Le premier pouvoir démocratique français
Il faut que vous remontiez au jeudi 29 septembre dernier, pour retrouver un article que je consacre aux principes de notre première constitution, dans le cadre de la série d’articles relatifs à l’histoire du pouvoir en France. Laissons donc un instant l’histoire de la dépression européenne en cours pour revenir plus de deux siècles en arrière, lorsque débute en France, le 1er octobre 1791, un régime monarchique et parlementaire d’une grande nouveauté, proche du type de régime qui fonctionnait depuis longtemps en Grande-Bretagne.
Ce régime s'appuyait sur la Constitution rédigée par les députés de l’Assemblée constituante issue des États Généraux. Cette Constitution avait prévu deux tours d'élections, le premier, en juin 1791, consistant à nommer les électeurs du second tour. Un million neuf cent mille électeurs passifs étant écartés du scrutin, les quatre millions trois cent mille citoyens actifs masculins avaient élu un pour cent des leurs qui formèrent les assemblées électorales du second tour, du 29 août 1791 au 5 septembre 1791. La majorité des députés étaient proches des Feuillants ; ils comptaient de nombreux avocats et avaient souvent moins de trente ans. La participation au vote, entre un tiers et un quart des votants, semblait à priori faible, mais elle se révéla par la suite la plus forte de toute la période révolutionnaire.
La nouvelle assemblée ne comprenait aucun membre de la Constituante, sur proposition de Robespierre. Le roi était tenu de prêter serment à la Constitution. Pour ses besoins matériels, il devait se satisfaire d'une liste civile de 25 millions de livres octroyée par les députés.
Si le pouvoir législatif revenait à l'Assemblée nationale, le roi pouvait en revanche suspendre l'application d'une loi pendant quatre ans. Le pouvoir exécutif appartenait de son côtés aux six ministres désignés par le roi (Justice, Guerre, Marine, Affaires étrangères, Intérieur, Finances), qui devaient rendre des comptes aux députés.
Les 745 députés de l'Assemblée nationale étaient élus pour deux ans par les délégués des citoyens actifs, au nombre de quatre millions trois cent mille donc. On appelait « citoyens actifs » ceux qui payaient un impôt au moins égal à trois journées de travail. Les délégués, quant à eux, devaient être choisis parmi ceux qui payaient un impôt d’au moins dix journées de travail.
Le troisième pouvoir, la justice était rendue par des magistrats élus par les citoyens actifs. Chaque canton disposait d’un juge de paix élu pour deux ans, chaque district possèdait un tribunal de première instance et chaque département un tribunal criminel. Dans ce dernier, un jury d'accusation de 8 membres décidait s'il y avait lieu de poursuivre l'accusé et un jury de jugement de 12 membres décidait de la peine à appliquer. Dans la capitale, un tribunal de cassation veillait à la conformité des jugements.
La Constitution de 1791 a été appliquée pendant moins d'une année.
Trop démocratique ?
Vivre de la politique...
À la suite de Max Weber, j’ai souligné dans mon blog du 10 novembre dernier intitulé « la caste des hommes politiques » comment est apparu dans nos sociétés un « microcosme » qui rassemble les hommes politiques professionnels. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils en font leur métier.
Car il y a deux façons de faire de la politique. Ou bien l’on vit «pour» la politique, ou bien l’on fait «de» la politique. Cette opposition n'a absolument rien d'exclusif. Celui qui vit «pour» la politique fait d'elle, dans le sens le plus profond du terme, le «but de sa vie», soit parce que la possession du pouvoir lui procure du plaisir, soit parce que cette activité lui permet de trouver son équilibre interne et d'exprimer sa valeur personnelle en se mettant au service d'une «cause» qui donne un sens à sa vie.
Mais celui qui voit dans la politique une source permanente de revenus «vit de la politique». Pour que, dans notre société, un homme puisse vivre «pour» la politique, il lui faut pouvoir vivre sans disposer des revenus que l'activité politique pourrait lui procurer. Il lui faut en outre être «économiquement disponible», ce qui veut dire que l'acquisition de revenus ne l'oblige pas à consacrer toute sa puissance de travail et de pensée à acquérir ses revenus. C’est le cas des retraités qui se dévouent pour gérer les petites communes, mais ce n’est pas celui de l’employé, du médecin ou de l’homme d’affaires. Seuls les fonctionnaires, s’ils bénéficient d’un détachement accordé par leur administration, peuvent faire de la politique sans en vivre.
