sans s’occuper de l’opinion de ses voisins, à commencer dans l’île natale de mon épouse, Jersey. Les Tchèques m’enchantent par leur capacité à travailler dans un des pays les plus romantiques que je connaisse et au sein duquel j’ai vécu beaucoup d’aventures d’ordre médical universitaire et amical. J’ai beaucoup de respect pour les Polonais dont on ignore injustement le courage ainsi que pour les Roumains et les Bulgares avec qui j’ai longtemps travaillé, assez pour rejeter cette odieuse capacité française à mépriser la plupart des autres peuples européens. Et comment peut-on déconsidérer les Russes, si attachés à leur pays et souvent bien plus sérieux et éduqués que les Français ? Au Sud, je regrette de ne pas connaître assez l’Espagne dont, pour d’assez bonnes raisons, les habitants ne nous aiment pas beaucoup et le Portugal dont je reste un amoureux virtuel.
Mais le pays européen où j’irais volontiers m’installer si je bénéficiais de plusieurs vies, c’est la Suède. On peut penser que les Suédois ne sont pas d’un abord très chaleureux, mais leur respect de la nature, leur organisation politique et sociale, la simplicité sophistiquée de leur cadre de vie m’attirent irrésistiblement et depuis longtemps: c’est là que j’ai fait mes premiers voyages en 2CV, que j’ai rencontré de fidèles amis et que j’ai inventé l’Université du Troisième Âge.
À l’Ouest, je ne connais que les Etats-Unis, le Canada et le Pérou. Les premiers m’ont accueilli dans deux de leurs universités, dont les systèmes d’organisation rationnels m’ont marqué par rapport au nôtre, étouffé par une bureaucratie qui décourage toute velléité de s’intéresser au sort des étudiants. Mais je ne pourrai que difficilement habiter aux Etats-Unis, je m’y sentirai en exil.
Le Canada m’attire davantage : plus de simplicité, moins d’arrogance, une nature illimitée, une double culture. J'y ai été aussi bien apprenti bûcheron que professeur visitant. J’aime le Québec et sa neige, l’Ontario et ses lacs, Vancouver et son île. Je suis chez moi à Kingston où habitent des amis très proches et je sais que je pourrais y vivre en me protégeant des moustiques l’été et chaudement vêtu l’hiver…
Quant au Pérou, il rassemble une population profondément cordiale et les descendants des Incas dont le sort, du fait de l’éradication qu’ils ont subie de leur culture, m’a profondément ému. Il me reste à prendre le temps de découvrir le reste de l’Amérique du Sud.
À l’Est, le Liban m’a fasciné par l’incroyable résilience de ses habitants. La Syrie souvent francophile cache des trésors comme Palmyre, derrière une assez injuste image de pays terroriste. Israël m’a ébahi par sa capacité à s’imposer et m’a ébloui par la lumière dorée de Jérusalem. Il me reste à visiter et à enseigner en Iran où je pressens que de bonnes surprises m’attendent, en contrepoint des caricatures que l’on propage sur cette haute civilisation. Dans un autre univers de pensée, l’Inde et le Népal m’ont permis de découvrir qu’une façon différente de vivre que la nôtre était possible. Au sud, l’archipel indonésien, qui possède à Djakarta une formation à la gestion en langue française que j’ai créée, ne m’a pas livré ses secrets sauf celui de sa retenue. Le Vietnam, qui abrite un peuple aussi courageux que subtil, a fait vibrer en moi toute la nostalgie de l’ancienne Indochine et de ses sortilèges. En Chine, il était déjà évident, il y a un quart de siècle, qu’il fallait y être présent puisqu’il s’y construisait l’usine du XXIe siècle. C’est pourquoi j’y ai créé la première formation de gestion en langue française. Les chinois m’ont impressionné par leur impitoyable réalisme et leur conviction qu’ils forment depuis toujours le centre du monde.
Pourtant, beaucoup plus que la Chine, le Japon m’a fasciné par sa culture incroyablement raffinée, par la beauté qu’il parvient à inscrire dans les moindres replis de son univers et par son obsession à marier modernisme et tradition. Comme en Suède, je pourrais y vivre…
Loin à l’est du Japon, les écrins de la Polynésie m’ont fait un instant rêver d’une autre vie. Au Sud, l'Australie, l'île continent, contient les ingrédients, espace, simplicité, débouchés, pour se fabriquer une autre destinée. Mais je n'ai jamais oublié la grande île de l’hémisphère Sud, Madagascar, qui m’apparaît comme un refuge potentiel. Elle détient tout ce qui est nécessaire pour oublier et se faire oublier, beauté, silence, mélancolie.
