Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

Eloge de la lenteur

28 Novembre 2013 Publié dans #PHILOSOPHIE

Le 7 novembre dernier, je terminais mon blog intitulé « Mort aux faibles? » en m’interrogeant sur ce que Nietzsche entendait par « faiblesse »

Tortue-escargot

Qu’entendons nous en effet par cette dernière? doit-on la voir comme un manque de volonté ou comme une incapacité à prendre des décisions et à s’y tenir ? Ainsi « être faible » se manifesterait à la fois par le manque de volonté pour résister aux tentations, mais aussi pour entreprendre une action positive…

Or, malgré l’image qu’il utilise en se référant à la volonté de puissance, Nietzsche ne croit pas plus au concept de volonté qu’à celui de liberté. Il ne pense pas que la volonté soit une faculté autonome capable de maitriser notre vie intérieure, faite de pulsions, d’instincts et de désirs. Aussi ne considère-il pas la faiblesse comme un défaut intrinsèque. Pour lui, la faiblesse, comme la force, correspondent plutôt à la manière dont nous organisons notre vie intérieure. Il estime que, lorsque nos pulsions sont structurées en un système cohérent, nous avons le sentiment d’avoir une volonté forte. Au contraire, quand nos pulsions sont désorganisées et se combattent mutuellement, nous sommes faibles.

D’après Nietzsche, la faiblesse se caractérise par deux caractéristiques particulières, l’incapacité à résister à une impulsion et l’anarchie des pulsions. Il leur oppose la lenteur, qui permet de freiner la tendance à réagir immédiatement aux stimuli qui nous agressent, tout en concentrant nos forces pour leur permettre de les rassembler vers un but.

La faiblesse se traduit alors par la dissipation, la distraction permanente, qui ne permettent pas de s’engager dans un projet à long terme. C’est ainsi que certains sont littéralement incapables de supporter une minute de silence, et il faut que leur attention soit en permanence accaparée par des images télévisées, une conversation téléphonique ou un jeu vidéo.

Le paradoxe que propose Nietzsche réside dans ce que la faiblesse ne consiste pas à se trouver dans l’incapacité d’agir mais dans celle de ne pas agir. Pour lui, pour nous renforcer, nous devons donc apprendre à ne rien faire :

« On ne réagit jamais plus rapidement, plus aveuglement, dont quand on ne devrait pas réagir du tout. La force d’une nature se trouve dans l’attente et la remise au lendemain de la réaction » (Fragment posthume de 1888, 14, 102).

Cette éducation de la volonté consiste à apprendre la lenteur, plus précisément la capacité à réagir lentement, en s’imposant une sorte d’inhibition de la volonté. Inversement, la faiblesse consiste à réagir spontanément, à l’emporte-pièce, sans laisser mûrir notre réflexion. Combien de fois nous est-il ainsi arrivé de regretter d’avoir réagi à chaud, d’avoir employé sur le coup de l’émotion des mots trop forts, d’avoir pris dans le feu de l’action des décisions sur lesquelles nous ne pouvons plus revenir désormais ?

On ne perçoit en effet les détails et les subtilités d’une situation que si l’on suspend son jugement pour s’abandonner à la contemplation. Nietzsche en fait même un projet éducatif :

« Apprendre à voir, habituer l’œil au calme, à la patience, au laisser-venir-à-soi ; différer le jugement, apprendre à faire le tour du cas particulier et à le saisir de tous les côtés. » (Le crépuscule des idoles, 6)

Ce que Nietzsche appelle force est donc tout le contraire de la brutalité, de l’agressivité ou de la démonstration ostentatoire : il est question de retenue, de calme, de temps pris pour agir.

Il estime que la véritable activité surgit d’une passivité profonde, issue de la patience d’attendre que notre force grandisse. 

Lire la suite

Robespierre vaincu par le tohu-bohu

21 Novembre 2013 Publié dans #HISTOIRE

Le 3 novembre dernier, dans un blog intitulé « Le jour où Cambon terrassa Robespierre », je mettais en scène le combat qui vit Cambon remporter la première manche du combat que Robespierre avait déclenché le 26 juillet 1794.

