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Le blog d'André Boyer

I WOULD PREFER NOT TO

28 Juin 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

I WOULD PREFER NOT TO

 

Cette expression ambiguë, « je préfèrerais pas », employée avec une grande politesse au conditionnel, constitue une réponse presque totalement négative, mais pas tout à fait : c'est la phrase clé de la nouvelle d’Hermann  Melville, Bartleby, le Scribe.

 

Cette expression est si ambiguë, si mystérieuse et si violente qu’elle a suscitée des essais de la part de nombreux philosophes comme Deleuze, Derrida, Jaworsky, Blanchot, Hart, Negri, Imbert, Agamben, collationnés dans l’ouvrage de Gisèle Berkman*, L’effet Bartleby.

Dans Bartleby,  le Scribe,  Melville met en scène un avoué de Wall Street et ses trois collaborateurs dans une ambiance à la Dickens. On sent bien que ces employés, occupés de tâches assommantes, consistant surtout à recopier des textes juridiques, sont de pauvres hères, enchainés à leurs tâches.

Ce morne petit monde bascule dans l’inconnu, lorsque l’avoué cherche un employé supplémentaire, ayant obtenu un nouveau marché. C’est Bartleby qui se présente avec « une silhouette lividement propre, pitoyablement respectable, incurablement abandonnée ».

Heureux d’avoir dans son corps  de copistes, un homme d’aspect « aussi singulièrement rassis », l’avoué l’embauche. Au début, Bartleby abat une extraordinaire quantité d’écriture, jusqu’au jour où…

Jusqu’au jour où l’avoué appelle Bartleby pour collationner avec lui « un bref mémoire » et s’entend répondre par ce dernier qui ne quitte même pas son poste de travail : «je préfèrerais pas». Et cela va ensuite crescendo : Bartleby refuse successivement, toujours avec la même formule et sans daigner expliquer les raisons de son attitude,  de lire des copies ou de faire une petite course à la Poste.

L’avoué passe par divers sentiments, l’incompréhension puis la colère et la pitié. Il découvre que Bartleby se nourrit de rien, quelques biscuits au gingembre et qu’il vit dans le bureau. Lorsqu’il l’interroge sur sa vie, Bartleby oppose un « je préfèrerais pas » à toute question sur sa personne. Un jour, il s’arrête même totalement de faire ses écritures, reste « debout face au mur aveugle » et refuse même d’indiquer qu’il en est ainsi parce que sa vision est altérée.

Il finit par faire savoir à l’avoué que, même s’il retrouvait une vue normale, il ne ferait plus de copie. De fait il ne fait plus rien, immuablement debout, tourné vers un mur aveugle.

L’avoué décide alors de le licencier, en lui remettant une gratification. Mais Bartleby y oppose un « je préfèrerais pas » et reste. Plutôt que d’employer la force pour le déloger, l’avoué se résout à déménager son étude, laissant Bartleby  « l’immobile occupant d’une pièce nue ».

Cependant, le propriétaire des locaux vacants vient se plaindre de la présence de Bartleby et l’avoué est invité à raisonner Bartleby pour qu’il accepte de quitter les lieux de lui-même. Bartleby répond qu’il préfére s’abstenir de tout changement,  tout en ajoutant qu’il n’est cependant pas un homme difficile.

En désespoir de cause, le propriétaire appele la police qui emprisonne Bartleby. Ce dernier se laisse alors mourir de faim, sans se plaindre ni faire le moindre effort pour survivre…

On trouve mêlés dans l’attitude de ce personnage, l’obstination, la résignation, le refus des compromis, la révolte silencieuse.

Lorsqu’il arrive chez l’avoué, il est presque au bout du rouleau, mais pas tout à fait puisqu’il sollicite un travail. Chez l’avoué, il prend conscience, sans doute progressivement, qu’il n’y a plus rien à attendre de rien, sinon s'abstenir de bouger, sans agir, sans communiquer, que vie se passe.

