interlude
DIRECTEUR OU PROFESSEUR
Avec un peu d'autodérision, je me rends l’hommage suivant : jusqu'ici, jamais je n’ai manqué de me poser des questions existentielles du genre « pourquoi suis-je ici et pas ailleurs ? ».
À Strasbourg, il a fallu peu de temps pour que je me sente écartelé entre le métier de directeur d’École de Commerce et celui de professeur. En outre, si l’on se souvient que j’effectuais des déplacements Strasbourg-Nice aller-retour pratiquement toutes les semaines, ma vie était éclatée entre les deux villes. Je n'étais jamais au bon endroit.
Il me fallait choisir, Strasbourg ou Nice, ce qui signifiait qu'il me fallait décider si je voulais être directeur ou professeur. J'avais accepté la direction de l'IECS par défi, mais je voyais bien que je préférais le métier de professeur à celui de directeur, alors qu'aujourd'hui, à un moment où je suis parvenu au-delà de la fin de ma carrière de professeur, le métier de direction me convient mieux.
Je trouvais alors la problématique de manager un peu vaine, avec ses solutions en demi-teinte qu'il fallait toujours remettre sur le tapis. Car, en management, je le sais depuis longtemps, il n'y a jamais de bonne solution, il n'y a que de moins mauvaises solutions, et pire encore, de moins mauvaises solutions provisoires.
Professeur, c'était plus clair, je préparais, donnais et terminais un cours comme une démonstration qu'il fallait "vendre" aux étudiants. Une fois le cours achevé, c'était fini, je passais à autre chose, le coeur tranquille. De même, j'écrivais un article, qui, une fois achevé et publié, permettait à mon esprit de se tourner tranquillement vers un autre problème. Lorsque, par ailleurs, je montais des programmes à l'étranger que j'avais conçus ou réalisés à la demande, Je pouvais songer à de nouveaux défis dès lors que les précédents avaient abouti.
Directeur, c'était un travail sans fin. Injustement, je n'admirais guère mes collègues directeurs des autres écoles dont je trouvais l'agitation assez vaine. Aujourd'hui, je pense autrement, car je réalise plus clairement la performance que représente le management d’une école. Le seul élément positif de la direction, en dehors du salaire et du pouvoir, me semblait alors se situer dans le travail d'équipe qui permettait des victoires collectives.
Un grave incident qui se déroula quelques mois avant mon départ de la direction montre bien la différence fondamentale entre le métier de professeur et de directeur, autour des notions de responsabilité et de décision, sinon de victoire collective :
L'IECS avait organisé une soirée étudiante, à laquelle j'avais participé comme une bonne partie du personnel de l'école. Parmi les étudiants, une étudiante autrichienne s'était sentie mal dans la nuit et le matin, j'ai appris par le Secrétaire Général, Jean-Pierre Kennel, qu'elle était décédée, victime d'une méningite. Ce matin-là, j'avais un cours de trois heures à donner pour les DEA de gestion et je demandais à Jean-Pierre Kennel d'interroger la préfecture pour déterminer la procédure à suivre, en raison des risques de contagion qui étaient notamment liés à la soirée à laquelle cette étudiante avait participé.
En tant que professeur, j'aurais attendu de connaitre à la fin du cours le résultat de notre investigation. Mais en tant que directeur, j’étais taraudé par la sourde inquiétude que le processus lancé ne se passe pas comme prévu. Ce dernier sentiment l'emporta, ce qui me fit interrompre rapidement mon cours.
Bien m'en avais pris, car j'appris que la préfecture ne répondait pas, empêchée, me disait-on, par une réunion urgente à laquelle les fonctionnaires concernés ne pouvaient pas se soustraire. Je compris que ces fonctionnaires refusaient d'assumer la responsabilité des mesures à prendre et je décidais de les forcer à la prendre : je fis aussitôt envoyer un message signalant au Préfet que je fermerai l'IECS à midi si aucune instruction ne nous était transmise de sa part.
Aussitôt ces fonctionnaires trouvèrent les moyens d'interrompre leur réunion et ils envoyèrent dans l'heure qui suivit une équipe pour administrer un sérum à toutes les personnes présentes. Pour notre part, nous décidâmes, aux frais de l'IECS, de vacciner tous les étudiants et tout le personnel, dès que possible.
Ces décisions prises, exécutées ou en voie de l'être, je reçus un appel téléphonique en fin de matinée de la part de la rédaction de TF1, qui me demanda d'un ton accusateur s'il était bien vrai qu'une étudiante était morte et quelles étaient les mesures que je comptais prendre.
Vous imaginez quel aurait été le communiqué de TF1 pendant le journal de 20 heures si, à l'école, on lui avait répondu que le directeur était pris par un cours et que l'on espérait recevoir bientôt des instructions de la Préfecture afin de passer à l'action. Au lieu de cela, ils me joignirent directement et lorsque je leur expliquai les mesures qui avaient déjà été prises et les mesures à venir, ils me firent savoir assez sèchement, que tout compte fait, le sujet était sans intérêt pour eux.
Dans cette situation, après un moment d'hésitation entre mes devoirs de directeur et de professeur, j'avais rapidement donné la priorité au premier afin de limiter les risques pour les étudiants et le personnel et j'avais évité en outre une très mauvaise publicité pour l'école.
C'est ainsi que j'étais partagé. D'un côté, je me sentais mieux dans le rôle de professeur, d'un autre côté je ressentais ma démission éventuelle de directeur comme une désertion en rase campagne. Je ne cachais pas mes interrogations au Conseil d'administration et ce dernier me chercha un remplaçant; il envisagea de recruter le directeur de l'ESC du Havre, mais cette piste ne s'avéra pas praticable. Pour ma part, j'envisageais un moment de prendre un poste de professeur à Strasbourg, ce qui m'aurait laissé choisir à ma guise le moment de la sortie, mais, on l'a vu, c'était au-dessus de mes forces que d'abandonner définitivement Nice. Mais c'était aussi au dessus de mes forces que de démissionner de la Direction de l'IECS.
J'avais ainsi l'impression d'avancer dans une impasse, et avec moi l'école que je dirigeais, jusqu'au moment où un curieux processus interne me donna la force de m'arracher à l'IECS.