Nuit 8th-And-9th-Thermidor,-27th-To-28th-July-1794À la fin de la séance de la Convention, le 26 juillet 1794, Robespierre n’a été ouvertement soutenu que par Georges  Couthon*. Le soir, c’est avec ce dernier que Robespierre se rend au club des Jacobins qui lui est largement acquis. C’est encore Couthon qui demande l’exclusion du Club des Jacobins de tous les conventionnels qui ont voté dans l’après-midi contre le discours de Robespierre à la Convention. Une trentaine de députés montagnards sont ainsi exclus du Club sous les coups et les cris « À la guillotine ! ».

Il est vrai que Robespierre n’a pas perdu la partie. Il a pour lui la majorité des Jacobins, l’état-major de la Garde nationale dirigée par Hanriot et la Commune. Il espère bien pouvoir ressaisir la majorité parlementaire à la Convention le lendemain, avant de régler ses comptes avec ses ennemis, par l’entremise de la guillotine.

La même nuit du 26 au 27 juillet, ses ennemis se sont justement réunis dans la salle des délibérations du Comité de Salut Public ou s’est installé Saint-Just, proche de Robespierre, qui prépare un discours devant la Convention qu’il doit prononcer le lendemain.

Les hommes qui sont assis à côté de lui, Billaud etCollot, se demandent s’il n’est pas en train, sous ses airs studieux, de préparer benoîtement leur acte d’accusation. Barère, de son côté, craint une insurrection de la Commune en faveur de Robespierre. C’est pour la prévenir qu’il fait convoquer le maire de Paris Lescot-Fleuriot et qu’il le retient pendant quatre heures afin de désorganiser les préparatifs d’une éventuelle insurrection. Au lever du jour, Saint-Just quitte le Comité de Salut Public en promettant, pour rassurer ses collègues, de revenir lire son rapport vers 10 heures du matin avant de prononcer son discours.

Mais ses collègues l’attendront en vain jusqu’à midi, heure à laquelle Saint-Just leur fait parvenir un billet pour les prévenir qu’il lira son discours directement à la Convention. Il ne sait pas que ce billet le condamne à mort.  Car, dés qu’ils sont prévenus, furieux et inquiets, ils se précipitent à la Convention dont la séance a commencé à onze heures.

De plus, le Comité de Salut Public, la Convention et à fortiori le Club des Jacobins ignorent qu’une conspiration s’est nouée dans la nuit, qui leur ôte les cartes des mains. Le discours de Robespierre a indirectement dénoncé et donc directement menacé Barras, Fouché, Tallien, Lebon et Carrier. Ces hommes se sont précipités auprès des chefs de la Plaine, Boissy d’Anglas, Durand-Maillane ou Palasne-Champeaux, leur promettant la fin de la Terreur en échange de leur soutien. Ces derniers sont inquiets des risques qu’implique une conspiration contre Robespierre, mais ils finissent par s’y rallier, rassurés par la participation de Carnot et Barère au complot. Pour contrer la puissance manœuvrière de Robespierre à la Convention, ils mettent au point une tactique qui va se révéler payante : l’empêcher de prendre la parole en couvrant ses déclarations par des hurlements.

À onze heures,le 27 juillet 1794 (9 thermidor an II), la séance est ouverte par le Président Collot d’Herbois. Les tribunes, prévues pour neuf cent personnes, sont pleines à craquer depuis cinq heures du matin.

Le match sanglant peut commencer.

Saint-Just, vingt sept ans, très élégant dans son habit chamois et son gilet blanc, monte à la tribune. Il n’a que le temps d’entamer son discours que Tallien, qui a compris qu’il va se prononcer en faveur de Robespierre, l’interrompt, l’accusant de parler en son nom personnel et non en celui du Comité de Salut Public. C’est à ce moment là qu’arrivent, essoufflés, les membres du dit Comité, dont Billaud-Varenne qui  escalade la tribune et accuse Saint-Just de ne pas avoir respecté son engagement de soumettre son discours aux membres du Comité de Salut Public.