Personne ne peut rien pour lui et personne n’a la moindre influence sur sa volonté, inflexible dans son sépulcral silence. Il est tout entier tourné vers son être intérieur. Il ne veut déranger personne et il refuse que quiconque lui impose quoi que ce soit, en utilisant la distante politesse de son « je préfèrerais ne pas » qui lui sert à dresser un mur entre lui et les autres.

Si le personnage de Bartleby fascine les philosophes, c’est qu’il constitue une part de nous-même, une part transie, lucide, désabusée, qui, à certains moments de notre vie, parcourt du regard le monde qui nous entoure et le chemin que nous avons parcouru et qui se dit « à quoi bon ? »

À quoi bon obéir, à quoi bon faire plaisir, à quoi bon travailler, à quoi bon s’agiter, à quoi bon vivre ?

Bartleby s’enferme alors dans son infinie solitude d’un définitif «  I would prefer not to ».

 

Adios Bartleby, mon frère, adios…

 

 

* Gisèle Berkman, L’effet Bartleby. Philosophes lecteurs. Paris, Hermann, 2011

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MISSION À NOUAKCHOTT

24 Juin 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

MISSION À NOUAKCHOTT

En janvier 1982, j’effectuais, grâce à l’intercession bienveillante de mon ami Marc Debene, alors professeur de Droit Public détaché à Dakar, une mission d’enseignement auprès de l’Université de Nouakchott.

 

L’université de Nouakchott venait d’être créé. Elle était composée d’une Faculté des Lettres et Sciences Humaines et d’une Faculté des Sciences Juridiques et Économiques. Je devais donner le cours inaugural de la Faculté de Sciences Économiques devant le Ministre de l’Enseignement mauritanien et cent cinquante invités. Par ailleurs, je devais aussi chercher à établir une coopération entre l’Université de Dakar et l’Université de Nouakchott, mission vouée d'avance à l’échec compte tenu des susceptibilités des deux parties, mais il fallait bien justifier les deux semaines de séjour.

Ce n’était pas ma première mission à l'extérieur du Sénégal, depuis que j’étais arrivé à Dakar, à l’automne 1980. J’avais enseigné à l’IAE de Nice, à l’INSCAE (Casablanca) et à la Faculté de Sciences Économiques de Yaoundé (Cameroun), ces diverses missions provoquant l’ire du responsable de l’enseignement supérieur de la Mission de Coopération à Dakar (voir mon blog précédent : De l’utilité de l’abreuvoir). Bien sûr, je m’apprêtais à faire d’autres missions, la raison raisonnable étant que je n’avais pas assez de travail à Dakar et la raison profonde venant de ce que je ne tenais pas en place.

Quelle que soit ma motivation initiale, après coup cela valait la peine de faire cette mission. Je suis arrivé un samedi (le seul vol Dakar Nouakchott de la semaine), sous un ciel bas empli du sable de l’hiver mauritanien. Le printemps précédent, j’avais déjà fait avec un groupe d’amis un tour en Mauritanie, atteignant Boutilimit depuis Rosso au Sénégal.

À l’époque, il n’y avait pas d’autoroute et cela nous avait pris la journée. Boutilimit, une petite ville de moins de dix mille habitants à l’époque, était dominée par les ruines d’un fort de la légion. Elle contenait surtout la deuxième collection de manuscrits du pays, après celle de Chinguetti, au centre du pays. Au total, c’était une ville assez romantique au milieu du désert, qui avait marqué ma vision initiale de la Mauritanie, pays de désert, d’hospitalité et des trois thés traditionnels.

Cette fois-ci, j’ai atterri directement à Nouakchott et j’y suis resté. La ville contenait entre cent à deux cent mille habitants début 1982. En 1958, Amadou Diadié Bâ, ministre mauritanien des Ponts et Chaussées avait procédé, en présence du général Charles de Gaulle et du président mauritanien Mokhtar Ould Daddah, à la pose de la première pierre en vue de la création de la capitale de la Mauritanie, qui n’était à l’origine qu’un petit fort occupé par quinze légionnaires français, entouré de 500 habitants tout au plus.