À SUIVRE
DE LA ROUTINE À LA CHASSE AUX "COLD-CASES"
Comment était dirigé l’IECS ? Le premier reproche que l'on me faisait, et à juste titre, était que ma présence à Strasbourg était limitée à trois jours et demi par semaine.
Car je me suis accroché aux cours que je continuais à donner à mi-temps à Nice, ce qui me permettait de garder mon poste à l'IAE de Nice. Un temps j'ai hésité à prendre un poste à Strasbourg. J'en ai même accepté un que j'ai ensuite refusé : on peut tout faire dans l'administration à un certain niveau de responsabilité. J'aimais Strasbourg, mais je craignais d'être totalement coupé de Nice et de sa région, qui reste ma région. C'est Maryse Martin qui m'a convaincue de ne pas transférer mon poste à Strasbourg en m'affirmant à juste titre :" si tu transfères ton poste, ils ne te laisseront jamais revenir!". Ils, c'étaient mes collègues qui siégeaient dans la Commission de Spécialistes, amis-ennemis, confrères-concurrents qui n'auraient pas résisté au plaisir de mettre des bâtons dans les roues de mon plan de carrière.
Donc chaque semaine, je quittais Nice le lundi matin pour arriver vers 13 heures à Strasbourg, après une escale à Lyon. J'ai raté de six heures le Lyon Strasbourg qui s'est écrasé le lundi 20 janvier 1992 sur le Mont Saint Odile en fin de journée.
Le lundi après-midi, je l'ai déjà écrit, je commençais par recevoir mon responsable commercial, moment un peu pénible car il me reprochait toujours, et à juste titre, de ne pas visiter assez d'entreprises, mais en revanche il m'apprenait beaucoup sur les entreprises alsaciennes. En outre, je ne m'en suis pas rendu compte sur le champ, il tenait beaucoup à ce rendez-vous où il se sentait reconnu et valorisé. C'est au point que mon successeur, le Professeur Hans Tümmers, qui ne lui accordait pas la même attention, provoqua sa démission au prétexte qu'il n'était plus écouté par le directeur, alors même qu'il recevait toujours un salaire fort important: on néglige souvent l'importance primordiale que les commerciaux accordent à être reconnus.
La suite de l'après-midi était consacrée à un autre rendez-vous rituel, qui résultait d'une sorte d'innovation managériale que j'avais tentée et qui a fonctionné de moins en moins bien, avec le temps. J'avais accumulé une série de problèmes qui n'étaient jamais réglé, parce qu'ils ne s'imposaient pas comme des priorités : par exemple, mettre des casiers à la disposition des vacataires ou passer un accord de coopération avec une université japonaise.
L'une de nos employés que je souhaitais garder étant libérée de son poste, je la chargeais de faire avancer, en mon nom, les problèmes non réglés, on dirait aujourd'hui les "cold cases". Elle devait harceler les personnels et les partenaires pour faire avancer des dossiers qui trainaient depuis longtemps et me rendre compte de leur avancement chaque semaine, le lundi après-midi. Au début, cela a magnifiquement marché, les casiers ont soudain été mis à la disposition des malheureux vacataires qui se plaignaient depuis deux ans de ne pas en disposer ou l'accord avec l'Ambassade du Japon concernant une des meilleures universités de Tokyo a rapidement progressé, puis de semaine en semaine, bien que de nouveaux cas gelés remplaçaient les cas désormais résolus, j'ai vu l'enthousiasme de ma déléguée aux "cold cases" baisser régulièrement.
Je découvris qu'elle avait, elle aussi, ses préférences pour certains problèmes par rapport à d'autres qu'elle évitait d'aborder et qu’elle avait finalement une sorte de tendresse pour un travail plus routinier, ou moins séquentiel. Je fis donc évoluer ses tâches, l'incluant dans une fonction plus régulière, en renonçant de fait à résoudre les questions qui rebutaient tout le monde, y compris celle qui était supposer les affronter tous : mon "innovation managériale" retombait un peu comme un soufflet.
Vous pouvez en déduire qu'il s'agissait plutôt d'une fantaisie ou d'un luxe managérial, mais comme l’IECS était financièrement à l’aise, je pouvais me permettre de tenter des expériences.
Après les « cold cases » je recevais Kostas Nanopoulos, mon adjoint, pour faire le point sur l’ambiance et la stratégie de l’école. C’était aussi l’occasion de voir les personnes les plus impliquées dans son fonctionnement, comme Jean-Pierre Kennel, le secrétaire général, Sabine Urban l’ancienne directrice de l’IECS et concepteur de l’EME (École de Management Européen), Régis Larue de Tournemine et Jacques Liouville en charge de la formation, à l’époque pionnière, à la logistique. Il s’y ajoutait souvent des responsables de la Chambre de Commerce de Strasbourg, de passage à l’école. Bref, le lundi après midi était le moment privilégié, profondément amical, qui nous permettait de partager nos points de vue afin d’exercer une action commune au sein de l’IECS.
Toute cette activité ne parvenait cependant pas à cacher le malaise que je ressentais dans l’organisation de ma vie professionnelle : directeur pour quoi faire ?
À SUIVRE
DEUX CONFLITS ET UNE ASCENSION
Diriger, c'est faire face aux conflits, petits et grands. L'IECS en a connu deux mémorables pendant les quatre années de ma direction (1991-1994), du moins selon mon souvenir.
Le premier de ces conflits est lié à la nomination de Kostas Nanoupolos en tant que directeur adjoint de l'IECS. On se souvient peut-être que ce dernier n’était pas en odeur de sainteté auprès de Henri Lachmann, le Président de la Fondation IECS, qui m’avait demandé de l’écarter, sinon de le licencier.
Mais de mon côté, je n’ai jamais aimé obéir aveuglément aux ordres et surtout, Kostas et moi, nous nous sommes compris tout de suite. Kostas connaissait parfaitement le milieu universitaire et le milieu strasbourgeois. Il avait une vision stratégique claire et à longue portée, deux qualités rarissimes. Il l’a montré lorsque je l’ai chargé d’organiser le déplacement futur de l’IECS au 61 avenue de la Forêt Noire où il se trouve actuellement, tenant la dragée haute à nos partenaires pour obtenir le meilleur emplacement pour l’école.