Ce que nous voulons souligner, c'est que le recrutement du personnel politique, lorsque ces derniers ne sont pas des retraités ou des fonctionnaires, est lié à cette condition évidente que l'entreprise politique devra leur procurer des revenus réguliers et assurés. L'homme politique professionnel qui vit de la politique peut percevoir ses revenus soit sous la forme d'honoraires correspondants à des services déterminés, les pots-de-vin n'étant qu'une forme illégale de ce type de revenus, soit sous la forme d'une rémunération fixe, soit sous les deux formes à la fois. En dehors des indemnités correspondant à leurs fonctions, ce sont donc des postes de toutes sortes dans les partis, dans les medias, dans les entreprises publiques, dans les municipalités ou dans l'administration que les chefs de parti distribuent à leurs partisans pour leurs bons et loyaux services.
Les luttes partisanes ne sont donc pas uniquement des luttes pour des buts objectifs, mais elles sont aussi et surtout des rivalités pour contrôler la distribution des emplois. Les partis s’irritent beaucoup plus des passe-droits dans la distribution des postes que des entorses à leur programme. On vient de le voir dans le contenu de l’accord entre le PS et les Verts. Les maires de Paris et de Lyon s’irritent plus de l’intrusion d’élus verts sur leur territoire politique que des implications de cet accord sur la politique énergétique du pays.
Nombre de partis politiques sont devenus, depuis la quasi-disparition de divergences relatives à l’idéologie politique, des organisations qui ne s'occupent que de la chasse aux emplois et qui modifient leur programme en fonction des voix à capter.
Dans de nombreux pays, deux grands partis se succèdent au pouvoir selon le principe d'une alternance consentie, sous la couverture d'élections verrouillées qui excluent toute autre formation politique du pouvoir, pour permettre aux partisans de ces deux formations de profiter tour à tour des avantages que procurent les emplois rémunérateurs qu’ils peuvent s’attribuer.
On observe aussi que la croissance du nombre des postes administratifs est un moyen pour les chefs politiques de fournir des revenus aux militants dont ils ont besoin, et qui de leur côté s’attendent à bénéficier d’un emploi sûr, qui leur donne les moyens de militer pour des causes qu’ils défendent en général sincèrement. Une grande partie des militants des Verts, par exemple, ne vit que de politique. Il leur faut donc à tout prix des élus, qui leur garantissent ces postes : une politique de rupture avec le PS qui les en priverait serait une catastrophe personnelle.
Ainsi, les partis apparaissent-ils de plus en plus aux yeux de leurs adhérents comme une sorte de tremplin qui leur permettra d'atteindre cette fin essentielle : assurer leur avenir.
(Adapté de Max Weber, « le Savant et le Politique »)
Le syndrome de Georgina*
J’avais prévu d’écrire sur un tout autre sujet aujourd’hui, mais l’horrible actualité me saisit à la gorge. Ce garçon de 17 ans qui viole, tue, brûle Agnès, une jeune fille de 13 ans, c’est horrible !
Le plus horrible, c’est qu’un peu de sens des responsabilités aurait suffi à sauver l’adolescente. Quand je lis ce que je lis et que j’entends ce que j’entends, je suis indigné. Quelle fuite devant les responsabilités ! Quand allons nous entendre quelqu’un avouer enfin qu’il a commis une faute, une erreur ? Quel soulagement ce serait de savoir que, dans cette société, quelqu’un accepte d’assumer ses responsabilités !
Mais non. Le principal du collège savait que ce garçon « avait eu des ennuis avec la justice, mais on n'en connaissait pas la nature. Et nous n'avions aucun contact avec les services de justice ». Comment, un collégien de 17 ans entre en pension dans ce collège très spécial, avec des jeunes filles qui sont aussi en pension, et le directeur de l’établissement, qui sait que ce collégien a passé quatre mois en prison, ce qui signifie qu'il n'est pas seulement un voleur de scooter ou un revendeur de drogue, ne cherche pas à savoir pourquoi? Écoeurant.