La construction de la ville de Nouakchott commença en 1959 autour de deux noyaux, le fort et la mosquée, mais la croissance très rapide de la ville eut tôt fait de les réunifier. Aujourd’hui, Nouakchott contient environ un million d’habitants, soit le quart de la population mauritanienne, installé très majoritairement dans un habitat informel étendu.

 

J’arrivais donc un samedi à l’aéroport de Nouakchott. Tout de suite, je fus pris à la gorge par le sable qui tourbillonnait. On se serait cru dans la toundra, au milieu d’une tempête de neige fine, sauf qu’il s’agissait ici de sable, qui piquait, qui grattait, qui pénétrait partout, y compris dans la chambre de l’hôtel.

 

Vu de Dakar, Nouakchott, c’était un tout autre monde…

 

À SUIVRE

 

 

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JAMES WOLFE (1727-1759)

20 Juin 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

JAMES WOLFE (1727-1759)

 

Avant de relater la première et dernière campagne de James Wolfe en tant que major général, il paraît judicieux d’avoir une vision générale de sa carrière.

 

James Wolfe est  le fils du lieutenant général Edward Wolfe. À ce titre, il devint sous-lieutenant en 1741 dans le 1er régiment d’infanterie de marine dont son père était le colonel. À l’âge de 16 ans, il participa à sa première bataille en Bavière. En 1746, capitaine, il participe à la sanglante bataille de Culloden en Écosse.

En mai 1758, déjà colonel,  Wolfe reçoit le commandement d’une des trois brigades chargées d’attaquer Louisbourg sous  le commandement du colonel Jeffery Amherst. Nous avons raconté dans Les prémisses du siège de Louisbourg, le débarquement finalement réussi des troupes de Wolfe sur l’île Royale.

Après la chute de la forteresse, il reçoit la mission peu glorieuse de détruire les établissements et les pêcheries du golfe du Saint-Laurent. À Gaspé, Wolfe donna des ordres pour que tout soit brûlé, mais de retour de mission, il se critique lui-même en notant que « Nous avons fait beaucoup de dommages, répandu la terreur des armes de sa majesté par tout le golfe, mais nous n’avons rien fait pour en grandir la renommée. » Cela ne l’empêchera pas de récidiver durant le siège de Québec, en pire.

Le 12 janvier 1759, il est nommé major général et commandant des forces de terre de l’expédition contre Québec. On lui confie une excellente armée dont le noyau était constitué de dix bataillons d’infanterie de l’armée régulière anglaise déjà en service en Amérique. De plus, Wolfe se voit octroyer une grande liberté dans le choix de ses officiers.

On va le voir, le 27 juin 1759, Wolfe débarque du côté sud de l’île d’Orléans avec le gros de son armée, avec pour intention de  camper sur la rive nord du Saint-Laurent près de Beauport, à l’est de Québec, de traverser la rivière Saint-Charles et d’attaquer la ville par son côté le plus faible, mais il est assez lucide pour comprendre qu’il court à l’échec dans la mesure où le gros de l’armée française l’y attend.

L’objectif de Wolfe était d’amener les Français à combattre ouvertement, parce qu’il estimait, à juste titre, que ses troupes étaient mieux entrainées. Pour ce faire, Wolfe appliqua un régime de terreur contre Québec et les paroisses environnantes, si bien qu’à la fin de la campagne, les agglomérations situées sur les deux rives du fleuve, en bas de Québec, et du côté sud sur une certaine distance en amont de la ville, étaient en grande partie détruites. Dans la ville de Québec même, les bombardements depuis les hauteurs de Lévis semèrent la ruine et la destruction. Mais il n’obtint pas d’offensive de la part de Montcalm.

C’est pourquoi, il finit par se rallier au plan de ses officiers qui suggéraient de se placer entre les troupes de Montcalm et ses approvisionnements tandis qu’il choisit lui-même un lieu de débarquement inutilement risqué, à l’anse au Foulon.

Dès que le débarquement a lieu, Wolfe organise correctement ses troupes, attendant l’attaque française qui ne pouvait manquer de venir. Les erreurs commises par Montcalm sur le champ de bataille lui permirent d’emporter la victoire.