Je l’ai rapidement nommé directeur adjoint, ce qui a déplu à Henri Lachmann et aux personnels de l’IECS qui lui étaient inféodés et qui ont vu dans cette décision une possibilité de m’affaiblir.
À partir d’une question pédagogique quelconque, que j’ai oubliée aujourd’hui, ils ont réussi à déclencher une grève des étudiants dont la revendication assez curieuse était d’ordre administratif, et non pédagogique, dans la mesure où elle avait pour objectif d’obtenir la démission de Kostas Nanopoulos de sa fonction de directeur adjoint.
Naturellement, je n’ai jamais cédé, ni donné l’impression que je pouvais céder. On m’a promis mon propre départ, la disparition de l’IECS, que sais-je encore, mais j’ai refusé toute négociation et même tout dialogue, ce qui a abouti, au bout de quelques jours, à la fin de la grève par la vacuité de son objectif, clairement hors de portée.
Le deuxième conflit s’est réglé rapidement, mais il a été plus brutal dans ses conséquences. J’étais à Boston, Massachussetts (the snob state), pour signer un accord de double diplôme avec cette excellente université qu’est Boston College. J’étais tout fier de cet accord quand le Secrétaire Général de l’IECS a douché mon enthousiasme en m’informant par fax que la responsable de la promotion de l’école, dont j’ai opportunément oublié le nom, avait fait signer pendant mon déplacement une incroyable pétition.
Cette pétition protestait contre la politique de l’IECS en matière de recrutement et demandait ma démission. Notre responsable de la promotion de l’école (sic) l’avait diffusée auprès des professeurs des classes préparatoires dont nous attendions plutôt qu’ils nous soutiennent pour recruter les nouveaux étudiants qu’ils se révoltent contre notre organisation.
J’étais, on s’en doute, stupéfait que la responsable des relations extérieures de l’IECS organise une pétition contre sa propre école ! Cette audacieuse initiative s’expliquait par l’intention de cette dame de me remplacer dans ma fonction de directeur, forte de ses appuis dans le milieu politique et industriel strasbourgeois. C’était donc elle ou moi et ce fut elle qui perdit.
Dès que j’ai pu, j’ai regagné Strasbourg et j’ai organisé son licenciement le jour même de mon arrivée, acceptant, pour ne pas laisser les évènements s’envenimer, de ne pas invoquer l’argument de « faute lourde » alors qu’elle aurait pu difficilement en commettre une plus lourde, sinon me larder de coups de couteau !
Le plus drôle de l’affaire réside dans son attitude, lorsque je la revis quelques années plus tard : elle m’a remercié de lui avoir permis de trouver un travail plus intéressant à la Chambre de Commerce de Paris. Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Ceci posé, je me trompe, un évènement encore plus drôle s'est déroulé, qui est directement lié à ce licenciement. Jugez-en, ce qui n’est pas facile compte tenu des limites que m’impose le récit ci-après.
J’ai dû embaucher dare-dare un remplaçant sur le poste de « responsable de la communication ». Le licenciement s’est passé en début d’été et compte tenu des délais, nous n’avons reçu qu’une seule candidature sérieuse. Nous avons donc dû la retenir malgré les avertissements, que je ne détaillerais pas, de Jean Cartelier qui était professeur à Amiens et que j’avais bien connu à Nice.
Nous avons recruté Pia Imbs, mais au bout d’une année, je l’ai laissé prendre un poste à la Faculté de Droit plutôt qu’à l’IECS, compte tenu des informations dont je disposais.
Pia Imbs s’est accrochée, elle a réussi à devenir Directeur de l’IAE de Strasbourg, le concurrent que l’IECS a ensuite absorbé et elle a poursuivi en s’appuyant sur le milieu politique jusqu’à être aujourd’hui Présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, Maire de Holtzheim où ses parents étaient agriculteurs, et Vice-Présidente du Mouvement pour l’Alsace.
Il est certain que ce poste à l’IECS lui a permis de revenir en Alsace et je suis sûr qu’elle a beaucoup appris à l’école, elle qui a fait des débuts difficiles à Amiens. Jusqu’où montera-t-elle ? Je suis curieux, vraiment curieux, de le voir…
À SUIVRE
LES NOËLS
La brume descendait du Gourdan exprès pour noyer Puget-Théniers, privé de soleil jusqu'au 21 janvier, comme s'il était puni chaque année d'avoir voulu se nicher au déboulé de la Roudoule dans le Var.
Arrivant au village en ce mois de décembre, devant notre maison désormais vide et froide, entourée de son jardin figé, je me suis souvenu avec nostalgie des Noëls que nous y avons vécus.
Il n'en a pas toujours été ainsi. Auparavant, nous logions dans un appartement au-dessus de la Fabrique* et je ne me souviens pas des Noëls de très jeune enfant que j'y ai passés, sauf d'un émerveillement, la descente sur le centre de Nice avec d'incroyables Galeries Lafayette aux vitrines décorées de pères Noël, de crèches et de jouets et puis le quatrième étage des mêmes Galeries bruissant des cris des enfants et des ronronnements des jouets, dans un festival de lumières et de couleurs.
Mais, dans ce qui fut notre véritable maison familiale où ma mère a passé soixante-dix ans de sa vie et mon père quarante, nous avons commencé à fêter Noël lorsque j'avais sept ans. Nous étions en vacances quelques jours auparavant et ma mère nous attendait pour aller chercher de la mousse et du gui dans la forêt de l'autre côté du Var, une forêt bien humide que nous atteignions par un chemin qui partait de l'Usine Brouchier**. Il faisait froid, nous avions les mains gelées mais nous nous sentions des aventuriers intrépides, longtemps accompagnés par notre chien qui folâtrait tout autour.
De retour à la maison, ma mère finissait la crèche en l'entourant de mousse et ajoutait du gui dans l'arbre de Noël, qui avait été coupé dans la colle Saint Michel par l'un des employés qui faisaient la tournée du Haut Verdon, Louis Rosie en général. L'arbre, de bonne taille, était cloué sur une croix de bois et installé dans le salon.