Alors que j’attends encore avec impatience de découvrir l’Afrique du Sud, l’Afrique francophone m’a laissé des sentiments mitigés. La morne atmosphère du Gabon m’a déprimé. De très chers amis vivent au Cameroun, pays de la diversité qui mérite d’être découvert. J’ai beaucoup d’affection pour la Côte d’Ivoire, scandaleusement piétinée par la politique française qui a transformé ce modèle de prospérité en bourbier. Je n’ai pas assez connu le Burkina-Faso ou le Mali pour m’en faire une idée forte. Par contre, je reste songeur sur l’image exagérément positive du Sénégal où j’ai vécu trois ans. À mon avis, ni ses paysages ni ses griots ne méritent le voyage, sauf la boudeuse Casamance. La Mauritanie m’a laissé songeur, avec ses océans de sable et de vent. Tout prés de Nice, la Tunisie me semble si familière que je ne vois pas ce que je pourrais y découvrir. L’Algérie, dont je ne connais qu’Alger, la plus belle ville française après Paris, me désespère. Comment De Gaulle a t-il pu y laisser un tel gâchis s’installer au point qu’il n’est pas encore résorbé prés d’un demi-siècle plus tard? et pourtant que de trésors à exploiter, qui n’ont rien en commun avec le pétrole et le nationalisme! un jour peut-être ?
Reste le Maroc. Vous l’avez compris, c’est un pays où je vis avec délectation. Pays de culture, paysages grandioses, architecture somptueuse. Mais ce qui me ravit, c’est mon rapport avec les Marocains. Avec eux, jamais de mépris, encore moins d’indifférence. Le Maroc, c’est le pays où vous êtes le bienvenu, celui où l’on cherche des solutions et où l’on respecte vos choix. Aussi, malgré les différences de langue, de culture, de religion, cette bonne volonté fait du Maroc, en ce qui me concerne, un pays fraternel.
Mais vous n’êtes obligé ni de me croire, ni de partager mes sentiments, ni d’aller au Maroc…
Le Piratpartiet va t-il réveiller les moutons?
Il y a quelques jours, j’écrivais dans mon blog ce que le Parti Pirate défendait en Suède, c’est-à-dire les droits civiques sur le Web, comme Solidarnosc défendait les droits syndicaux dans la Pologne de la fin de l’ère communiste. L’enjeu est peut-être plus important que vous ne le pensez.
Aujourd’hui, le Piratpartiet entre modestement au Parlement Européen, puisqu’il a obtenu 7,1% des suffrages exprimés en Suède lors de l’élection européenne du dimanche 7 juin, ce qui lui a permis d’y obtenir un siège de député. Ce résultat est cependant significatif car il marque l'avènement d'Internet comme un enjeu de la contestation politique, une contestation qui est le fait d'une nouvelle génération de jeunes électeurs en rupture avec les partis traditionnels. Et cette contestation risque de gagner les autres pays européens et la France en particulier.
Fondant sa campagne sur la légalisation de l'échange gratuit de fichiers sur Internet et la dénonciation d’une surveillance des internautes qui menace leur liberté individuelle, le Piratpartiet a obtenu 23,6% des voix chez les moins de 30 ans, arrivant en tête des partis suédois chez les jeunes électeurs. Le chef du Piratpartiet, Rick Falkvinge, en conclut que les politiciens traditionnels ne comprennent pas l'importance des libertés fondamentales pour les jeunes, parce qu’ils ne sont pas connectés. Il ne se rendraient pas compte que cette affaire de contrôle du Web n’est pas mineure pour une géneration qui a le sentiment, excessif d’après ces politiciens peu branchés, que son mode de vie en est menacé. C’est pour cela que les jeunes se sont rendus aux urnes pour soutenir le Piratpartiet.
Alors que le Piratpartiet était quasiment inconnu, les lois suédoises portant sur la surveillance des télécommunications et sur le durcissement des sanctions du téléchargement illégal en ont fait un outil de protestation contre une législation contestée et un instrument de défense des internautes. À la mi-avril 2009, la condamnation à un an de prison ferme par un tribunal de Stockholm de quatre responsables du site d'échange de fichiers, The Pirate Bay, a suscité une telle vague d'adhésions au Piratpartiet que ce dernier a triplé le nombre de ses adhérents en une semaine, celui-ci passant de 15000 à 45000 membres.
Personne ne peut prédire si le député unique du Piratpartiet est l’avant-garde d’une armée de contestataires ou le témoin unique d’un phénomène éphémère. Tout dépendra de l’intensité de la prise de conscience des peuples européens. Pour ma part, je ne crois pas du tout, comme l’affirme gentiment Rick Falvinge, qu’il s’agisse d’un malentendu entre les jeunes et des politiciens rétrogrades qui ne « comprendraient » pas les besoins des Internautes. Au contraire ils ne les comprennent que trop bien, et ils veulent les mater le plus vite possible pour qu’ils rentrent dans le troupeau avant que quelques manettes du pouvoir n’échappent aux politiciens.