Lorsque les lignes anglaises se lancèrent à la poursuite des Français, Wolfe qui menait l’aile droite reçut deux balles en pleine poitrine auxquelles il ne survécut que peu de temps.

James Wolfe était un excellent officier régimentaire, d’une grande bravoure au combat et un commandant efficace sur le champ de bataille. Mais c’était un stratège peu efficace, hésitant et indécis. Il ne pouvait s’entendre ni avec les officiers de son état-major ni avec la Royal Navy. La seule attaque menée sur son initiative personnelle à Montmorency fut un coûteux échec.

Le plan qui réussit finalement était celui de ses  généraux de brigade, tandis que l’apport de Wolfe, le choix de l’endroit du débarquement, ne fit qu’ajouter un inutile élément de risque au projet.

 

Des circonstances favorables combinées à l’impéritie de Montcalm lui donnèrent en même temps la victoire et la mort.

 

À SUIVRE

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LES ÉTATS-UNIS, UNE SOCIÉTÉ D'EXCLUSION

16 Juin 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

LES ÉTATS-UNIS, UNE SOCIÉTÉ D'EXCLUSION

 

Les Etats-Unis ont une conception particulière des notions de communauté et de solidarité, qui diffère de toutes les autres sociétés du monde. 

 

Selon le « rêve américain », l’idéal réside dans l’égalité des opportunités. Chacun a une chance de participer à la course au mérite, mais seuls les gagnants en tirent les bénéfices et non pas les perdants, naturellement. C’est ainsi que les gagnants amassent des fortunes dont le montant est au-delà des capacités d’imagination de la multitude : en 2017, Bill Gates, 86 milliards $; Warren Buffet, 75,6 milliards $; Jeff Bezos, 72,8 milliards $; Amancio Ortega (Espagne), 71,3 milliards $; Marc Zuckerberg, 56 milliards $ ; Carlos Slim Helu (Mexique), 54,5 milliards $; Larry Ellison, 52,2 milliards $ ; Charles Koch et David Koch, 48,3 milliards $ chacun; Michael Bloomberg, 47,5 milliards $.

Quant aux perdants, selon le « rêve américain », la responsabilité de leur échec doit leur être imputée car, tout simplement, ils ne disposaient pas des qualités individuelles nécessaires pour réussir.

Un tel satisfecit accordé à l’exclusion économique est unique  au monde. Il provient d'un mécanisme d’exclusion fortement inscrit dans la construction originelle du système étasunien, alors qu'actuellement, du fait de la mondialisation, cette vision étasunienne de la société influence de plus en plus fortement les autres sociétés.

Il est donc nécessaire de chercher à comprendre quelle est l’origine du système étasunien afin de juger de sa légitimité à s’imposer au monde.

Pour ce faire, on peut toujours prendre à la lettre la Déclaration d’Indépendance ou celle de Lincoln en 1863 : « L’Amérique est une nation, conçue dans la liberté, et dédiée à la proposition que tous les hommes sont créés égaux », encore que les évènements qui ont ponctué l’histoire étasunienne nous semblent plus révélateurs du système étasunien que les déclarations de principe. La culture d’un pays est le produit de son histoire et celle des Etats Unis est marquée par des spécificités qui tranchent avec celles du continent européen : la fondation de la Nouvelle Angleterre par des groupes protestants divisés, le génocide des Indiens, l’esclavage des Noirs, le déploiement d’un communautarisme associé aux vagues successives de migrations.  

Les groupes protestants qui ont été encouragé à émigrer de l’Angleterre du XVIIe siècle vers l’Amérique avaient développé une interprétation exclusive du christianisme, qui les a autorisé à partir à la conquête du continent nord-américain tout entier en éliminant les Indiens.

