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Le blog d'André Boyer

LE DESTIN DE LA NOUVELLE-FRANCE

28 Avril 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LE DESTIN DE LA NOUVELLE-FRANCE

 

Le Traité de Paris avait été signé en 1763 et la révolte des Amérindiens avait fait long feu. Qu’allait devenir ce qui restait de la Nouvelle-France ?

 

Qu’en restait-il d’ailleurs ? Pour répondre à cette question, il nous faut revenir au Traité de Paris, qui a mis fin à la présence française en Amérique du Nord. La France abandonnait à l’Angleterre le Canada jusqu’au Pacifique, les pêcheries de Terre-Neuve et du Golfe de Saint-Laurent, mais aussi toutes ses possessions à l’est du Mississipi. 

Quant à ses possessions à l’ouest du Mississipi ainsi que la Nouvelle-Orléans, elles furent cédées secrètement à l’Espagne au cours des négociations préliminaires de Fontainebleau. Le duc de Choiseul voulait en effet que l’Espagne cédât la Floride, à l’époque le territoire compris entre le Mississipi et la Géorgie, à l’Angleterre, pour qu’elle puisse récupérer en échange l’île de Cuba que les Anglais avaient conquis. 

La France renonçait explicitement à toute prétention sur l’Acadie et ne conservait que l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon. Dans les Antilles, elle conservait Saint Domingue, la Guadeloupe conquise par les Anglais en 1759, la Martinique, conquise en 1762 et Sainte Lucie, tout en perdant Marie-Galante, la Désirade, la Dominique, Saint-Vincent, Grenade et Tobago. 

Choiseul préférait préserver le marché de la canne à sucre, donc la Guadeloupe, plutôt que le Canada. Il se rengorgea même, lors de la signature du Traité de Paris où il aurait déclaré : « Nous les tenons. Il n’y aura que la révolution d’Amérique qui arrivera, mais que nous ne verrons probablement point, qui remettra l’Angleterre dans l’état de faiblesse où elle ne sera plus à craindre en Europe » *. Quant aux Anglais, ils avaient hésité avant le traité entre le Canada et la Guadeloupe, riche île à sucre, d’autant plus que certains d’entre eux étaient partisans de restituer le Canada à la France.  Ils voyaient en effet le risque, comme James Murray, le gouverneur de Québec, de voir l’Amérique anglaise trop riche et trop populeuse pour être gouvernable d’aussi loin, mais le Roi Georges III voulait de son côté éviter la possibilité pour la France de jamais reprendre pied en Amérique du Nord. Il fallait donc garder le Canada.

La période qui suit le traité de Paris est donc marquée par l’intégration du Canada, par la lente prise en main de la Louisiane occidentale par les Espagnols, puis par la Révolution Américaine. Sous Louis XV, on envisageait le retour de la Nouvelle-France, plutôt en Louisiane qu’au Canada. C’est ainsi que Madame de Pompadour écrivait qu’il n’existait aucune autre nation « qui possède si bien l’art de se faire haïr que les Anglais »**, ce qui laissait espérer que le retour éventuel des Français serait bien accueilli par les Amérindiens. Elle disait vrai pour les Anglais ; encore ne pouvait-elle pas deviner que les Étasuniens sauraient bien cultiver cet art ultérieurement, mais les Français ne revinrent pas, même à l’occasion de la guerre de Pontiac qui s’acheva en 1766 et que j’ai relaté dans le billet précédent. 

Finalement les Canadiens (français) se retrouvèrent seuls face aux Anglais, tandis que leurs élites les quittaient. Outre les militaires, forcés de s’embarquer pour la France du fait des clauses de la capitulation de Montréal, s’ajoutaient les administrateurs civils, soit au total près de quatre mille personnes qui quittèrent le Canada avant 1764. Restèrent donc les petites gens, dont fort peu, quatre cent seulement, choisirent de revenir en France plutôt que de devenir sujet britannique. 

Le 7 octobre 1763, le Canada, amputé des Pays d’en Haut pour être ramené à la vallée du Saint-Laurent, devint la « Province du Québec ». Les Canadiens qui voulaient occuper des fonctions publiques devaient abjurer le catholicisme en faveur du protestantisme, selon le serment du Test. Les Canadiens s’y refusèrent et les Anglais, qui espéraient assimiler rapidement les Canadiens en leur imposant leur langue, leur religion et leurs coutumes, durent déchanter. Ils déchantent encore en 2020, puisque le Québec est toujours debout, se tenant distant de la vision anglo-saxonne du monde. 

Dés 1774, compte tenu de cet échec de l’assimilation des Canadiens, les Anglais, toujours réalistes, décrétèrent le Quebec Act qui accordait aux Canadiens un certain nombre de garanties, comme le culte catholique et donc l’accès aux fonctions publiques, la Coutume de Paris, c’est-à-dire l’application des lois civiles françaises et le maintien du régime seigneurial. Le Quebec Act étendit également la Province de Québec à tout l’ancien Canada, soit du Labrador à l’Ohio et au Mississipi. 

 

La Nouvelle-France était rétablie, mais sous souveraineté britannique. Ces mesures furent très mal reçues par les colons nord-américains anglophone, justifiant les prédictions de Choiseul. 

 

*Trudel M. (1976), La Révolution américaine : pourquoi la France refuse le Canada, 1775-1789, Les éditions du Boréal, p.50.