Pour concevoir sa crèche, ma mère s'était inspirée d’une crèche réalisée par un ami de la famille, Jo Boggio, qui représentait des maisons de Puget, l'église, une maison du vieux village, une autre à moitié détruite et même la gare, tout cela en contreplaqué peint. Elle y plaçait ses santons de Provence, un peu plus nombreux chaque année autour de la crèche proprement dite où se nichaient tous les personnages qui attendaient Jésus, y compris l'âne et le bœuf. Jésus, lui, ne venait naturellement s'installer au centre de la crèche que le 25 décembre au petit matin.
Le plus remarquable reste que toute la crèche, bien rangée, subsiste toujours. En outre, ma sœur a eu la magnifique idée d'en faire une copie et je ne doute pas qu'elle ressorte un beau jour, un très beau jour.
Le soir de Noël, ma mère, mon père enfin libéré de son travail, ma sœur, mon frère, longtemps ma grand-mère, quelquefois une invitée comme Jeanne*** et moi, plus tard mon fils Thierry et ma femme, partagions le repas avec ses traditionnels treize desserts pugétois, dont la tourte de blettes, la tarte à la confiture, les fruits confits, les ganses et les nougats, écoutions "Petit Papa Noël" de Tino Rossi et allions à la messe à l'Église du Village dont ma mère tenait l'orgue.
Parfois il neigeait, toujours il faisait froid y compris à l'Église, mais tout était si singulier, la nuit, la foule, les chants de Noël que nous criions à tue-tête (Il est né le divin enfant !) et la perspective pour le lendemain matin d'une pluie de cadeaux nous transportaient d'allégresse dans un village de rêve. Et le lendemain matin, les escaliers descendus à toute vitesse, les jouets, la joie mêlée de chamailleries, le repas de Noël, le film de l'après-midi dans la salle que tenait Loulou Passeron le grand-oncle d'Anthony****, entretenaient la rêverie.
Je ne sais plus très bien quand notre mère a cessé d'installer l'arbre de Noël et la crèche. Sans doute quand elle n'a plus vu ses enfants et petits-enfants venir fêter Noël chez elle. J'imagine que cela a été un crève-cœur, tant cette période était importante pour elle.
Heureusement, depuis 1981 et pendant dix ans, Mireille, Jean-Bernard et leurs enfants venaient une année sur deux et l'autre année nos parents les rejoignaient chez les parents de Jean-Bernard, à Sarcelles. Puis notre père est mort en 1992 et notre mère est allée passer les mois de décembre et de janvier chez ma sœur où elle a retrouvé l'atmosphère familiale enchantée des Noëls qu'elle avait maintenu au cours de toutes ces années. À Puget, son retour autour du printemps était ponctué de joyeux "Madame Boyer est revenue !" tant elle manquait dans le paysage pugétois. Ce Noël est le premier où elle manque partout.
Cependant nous avons toujours maintenu la tradition. Il y a plus de trente ans qu'ils se déroulent dans notre maison de Nice, sauf quelques interruptions. Le soir de Noël, nous partageons en famille un excellent repas. Rien n'y manque, ni foie gras, ni gibier, ni Gewurztraminer vendanges tardives, ni les treize desserts de Provence. Puis, un peu lourd, je me rends à la Messe de Minuit, j'y tiens. Le lendemain matin, un peu trop tôt, les enfants, aujourd'hui les petits enfants, arrivent devant le sapin de Noël qui brille chez nous depuis quelques jours mais qui est alors assiégé de paquets multicolores. Le temps de la distribution des cadeaux est celui de l'émerveillement, suivi d'un temps plus indécis ou chacun se retrouve face à ses découvertes, à la recherche de piles électriques et de modes d'emploi.
Puis, jusqu'à l'année prochaine, Noël s'éloigne dans le rétroviseur du temps qui passe, souvenir merveilleux de partage, de joie enfantine et d'innocence...
* La Fabrique de Pâtes que mon grand-père avait créée en 1907 et que mon père exploitait tout en cherchant à l'adapter aux vagues du progrès technique qui menaçaient de l'ensevelir.
**L'Usine Brouchier, c'est toute une histoire, une usine de meubles, le principal employeur du village, un canal et une chute d'eau pour l'électricité, des Allemands qui y mettent le feu en 1944, l'Usine qui repart, qui est vendue et qui se meurt.
***Jeanne Cotton, l'employée de toujours de mon père et surtout l'amie de la famille.
****Anthony Passeron, Les Enfants endormis, Globe, 2022.
LE COMMERCIAL, LA SECRÉTAIRE ET LE MALADROIT
Donc l’objectif synthétique de l’IECS Strasbourg consistait à faire embaucher nos étudiants le plus rapidement possible. Cet objectif était justifié, je le répète, par une conjoncture momentanément défavorable à l’embauche.
Pour agir clairement dans cette direction, il fallait prendre des décisions significatives. La plus importante d’entre elles, sans modifier les structures de l’École, a consisté à embaucher un excellent vendeur pour renforcer les relations entre l’IECS Strasbourg et le tissu économique alsacien. Par l’entremise de la Fondation IECS, j’étais mis en relation avec un commercial, Didier Kahn. Son salaire, payé par la Fondation IECS, était pharamineux puisqu'il représentait deux fois et demi le montant de mon propre salaire de Directeur. Je m’attendais donc à des résultats d’embauche tout aussi pharamineux et, Ô surprise, Didier Kahn se révéla à la hauteur.
Une mécanique implacable se mit en place. Il effectuait systématiquement des visites d’entreprises dans toute l’Alsace et la Moselle, en débordant même sur l’Allemagne Rhénane. Le lundi matin, il en tirait des synthèses et des recommandations, le plus souvent très sévères à mon égard, parce qu’il me reprochait de ne pas visiter assez les entreprises. J’écoutais le récit de ses actions et la litanie de ses reproches le lundi après-midi entre 14 heures et 14 heures 30. Les embauches de nos étudiants étaient relevées et publiées mois par mois: elles se trouvèrent si fortement accélérées par ce travail de contact et de prospection systématique que 90% de nos étudiants étaient embauchés dans les trois mois qui suivaient leur diplomation.