Des psychiatres, des psychologues jugent qu’il est « réinsérable et qu’il ne présente pas de dangerosité », mais il est si peu dangereux qu’il doit être d'être scolarisé dans un internat et qu’il reste soumis à une obligation de suivi psychiatrique. Tandis qu’au collège, on ne sait rien ou plutôt on ne veut rien savoir et on le laisse sans surveillance en contact avec des jeunes filles, pas seulement en classe mais en pension ! Et bien sûr, les parents des autres enfants ne savent rien, car cela pourrait traumatiser ce jeune homme,« présumé », attention seulement présumé coupable d’un viol ! Même si tout l’accable pour ce premier crime , l’important ce ne sont pas les faits mais que la justice n’ait pas encore signé les papiers indiquant qu’il est juridiquement coupable. Et en attendant, il reste libre de recommencer, à condition que ce soit entre deux contrôles judiciaires. Voilà dans quel systeme absurde notre socièté se trouve enfermée!
Un responsable du Collège cévenol a osé déclarer que, tout en sachant que la direction savait que le lycéen avait fait un séjour de quatre mois en prison, « elle n’avait pas à s’immiscer » en exigeant des parents qu’ils indiquent le motif de son incarcération ! et laisser les autres enfants à sa merci ????
Que dire ensuite des « experts psychiatriques » ? Le président du tribunal pour enfants de Bobigny, Jean-Pierre Rosenczveig, a bien voulu juger que cette affaire était « extrêmement grave », ce qui ne l’a pas empêché d’observer que « l’on a un juge qui, avec la caution du parquet, des psychiatres, des éducateurs, prend une décision dans le cadre du contrôle judiciaire qui est de bon sens, avec la décision de le faire partir de Nîmes, pour ne pas qu'il rencontre sa précédente victime, et l'obligation de l'internat ». Avec d’autres jeunes filles ? pourvu qu'il ne s'attaque plus à sa precédente victime il peut faire ce qu'il veut avec d’autres jeunes filles? C'est du bon sens? Vraiment ?
Mais cela ne trouble pas M. Rosenczveig, pour qui « ce sont des personnes normalement compétentes qui ont fait leur travail et malheureusement les choses ont mal tourné ». Malheureusement ? Le hasard, voilà l'explication? Non, absolument pas, ce n’est pas le hasard, l'explication réside dans le refus de savoir, le refus de prendre ses responsabilités, l’extrême laxisme qui consiste à prendre prétexte de la présomption de responsabilité, de l’age du délinquant, de la longueur excessive des procédures pour laisser dans la nature des assassins en puissance.
Ou bien ces juges, ces psychologues, ces principaux de collèges sont irresponsables et il faut les destituer d’urgence, ou ils sont « normalement compétents » et ce sont les règles de la société qu’il faut changer, car aucune société ne peut accepter que de tels crimes se produisent sans que personne n’en soit tenue responsable, si ce n’est la fatalité !
* Georgina Dufoix était ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale lorsque, interviewée par la journaliste Anne Sinclair (nos acteurs politiques sont issus d'un tout petit monde) en novembre 1991, elle utilisa cette formule devenue depuis tristement célèbre: "Je suis responsable mais pas coupable". Elle voulait dire par là qu'elle n'était pas juridiquement coupable, mais était-ce à elle de le déclarer et devait-elle le faire sous cette forme? Cette phrase est devenue emblématique du refus d'assumer ses responsabilités.