** Lettres de la Marquise de Pompadour 1753-1762, 1773, vol 1, p 22.

 

À SUIVRE

PROCHAIN ARTICLE : RIFIFI SUR LA PLACE TIAN AN MEN

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EXPLOITER LE CHOC DU COVID-19

23 Avril 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

EXPLOITER LE CHOC DU COVID-19

Personne ne peut nier que la crise du Covid-19 ait produit un choc au niveau mondial. Cela est un fait aujourd’hui sanitaire et social qui va devenir économique, puis politique. Qui va tirer les marrons de ce feu là ? 

 

L’État français a commencé à tirer ces marrons en profitant de l’effet de sidération lié à la décision de confinement général et à la peur entretenue par des media qui diffusent des informations exclusivement consacrées à la pandémie, pour réaliser trois avancées, dans le domaine des libertés publiques, du droit du travail et de l’économie.

La décision de ce confinement général, imposée pour faire face à la saturation des moyens de réanimation disponibles, est une décision extraordinaire de privation des libertés publiques. L’obligation de fournir un ausweis rédigé, justifié et limité par soi-même est une invention italienne géniale, reprise aussitôt par la France. 

On observera donc que le premier réflexe des dirigeants de l’État a été de déployer les méthodes les plus punitives, faisant pleuvoir les amendes, menaçant de prison, n’hésitant pas à culpabiliser les Français qui sortent dans les jardins publics, utilisant des drones pour les surveiller, les menacer par haut-parleurs, demain leur tirer dessus ?  

L’État nous rappelle ainsi, pour nous protéger de nous-mêmes, qu’il constitue une machine administrative faite pour dominer sa population nationale, sur laquelle il peut agir à sa guise, sans qu’aucun contre-pouvoir ne puisse s’y opposer. Nous constatons aussi que les Français s’y sont soumis, presque sans rechigner, avec l’aide de forces de police professionnelles qui ont su adapter la répression aux circonstances. 

Soyez certain que l’État a pris acte de ce pouvoir et qu’il s’en servira sans nul doute à l’avenir, c’est pourquoi il y a toutes les raisons de craindre que ces circonstances exceptionnelles ne soient un prétexte pour restreindre les libertés et accroître le contrôle sur les individus :

  • Aujourd’hui, tout rassemblement, toute manifestation, tout mouvement de grève ou de contestation et même toute assemblée générale n’est toléré et cela va durer. 
  • Dans quelques semaines, il faudra un autre ausweis pour sortir de France. 
  • Dans quelques mois, il suffira d’intégrer au droit commun les règles dérogatoires de « l’état d’urgence sanitaire », avec l’accord assuré du Conseil Constitutionnel pour les pérenniser.

En matière du droit du travail, cet État autoritaire, on l’a déjà oublié car même le temps du confinement passe vite, a immédiatement utilisé la crise du coronavirus pour mettre entre parenthèses un certain nombre de droits sociaux pour un temps indéterminé, au moyen de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. Cette loi autorise l’exécutif à légiférer en de nombreux domaines, par le moyen de 43 ordonnances qui ont été votées en présence d’un personnel politique restreint. 

Ces ordonnances se sont traduites immédiatement par des dérogations portant sur la durée légale du travail, par la possibilité pour les employeurs de choisir les dates des RTT de leurs employés et d’imposer des congés selon leur bon vouloir, encore que l’État, sous la pression des partis d’opposition, ait dû accepter de faire entrer les syndicats dans la boucle, ce qui révèle clairement ses intentions et nous fournit une piste pour notre avenir économique. 

Des naïfs s’interrogent pour savoir, à la suite de l’énorme endettement supplémentaire qui vient d’être acté sous nos yeux en quelques semaines, nous situant désormais au niveau des finances publiques italiennes dont nous nous moquions tant, si l’État va mener une politique de relance keynésienne ou une politique d’austérité. 

Sans aucun doute, une politique d’austérité. Nous nous dirigeons tout droit vers un plan, que dis-je, neuf ou dix plans d’austérité successifs à la grecque, imposés par nos bons amis allemands, hollandais et scandinaves avec le soutien de nos excellents amis polonais ou tchèques. Il va nous falloir régler à la fois le magnifique cadeau du chômage partiel payé à 84% du salaire, le coût de la relance qui va suivre et le coût du soutien financier aux grandes entreprises, comme Air France ou Darty aujourd’hui et des dizaines d’autres demain.  

Certes, nous avons, très théoriquement, le choix : soit une politique keynésienne qui implique la fermeture financière du pays, avec, pour commencer, la sortie de l’Euro et pour finir l’exclusion de la France du marché financier mondial, soit l’Austérité avec un A, pour une durée indéfinie, le temps de payer nos dettes qui ne sont pas près de se réduire.

Quel lecteur de ces lignes croit à la première « solution » ? Je n’en fais pas partie, parce que je vois que le gouvernement français est un fervent adepte de la globalisation et parce qu’il dispose, grâce à l’effet de sidération, grâce à la peur qui s’est emparée de ses citoyens, la peur sanitaire aujourd’hui, la peur économique demain, la peur sociale après demain, la peur des émeutes enfin, de tous les pouvoirs pour agir à sa guise.  