Une observation même rapide et superficielle des messages médiatiques montre à tout observateur impartial que la volonté de réduire la liberté des citoyens est la préoccupation permanente des politiciens, qui se voient bien à la fois en bergers et en prédateurs du troupeau de moutons qu’ils dirigent vers des voies plus ou moins verdoyantes avec l’aide de leur arsenal médiatique. Il n’est guère acceptable pour eux qu’un nouvel espace de liberté s’ouvre sur Internet. L’affaire du contrôle du piratage leur offre l’opportunité de faire comprendre aux internautes qu’ils sont surveillés et donc qu’ils doivent se tenir à carreau.
Je ne sais pas encore qui va gagner le match entre les gouvernés et les gouvernants, même si ce sont géneralemet les loups qui mangent les moutons et non l’inverse, mais je sais par contre que cette affaire de contrôle des internautes offre une opportunité provisoire aux moutons pour qu’ils comprennent fugitivement ce que signifie la condition de mouton. Dans cette instant de lucidité, les loups, moins nombreux, auraient peu de chances de les dévorer.
En France, la situation est propice à cette prise de conscience, dans la mesure où ses politiciens, particulièrement voraces, ont grignoté si rapidement les libertés sur les routes, face à l’alcool, au tabac et à toute déviance dûment estampillée criminogène pour que plus aucun citoyen n’ignore qu’il est devenu un gibier pour une police dont les primes dépendent du nombre de moutons noirs capturés.
La vérité, ça n'existe pas?
Comme je l’écrivais dans les dernières phrases du blog du 24 mai dernier, ce sont les philosophes qui se sont chargés d’ébranler les certitudes scientifiques, avec l’aide d’une arme secrète, l’ego.
David Hume ouvrit les hostilités en postulant que toute pensée commence par des impressions. Pour lui, si les sensations sont les seuls faits vérifiables, la cause d’un évènement n'est pas observée mais provient simplement de la proximité de deux faits constatée par un individu. Du coup, on ne peut plus faire état de relations de cause à effet objectives. Descartes enfonça ensuite le clou avec son « je pense donc je suis ». La pensée de l’individu était par définition subjective et la philosophie était sommée de se recentrer sur le moi, autour duquel le monde devait tourner.
Si l’on admettait que l’Univers était voué à la réalisation de soi, il n’était plus question d’accepter les doctrines déterministes de Leibniz et de Spinoza, qui devinrent aussitôt hérétiques. Il faut se souvenir en effet du Traité théologico-politique de Spinoza. Sa thèse consistait à placer la métaphysique au service de l’éthique et à identifier Dieu à la nature. Il niait qu’il puisse exister une liberté de la volonté. Le contraire du subjectivisme triomphant de Descartes.
La seule autre résistance notable des philosophes au subjectivisme a été celle de Kant. Ce dernier a posé le principe de l’existence d’une réalité inaccessible, transcendante et idéale que l’on pouvait découvrir plutôt par l’intuition que par la raison. Il ne prenait donc pas l’individu comme sujet créateur de la vérité, mais il doutait que la science puisse l'approcher, cette vérité.
Après Kant, les philosophes ont renoncé à rechercher les moyens d'atteindre LA vérité objective, dans la mesure où ils se sont repliés sur la conscience du « moi ». Arthur Schopenhauer s’est ainsi attaché à montrer les limites de la pensée de Kant, en posant que la source de la vérité se situait dans la volonté de l’individu. Quant à Nietzsche, il a carrément refusé d’envisager la possibilité qu’il puisse exister une vérité objective.
Le subjectivisme n’a pas été pas seulement adoubé par la philosophie. Il a trouvé un renfort puissant chez les linguistes, lorsque Saussure a montré qu’aucun langage ne permettait de formuler quoi que ce soit d’assuré. Il a donc fallu se résigner à perdre confiance dans le langage comme moyen d’expression de la vérité.
Dans cet océan de scepticisme, la résistance de Wittgenstein s’est limitée à observer que « le doute n’existe que lorsqu’une question se pose, qu’il n’y a une question que lorsqu’il y a une réponse, et seulement lorsque quelque chose peut être dit. » Il y avait donc question et réponse possible quelque part, tout espoir n’était pas enfui. Mais, dans ses « Investigations Philosophiques », Wittgenstein examine ce que l’on peut entendre par « dire la vérité » et il est obligé de reconnaître que le langage ne peut rien dire sur les objets. Lorsque l’on comprend un langage, observe t-il, ce n’est pas parce qu’il correspond à la réalité mais parce qu'il obéit à des règles d'usage que nous connaissons. Ainsi, quand nous croyons comprendre, nous comprenons simplement les termes que contient le langage, mais pas le sens que l’autre veut nous faire saisir et encore moins les éléments « objectifs » qu’il contient. Terrible constat, notamment pour votre capacité à comprendre ce que je veux dire et pour ma volonté de dire quelque chose de "vrai" : puisque le langage précède l'expérience, nous sommes simplement train de fabriquer un univers qui correspond à notre ego lorsque nous cherchons à nous exprimer.