Comme Saint-Just ne répond pas, Billaud-Varenne s’attaque à Robespierre et lorsque celui-ci veut répondre, les conjurés, comme convenu, crient « À bas le tyran ! » pour couvrir sa voix.  Saint-Just, qui n'a pas quitté la tribune, se contente de regarder. Billaud-Varenne, dans le vacarme et la confusion, demande l’arrestation d’Hanriot et de son état-major et aussi celle de Dumas, le président du Tribunal révolutionnaire, ce qui provoque la réaction de Robespierre qui monte à la tribune mais ne peut s’exprimer, sa voix étant couverte par la clameur des « À bas le tyran ! » qui fusent de l’assemblée et des tribunes.

Le président Collot d’Herbois donne alors la parole à Barère qui fait voter un décret ôtant à Hanriot le commandement de la garde nationale. Vadier et Tallien lui succèdent, auxquels Robespierre tente de répondre mais dés qu’il ouvre la bouche les cris couvrent sa voix. On l’entendra néanmoins prononcer cette adresse fameuse et paradoxale à Thuriot, lui qui a fait tuer des dizaines de milliers de personnes : « Pour la dernière fois, président d’assassins, je te demande la parole » à laquelle Thuriot, qui a remplacé Collot d’Herbois à la présidence, répond platement qu’il n’aura la parole qu’à son tour.

 

Dans ce tohu-bohu, c’est un député de l’Aveyron, Louis Louchet**, montagnard et ami de Danton que Robespierre avait fait guillotiner le 5 avril précèdent, qui ose  demander un décret d’arrestation contre Robespierre...

* Georges Couthon sera logiquement guillotiné avec Robespierre et Saint-Just, le 28 juillet 1794, le surlendemain des faits relatés ici.

** Louis Louchet a continué sa carrière sous le Directoire et l’Empire comme Receveur des Impôts dans le département de la Somme…

Lire la suite

L'éternel retour des régimes autoritaires

16 Novembre 2013 Publié dans #ACTUALITÉ

Le 11 novembre dernier, je concluais mon blog intitulé «  Le printemps arabe a t-il jamais existé » par la proposition qu’il existait plutôt des printemps arabes spécifiques qu’un printemps arabe.

 

Generaux-Algerie.jpgIl faut donc, si l’on accepte cette idée, replacer ces mouvements en cours dans leur double contexte, temporel et national pour saisir leur signification et anticiper leurs futures évolutions :  

Les “Printemps arabes” sont les légataires d’une protestation sociale et politique qui n’a jamais cessé depuis un demi siècle. Les émeutes de la faim en 1979 en Egypte, en 1984 en Tunisie, en 1989 en Jordanie, les mobilisations civiques en 2005 au Liban, les grèves en 1978 et en 2008 en Tunisie et tout au long des années 2000 en Egypte ont été les matrices des « printemps arabes ». Ces protestations s’inscrivaient dans le cadre de régimes autoritaires, tout d’abord  nationalistes comme ceux de Nasser en Egypte, Modibo Keita au Mali, Ben Bella et Boumediene en Algérie, Ben Youssef, Ben Salah et jusqu’en 1969  Bourguiba lui-même en Tunisie, puis économiquement libéraux comme Sadate en Egypte, Moussa Traore au Mali, Bourguiba après 1969 et Ben Ali en Tunisie, Chadli en Algérie.

De plus, les situations politiques  se sont cristallisées dans le cadre national, un cadre que le panarabisme et l’islam sont incapables de dissoudre. L’Etat-nation laïque engendré par ce cadre national s’est accompagné de l’émergence d’une classe dirigeante « moderne », éduquée à l’européenne, négligeant la religion, tournant le dos à la « tradition » avec une conception autoritaire du réformisme qui a réduit le gros de la population à une situation subalterne.