Au plan politique, en dehors d’un changement de Premier Ministre ou d’un referendum gadget, on peut imaginer à terme la défaite du Président actuel et l’arrivée d’un Président favorable à une politique keynésienne impliquant la sortie du pays de la globalisation. 

Mais nous avons l’expérience de la Grèce : l’expérience de l’élection en 2015 du parti SYRISA sur un programme très hostile aux réformes proposées par les autorités européennes, l’expérience d’un referendum organisé par le gouvernement d’Aléxis Tsipras qui rejeta à plus de 61% les propositions des créanciers européens et l’expérience de ce même gouvernement acceptant huit jours après ce rejet par son peuple des mêmes propositions, qui sont encore appliquées aujourd’hui. La France plus forte que la Grèce, demain, dans cinq ans, dans dix ans ? 

L’avenir qui nous attend est un avenir grec. 

 

Il est intéressant d’observer, pour conclure, que notre propre gouvernement nous a plongés par son impéritie dans une crise qui va lui permettre de mener la politique d’austérité de ses rêves, réduisant salaires et retraites. C’est exactement ce que dénonçait en 2007 Naomi Klein dans  « La Stratégie du choc »*…

 

*La Stratégie du choc soutient que les désastres conduisent à des chocs psychologiques collectifs qui sont utilisés pour mettre en place des politiques qui n’auraient pas été acceptées dans d’autres circonstances.  

Dans ce livre, Naomi Klein s’efforce de montrer que le néolibéralisme  est construit autour de trois principes, la privatisation, la déréglementation et la réduction des dépenses sociales qui conduisent les États à démanteler les barrières commerciales, abandonner la propriété publique, réduire les impôts sur le capital, réduire les dépenses de santé et privatiser l'éducation. 

La stratégie suivie par les États pour faire accepter à leurs citoyens des politiques économiques plus libérales et des programmes sociaux plus réduits qu’ils ne le souhaitent comprend deux étapes : tout d’abord, exploiter les crises pour faire avancer un programme qui ne survivrait jamais au processus démocratique des temps ordinaires. Ensuite, constituer une oligarchie indéboulonnable dans laquelle les multinationales et les dirigeants politiques s'alignent pour promouvoir leurs intérêts aux dépens du public.

 

PROCHAIN BILLET : LE DESTIN DE LA NOUVELLE-FRANCE

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CLARIFIER L'AMBIGU CHINOIS?

18 Avril 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

Quelle ambiguïté ?

Quelle ambiguïté ?

Dans la conclusion de mon dernier billet sur la pensée chinoise « Le vent fait plier les herbes », le 7 mars dernier, je notais que l’action du sage opère par influence et non par persuasion, comme dans la pensée occidentale. 

 

C’est que l’opposition entre la Cohérence chinoise et le Sens occidental esquisse deux grandes approches du réel, conduisant à deux logiques rivales, que l’on observait déjà à l’orée de la philosophie européenne, la disjonction parménidienne contre la compréhension héraclitéenne. La première, avec Aristote et le principe de non-contradiction, l’emportera avant que la seconde n’effectue son retour sur la scène philosophique au 19esiècle, avec Hegel, Nietzsche ou Heidegger.

Une pensée de la cohérence s’attache à observer la coopération des contraires dans le déroulement des choses, jour et nuit, été et hiver, guerre et paix, vie et mort. Elle se borne à décrire le fonctionnement du réel, sans doute infiniment subtil, mais dont seul importe le comment.

Alors qu’une pensée du sens est obnubilée par le pourquoi des choses, objet d’un étonnement qui commence avec Platon et qui n’est jamais apaisé. Il en surgit deux formes de logique, également cohérentes, l’une, compréhensive, qui retient et intègre tous les aspects du réel, et l’autre qui avance par interrogations successives, par un jeu binaire d’affirmation et de négation, une logique disjonctive. 

Ces deux logiques sont à l’œuvre dans les oppositions suivantes : 

- La Connivence chinoise versus la Connaissance occidentaleDe ce dernier côté, la connaissance, un savoir toujours plus abstrait et mathématisé qui conduit à la science. De l’autre côté, la connivence, un savoir qui reste concret et situé. Le point fort du premier, son noyau dur, c’est la physique, sans laquelle il n’y aurait pas de civilisation européenne. Le chef d’œuvre du second, c’est la tradition médicale chinoise, une pratique globale, holistique mais complexe, manuelle, sensible, adaptée à la saison, toute en subtilité. 

- La Maturation chinoise versus la Modélisation occidentaleAlors que l’approche scientifique conduit à modéliser l’expérience, puisque pour connaître un phénomène on le reconstruit en laboratoire (voir les débats sur l’expérimentation des médicaments), le savoir concret chinois porte toute son attention sur le rythme de développement des choses, leur durée interne qui doit être respectée. Ce n’est pas le cas du savoir rationnel qui se lance hardiment dans des programmes d’action dont le champ d’application, après la nature, s’étend au corps physique et social, Car la modélisation ne se cantonne pas à la technique matérielle, elle déborde sur le politique, elle s’attaque au vivant. À tort ? À tort et à travers ? 