En passant par la Mobil bourguignonne
Il vous faut vous reporter au blog du Mercredi 5 octobre 2011, un blog intitulé « Comment prendre un nouveau marché sans se fatiguer » pour retrouver le récit qui précède immédiatement celui-ci:
C’est le printemps 1972, il y a presque quarante années de cela. Je sillonne la Bourgogne en Dyane 6 Citroën, au grand dam de mes collègues de la Mobil, fervents utilisateurs d’automobiles sérieuses comme la Peugeot 404. L’Yonne est alors une de mes destinations favorites, car j’y rencontre l’un de nos meilleurs représentants dont je partage les soucis et la perplexité. À l’autre extrémité de ma zone d’activité, je me risque dans le Jura, me rendant souvent à Louhans, Lons-le-Saunier ou Dole ou m’attendent quelques affaires litigieuses que j’ai évoquées précédemment, poussant même jusqu’à la glaciale ville de Pontarlier. Si glaciale que je me souviens d’une température de zéro degré en fin de journée, un jour du mois de juillet 1972. Et dire que Mirabeau fut emprisonné non loin de là, au fort de Joux. J’imagine qu’il s’y est gelé…
Je tourne aussi autour de Châtillon-sur-Seine et de ses deux stations Mobil, absurdement en concurrence à quelques dizaines de mètres l’une de l’autre, alors que les points DICA (1) manquent cruellement à la Mobil pour ouvrir de nouvelles stations-service ! Il est vrai que l’une dépend de la sous-direction « Réseau » et l’autre de la sous-direction « Distribution », donc de moi. Tout se passe comme si les deux stations appartiennent à deux entreprises concurrentes, ce qui est évidemment absurde. Comme quoi, même dans les entreprises les plus dévouées au culte du profit, les structures bureaucratiques dictent leur loi d’airain au marché, à l’entreprise et aux hommes !
C’est à Châtillon-sur-Seine que j’ai déjeuné de façon mémorable, dépensant en un repas rassemblant huit personnes une fois et demi mon salaire mensuel, soit une somme représentant aujourd’hui 5000 euros d’aujourd’hui ! l’équivalent de 625 euros par personne ! Cette dépense incroyable avait été programmée par ma direction pour éblouir nos clients par sa magnificence. Elle rassemblait deux directeurs commerciaux, dont moi, et six prospects de la Mobil. Le montant énorme de la facture trouvait son origine dans les vins, je m’en souviens encore, puisque j’avais été autorisé à offrir à nos clients des bouteilles de Saint Estephe 1908…
Je me vois encore quitter le restaurant vers 17 heures, après y être entré quatre heures plus tôt. Je n’étais pas de bonne humeur, contrairement à ce que vous pourriez penser : ce repas a été une des raisons de ma démission ! Je montais dans ma Dyane 6 tout en ruminant, tandis que les hautes futaies des arbres s’écartaient devant mon bolide rouge de part et d’autre de la route. Je me demandais si c’était mon avenir, ces repas pantagruéliques, ces banalités débitées autour de la table pendant des heures et surtout ces mensonges déversés sur des partenaires prisonniers de contrats léonins avec la Mobil. Est-ce que c’était ce que j’avais rêvé de trouver, quand j’étais entré à la Mobil ? Se poser la question, c’était naturellement y répondre. Mais d’autre part, est-ce que je faisais ce travail à la Mobil pour réaliser un rêve ? Est-ce que j’avais les moyens de rêver, avec une famille à charge ? Ce repas a pesé lourd dans ma démission ultérieure de la Mobil…
En attendant, la campagne bourguignonne était belle en ce printemps de ma vie. Je m’arrêtais souvent au bord de la route, le long des forêts, arpentant les chemins qui s’y enfonçaient pour méditer sur mon avenir et celui de ma famille. Des tempêtes se levaient sous mon crâne : que devenir ? que décider ? quelles étaient les échéances ?
Ces interrogations, qui me hantèrent dès le printemps 2012, m’avaient conduit à explorer peu après mon arrivée à Dijon l’autre possibilité qui s’offrait encore à moi, loin du monde impitoyable de l’industrie. Encore ne fallait-il pas trop attendre.
(1) La Direction des Carburants (DICA) exerçait une tutelle sur les groupes pétroliers. Elle n’autorisait alors l’ouverture d’une nouvelle station-service qu’à condition que trois autres stations soient fermées. La stratégie élémentaire dictait alors aux compagnies pétrolières de fermer trois petites stations pour en ouvrir une grande et donc de ne pas laisser deux petites stations se concurrencer en pure perte, perdant ainsi inutilement des points qui auraient été mieux utilisés ailleurs.
Le trilemme de Rodrik
Papandreou et Berlusconi renvoyés dans leurs foyers, deux eurocrates nommés, que dis-je désignés, respectivement à leur place, Luca Papedomos et Mario Monti. Quelle est la nouvelle donne ?