Au total, Wittgenstein a fini malgré lui par nous convaincre qu’il n’y avait aucune possibilité de dire quoi que ce soit de vrai. Et comme la pratique fait que la « vérité » ne peut être représentée que par les trois langages du parler et de son substitut l’écrit, de l'art ou de la logique, et comme la philosophie nous dit que nos perceptions soient emprisonnées par le langage, il ne nous reste plus qu’à renoncer à toute prétention d’acquérir une connaissance objective des faits.
Troublant constat, triste perspective. Mais que reste t-il des certitudes scientifiques ?
Le Parti Pirate défend les libertés
La Suède montre souvent l’exemple en Europe, notamment dans le domaine social. Cette fois ci, c’est la liberté des citoyens qu’elle défend autour du débat sur le téléchargement.
Créé le 1er janvier 2006 par Rick Falkvinge, 37 ans, ancien membre des jeunesses du parti libéral de centre droit, le Piratpartiet (Parti pirate) est en position de rassembler de 5% à 10% d'intentions de vote le 7 juin prochain et d’envoyer deux députés au Parlement européen sur le total de 18 sièges attribués à la Suède. Ce serait un assez joli pied de nez aux politiciens suédois, au moment précis où la Suède s’apprête à prendre pour six mois la présidence de l’Union Européenne.
Le Piratpartiet se définit comme un mouvement pour les droits civiques, en demandant que les libertés civiles aient cours également sur le Web. Comme il est interdit aux services postaux d'ouvrir les lettres des particuliers ou que personne n'oserait proposer de répertorier les journaux que nous achetons, il devrait être interdit à l’État d’enregistrer et de pister les sites que visitent les internautes, que ce soit des sites de rencontres, d'information, de réservation de voyages.
L’argument de la protection de l’industrie des biens culturels paraît obsolète au Parti Pirate. Si des consommateurs veulent payer pour des produits culturels, des entrepreneurs sauront leur offrir des produis adaptés. Mais si les mêmes personnes ne veulent pas payer pour ces produits, alors aucune loi ou monopole ne sera capable de les forcer à payer pour des biens qu'ils ne désirent pas. Ce que les politiciens ne comprennent apparemment pas, c’est que le Web est bidirectionnel, qu’il s’agit d’un un réseau de pairs où chacun est l'égal de chacun et où la navigation ne peut être entravée par qui que ce soit. Ils croient qu’il est possible de diviser les internautes en deux groupes, d’un côté les émetteurs approuvés par l’État qui sont supposés fournir des contenus au marché et les autres qui sont censés se comporter en receveurs passifs, des consommateurs dont le seul droit serait de se taire et de payer pour accéder à ces contenus.
Ce faisant, les politiciens confondent Internet et les réseaux de télévision câblée. Ils ne se rendent pas compte que sur Internet, chaque personne connectée participe à l’échange, et que chacun se fiche des soi-disant offres compétitives qu’ils se proposent d’encourager. Ils n’arrivent pas à comprendre, et c’est assez naturel au fond, qu’Internet est une innovation du même ordre d’importance que l’invention de la presse.
Pendant que les Suédois s’organisent pour chasser les politiciens rétrogrades, l’État s’accroche en France à la loi Hadopi, qui prétend couper l’accès à Internet à toute personne qui téléchargerait « illégalement » un produit culturel, tout en affirmant qu’il n’attente de la sorte en rien à la liberté des citoyens. Dans le dessein affiché de protéger les intérêts d'une partie de l'industrie culturelle, les députés français ont créé un tribunal d’exception, l'Hadopi, qui aura pour charge d'avertir et de sanctionner des internautes dont le seul tort avéré aura été que leur adresse IP apparaisse sur des relevés d'infractions effectués, on ne sait trop par quelle méthode, par des ayants droit. Et le seul moyen pour l'internaute innocent de plaider sa bonne foi auprès de l'Hadopi sera d'avoir installé au préalable un logiciel de sécurisation labellisé par l'Etat, qui sera contrôlé à distance et en permanence par une société privée. Ce sera un véritable spyware que l'État compte imposer aux internautes par l’État, contre tous les principes de la liberté d’expression.
En toute sincérité, je souhaite bon courage aux futurs candidats aux élections qui se réclameront de la loi Hadopi. Il leur en faudra, le soir des résultats…