En 1763, après la conquête de la Nouvelle-France, les treize colonies hétérogènes régies par la Grande-Bretagne furent bornées par la Proclamation Royale, qui avait pour objectif de pacifier les relations avec les Amérindiens, en interdisant aux habitants des Treize colonies de s’installer et d’acheter des terres à l’ouest des Appalaches. Cette limite était un chiffon rouge agité devant des coloniaux avides de terres à s'approprier et brûlant de tuer le plus d'Indiens possible. Lorsqu’en outre le Parlement britannique décida, pour répartir le fardeau de la guerre livrée aux Français, d’imposer une série de taxes aux colons à partir de 1764, tout était réuni pour que les élites des treize colonies se révoltent.

Il restait à cacher cette soif sanguinaire de puissance derrière le brouillard des bonnes intentions; Que l'on en juge: lorsque le Congrès de Philadelphie se réunit le 5 septembre 1774, Thomas Jefferson proclama dans son Récapitulatif des droits de l’Amérique que la liberté du commerce était un droit de nature. Le 22 mars 1775, Edmund Burke prononça son célèbre discours sur la liberté : « Chez les Américains, l’amour de la liberté est la plus grande des passions ». Leur liberté, pas celle des autres, surtout pas celle des Indiens. Dans le Sens Commun (1776), Thomas Paine proclamait que la cause de ce qu'il appelait l’Amérique était « la cause de l’humanité toute entière », ce qui constitue encore aujourd’hui le credo officiel des Etats-Unis ; dans le même sens, en 1777, la Constitution de Virginie était précédée d’un Bill of Rights  qui se voulait à portée universelle : « tous les hommes naissent naturellement et également libres et indépendants, et possèdent certains droits inaliénables. Ce sont : la jouissance de la vie et de la liberté, l’accession à la propiété, la quête du bonheur et de la sécurité. ».

Tout le monde était beau et était gentil, mais en pratique, ce Bill of Rights ne concernait que les citoyens des treize colonies, et surtout pas les Indiens ni les esclaves provenant d’Afrique.

 

On le voit, les sources de l’idéologie étasunienne trouvent leur fondement dans une conviction messianique, à leur usage exclusif, puisée dans le puritanisme des Pères Pèlerins : ce nouveau monde était une nouvelle Jérusalem et les États-Unis un nouvel Israël qui était appelé à transformer le monde.

À SUIVRE

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SUPERPHÉNIX EN TERRAIN HOSTILE

12 Juin 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

SUPERPHÉNIX EN TERRAIN HOSTILE

La réussite du réacteur expérimental à neutrons rapides Phénix installé à Marcoule (1973) conduit la France à proposer à l'Allemagne et à l'Italie une association pour la réalisation en commun d'une centrale industrielle à neutrons rapides, à Creys-Malville, Superphénix.

 

Le projet consistait à anticiper une croissance soutenue des besoins énergétiques, alors que l’uranium se ferait plus rare. Le 13 mai 1974 est publié un décret autorisant la création de la société NERSA, issue d’une collaboration internationale entre EDF (51 %), la société italienne Enel (33 %) et la société allemande SBK (16 %). À l'origine, un réacteur rapide refroidi au sodium devait être construit dans chaque pays partenaire, projet qui fut abandonné après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.

Ce projet suscite rapidement une forte opposition des associations écologistes qui saisissent le tribunal en référé, le 2 mai 1975, pour interrompre les travaux déjà entrepris par EDF. Ces associations sont déboutées.

En avril 1976, le Premier ministre français Jacques Chirac autorise la société NERSA à passer commande de Superphénix. En 1977 est signé le décret d’utilité publique par le Premier Ministre Raymond Barre, tandis que se déroulent des manifestations hostiles, notamment le 31 juillet, qui entrainent la mort d’un participant. Le 18 janvier 1982, une attaque au lance-roquettes par un curieux militant écologiste suisse, Chaïm Nissim, vise le chantier de la centrale nucléaire de Superphénix.

Le remplissage en sodium du réacteur de la centrale nucléaire de Creys-Malville est effectué en 1984, puis la centrale est mise en service en 1985 et enfin couplée au réseau électrique le 15 janvier 1986, sans toutefois fonctionner à pleine charge.