- La Régulation chinoise versus la Révélation occidentale: la prise sur les choses s’inscrit dans une vision du monde. Un monde dont la marche relève d’une maturation possède un ordre interne, où le transcendant et l’immanent y sont indissociables. Il appelle à un souci de régulation de la part de l’homme éclairé: n’en faire ni trop ni pas assez, mais s’ajuster en permanence à la respiration des choses. Le sentiment du sacré exprime la confiance dans la continuité du vivant. Cette continuité n’a pas besoin de révélation puisqu’elle est évidente. Elle n’a pas besoin d’énigmes à résoudre comme dans les mythes grecs ou de mystères à accepter, comme dans les Evangiles. Elle ignore enfin le concept de révolution qui n’est que la radicalisation de la modélisation sur le plan sociopolitique, un concept qui prend au contraire toute sa force dans une culture de la révélation. 

- La Transformation chinoise versus l’Évènement occidental. Cette opposition concerne l’intelligence du temps. A la mise en valeur de l’évènement, côté européen, et avec lui de l’acte, du spectacle ou de l’épopée qui le célèbre, s’oppose en Chine, qui n’a aucune tradition épique, l’attention aux transformations silencieuses qui incessamment travaillent dans le réel, et la recherche de ses indices les plus tenus. 

- L’Évasif chinois versus l’Assignable occidental. L’assignation comme détermination claire et précise d’un objet à connaitre est la démarche de base de la philosophie grecque, qui s’exprime aussi dans l’art avec la saisissante découpe des formes de l’art grec. Evasive sera au contraire l’approche chinoise des choses dans leur flux continu, cherchant ainsi le non localisable, excellant dans ses arts à évoquer la transition, la fusion des formes et non pas la pleine lumière, mais à faire voir l’instant où elles surgissent, comme celui où elles se résorbent.

- L’Ambigu chinois versus l’Équivoque occidental.Cette opposition résume les cinq oppositions précédentes, en considérant dans chaque culture le rapport au langage. Dans la philosophie européenne, de Socrate à Wittgenstein, l’impératif est d’expulser l’équivoque. Les concepts philosophique et scientifique ne supportent pas la polysémie du langage. Le logos doit avoir le dernier mot. Cette confiance dans le langage n’est partagée par aucune des grandes écoles de la pensée chinoise, dont l’effort est de défaire les rigidités du langage courant pour laisser affleurer le courant de la vie, dans son ambigüité foncière. L’impératif chinois est d’explorer l’ambigu, art dans lequel excelle l’expression poétique chinoise. 

 

On l’observera dans le prochain billet, le courant de la vie est en effet la vraie, l’indépassable cible de la pensée chinoise, ce qui n'est pas le cas, c'est le moins que l'on puisse écrire, de la pensée occidentale

 

À SUIVRE

 

PROCHAIN BILLET : EXPLOITER LE CHOC DU COVID-19

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UNE PLONGÉE DANS LA CHINE DES PROFONDEURS

13 Avril 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

LA MINABLE VILLE DE DATONG

LA MINABLE VILLE DE DATONG

Il est plus que temps, alors que l’épisode du COVID-19 envahit notre horizon et notre vie, de regarder ailleurs. 

 

Lors de mon dernier billet sur mon séjour en Chine, « Une consommation révélatrice » qui date d’avant le coronavirus, le 26 février dernier, je concluais en vous affirmant que, non, je n’étais pas resté confiné à Pékin pendant deux mois. Me connaissant, vous pouviez vous en douter. Ce que je peux ajouter, c’est qu’après l’expédition à Datong, j’ai fait montre par la suite d’une extrême prudence, que l’on pourrait même qualifier de pusillanimité.

 

Je ne sais plus qui nous avaient convaincu de visiter Datong au printemps 1985, peut-être Geneviève Barré ou son compagnon, Gérard Taxi, sans doute à cause d'une curiosité industrielle, l'existence dans cette ville de la dernière usine de locomotives à vapeur du monde, une production qui s'est poursuivie jusqu’au 21 décembre 1988. Néanmoins, je suis allé à Datong sans parvenir à voir cette maudite usine. 

Ce ne fut pas ma seule désillusion. 

Au départ, nous avions l’intention d’utiliser la plupart des week-ends dont nous disposions pour sillonner la Chine, mais ce voyage m’en a totalement dissuadé. 

Tous les quatre, Dumas, les Barré-Taxi et moi, notre collègue italien ayant prudemment déclaré forfait pour lui et sa femme qui aurait pourtant bien aimé venir, nous avons pris un billet aller simple Pekin-Datong en soft seat (siège mou, c’est-à-dire première classe). Aller simple, étant donné qu’à l’époque, il fallait acheter le billet retour sur place. On ne doutait pas qu’on le trouverait facilement. 

On croyait ça. 

Nous sommes partis le samedi matin dans un wagon confortable. Nous étions confiants, avec Geneviève qui parlait parfaitement chinois. Datong était à quatre cent kilomètres environ de Pékin et je pense que l’on a mis environ huit heures pour l’atteindre en train. 

À l'arrivée, nous avons compris que nous avions mangé notre pain blanc. Datong est une grosse ville industrielle qui se trouve à quelques centaines de kilomètres au sud de la Mongolie, une ville où l'on extrait beaucoup de charbon, une ville encore moins excitante que Wuhan, c’est dire. L’air était saturé de poussières, les terres bizarrement jaunes (le lœss), les bâtiments d’un gris repoussant. Ne cherchez pas une photo de Datong, vous ne trouverez quasiment rien d’autre que des Bouddhas dans des grottes, car c’est la seule attraction touristique honorable de la région, ce qui permet aux autorités locales de cacher le véritable décor de l’endroit.