Les situations de la Grèce et de l’Italie sont fort dissemblables. La Grèce est insolvable : la dynamique de la dette grecque n’est plus soutenable quel que soit le scénario retenu en termes de croissance, de coût de financement et de solde budgétaire. Les « milieux financiers » en sont convaincus et s’attendent à ce que la Grèce fasse défaut à l’automne 2012, voire avant. Il est donc vraisemblable que les dirigeants européens aient fait nommer Luca Papademos pour gérer ce défaut grec dans les meilleures conditions pour la zone euro, donc avant les élections anticipées prévues le 19 février prochain. C’est du moins un schéma que l’on peut retenir.
Pour Mario Monti, c’est autre chose, il s’agit de sauver le soldat italien. Il va être immédiatement se trouver aux prises avec une rude contradiction, lui qui n’a pas été élu et qui ne bénéficie d’aucune légitimité démocratique et qui est chargé d’effectuer des réformes très douloureuses, sous le regard d’un Sylvio Berlusconi qui est enterré un peu vite par les medias.
Désormais se trouve posé au grand jour par l’Euro le trilemme de Dani Rodrik, à savoir qu’il est impossible d’avoir simultanément une intégration économique et financière avec le libre-échange, des flux de capitaux ouverts et une monnaie unique, des Etats- nations souverains et la démocratie.
La thèse de Dani Rodrik est que, dans le cadre d’une économie mondialisée, l’intégration économique génère une compétition entre Etats qui limite leur capacité à adopter des politiques interventionnistes que les populations souhaitent. Le gouvernement peut ignorer alors les populations et poursuivre des politiques de rigueur comme il le fait actuellement ou bien renoncer à une bonne part de sa souveraineté pour transférer le système démocratique à des instances supranationales. Mais au total, deux de ces trois choix seulement sont possibles à un moment donné.
On ne peut pas avoir en même temps une entité supranationale, l’Union Européenne utilisant une monnaie commune et des États souverains fondés sur des systèmes démocratiques.
Il est par contre possible d’avoir une Eurozone et des États souverains mais aux dépens de la démocratie. C’est ce que la Grèce, le Portugal et désormais l’Italie vivent en ce moment, puisque les populations ne sont surtout pas invitées, mais vraiment pas, à donner leur avis sur les mesures d’austérité qu’elles subissent. C’est une situation explosive à court terme sur le plan politique.
Il est aussi possible d’avoir une Eurozone démocratique, mais aux dépens d’une forte perte de souveraineté des États-Nations : c’est le but de l’union fiscale et budgétaire des États, mais ce schéma n’est pas réalisable à court terme.
Il est enfin possible d’avoir des États-Nations souverains et la démocratie, mais au prix de la disparition de l’Eurozone, ce qui n’est pas pensable pour les dirigeants européens.
Les Allemands, et eux seuls, auraient, croit-on, les moyens de résoudre le dilemme de Rodrik. Puisqu’ils veulent garder l’Euro, qu’ils prennent en charge les dettes accumulées par les États du Sud de l’Europe. C’est la condition nécessaire pour aller vers l’union fiscale et transférer à l’eurozone la souveraineté des États. Alors les peuples de l’eurozone reconnaîtront leur nouveau protecteur. Mais s’ils reculent, l’Eurozone coulera.
Pour la France, le moment de vérité approche. Elle vit le trilemme de Rodrick depuis 1983. C’est alors qu’elle a choisi l’Europe et une relative rigueur contre les promesses sociales et l’isolement. Elle est allé jusqu’au bout de sa logique d’abandon de souveraineté avec l’Euro, en échange d’une promesse démocratique : l’euro serait protecteur, nous redonnerait une souveraineté collective et assurerait une solidarité en Europe. Mais aujourd’hui, la situation se dégrade. La démocratie est malmenée et les abandons de souveraineté n’ont pas donné montré les bénéfices espérés. L’Euro se révèle un bouclier de verre et la solidarité entre européens n’est pas assurée. Sur la grève subsistent des Etats à la souveraineté affaiblie, une démocratie exsangue et une intégration financière incontrôlée.
Si les Allemands jettent l’éponge, ce sera le moment pour l’État de retrouver la base du contrat social qui le lie à ses citoyens : assurer leur sécurité, civile, sociale et économique.