Ce processus s’inscrit dans une asymétrie ethno-confessionnelle et territoriale, d’où la question copte et chrétienne, les problèmes kurde et kabyle, mais aussi le mécontentement des provinces de l’intérieur en Tunisie, de la Jezirah en Syrie, de la Cyrénaïque en Libye, de la Haute-Vallée du Nil en Egypte ou du Nord au Mali. La plupart des conflits qui accompagnent ou les « Printemps arabes » sont des produits dérivés de cette double asymétrie, qui entraine aussi la remise en cause des factions qui se nouent autour d’un homme, d’une famille ou d’une ville.

L’exercice du pouvoir dans ces États autoritaires est dédoublé entre des institutions formelles, telles que le Parlement, le Parti Unique ou le Chef de l’Etat, et des structures occultes qui semblent contrôler l’essentiel du jeu. On a ainsi souvent l’impression que le chef de l’Etat est le fondé de pouvoir d’un Conseil d’Administration auquel il doit rendre des comptes.

Les cas de l’Algérie et de la Syrie sont révélateurs, comme l’ont montré les processus de succession présidentielle. Or, les « Printemps arabes » ont sans doute accentué ce dédoublement des structures d’autorité en incitant l’Etat profond à s’enfouir dans des replis secrets d’où il peut mettre en œuvre une stratégie de la tension destinée à favoriser la restauration autoritaire, avec les ressources occultes des pétromonarchies.

Aussi l’un des enjeux des “Printemps arabes” a trait à la capacité des tenants de la situation autoritaire à perpétuer leur emprise sur le monde des affaires, en dépit des changements politiques. L’armée, important bénéficiaire des ressources économiques de ces États, est particulièrement concernée par cet enjeu. En Algérie, l’armée garde ostensiblement le pouvoir politique, elle vient de le reprendre en Egypte pour le céder dans quelques mois à un fondé de pouvoir.

Comme ces situations autoritaires s’enracinent dans l’histoire et dans les différentes sociétés nationales, elles disposent d’une véritable assise populaire car elles sont autant  produites par le bas que par les politiques publiques d’un Etat supposé omnipotent.

Certes, il ne s’agit pas de minimiser l’ampleur des répressions auxquelles se sont livrés les États autoritaires en Syrie, en Irak, en Algérie et même en Tunisie. Mais la résilience des situations autoritaires ne s’explique pas seulement par le recours systématique à la coercition. Ces régimes ont également procédé à des redistributions de revenu par le biais de subventions publiques aux produits de première nécessité, dont la suppression a toujours été le déclencheur de graves émeutes. Ils ont procédé par cooptation et par une surveillance économique qui ont engendré une part de servitude volontaire. De plus, les régimes autoritaires doivent composer avec une société civile, qui est celle des guildes du bazar, des ulémas, des syndicats ou des familles.

 

Il nous semble probable que les processus de restauration autoritaire reconduisent les systèmes qui ont précédé les « révolutions arabes », même si les événements de ces deux dernières années sont en train de semer les graines de futures transformations. 

Lire la suite

Le printemps arabe a t-il jamais existé?

11 Novembre 2013 Publié dans #ACTUALITÉ

L’aggravation de la guerre civile en Syrie, la restauration autoritaire en Egypte, la tension politique en Tunisie, la déstabilisation du Liban, la perpétuation du chaos en Irak et en Libye suscitent l’inquiétude qui succède à l’espérance démocratique du printemps arabe.

printemps-arabe.jpgMais le printemps arabe a t-il jamais existé ?

En effet, le renversement de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Egypte, la rébellion armée contre la dictature de Kadhafi en Libye, la protestation civile contre celle d’Assad, la contestation de Saleh au Yémen ou l’occupation de la place de la Perle par les manifestants au Bahreïn répondent à des logiques propres.

Tout d’abord, la communauté des croyants musulmans n’a pas d’expression politique, même si on ne peut pas ignorer  la circulation des combattants d’un front à l’autre, les échanges entre les mouvements qui se réclament des Frères musulmans, les financements politiques et les livraisons d’armes en provenance du Golfe. 