Quand je ai découvert ce décor, j’ai compris que nous nous étions lourdement fourvoyé à vouloir visiter cet endroit infâme, je m’en suis voulu de ma naïveté et je suis devenu d’humeur exécrable. Nous avons néanmoins trouvé un hôtel. Il devait être correct parce que je ne m’en souviens plus, pas plus que de la nourriture qui devait être à peu prés acceptable. 

Le lendemain, découvrant trop tard que l’usine de locos n’était pas visitable (ma colère augmentant), nous nous sommes cru obligés d'aller voir les Bouddhas qui étaient situés dans des centaines de grottes à Yungang, pas loin de Datong. Ces grottes ont été creusées avant le VIe siècle et on y a trouvé des dizaines de milliers d’exemplaires de bouddhas, dont seulement quelques uns sont visibles, notamment un gros Bouddha de 20 mètres de haut, je crois. 

Cette visite m’a laissé de marbre, si je puis dire, sans doute parce que je n’étais pas d’humeur à contempler gravement des Bouddhas. Pas d’humeur du tout. D’ailleurs les bouddhas ne m’ont jamais impressionné, parce que les Chinois repeignent allégrement les temples et les statues en permanence, ce qui rend ces objets fort peu authentiques. 

J’étais inquiet aussi, parce que la veille, avant de quitter la gare, on avait essayé d’acheter les billets retour pour le dimanche, mais on n’avait pas pu. Alors l’après midi du dimanche, nous sommes revenus dans la pitoyable gare de Datong. La foule était partout. On ne voulait toujours pas nous vendre de billets et on commençait à se demander combien de temps on allait passer dans cette ignoble ville, puante et polluée ! 

Pendant que Geneviève négociait en vain les billets de retour, j’ai essayé de mon côté d’aller aux toilettes de la gare. Un spectacle abject m’attendait, qui est toujours dans ma mémoire et qui m’a fait passer en un instant de la mauvaise humeur à la consternation. Environné d’une rare puanteur, au milieu d’un cloaque que je ne crois pas pouvoir décrire ici mais que je visualise encore très bien, s’agitait une bonne centaine d’individus répugnants...Je refusais de me risquer dans cette fange!

Finalement, sans obtenir vraiment de places, nous fûmes autorisés par le chef de gare qui voulait sans doute se débarrasser de ces quatre Européens encombrants, à monter dans le train, en hard seat toutefois. 

Cette fois-ci, nous étions vraiment en Chine, et même tout au fond de la Chine. Impossible de s’asseoir bien sûr. Le train était bondé, les cris fusaient, les disputes tournaient à la bagarre, ma rage atteignait un sommet ignoré, qui ne s'estompa qu'au retour à Pékin.  

Le train mis longtemps à partir, à la nuit tombante et il s’arrêta souvent. La loco vapeur remplissait de suie les wagons aux fenêtres ouvertes, chassant d’autres odeurs. Je finis par m’asseoir, grignotant centimètre après centimètre d’appui fessier avec une violence qui faisait petit à petit refluer mes voisins, tandis que mes genoux s’encastraient impitoyablement dans les genoux du passager qui me faisait face.

Tout semblait pouvoir arriver dans le wagon surchauffé et le couloir central devenait de plus en plus fréquemment le lieu d’une bagarre générale. La nuit n’en finissait pas, à tout moment le train s'arrêtait sans raison,  mes trois compagnons d’infortune s’étaient incrustés comme moi dans les centimètres carrés que leur abandonnaient, en résistant de toutes leurs forces, des Chinois moins solides qu’eux. C’est exactement cela la Chine, un rapport de force permanent pour quelques centimètres carrés et ce n’est pas prés de changer, quelle que soit la fortune que l’Empire du Milieu accumule, yuan par yuan. 

Le train finit par s’approcher de Pékin. Une locomotive diesel remplaça celle à charbon, la vitesse augmenta, les secousses aussi, mais les passagers se calmèrent peu à peu. Le vent chassait les miasmes, la guerre du cmarrivait à son terme, ma rage s’apaisait peu à peu.  

Puis émergea cette merveille de modernisme qu’était pour nous la gare de Pékin comparée aux  hangars insalubres qui constituaient la « gare » de Danang. Nous en sortîmes avec le sentiment de quitter le moyen âge pour retourner dans le monde civilisé. Notre chauffeur au volant du minibus Volkswagen nous attendait sans sourire, mais il était là. Nous montâmes en silence dans ce véhicule miraculeux, et sans mot dire, chacun rejoignit son logement respectif, où avant d’aller enfin se coucher au matin, il prit une douche interminable. 

Quand je me réveillais dans l’après midi, j’avais compris quelque chose de cette Chine qui s’était imprégnée dans tous mes pores. Je me jurais que l’on ne m’y reprendrait pas. 

 

Et on ne m’y a pas repris. 

 

À SUIVRE

PROCHAIN ARTICLE : LES MÉANDRES DE LA PENSÉE CHINOISE

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DERRIÈRE LE COVID-19, UN HORIZON NÉBULEUX

10 Avril 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

LA PROMENADE DES ANGLAIS LE 10 AVRIL 2020 À 9 HEURES DU MATIN

LA PROMENADE DES ANGLAIS LE 10 AVRIL 2020 À 9 HEURES DU MATIN

Avant de regarder l’horizon, jetons un coup d’œil à nos pieds paralysés.  