La caste des hommes politiques
Dans le blog intitulé « Pouvoir et politique » que j’ai présenté le 31 octobre dernier, j’ai repris la classification de Max Weber relativement aux formes de légitimité du pouvoir, traditionaliste, charismatique ou légaliste. Il reste que le pouvoir, notamment celui de l’État, mais on le voit aujourd’hui aussi avec l’Union Européenne, a besoin de violence pour se faire obéir. Il lui faut donc aussi une structure organisationnelle pour exercer cette violence nécessaire à son fonctionnement.
C’est le contenu de cette structure que nous examinons aujourd’hui, dans les pas de Max Weber.
L'état-major nécessaire à toute entreprise de domination, politique ou économique, ne se soumet pas au détenteur du pouvoir en vertu de sa légitimité, mais en fonction des avantages qu’il en tire. Les membres de l’état-major s’attendent à être rétribués en relation avec leur proximité du pouvoir et à bénéficier de son prestige. Les fiefs attribués aux vassaux, les prébendes des ministres, les émoluments des « bons » serviteurs de l'État comme les privilèges ou les statuts protecteurs relèvent de ces rémunérations. C’est la crainte de perdre ces avantages qui est décisive qui garantit la solidarité entre le détenteur du pouvoir et son état-major.
Aussi, la stabilité de tout pouvoir ne peut être assurée que par des ressources suffisantes pour récompenser ses clientèles et réprimer la rébellion de ceux qui se sentent opprimés. Le pouvoir a toujours eu le choix entre deux méthodes de gouvernement : soit il l’abandonne à des personnes qui en ont la propriété et la responsabilité soit il détient l'administration en propre, confiée à des personnes qui n’en sont pas propriétaires. La première situation se retrouve dans la société féodale où le vassal faisait face par ses propres moyens aux dépenses de l'administration dans le territoire qui lui avait été confié.
Comme dans cette situation, le souverain ne gouverne qu'avec l'aide d'une aristocratie indépendante qui partage de ce fait le pouvoir avec lui, ce dernier a toujours cherché à devenir le maître de l'administration en la confiant à des subordonnés attachés à sa personne. La politique de Louis XIV à l’égard de la noblesse s’inscrit de manière spectaculaire dans ce cadre.
Plus généralement, le développement de l'État moderne a été fondé sur l’expropriation des puissances indépendantes qui détenait une partie du pouvoir administratif. C’est ainsi qu’il est devenu un outil de pouvoir qui monopolise la violence physique légitime comme moyen de domination dans les limites d'un territoire.
On voit dès lors apparaître un « microcosme », selon la formule de Raymond Barre, qui rassemble les hommes politiques professionnels. Le service qu’ils proposent consiste à se mettre au service du prince. Ils entrent dans la lutte politique pour obtenir qu’on leur confie la gestion des intérêts du pouvoir à la tête d’une ville, d’une région ou d’une administration, en échange de quoi ils obtiennent revenus et raison de vivre. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils en font clairement leur métier. Ils offrent au pouvoir un corps de collaborateurs qui lui sont entièrement et exclusivement dévoués. Naturellement la structure de l'organisation politique dépend de la couche sociale dans laquelle le pouvoir recrute ses agents.
Il est ainsi loin d’être indifférent que l’état-major de La République Française trouve quasiment la totalité de ses effectifs au sein de l’ENA, qui provient lui-même presque exclusivement de l’Institut d’Études Politiques de Paris, familièrement appelé Sciences-Po.
(Adapté de Max Weber, « le Savant et le Politique »)
Le point sur la situation économique
J’ai consacré depuis le 7 août dernier trois blogs à la crise qui s’annonce. Voici le quatrième destiné à faire le point après cette semaine folle et ces sommets consacrés à la zone euro qui se succèdent sans désemparer depuis des mois.
Tout a bougé, mais aucun problème fondamental n’a été résolu et ne sera résolu dans le cadre actuel. Attendez vous à de nombreuses péripéties et à peu de changements à court terme, tandis que bouillonnent les ingrédients d’un bouleversement complet à moyen terme :
La perte de confiance dans la vigueur de la croissance n’a eu de cesse de se renforcer.