Le 8 mars 1987 se produit une fuite de 20 tonnes de sodium liquide dans le barillet de stockage du combustible nucléaire, un incident classé 2 sur l’échelle INES (International Nuclear Event Scale), l’échelle allant de zéro (écart) à sept (accident majeur). Le redémarrage du réacteur est autorisé deux ans plus tard par un décret du premier ministre Michel Rocard. Selon les données de l'AIEA, la centrale produit alors 1,756 TWh en 1989 puis 0,588 TWh en 1990, soit un facteur de charge moyen de 11 %.

Alors que la centrale fonctionne, se constitue le Comité européen contre Superphénix, regroupant des dizaines d'associations et organisations de plusieurs pays. Le 26 avril 1990, des manifestations sont organisées dans plusieurs villes de France, de Suisse et d'Italie sur le thème «Tchernobyl 4 ans après, Malville aujourd'hui ».

Un deuxième incident de niveau 2 intervient le 29 avril 1990 : une fuite de sodium sur l'un des 4 circuits primaires principaux impose la vidange immédiate de l’ensemble du sodium du circuit incriminé et la purification corrélative du sodium qui dure 8 mois.

Le 8 décembre 1990, une partie du toit de la salle des turbines s’écroule sous le poids de 80 cm de neige, nécessitant de reconstruire la superstructure de la moitié du bâtiment.

Le 9 avril 1994, une marche Malville-Matignon contre Superphénix réunit les Européens contre Superphénix, le Comité Malville, Contratom (Suisse), la FRAPNA, Greenpeace, le GSIEN, WWF et plus de 250 associations de France, de Suisse, d'Italie et d'Allemagne. La même année, la mission initiale de Superphénix, qui était de produire de l'électricité, a été modifiée par la parution d'un décret qui le qualifie de « laboratoire de recherche et de démonstration ».

Fin 1994, se produit un quatrième incident majeur: une fuite d’argon dans un échangeur de chaleur sodium-sodium placé à l’intérieur de la cuve du réacteur lui-même. La remise en état durera 7 mois et Superphénix redémarre en septembre 1995.

Alors que l'année 1996 se révèle être la meilleure année de production électrique de la centrale, avec 3,392 TWh produit et un facteur de charge annuel de 31 %, commence en décembre 1996 un arrêt programmé de six mois pour une visite décennale des générateurs de vapeur, qui s’avérera définitif.

En février 1997, pendant que le surgénérateur est à l'arrêt, le Conseil d'État annule en effet le décret d'autorisation de redémarrage de Superphénix pris en 1994, au motif que la nouvelle mission qui lui est confiée à Superphénix justifie  une nouvelle enquête publique. À peine nommé Premier Ministre, le 19 juin 1997, Lionel Jospin annonce que Superphénix sera abandonné, ce qui se traduit par un arrêté ministériel du 30 décembre 1998. La raison invoquée est que le faible prix de l'uranium ne justifie plus ce type d’investissements dans la filière nucléaire, mais l’ambiance hostile résultant de Tchernobyl compte aussi dans cette décision.

Le 6 octobre 2000 est prononcée la dissolution de la société anonyme dénommée Centrale nucléaire européenne à neutrons rapides SA (NERSA), les actionnaires italiens et allemands sont indemnisés. Le 1er décembre 2015, Areva est chargé  du démantèlement des équipements internes de la cuve du réacteur Superphénix d'ici  l'année 2024.

 

L'image de l'industrie française à l'international a été fortement dégradée par le projet Superphénix, qui a été malheureusement mis en service au moment même de la catastrophe de Tchernobyl (avril 1986).

 

FIN

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DE L'UTILITÉ DE L'ABREUVOIR

6 Juin 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

DE L'UTILITÉ DE L'ABREUVOIR

Pour des raison techniques, ce billet parait avec deux jours d'avance...

 

Une institution remarquable, à laquelle je participais chaque samedi lorsque j’étais à Dakar, se nommait l’Abreuvoir.

La légende de l’Abreuvoir racontait que ce club avait été créé dans les années 20 par des aventuriers qui parcouraient la ligne de chemin de fer Dakar Bamako à un moment où le risque de fièvre jaune était considérable. Ces aventuriers se soulaient ensemble le samedi pour oublier la redoutable maladie qui les menaçait tous.