 

L’économie mondiale est à l’arrêt, ou peu s’en faut. Il en est de même pour l’économie française: les magasins sont fermés, les transports de personnes sont pratiquement à l’arrêt, le système d’éducation est transféré partiellement sur Internet, seuls tournent à fond les services vitaux, santé, énergie et alimentation.

On peut estimer à 30% le taux d’activité des entreprises françaises tandis que 100% d’entre elles, sans aucun chiffre d’affaires, continuent à supporter la quasi-totalité de leurs charges. Aujourd’hui, le quart des salariés a été déclaré en chômage partiel, soit 6,3 millions de personnes le 10 avril. Les premières statistiques indiquent que le PIB de la France a chuté de 6% au cours des trois premiers mois de l’année 2020. Ce sera bien pire dans un mois. 

Nombre d’États, dont la France, lancent d’énormes programmes de soutien à leurs économies. Il va leur falloir emprunter, puis rembourser, ou pas. Pourvu que le confinement prenne fin rapidement. 

Des secteurs entiers de l’économie, au premier rang desquels on trouve le tourisme, avec en première ligne du premier rang le transport aérien  sont à l’arrêt. On ne sait pas à quelle vitesse se fera la reprise, ni si ces secteurs qui ont été brutalement plaqués au sol, retrouveront les niveaux d’avant le confinement. Pourvu que le confinement prenne fin rapidement.

Le prix du pétrole a baissé, fortement. Il continue à sortir des puits, mais on en a moins l’usage, si bien que les stocks de pétrole s’accumulent tellement que certains producteurs payent leurs «clients » pour les débarrasser du pétrole. On imagine les pertes pour les pays producteurs et pour les pétroliers. Pourvu que le confinement prenne fin rapidement. 

Bref, inutile d’accumuler les craintes, chacun se doute bien qu’à l’issue de la période de confinement, lorsque les entreprises rouvriront les unes après les autres, beaucoup auront du mal à retrouver un fonctionnement équilibré, soit au mieux parce qu’elles auront des difficultés financières conjoncturelles, soit au pire parce que toute leur structure en aura été ébranlée. Imaginez ce que sera l’ouverture en mai ou juin 2020 d’un hôtel de luxe, les charges qui pèsent sur son compte d’exploitation avant même de voir un client, alors que le système de réservation est aux abonnés absents. 

Aussi, lorsque l’on dirige aujourd’hui une entreprise ou que l’on y travaille, le temps qui s’écoule au long du confinement génère chaque jour plus d’inquiétude, et lorsque l’on rouvrira, chacun essaiera de vite reprendre son métier là où il s’était arrêté le mardi 17 mars à midi. 

S’il le peut. 

On aura alors la cohorte des faillites en cascades, les rachats par les entreprises chinoises et la question des emprunts et des impôts « exceptionnels » qui feront appel à la solidarité nationale. On aura aussi la contestation politique et les mouvements sociaux. Beaucoup d’efforts seront fait pour repartir de l’avant afin que dans un, deux, trois ans, cette brève « crise » de deux mois environ soit oubliée, sauf par les spécialistes et les masochistes. 

Tout cela vous le savez d’avance comme moi, alors passons à autre chose, qui est que, pour ma part, je ne crois pas du tout que les hommes d’affaires mondialisés vont en tirer la leçon et donc que leurs agents, les hommes politiques, prendront leur indépendance et le feront à leur place. 

Humant l’air où flotteront des effluves de contestation succédant aux aérosols emplis de virus, ils vont forcément faire des discours, présenter des programmes, prendre des engagements, avec pour seul but d’anesthésier de bonnes gens qui ne demandent justement qu’à obtenir cette paix des songes pour laquelle ils sont prêts à payer tous les impôts que l’on voudra et à obéir à tous les ordres qu’on leur donnera. La conjonction des intérêts des uns et de la veulerie des autres nous réinstallera dans les ornières du passé, comme toujours. 

Il nous reste, nous qui n’aimons pas être anesthésiés de force et qui avons une oreille assez fine pour nous empêcher de dormir, à tirer une leçon et une seule de l’épisode COVID-19. 

Ne perdons pas de temps à le comparer aux trois grandes pandémies qui sont restées dans les mémoires. La première, celle de la peste, venait déjà de la mondialisation et du monde chinois. Elle a freiné le développement de l’Europe mais elle ne l’a pas stoppé. La seconde qui a sévi en Amérique a permis d’y installer les Européens en éliminant les Indiens. C’était volontaire de la part des Anglo-saxons, pas de la part des Espagnols, mais le résultat a été le même. La troisième, la grippe dite mal à propos espagnole, était une co-production sino-américaine qui a été transportée et a prospéré du fait de la guerre de 14-18, laquelle déplaçait les troupes et affaiblissait les populations. Elle n’a eu qu’un impact instantané, rapidement oublié, malgré ses vingt millions de morts, au bas mot, dont plus de la moitié en Inde et en Chine. 