Il faut ensuite situer les événements de 2011 dans la continuité de mobilisations antérieures, les longues luttes sociales, politiques ou civiques, comme les grèves du bassin minier de Gafsa, en Tunisie en 2008 ou le Printemps de Beyrouth en 2005, après l’assassinat du Premier ministre Hariri. Ils s’inscrivent aussi dans la lignée du nationalisme radical des années 1950 dont procèdent très directement les Frères musulmans égyptiens. Les « Printemps arabes » ont condensé dans une courte période des transformations de divers ordres qui étaient en germe dans chaque pays en fonction des spécificités de leur organisation des rapports sociaux, de leurs échanges économiques et de leurs institutions. 

Pour tous les pays pourtant, l’on a observé que le « printemps arabe » se traduisait par une victoire provisoire des partis islamiques qui bénéficiaient de leur implantation dans la société et de leur invocation de principes islamiques. Ils comblaient ainsi simultanément les attentes religieuses et l’espérance d’une plus grande justice sociale. Comme de plus, ils étaient auréolés du prestige de la répression qu’ils avaient subis de la part des régimes autoritaires et qu’ils disposaient du  financement provenant des pétromonarchies du Golfe, il n’est pas étonnant qu’Ennahda en Tunisie et les Frères musulmans en Egypte aient obtenus des victoires électorales marquantes.

Ces partis islamiques conservateurs ont proposé un modèle de société de bien-être fondé sur la « charité ». Cet islam de marché repose sur des transformations profondes du champ religieux, qui s’est désormais positionné aussi bien dans les domaines de la banque, de la finance, de l’industrie ou du commerce que dans ceux de l’enseignement, de la prédication ou du pèlerinage. Mais ils ont ensuite été confrontés à trois défis:

assurer la croissance économique, seule susceptible d’améliorer le niveau de vie des masses populaires ;

garder le contrôle de l’expression politique de l’islam ;

affirmer leur domination politique dans le cadre du parlementarisme.

De fait, en Egypte et en Tunisie, les partis islamiques au pouvoir n’ont pu éviter la scission des salafistes et n’ont pas fait la preuve de leur compétence économique. Cela a conduit les Frères musulmans à perdre la mise politique en Egypte et Ennahda en Tunisie à se retrouver sous la pression conjuguée de l’opposition de gauche et des nostalgiques de l’ancien régime.

C’est ainsi que l’Egypte est passée à une seconde phase, celle de la restauration autoritaire provenant de la volonté de l’armée et des privilégiés de l’ancien régime de préserver leur empire économique, par le biais d’une stratégie de la tension à l’encontre des Frères musulmans, avec l’appui des salafistes du parti Al-Nour et avec le soutien financier de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.

En Tunisie, les intérêts constitués autour de Ben Ali n’ont jamais baissé les bras tandis qu’Ennahda s’est de son côté résigné à réprimer la mouvance salafiste, sans toutefois couper les ponts avec cette dernière comme le montrent les circonstances des assassinats politiques de 2013.

Mais il reste que le scénario le plus noir est celui des guerres civiles de Syrie et de Libye. Elles ont débordés les frontières des Etats contestés, provoquant des exodes de populations, déstabilisant les équilibres régionaux et intensifiant les trafics d’armes. La Tunisie et le Mali continuent de subir de plein fouet les effets collatéraux de la guerre civile en Libye tandis que les retombées de la guerre syrienne sont beaucoup  menacent d’être plus graves du fait de l’implication concomitante de la Russie, de l’Iran, de la Turquie, des pays occidentaux, de l’Arabie saoudite et du Qatar.

En outre, le traumatisme de ces guerres civiles sera de longue durée, du fait des bouleversements humains et économiques qu’elles provoquent. Les veuves, les orphelins les réfugiés, les déplacés, les combattants, les perdants du conflit voire les criminels de guerre ne sont pas prêts de se retrouver dans un nouveau régime apaisé.