La réalité vérifiée était plus prosaïque. Cette institution avait été créée par Maitre Paul Bonifay, qui s’installa au Sénégal dans les années 1930. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il se lança dans la politique locale. Elu maire adjoint de Dakar dans le sillage de Lamine Gueye, il  en devint de facto le premier magistrat. Il eut alors l’idée de convier à l’apéritif chaque samedi en fin de matinée, dans sa  petite villa de Dakar entourée de bougainvilliers, tous ceux qui jouaient un rôle de premier plan à Dakar.

En 1979, il rentra en France et son successeur, le docteur Jean-Claude Bernou, étendit alors le strict whisky pastis à un déjeuner offert à tour de rôle par les cent personnes qui composaient l’Abreuvoir.

En 1981, grâce à l’amical parrainage du Professeur Bernard Durand, je fus accepté parmi les happy few. Le déjeuner rassemblait effectivement des hommes d’affaires et des hauts fonctionnaires résident à Dakar, mais aucun Sénégalais, ce qui donnait à ces déjeuners un caractère un peu étrange.

Nombre de ses membres attendaient le repas du samedi pour régler directement leurs affaires et j’en fus, on va le voir, l’un des bénéficiaires. Très souvent ces repas avaient lieu dans des clubs de Provinces Françaises, avec une prédilection marquée pour le Club Corse, le plus assidument fréquenté, on se demande pourquoi.

Je dois reconnaitre que pendant les deux ans pendant lesquels je fus membre du club, je n’eus jamais le courage de lancer une invitation, en raison de mes nombreux déplacements. 

Les déplacements, parlons en justement. D’une part mon activité d’enseignement était limitée à Dakar. Il n’était pas question de faire des heures supplémentaires, d’une part parce que les enseignants sénégalais en avaient fort besoin et d’autre part parce qu’il n’existait que très peu de crédits à cet effet au Ministère de la Coopération.

J’avais aussi essayé d’organiser un séminaire de recherche qui n’avait pas eu le succès escompté. Enfin, mon épouse était retournée en France pour préparer  le concours d’agrégation, ce qui m’incitait à revenir en France pendant les vacances et j’avais plusieurs offres de missions dans des pays africains.

Mais voilà, l’ambassade de France à Dakar avait pour mission d'interdire aux coopérants de quitter le Sénégal. C’était logique, bien sûr, nous effectuions  notre coopération au Sénégal et pas ailleurs. Cependant ce n’était pas très réaliste de vouloir empêcher un universitaire de développer une activité tous azimuts, s’il en avait la volonté.  C’était même mission impossible, en raison de la nature même du métier d’universitaire qui ne rentrait jamais dans le cadre des règlements administratifs.  

Bref, j’étais en conflit ouvert avec le Directeur des services de la coopération à Dakar qui me soupçonnait, sans avoir totalement tort, je l’avoue, de saisir le moindre prétexte pour quitter le Sénégal. Ce Directeur prétendait supprimer mon indemnité de coopérant pour chaque jour passé ailleurs qu’au Sénégal, et pour cela, il avait demandé au Commissaire de Police français en poste à l’aéroport de Dakar d’y relever les dates de mes départs et arrivées.

Rien de plus facile, théoriquement. Mais le Commissaire de Police sollicité faisait partie de l’Abreuvoir. Il me prévint de l’intention maligne du Directeur à mon égard, m’incita à la modération et s’abstint de toute transmission d’information superfétatoire aux services de la coopération.

Ainsi fonctionnaient les réseaux dans ce petit monde qui se côtoyait et se heurtait sans cesse, jusqu’au jour où l’un de ses membres, au bout de deux à six ans généralement, changeait de pays ou revenait en France. Il organisait alors une belle réception, avant de disparaître tout à coup de notre vie  et de nos préoccupations.