Ne perdons pas de temps à ces comparaisons, car la pandémie actuelle a une caractéristique spéciale : elle vient directement du cœur de notre système mondialisé d’organisation. Elle n’est ni accessoire, ni tournée contre une population spécifique, ni conjoncturelle. Elle vient d’une surconsommation animale ou d’un accident industriel. Elle s’est diffusée grâce aux avions qui sillonnaient en permanence le monde entier : dix heures pour transporter le virus de Pékin à Paris. Au total dans l’aéroport de Roissy, cent-soixante mille passagers par jour. Dans le monde, quatre milliards de passagers par an, plus de la moitié de la population mondiale: les virus sillonnent le monde, presque à la vitesse du son. Elle a prospéré grâce à l’affaiblissement des personnes contaminées, du fait de la pollution des villes, regardez comme l’on respire aujourd’hui, et au style de vie, notamment alimentaire. Notez la forte proportion d’obèses parmi les victimes. 

La pandémie nous informe d’une situation qui préexistait mais dont nous ne voulions pas tirer les conséquences. Notre modèle de développement humain est désormais officiellement insoutenable, parce qu’il est fondé sur la croissance continue de la consommation, donc de la production et des destructions en tout genre, pour, circonstance très aggravante, un nombre rapidement croissant d’êtres humains, de plus en plus rassemblés dans les villes, puisque la Terre compte, chaque jour, près de soixante mille êtres humains de plus, à côté desquels les pertes de quelques milliers de morts prématurés du fait du Covid-19 sont ridiculement faibles, statistiquement parlant. 

Tout cela n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que nous avons eu un petit échantillon, presque indolore pour cette fois, des conséquences pratiques de notre modèle de développement et que ce petit échantillon a, malgré son insignifiance, paru suffisamment grave pour que le monde entier, ou presque, ait cru devoir arrêter ses activités pour régler le problème du Covid-19. Cet arrêt montre la fragilité de la société humaine mondialisée, qui se bloque, même pour un incident que l'on peut considérer comme mineur à l'échelle démographique. 

N’en concluez pas que tout va changer, mais que tout va continuer. Il en faudra plus, probablement beaucoup plus, pour que le genre humain comprenne, s’adapte et prenne une nouvelle voie. Peut-être même l’humanité va-t-elle disparaitre avant d’être parvenue à changer de cap. 

Mais, que le genre humain le comprenne ou pas, concluez de la crise en cours qu’émerge inexorablement un monde plus dur que celui dans lequel nous vivions avant cette pandémie.

Tant que l’humanité maintiendra obstinément le cap, sous l’égide du condominium américano-chinois et bientôt sino-américain, il y aura de plus en plus de crises, de plus en plus graves, relatives à la santé et à l’environnement. C’est fini la croissance linéaire, nous entrons tout de suite dans un monde chahuté de crises, de sorties de crises, de rebonds avant de nouvelles crises…

Puis lorsque le genre humain changera de cap, réduisant sa consommation au minimum, ce sera même son objectif obsessionnel de ne pas consommer, on entrera dans le monde des pénuries et d’un développement plus intériorisé qu’ostentatoire. 

 

Je ne sais pas si l’on n’entrera jamais dans ce dernier monde de la frugalité radicale, mais je sais que l’on peut tout de suite regretter le temps de la gabegie et des voyages au bout du monde pour quelques centaines d’euros, car d’une manière ou d’une autre, c’est déjà fini. 

 

PROCHAIN BILLET LE 13 AVRIL SUR UN TOUT AUTRE SUJET: "UNE PLONGÉE DANS LA CHINE DES PROFONDEURS"

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CONTRE COVID-19, UNE GUERRE SANS CHEF ET SANS ARMES

4 Avril 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

IMAGE DE LA STUPIDE GUERRE DE 1870

IMAGE DE LA STUPIDE GUERRE DE 1870

La France ne réagit pas du tout par la fermeture des frontières à la diffusion de la pandémie du Covid-19. On pouvait pourtant supposer qu’elle s’y était préparée, puisque les autorités avaient eu le temps d’évaluer le risque qu’elle pouvait faire courir à la France avant qu’elle ne l’atteigne et mis en place les moyens nécessaires pour y faire face.  

 

Il faut convenir que l’OMS, sous la forte pression de la Chine, a fait tout, au début, pour empêcher une réaction mondiale contre la pandémie. Le 23 janvier, l'OMS jugeait qu'il était prématuré de déclarer l'urgence de santé publique de portée internationale, une position qu’elle confirmait le 28 janvier.  

Le 30 janvier, l'OMS décidait enfin de déclarer l'état d'urgence de santé publique de portée internationale, tout en ne recommandant toujours pas de limiter les voyages et les échanges internationaux. Il faudra attendre le 11 mars pour que l’épidémie sera qualifiée de pandémie par l’OMS. 

Cette position de l’OMS semblait convenir à La France, qui freinait des quatre fers avant de prendre des mesures de protection pour sa population. 

Pourtant dès le 22 janvier, le monde entier connaissait la dangerosité de l’épidémie dans la province de Hubei et les mesures de confinement prises par le gouvernement chinois. 

Pourtant, le 31 janvier, la France rapatriait dans l'Oise 193 ressortissants français de Wuhan, qui deviendra du coup le premier foyer de Covod-19, puis effectuait deux autres rapatriements, les 2 et 9 février. C’était donc que la situation en Chine était jugée sérieuse par les autorités françaises.