Autour de l’effort relationnel avec les entreprises, toute une pratique s'édifia qui consistait à juger de la pertinence d’un cours, d’un programme ou d’un projet en fonction de ses effets directs, indirects ou nuls sur la future embauche des étudiants. Pour l'illustrer, voici une anecdote qui me semble significative de l’imprégnation des esprits à l’École sur le thème de l’embauche :
Un soir, vers 19 heures, une femme de ménage est venue cogner à la porte de mon bureau pour me signaler que le grand amphi était sale. Puis elle a ajouté « vous comprenez, Monsieur Pflimlin vient présenter son entreprise (Le Crédit Mutuel) ; si c’est sale, il aura une mauvaise impression de notre école et les étudiants ne seront pas embauchés ».
Je me suis dit que si même la femme de ménage avait compris que son travail était relié à l’embauche des étudiants, la bataille était gagnée en termes de motivation du personnel.
Néanmoins, tout n’allait pas pour le meilleur des mondes à l’IECS, notamment du fait de mes maladresses. Un soir, sortant vers 20 heures de l’École (oui, un Directeur d’École est obligé de travailler tard, car il passe sa journée à rencontrer le personnel, les étudiants et les partenaires), je rencontrais des étudiants qui sortaient de nos salles de cours. Le lendemain, je demandais des explications sur cet emploi du temps tardif. On m’expliqua que les six programmes de langue combinés à la multiplicité des choix effectués par des étudiants qui devaient apprendre trois langues en sus des cours de gestion, obligeaient à élargir exagérément le champ de l’emploi du temps des étudiants, qui s’étalait de 8 heures à 20 heures.
Je demandais de fournir un effort d’organisation de l’emploi du temps pour passer de 8 heures à 18 heures. Le Secrétaire Général, Jean-Pierre Kennel, mit en place une commission pour faire avancer la réorganisation de l’emploi du temps. Hélas, et ce ne fut pas la faute de J-P Kennel, comme toutes les commissions, elle s’endormit sur le sujet jusqu’à ce que je m’en inquiète auprès de l’une des secrétaires chargées de l’emploi du temps qui m’affirma tout de go, que, si elle avait été consultée, elle aurait fait savoir comment résoudre le problème de l’étalement excessif des cours.
Interloqué, je la chargeais aussitôt de proposer une nouvelle organisation de l’emploi du temps, qui s’avéra en effet bien meilleure que celle que nous utilisions.
C’est alors que je fus maladroit, en termes de management. Enthousiasmé par ce résultat, je décidais d’augmenter le salaire de la secrétaire à l’origine de cette amélioration et aussitôt je provoquais une protestation générale sur le thème "nous aussi nous menons des actions extraordinaires ; nous aussi nous avons droit à une augmentation !"
En distinguant par une augmentation cette secrétaire qui méritait effectivement une récompense, j'avais commis une erreur. J'avais suscité un sentiment de jalousie et provoqué une frustration, les deux bien naturels. De ma part c'était sans malice, c'était même sans assez de malice.
Je fus donc contraint d'octroyer, au grand dam du conseil d'administration de la Fondation IECS, des avantages nouveaux au personnel, tout en me promettant de ne plus me laisser entrainer dans le rôle du Père Noël ou du Bon Samaritain qui m'avait déjà conduit à quelques déconvenues inattendues dans le passé...
À SUIVRE
CONNAITRE, COMPRENDRE , ORIENTER L'IECS STRASBOURG
Une École, comme toute organisation, a besoin d'un objectif clair, connu et accepté. L'aphorisme de Sénèque*, "Il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va.", s'y applique parfaitement, mais l'art est tout d'exécution.
* Lettres à Lucilius, LXXI
À SUIVRE
MUTER DE PROFESSEUR À DIRECTEUR
Je pris donc mes fonctions de Directeur de l’IECS, tout en restant professeur à l’IAE de Nice. Il me restait à muter, c’est-à-dire de n’être plus avant tout un professeur, mais de devenir un directeur.
Cela me demanda environ un an avant que je n'assume complétement ce nouveau rôle, qui sollicite de tout autres réflexes que celui de professeur. Le métier de professeur se situe plus à mon avis dans le rapport avec les étudiants que dans le savoir scientifique acquis. Mais l’essentiel consiste à passer de la peur des étudiants au partage du savoir avec ces derniers.
En revanche, être directeur consiste à être seul face à ses responsabilités. Je cherchais l’approbation en tant que professeur alors que je me contentais d’en prendre acte en tant que directeur.
Il m’est arrivé d’être seul contre tous, comme l’anecdote suivante l’illustre. À l’IECS, j’ai longtemps subi la pression de mon secrétaire général, qui relayait les récriminations du personnel afin de modifier la gestion des appels téléphoniques. En effet, depuis toujours afin de ne pas payer une standardiste, chaque secrétaire assurait à tour de rôle cette fonction et toutes s’en plaignaient, arguant que le jour où elles devaient l'assurer, elles ne pouvaient pas faire correctement leur travail, ce dont j'étais conscient.
Le secrétaire général me suggérait donc de remplacer notre organisation du standard par un système plus « moderne » qui devait permettre d’atteindre chaque service de l’IECS à partir d'un chiffre à taper sur le téléphone. Pour ma part, je n’étais pas tout à fait convaincu de l'efficacité de cette nouvelle organisation, mais j’acceptais néanmoins de la tester durant l’été, période pendant laquelle les appels étaient moins nombreux.
Ce fut tout de suite une catastrophe, même si le personnel se réjouissait de ne recevoir que fort peu d’appels. En revanche, nos interlocuteurs se plaignaient massivement de ne plus parvenir à joindre l’IECS ! Je décidais donc à la rentrée de réunir toute l’équipe administrative de l’école en urgence pour l’informer, contre son avis unanime, de mettre fin à l’expérience. Je me justifiais en précisant que j’étais, de par ma fonction, le dernier défenseur de l’école, en d’autres termes celui qui devait défendre les intérêts de l’IECS envers et contre tous. Malgré les protestations, ma décision s’imposa dans la pratique, puisqu’elle resta effective longtemps après mon départ.