 

Si l’on constate ces évènements issus des printemps arabes, plutôt que du printemps arabe, il reste à trouver une clé pour comprendre l’évolution des mouvements en cours…

 

(À SUIVRE)

Lire la suite

Mort aux faibles?

7 Novembre 2013 Publié dans #PHILOSOPHIE

À la fin de mon dernier blog consacré à la philosophie de Nietzsche publié le 15 octobre dernier (« Oui à la vie »), je concluais par l’interrogation suivante : «  Faut-il pour autant ne jamais lutter contre l’inacceptable ? »

 

renardC’est que l’approche que je présentais de la philosophie de Nietzsche laissait croire qu’il fallait prendre ses distances avec tout ce qui nous déplaisait ou qui nous agressait. Pourtant, dans l’esprit du philosophe, il ne s’agit pas de renoncer à intervenir lorsque l’on a les moyens de le faire, mais de ne pas se complaire dans un ressassement stérile de nos querelles, afin de ne pas s’épuiser dans un combat aussi interminable que vain.

Cela n’a aucun sens, par exemple, de condamner matin et soir des journalistes auxquels on ne peut pas répondre ou des politiques auxquelles on ne peut pas s’opposer ou encore des comportements que l’on déplore, mais que l’on ne peut pas changer.

Par contre, l’attitude qui paraît correcte à Nietzsche consiste à rester en éveil, afin d’intervenir, dés que nous en avons les moyens, face à ce qui nous paraît inacceptable.

Pour ce faire, nous devons nous concentrer sur notre capacité d’action :

« Au fond, j’ai en horreur toutes les morales qui disent : « ne fais pas telle chose ! renonce ! dépasse toi ! Je suis en revanche bien disposé envers les morales qui m’incitent à faire quelque chose… » (le Gai Savoir, IV, 304) 

Pour Nietzsche, « nier », « refuser » sont les signes d’une impuissance à transformer la réalité.

Ce sont leurs faiblesses qui empêchent la plupart des êtres humains de dire « oui à la vie » : c’est parce qu’ils sont trop faibles, physiquement ou psychiquement, qu’ils manquent de ressort et de défenses, qu’ils ne supportent le poids de l’existence, qu’ils sont incapables d’encaisser les coups du sort, c’est pour toutes ces raisons que les hommes  en sont réduit à rejeter la vie en bloc.

Or, la logique de la vie implique que toute déconvenue, toute souffrance, toute tragédie de l’existence doit être l’aiguillon de notre force ; chacune d’entre elles devrait nous inciter à affirmer notre volonté de puissance de manière toujours plus vigoureuse,  c’est à dire de manifester notre volonté de vivre.

Ce n’est pas parce que nous avons des idées noires que nous nous sentons blasés ou dégoutés, mais c’est parce que notre énergie vitale est affaiblie que nous avons besoin de nous refugier dans des idées noires. Les délires meurtriers des fanatiques, comme les excès de toutes sortes, qu’ils s’expriment sous forme de violences, de drogues ou d’addictions diverses, s’expliquent par la faiblesse de ceux qui y succombent. C’est cette langueur qui nous contraint à rechercher des excitations toujours plus puissantes pour se sentir en vie.

Du coup, Nietzsche n’y va pas par quatre chemins avec les faibles :

« Les faibles et les ratés doivent périr. Et on doit même encore les y aider » (L’Antéchrist 2). Incroyable ! Un nazi avant l’heure ! Heureusement, il faut comprendre qu’il s’agit plutôt d’une démonstration philosophique que d’un appel au meurtre !

Le but de cette phrase choquante est de montrer que, si l’on ne modifie pas nos valeurs, l’instinct d’autodestruction contenu dans notre faiblesse nous conduit logiquement à la mort, qui est la conséquence logique du nihilisme : énoncer que les faibles doivent périr, c’est nous inciter à choisir la vie.