Pourtant de nombreux pays prenaient des mesures de précautions : 

  • Le 30 janvier, le gouvernement russe fermait sa frontière terrestre avec la Chine. Le même jour, après avoir recensé deux cas sur son territoire, l'Italie décrétait l'état d'urgence pour six mois et suspendait les vols la reliant à la Chine. 
  • Dès le 31 janvier, l'Arménie, l'Australie, l'Inde, l'Irak, l'Indonésie, le Kazakhstan, le Koweït, la Malaisie, les Maldives, la Mongolie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, le Sri Lanka, Taïwan, le Viêt-Nam et les États-Unis interdisaient l’entrée de leurs pays aux Chinois ou à toute personne ayant récemment voyagé en Chine. 
  • Le 10 février, plus fort encore, les pays de l’espace Schengen, à l’exception de la France, suspendaient temporairement la délivrance de visas chinois.

Il y a donc un point de vue français sur la crise. Il semblerait que dans un premier temps, il ait été fondé sur la conviction, pour ne pas écrire la croyance, que le virus n’allait pas atteindre sérieusement le territoire français, pour concerner seulement quelques cas dans quelques régions spécifiques qui seraient vite circonscrits. Cela rappelle un peu l’attitude d’un autre gouvernement français face à Tchernobyl ou des dispositions prises pendant la drôle de guerre en 1940. 

Cette conviction conduisit le gouvernement français à autoriser, aussi tard que le 26 février, le match de football OL-Turin à Lyon en présence de 3000 supporters italiens, alors que la situation sanitaire était déjà grave en Lombardie. Lorsque certains s’en inquiétèrent, la préfecture du Rhône répondit que « les éléments médicaux et sanitaires ne justifiaient pas de prendre de mesures particulières. » 

Le 6 mars encore, Emmanuel Macron et son épouse Brigitte assistaient ostensiblement à une représentation de la pièce Par le bout du Nez au Théâtre Antoine à Paris, avec pour objectif d’inciter les Français à ne pas rester cloitrés chez eux.

Puis, six jours plus tard, le 12 mars, Le président français, tout en persistant dans sa volonté d’éviter "l’écueil du repli nationaliste ", croyait nécessaire de souligner que « ce virus n'avait pas de passeport » mais reconnaissait que la France traversait sa «plus grave crise sanitaire» depuis un siècle. Il est vrai que, ce jour-là, on comptait 2876 personnes infectées et 61 morts. Puis il annonçait la fermeture des crèches, des écoles, des collèges, des lycées et des universités à partir du lundi 16 mars.

En moins de cinq jours, l’ensemble des Français allait directement passer de l’insouciance au confinement…

Rappelons encore que le 14 mars à 19 h 30, le Premier ministre, manifestement dans l’urgence, prononçait la fermeture le soir même, à minuit, de tous les lieux recevant du public : restaurants, cafés, cinémas, discothèques. Du jamais vu en matière de précipitation, au point que cette décision brutale n’était même pas coordonnée avec les élections municipales du 15 mars, qui étaient maintenues. 

Enfin le lundi 16 mars, dans une nouvelle allocution, le Président de la République rendait publique la décision de confiner dans leurs domiciles tous les Français à compter du mardi 17 mars 2020 à 12 heures, pour quinze jours renouvelables, en ayant le droit, à titre dérogatoire, de n'en sortir que dans quelques cas bien spécifiés. 

La France s’arrêtait alors en quelques heures, tournait ses regards vers les hôpitaux et découvrait effarée que ces derniers manquaient de lits, d’appareils de réanimation, de respirateurs, de tests de dépistage, de gel hydro alcoolique, de blouses, de masques, de tout en somme et qu’il fallait les commander derechef en Chine faute de disposer d’usines pour les fabriquer, même le paracétamol, et qu’il fallait se battre comme des chiffonniers avec les étasuniens dans des aéroports chinois pour ramener les produits à la maison. 

On se hâta donc de leur expliquer qu’il était normal que rien n’ait été prévu puisqu’une telle crise était imprévisible par nature, et que tous les autres pays étaient logés à la même enseigne.

Pourtant, s’il était vrai que les États-Unis s’enfonçaient dans une crise pire encore que la nôtre après avoir mis les mêmes œillères, il leur suffisait de tourner leurs regards vers leur voisin allemand, qui, lui, était nettement moins impacté par le COVID-19 que la France. Si, à ce jour le 4 avril, la France compte 6507 morts et l’Allemagne, plus peuplée et plus âgée, seulement 1330 morts, cela n’est probablement pas sans rapport avec les 25 000 lits de soins intensifs avec assistance respiratoire dont disposait l’Allemagne avant la crise comparativement aux 5000 lits français et la rapidité avec laquelle l’Allemagne a accru le nombre de ces tests jusqu’à 50000 par jour alors que la France en pratique 10000 par jour.  

Heureusement, l’Université française écrasait tous ses concurrents grâce à l'excellent spectacle qu’elle a eu l’idée d’offrir aux supporters frustrés du traditionnel OM/PSG, avec un magnifique match entre le professeur Raoult et ses bons collègues de l’INSERM. 

 

En dehors de cette remarquable improvisation, tout montre que la France n’était pas préparée du tout à cette guerre qu’elle doit livrer sans moyens. Aujourd’hui, le poids du combat repose tout entier sur le courage anonyme de troupes, aujourd’hui applaudies, hier méprisées par celui-là même qui les a appelées au combat. 

 

À SUIVRE : UN HORIZON FUMEUX

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