J'appris concrètement que le principe de défense des intérêts de l’école est le guide suprême des décisions du directeur. J'ai même appris à l'appliquer contre mes propres convictions.
Ce cas s'est présenté, notamment lors de la situation suivante : l’IECS, sous l’impulsion de mon prédécesseur Sabine Urban, était en pointe dans le domaine des échanges internationaux. Nous envoyions tous nos étudiants durant une année universitaire, sur les quatre ans de scolarité de l’époque, dans nos universités partenaires. Nous recevions en retour une promotion entière d'étudiants étrangers à Strasbourg.
L'image de l'international était donc centrale pour l'école. Pour renforcer ce programme de quatre ans de formation qui s'appelait l'École de Management Européen, nous y avions ajouté, puisque l'IECS était une UFR de l'Université Robert Schuman (Strasbourg III), des programmes de DESS, en commerce international, en économie internationale et en achat international.
Dans ce contexte, lorsque je reçu la visite d'une délégation d'experts comptables, tous anciens élèves de l'IECS, pour me proposer de créer un DESS d'Audit, j'ajoutais tout naturellement l'adjectif "international" à leur proposition, m'attendant naïvement à une réaction positive de leur part, puisque j'élargissais ainsi le champ du programme de formation qu'ils proposaient.
Las, les experts-comptables strasbourgeois restèrent de glace. Pour eux, m'affirmèrent-ils, l'audit international, cela n'existait pas. J'eu beau leur fournir les programmes de l'ESCP et de quelques autres écoles qui prouvaient que l'audit international existait bel et bien, ils n'en démordirent pas, faisant montre d'une obstination qui forçait l'admiration mais qui ne m'arrangeait pas.
Je me retrouvais placé devant un choix cornélien. Sois-je maintenais ma position au nom de l'homogénéité des programmes et de l'image internationale de l'école et les promoteurs du programme risquaient fort de retirer leur proposition, soit j'avalais ma cravate et j'acceptais leur proposition de créer un DESS d'Audit.
Finalement, j'avalais bel et bien ma cravate, car j'avais raison sur la cohérence, mais j'avais tort quant à l'objectif majeur de l'école. Car ce dernier consistait à donner la priorité à l'embauche des étudiants et il primait sur tout autre objectif partiel.
Accepter d'être impopulaire et de se donner tort à soi-même pour le bien de l'école, voici deux leçons que je reçus, qui m'aidèrent à devenir véritablement directeur de l'IECS et qui m'ont servi lorsque je suis devenu directeur du campus de l’iPAG à Nice, il y a bientôt quatre ans.
À SUIVRE
DIRECTEUR DE L'IECS
Au printemps 1991, j’étais donc sollicité, par l’intermédiaire de Sabine Urban, pour diriger l'IECS à Strasbourg.
Je rencontrais alors Henri Lachmann, PDG de Strafor-Facom, une marque de meubles de bureau et une marque d'outillage bien connues, parce qu'il était également le Président de la Fondation IECS-EME, qui était destinée, comme son nom l'indique, à financer l'IECS pour son programme phare de l'EME, l'École de Management Européenne.
Henri Lachmann me reçu dans son bureau de PDG, au siège de Strafor Facom, dans laquelle trônait une immense photo de De Gaulle, signifiant clairement l'engagement politique du patron et sa volonté de lier affaires et politique. Il affectionnait la franchise la plus nette, ou, comme je le découvris rapidement, un langage brutal et des jugements aussi abrupts que péremptoires.
J'appris, avant même d'être recruté qu'il faudrait me méfier de mon prédécesseur, Sabine Urban, dont le bureau devait être, selon lui, éloigné de la direction, et qu'il existait au sein de l'IECS un ennemi à neutraliser en priorité, Kostas Nanopoulos. Il me conseillait auparavant de visiter les locaux de l'IECS pour me faire une idée de l'École et de ses équipes, ce que je fis. Je découvris un bâtiment un peu ancien mais de bonne facture au 47 avenue de la Forêt Noire à Strasbourg qui abritait, outre l'IECS, l'Institut de Sciences Politiques et l'IAE de Strasbourg.
Au cours de cette visite, j’échangeais avec le personnel présent qui ne savait pas officiellement, sauf Sabine Urban, que j’étais candidat à la direction de l’école. Je rencontrais notamment son secrétaire général Jean-Pierre Kennel, mais aussi Kostas Nanopoulos.
Lors de cette visite, sans utiliser beaucoup de mots, Kostas et moi sympathisèrent rapidement, si bien qu’il devint par la suite mon adjoint et le conseiller dont j’appréciais la loyauté et la profondeur de vues. Aussi, lorsque je décidais quatre ans plus tard de quitter la direction de l’école, je soutins sa candidature à cette même direction, au grand dam d’Henri Lachmann. Aujourd'hui, 31 ans plus tard, Kostas reste mon ami.
Je visitais aussi mon futur bureau, une pièce plus immense que confortable et fis la connaissance de ma future secrétaire, Sophie, dont j’ai pu apprécier par la suite la grande bonne volonté.
J’acceptais donc le poste de directeur de l’IECS, tout en sachant que cette fonction aurait des conséquences négatives sur ma vie privée, du fait de la mobilisation permanente qu’elle impliquait. Mais plusieurs facteurs jouaient en faveur de mon acceptation: au plan psychologique, il s’agissait d’une revanche sur le refus d’une partie de mes collègues à l’Université de Nice de me confier la direction de l’IUT de Nice.
Plus profondément, j’avais du mal à accepter que le fait de mener une carrière atypique, en étant à la fois professeur-chercheur tout en créant de nouvelles organisations, comme l’Université du Troisième Age ou plus tard des formations à la gestion dans divers pays, n’était pas vu comme la démonstration de mes qualités, mais plutôt comme un danger pour leurs propres projets : j’étais naïf.
Au plan matériel, j’y voyais bien sûr la possibilité de nouveaux moyens d’action et une rémunération complémentaire.
Au final, j’y voyais la reconnaissance de mes qualités par mes recruteurs, une extension de mon ego et de nouvelles opportunités d’action.