 

Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on veut dire par le terme de « faiblesse »…

Lire la suite

Le jour où Cambon terrassa Robespierre

3 Novembre 2013 Publié dans #HISTOIRE

 

Donc (voir mon blog du 9 octobre dernier, intitulé " À l'été 1794, un trou noir surgit au coeur du pouvoir"), le 26 juillet 1794, Robespierre montait à la tribune de la Convention et passait à l'attaque…

 

CambonDésorientant les députés, il appelle à épurer sans plus attendre les deux Comités, le Comité de Salut Public et le Comité de Sûreté Générale. Les admirateurs de Robespierre oublient souvent de préciser que c’est en s’attaquant à la gauche de l’Assemblée et non à la droite, qu’il est tombé : pour s’assurer du soutien de la droite, Robespierre rappelle d'ailleurs au cours de sa harangue comment il avait sauvé soixante-quinze Girondins, puis il s’attaque à la gauche de l'hémicycle en la stigmatisant pour son système financier suspect, sa exécrable conduite de la guerre et le mauvais usage qu’elle faisait  de la Terreur.

Il déclare notamment : « La contre-révolution est dans l'administration des finances... Quels sont les administrateurs suprêmes de nos finances ? Des Brissotins, des Feuillants, des aristocrates et des fripons connus : ce sont les Cambon, les Mallarmé, les Ramel. »

Stupéfaite, l'Assemblée commence par approuver Robespierre. Mais il vient de mettre en cause nommément Pierre Joseph Cambon. Ce dernier n’est pas un député anonyme : négociant en toiles à Montpellier et député de l’Hérault, il fait partie du Comité de Salut Public depuis avril 1793. Sa réputation d’expert financier lui a valu de devenir Président du Comité des Finances. Il a présidé plusieurs fois la Convention. C’est lui qui a fait voter le Décret sur l’administration révolutionnaire française des pays conquis, à propos duquel il a écrit au Général Dumouriez chargé d’administrer la Belgique conquise : « Quand on aura ruiné les Belges*, quand on les aura mis au même point de détresse que les Français, alors on les admettra comme membres de la République ». Ce n’est donc pas un tendre ! C’est lui aussi qui a fait approuver la loi sur la confiscation des biens du clergé et qui a créé le 24 août 1793 le  Grand-Livre de la Dette publique par lequel  la Convention, afin de rallier les rentiers à la Révolution, reconnaît les dettes de l’Ancien Régime.

À cet instant, sa peau ne vaut plus très cher, c’est pourquoi il a le courage de monter à la tribune pour contrer Robespierre où il déclare dans un silence de mort : « Avant d'être déshonoré, je parlerai à la France, un seul homme paralyse la volonté de la Convention : Cet homme c'est Robespierre ! ».

Le discours de Robespierre avait été suffisamment général pour que, peu ou prou, chacun des Conventionnels présents se sentent visés par ses imprécations. La réponse de Cambon et le silence de Robespierre, empêché de parler par Thuriot qui présidait ce jour là la Convention, firent que d’autres Conventionnels prirent assez de courage pour se ruer à la tribune, comme Billaud-Varenne qui hurla : « Il faut arracher le masque ! J'aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence complice de ses forfaits ! », suivi par Panis qui se fit un devoir d’avertir la Convention qu'une liste de proscrits avait déjà été dressée puis par Challier qui somma Robespierre de se dévoiler: « Quand on se vante d'avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez ! » ce qui conduisit laConvention à désapprouver  Robespierre.

 

Ce dernier quitta derechef la séance pour se rendre au Club des Jacobins où il se fit acclamer en dénonçant la gauche du Comité de Salut Public, tandis que Collot d’Herbois et Billaud-Varenne partaient immédiatement aux Tuileries pour avertir le Comité de Salut Public, hostile en majorité à Robespierre, de la fronde de la Convention. 

* l’ironie de l’histoire voulut que Pierre Joseph Cambon fut contraint de s’exiler sous la Restauration chez les Belges, ceux la même qu’il voulait affamer. C’est à Bruxelles qu’il est mort le 15 février 1820…

Lire la suite