C’est elle qui fait douter de plus en plus que les États fortement endettés puissent rembourser leurs dettes. À cet égard les plans de rigueur votés ou annoncés vont tous dans le sens d’une réduction de la croissance.
On se demande vraiment quel est l’objectif de ces plans : s’agit-il de donner des coups de menton pour montrer que l’on réagit et en profiter pour accroître les prélèvements obligatoires, ce qui présente l’avantage pour ses dirigeants d’augmenter mécaniquement le pouvoir de l’État ?
Mais pour résoudre le problème du remboursement de la dette, ce ne sont qu’au mieux des coups d’épée dans l’eau ou au pire des coups de poignarddans le dos de la croissance. Sur cette lancée, la crise va s’aggraver, la croissance faiblir puis devenir négative, les taux d’intérêts s’élever et la dette s’accroître encore.
Attendez vous au pire. Si l’on s’en tient aux politiques de rigueur, à l’exception de quelques îlots de croissance, prévoyez 0% de croissance en Europe en 2012, moins 5% en 2013 si la même politique est maintenue et si aucun miracle n'intervient par ailleurs. Ensuite, ne prévoyez plus rien, car l’impact de ces « performances » bouleversera la donne politique d’abord, économique et sociologique ensuite.
Les dirigeants européens sont-ils devenus fous ?
En tout cas, ils sont affolés par la multiplicité des contraintes, qui deviennent des barrières de plus en plus hautes à franchir et de plus en plus contradictoires à prendre en compte.
Entre le maintien de l’Euro, l'objectif principal de nos dirigeants, celui de la conservation de taux d’intérêt raisonnables pour pouvoir rembourser les emprunts, l’abandon des dettes imposées aux partenaires financiers pour maintenir des plans crédibles de gestion des budgets nationaux en déséquilibre et l’augmentation nécessaire des impôts pour rééquilibrer immédiatement les comptes, mais qui plombe la croissance, ils ne savent plus ou donner de la tête.
Plus ils s’agitent, plus l’incompréhension, l’angoisse et le rejet des classes politiques au pouvoir se renforce dans l’opinion, plus leur légitimité se détériore. Nous sommes proche du point où les opinions publiques ne savent plus à quel saint se vouer. On ne peut pas abandonner l’euro, par peur du vide. Mais alors qui croire, que faire, où va t-on ? On leur parle de plans dévalorisés à peine publiés, d’un gouvernement économique européen, mais quand et comment ? tout simplement le vide. N’attendez rien de nos dirigeants, ils ne savent plus comment s’en sortir et bientôt ils ne pourront plus paraître en public sans se faire insulter, comme en Grèce.
Existe t-il une solution pour rembourser les dettes, maintenir notre tissu économique et retrouver la croissance ?
Théoriquement, oui. Pratiquement, c’est une autre histoire, qui dépend des rapports de force et des prises de conscience collectives.
La seule solution connue à court terme, c’est la dévaluation et l’inflation. Puis, à long terme, c’est l’investissement productif fondé sur l’épargne, donc sur les excédents, pour répondre à la demande.
La dévaluation redonne de la compétitivité à des économies qui ne le sont plus comme celle de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne ou de la France.
L’inflation offre la possibilité d’effacer en douceur les dettes et, tout aussi en douceur, de redistribuer les revenus. L’économie repart, en contrepartie d’un appauvrissement d’une partie de la population, principalement les prêteurs, les retraités et les assistés.
La confiance et l’optimisme reviennent pour ceux qui produisent tandis que les autres se serrent la ceinture, dépriment ou réagissent. L’épargne de ces gens confiants finance les investissements qui permettent de renforcer notre tissu productif.
Une roue vertueuse se remet à tourner…
Oui, mais il faut au préalable des décisions politiques d’autant plus difficiles que les dirigeants d’un pays comme la France doivent trouver des compromis, non seulement entre les divers groupes d’intérêt à l’intérieur de la France, mais aussi avec des partenaires aux intérêts divergents comme l’Allemagne ou avec des préteurs aussi rudes que la Chine.
Si l'on y ajoute que la mission de la BCE est de lutter contre l’inflation et que l’Euro est une monnaie indévaluable, il ne vous reste plus qu’à prédire par vous-même ce qui va se passer en vous reportant au premier point de ce blog pour en tirer les conséquences.