J’acceptai donc et je pris le poste au printemps 1991, devenant non seulement directeur de l'UFR "IECS" par décret ministériel pour cinq ans, parce que cet UFR était dérogatoire à l'instar de nombre d'IAE, mais aussi directeur de la Fondation IECS-EME et même directeur de DISTECH qui était une formation à la grande distribution dispensée sur plusieurs sites.
À SUIVRE
CLERMONT? PARIS? STRASBOURG...
J’ai relaté, dans mon dernier billet relatif à mes activités universitaires, l’échec d’IAE International pour mieux souligner a contrario l’incroyable énergie positive qui a assuré le succès de l’IFTG.
Dans les années 1990-1991, professeur à l’IAE de Nice, j’étais pleinement engagé dans la création de formation à l’étranger avec la FNEGE, grâce à son secrétaire général, Jean-Claude Cuzzi. Cette époque était aussi celle des relations étroites avec l’Université de Clermont, et ses professeurs de gestion, Jean-Pierre Vedrine en tête qui souhaitait mon installation à Clermont.
Non seulement je donnais à Clermont quelques cours de marketing, mais j’étais aussi associé aux activités de l’IAE de Clermont à Casablanca, à l'IFG dirigé par le remarquable et regretté Driss Skalli. Or, l’IAE de Clermont restait plus ou moins virtuel du fait de l’opposition des économistes clermontois à son développement.
Il me semble intéressant de décrire les rapports de force au sein de la Faculté à Clermont qui expliquent cet état de fait. Au sein de la Faculté de Droit, quel que soit son doyen, le pouvoir y était concentré entre les mains du Professeur Patrick Guillaumont, spécialiste en Économie du Développement comme son épouse le Professeur Sylviane Guillaumont-Jeanenney, ce qui en faisait l’allié de la puissante famille Jeanneney, dont le père, Jean-Marcel Jeanneney issu d’une forte famille franc-comtoise, s’était lui-même allié par mariage à une autre puissante famille, les Monod, et avait été l’un de principaux ministres de De Gaulle.
S’opposer au Professeur Guillaumont était par conséquent tout à fait impossible dans la Faculté de Clermont et ce dernier ne voulait pas perdre des financements qui se seraient portés sur l’IAE au lieu de la Faculté de Droit. La messe était dite.
Pour ma part, je devins avec le temps membre de la Commission de Spécialistes de Gestion de Clermont, ce qui me permit de diriger et de faire soutenir à Clermont en 1990 la thèse de Nelly Molina, « Examen d'un processus d'analyse typologique », tout en publiant dans la Revue Française de Gestion « Gestion à la Française : que pouvons-nous apporter à l'Europe de l'Est ? ». C’était en effet mon obsession du moment.
Je ne vais pas retracer ici le très beau parcours du Professeur Nelly Molina, mais je rappellerai simplement qu’elle a inventé et dirigé successivement dans deux universités parisiennes le Master marketing de la santé et qu’elle a fait de même au Maroc dans trois institutions universitaires, dont la prestigieuse Université Mohammed VI.
Mes rapports avec l’Université de Clermont étaient si étroits que j’ai plus que songé à m’y installer, mais ce sont surtout des considérations familiales qui m’y ont fait renoncer, renforcées par l’impossibilité de faire émerger un véritable IAE. Toutefois, je n’ai jamais oublié l’équipe très attachante, bien que parfois conflictuelle, qui y travaillait autour du Professeur Vedrine hélas disparu, mais j’ai gardé un lien amical avec l’un de ses meilleurs collègues, le professeur Yves Negro. Je conterai aussi, dans un autre billet, le parcours singulier d’une de mes doctorantes, Annie Sinda, qui s’est installée à Clermont.
Mais je ne puis passer sous silence la vie du Professeur Jean Pierre Vedrine (1943-2017), toute consacrée à Clermont où il a fait ses études en compagnie de son futur collègue le professeur François Blanc au lycée Blaise Pascal et à son université. Professeur en économie puis en gestion, bon mathématicien, on lui doit l’un des très rares ouvrages français sur les TQG (les Techniques Quantitatives de Gestion). Il a dirigé la Faculté de Droit et de Sciences Économiques de Clermont et a été le moteur de l’enseignement et de la recherche en gestion à Clermont, assisté jusqu’au bout par son épouse Sylvie. Je leur dois beaucoup et j’y reviendrai…
Même si je faisais soutenir à Nice en 1991 une 7eme thèse « La stratégie publicitaire des entreprises coréennes » par Lee Wo Chae, qui retourna ensuite dans son pays et dont je n’ai plus jamais eu de nouvelles, cette année-là fut surtout celle des propositions de mutations. En même temps que Clermont, la FNEGE me pressait de solliciter un poste à Paris afin de mieux développer avec elle les programmes internationaux qu’elle avait en charge.
J’étais superficiellement tenté de candidater à Paris, qui m’ouvrait de très grandes possibilités de carrière, mais le souvenir amer de mon séjour à Saint Germain en Laye lors de mon expérience à la Mobil m’en dissuada (voir mon billet Mobil Man et les billets suivants sur cette période).
La surprise vint cependant de Strasbourg. À cette époque, je me trouvais souvent pour des raisons personnelles en Alsace. L’information de cette présence fréquente à proximité de Strasbourg vint jusqu’aux oreilles de Sabine Urban, directeur de ce qui s’appelle aujourd’hui l’EM Strasbourg Business School et qui s’appelait à l’origine, en 1919, l’IECS.
L’Université de Strasbourg a eu la chance de retenir toute sa carrière en son sein Sabine Urban, tant elle était attachée de toutes ses fibres à la ville de Strasbourg et à l’Alsace. Parmi ses très grands talents, elle avait eu le mérite d’organiser un programme spécifique au sein de l’IECS, l’EME (École de Management Européen) dont le nom disait tout, au sens où il était extrêmement ouvert sur l’Europe.
Sabine, appelons là ainsi désormais, qui, me semble t-il, était plus encore un professeur qu’un directeur, cherchait un successeur à la direction de l’IECS qui poursuive dans la voie européenne qu’elle avait tracé et elle pensa à moi, qui ne cessait d’organiser des programmes en Europe de l’Est. C’est pourquoi elle me contacta.