 

Ces départs donnaient lieu à des pots qui réunissaient toutes les relations que l’on avait assidument fréquentées pendant ces quelques années. D’éloquents discours étaient prononcés, qui étaient parfois édités. Des cadeaux, quelquefois somptueux, étaient remis à ceux qui nous quittaient. Heureusement des liens indissolubles se créaient aussi, ce qui fut le cas pour notre part avec au moins  trois couples d’amis.

 

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QUÉBEC FACE À LA ROYAL NAVY

4 Juin 2018 , Rédigé par André Boyer

QUÉBEC FACE  À LA ROYAL NAVY

 

L’initiative, prévisible, des Britanniques en direction de Québec conduit Montcalm à y consacrer  la majorité de ses forces et à y pratiquer une stratégie presque entièrement défensive, orientée vers l'est de la ville, ce qui a pour conséquence d’abandonner des positions importantes sur la rive sud, comme à l'île d'Orléans et à Lévis.

 

À l'approche de la flotte anglaise en juin, les aides à la navigation au large de l'île d'Orléans sont remplacées par des faux, mais il suffit de quelques jours à la marine britannique pour reconnaître la « Traverse » qui est la voie de navigation du Cap Tourmente jusqu'au sud de l'île d'Orléans, et s’ouvrir la voie vers Québec.

Montcalm ordonne à la population de cacher les femmes, les enfants et les animaux au fond des bois, fait venir à Québec les régiments qui ont passé l'hiver à Trois-Rivières et à Montréal. Il fait également creuser une tranchée à Beauport, couler deux navires à l'embouchure de la rivière Saint-Charles pour bloquer cette voie d'accès et pour en faire des batteries. Enfin il prépare des brûlots, de petites embarcations remplies de débris inflammables qui seront envoyés contre la flotte britannique dans le but d'y mettre le feu.

Les efforts défensifs de Montcalm sont presque uniquement concentrés sur la rive nord du Saint-Laurent, ce qui amène à l’abandon aux mains de l’ennemi de positions importantes sur la rive sud, l’île d’Orléans et Lévis. C’est son idée de concentrer ses troupes pour une bataille à l’européenne et abandonner toute « petite guerre » ou guérilla. Le résultat sera la destruction des  villages et les pertes de subsistances qui en découleront.  De plus, Montcalm pense qu’aucun gros navire britannique ne pourra passer devant Québec et donc que les Britanniques ne pourrons pas prendre le contrôle du fleuve en amont de Québec. Moyennant quoi, il décide de mettre à l'abri les provisions et les munitions en les entreposant justement en amont de Québec, prés du Saint-Laurent, à Batiscan (70 milles de Québec) et à Trois-Rivières (100 milles de Québec).

Wolfe a préparé sa stratégie d’attaque avec l’aide d’un ingénieur de l’armée, le major Mackellar, qui a été prisonnier à Québec quelques années auparavant et qui a observé les défenses de la ville. Il envisage, comme Phips en 1690, de débarquer à Beauport puis de traverser la rivière Saint Charles avant Québec à l’est. C’est aussi contre cette éventualité que s’est préparé Montcalm.

Mais Wolfe, comme tous les chefs militaires de tous les temps, a préparé d’autres options,  comme celle d’attaquer à l’ouest et aussi celle d’échouer à prendre Québec. Dans ce dernier cas, il compte au minimum incendier la ville par des bombardements, brûler les récoltes et détruire les habitations alentours de façon à réduire la population de la région à la famine. C’est ce qu’il fera avant de réussir finalement à prendre la ville.

En pratique, le succés de cette campagne repose sur la Royal Navy et sa capacité à remonter le Saint-Laurent, qui est un fleuve très difficile à naviguer. Commandée par le vice-amiral Charles Saunders, la marine a contraint trois pilotes français prisonniers à les conduire, sous la menace de la pendaison,. De plus Montcalm n’a pas eu le temps de construire une batterie à Cap Tourmente et il s’est avéré impossible de bloquer la « Traverse »

 

Le 27 juin 1759, lorsque l'armée de Wolfe arrive en vue de Québec sur ses navires de transport, la côte de Beauport, l'endroit le plus vulnérable pour un débarquement, est protégée par des ouvrages militaires et par la majorité des hommes disponibles. 

 

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