*La raison des enseignants de gestion de Clermont 1 a fini, grâce à la détermination de Sylvie Martin-Vedrine, par aboutir à la création d'un département IAE au sein de la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion puis à son autonomie en 2012.
À SUIVRE
L'INCIDENT DE METZ
Oui, l’IFTG fût et reste un succès exemplaire, qui a permis à la France de former chaque année vingt ou trente cadres francophones, nourrissant ainsi les échanges économiques franco-tchèques et notamment l’établissement de filiales françaises en Tchéquie.
Au cours de séminaires qui duraient une semaine, j’y ai enseigné le marketing à toute une génération de cadres puisque mes interventions se déroulèrent sans interruption de 1990 à 2010. Les cours eurent longtemps lieu presque en face de l’Institut Français au 35 rue Stepánská, là où tout avait commencé. Deux salles de classe et deux bureaux au premier étage constituaient tout l’univers de l’IFTG, qui se prolongeait dans les cafés et pâtisseries environnants lors des pauses, auquel s’ajoutait, une fois par semaine le jeudi soir, un repas rituel qui nous réunissait presque tous, responsables, enseignants et étudiants de l’IFTG. Plus tard, les cours eurent lieu au troisième étage des magnifiques bâtiments de VŠE. Il y subsistait l’ensemble salle de cours et secrétariat, une organisation parfaite et la chaleur humaine en prime.
J’ai longtemps habité dans un hôtel de l’époque soviétique, le Crystal Hotel dont le confort, spartiate mais correct, se situait quelque part entre la cité universitaire et l’auberge de jeunesse. Les lits pour une personne étaient agréablement durs, les rideaux ne cachaient qu’imparfaitement la lumière, la salle de bains était limitée, mais tout fonctionnait. Le petit déjeuner était particulier : café très léger, quelques morceaux de pain, une tranche de pomme et un peu de charcuterie. L’hôtel était situé à une dizaine de kilomètres du centre-ville, ce qui demandait de prendre un tramway et le métro. Il fallait une bonne heure pour rejoindre l’IFTG, grâce auquel je m’immergeais dans la vie tchèque. Au bout de quelques années, j’ai été transféré dans un hôtel plus proche du centre-ville.
En dehors des cours, il m’est arrivé aussi de participer à des congrès à Prague, à des cérémonies de remise de diplôme et même à un week-end avec les étudiants dans la montagne tchèque, proche de la frontière polonaise. Je n’ai pas manqué de visiter d’autres villes tchèques, villes d’eau, villes historiques, villes industrielles.
Bref, l’IFTG, Prague, la Tchéquie, tout cela a fait partie de ma vie pendant vingt ans et il ne saurait être question de l’oublier. Aussi mes pensées restent-elles toujours attentives à ce qui se passe là-bas, d’heureux comme de triste.
En relation avec l’IFTG, il me faut aussi mentionner ce que j’appellerai « l’incident de Metz ». Comme on l’a peut-être noté, j’intervenais en partenariat avec la FNEGE pour organiser des formations à l’étranger dans plusieurs pays, la Chine, Madagascar, l’Algérie, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie et également, pour des programmes temporaires, la Russie et la Pologne. Les cours à réaliser pour la partie française étaient généralement confiés aux professeurs des divers IAE, du fait du penchant de la FNEGE pour les IAE, plus que pour les Écoles de Commerce qui, HEC en tête, faisaient souvent concurrence à la FNEGE. Au reste, le programme mis en œuvre, le DESS CAAE* relevait des IAE et il était logique de faire appel aux enseignants qui en étaient issus.
Pour rassembler les forces des IAE à l’international, je conçu un organisme commun que j’appelais « IAE International », qui était destiné à servir d’intermédiaire entre les IAE, la FNEGE et les Ministères et dont je me proposais de prendre la direction. La FNEGE n’était pas très favorable à ce projet, car elle y voyait un concurrent potentiel, mais elle ne s’y opposa pas car elle savait que, si je dirigeais un tel organisme, je resterais parfaitement loyal à la coopération avec la FNEGE.
Étant rattaché à l’Université de Nice, je proposais d’installer IAE International à Sophia-Antipolis, mais le directeur de l’IAE de Nice ne fut pas de cet avis et proposa de l’installer à Metz. De fait, j’étais exclu de la direction du projet, puisque je n’avais pas l’intention de m’installer à Metz.
Une cérémonie d’installation eu lieu dans cette ville à laquelle j’assistais en spectateur. J’avais été en effet soigneusement exclu de la tribune officielle où siégeaient plusieurs directeurs d’IAE, dont ceux de Nice et de Metz, ainsi que le représentant du MAE, mais aussi Hana Machkovà qui représentait l’IFTG.
À la tribune, chacun se félicitait de l’avènement d’IAE International, tout en oubliant soigneusement de mentionner mon rôle, central pourtant, dans cette création. Quand vint le tour d’Hana Machkovà, cette dernière insista, dans un silence gêné, sur le fait que j’étais à l’origine d’IAE International et qu’il était donc normal que je rejoigne à mon tour la tribune puisque je faisais manifestement partie des organisateurs. Je fus, on s’en doute, extrêmement touché de sa loyauté et de son courage.
A Metz, IAE International ne survécut pas longtemps aux manœuvres qui avaient présidé à son avènement, parce que la ville et son IAE n’étaient pas propices au mécanisme de regroupement des efforts des IAE que j’avais conçu : il fallut moins d’une année pour qu’il passe aux oubliettes.
De cet incident, je tire deux leçons. Tout d’abord, s’il est facile de détruire un projet, il ne saurait survivre à l’absence d’énergie positive. IAE International, enfant illégitime de calculs mesquins, n’avait aucune chance de survie, à l’opposé de l’IFTG qui surmonta d’énormes obstacles, principalement grâce à la volonté d’Hana Machkovà qui sut faire éclore et survivre un projet que j’avais conçu. Ensuite mon opinion sur cette dernière reçut à Metz une éclatante confirmation : c’était une femme, droite et solide, un être humain sur lequel on pouvait compter en toutes circonstances.
*Le CAAE était devenu un diplôme de 5e année de formation à la gestion, ouvert aux non diplômés en gestion, scientifiques, littéraires, pharmaciens et médecins.
À SUIVRE