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Le blog d'André Boyer

NI CAUSE, NI SUJET DANS LA PENSÉE CHINOISE

27 Janvier 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

NI CAUSE, NI SUJET DANS LA PENSÉE CHINOISE

Le principe selon lequel tout phénomène a une cause n’a jamais été remis en question par la pensée occidentale, alors que la pensée chinoise ignore ce concept.

 

En effet, pour la pensée chinoise, connaitre ne consiste pas à identifier la cause d’un phénomène mais à saisir sa dynamique en fonction des énergies qui le portent et dont il n’est que la résultante. 

Cette approche de la connaissance est issue du Yi Jing, composé par strates successives au premier millénaire avant J.C., qui présente un répertoire général de toutes les formes de changement sous une forme combinatoire, qui permet d'identifier le type de dynamique auquel l'on fait face. Ce répertoire présente soixante quatre scénarios de changement, chacun porteur d’une logique propre et chacun relié à tous les autres. 

Pour comparer, pour rapprocher ou pour distinguer les pensées occidentales et chinoises sur la signification de la connaissance, il faut saisir l’origine de la bifurcation entre les deux pensées. La philosophie grecque,  sous la conduite de Platon, créé des fractures, sépare l’être et le devenir, le réel et ses apparences.

Cette démarche définit le philosophe, cet homme qui sort de la caverne du monde sensible pour se diriger vers la plaine de la vérité qui constitue le monde intelligible, comme le montre les dialogues de Platon. Il s’agit de comprendre que le principe de causalité concerne l’être et le réel, et non le devenir, ce dernier se situant sur le terrain des opinions, multiples, variables, instables. 

Cette séparation originelle de l’être et du devenir, de l’éternel et du transitoire, la pensée chinoise ne l’effectue pas. Pour elle, les choses se structurent en évoluant, ou évoluent en se structurant. Le réel est en mouvement permanent même quand il semble immobile,  selon un processus énergétique que décrit le Tao (la Voie), avec deux énergies de sens contraires qui s’opposent et coopèrent dans une alternance continue. Ce réel en mouvement donne lieu à une multiplicité de formes dynamiques,  qui est la cible de tout savoir. 

Puisqu’il s’agit de discerner le type de dynamique observé, l’attention aux prémices, aux indicateurs de tendances est particulièrement aiguisée. Alors que dans la perspective platonicienne s’oppose la stabilité du savoir à l’instabilité de l’opinion, dans la pensée chinoise l’ignorant est enfermé dans l’étroitesse de son point de vue, il ne prévoit rien, il subit, tandis que le sage anticipe, épouse le mouvement des choses, s’adapte à leur continuelle évolution. 

A partir de cette conception du savoir, les autres couples notionnels en découlent, avec, en premier lieu, deux conceptions de l’action. 

D'un côté, la notion de sujet parcourt toute la philosophie occidentale, depuis Descartes et son cogito. Le sujet est capable d’agir, de faire naitre ce qui n’est pas.  Cette vision de l’action n’est pas partagée par la pensée chinoiseAlors que la philosophie occidentale pense l’action à partir du sujet agissant, dans la pensée chinoise le sujet n’est jamais isolé de sa situation, il en reste partie prenante. 

François Jullien (2014) révèle cette différence au travers de la notion de paysage. En Europe le paysage s’offre au  regard d’un sujet, mais en chinois « paysage » necessite l’emploi de deux termes, shan et shui (la montagne et l’eau), deux termes en tension puisqu’ils représentent « ce qui monte et se dresse » d’un côté et « ce qui descend et s’écoule » de l’autre, mais aussi « ce dont la forme se découpe » et  « ce qui peut prendre toute forme », comme le montre les idéogrammes. Le paysage chinois est ainsi conçu comme un champ tensionnel auquel  l’homme participe en tant que porteur d’énergie et à partir duquel  il pourra aussi recharger son énergie. 

Aussi, dans la pensée chinoise, le paysage n’est pas une notion purement esthétique mais aussi stratégique puisqu’il s’agit de tirer parti de sa configuration. Agir, c’est exploiter les propensions contenues dans une situation, son potentiel.

Plutôt que de forcer les circonstances, tenter d’y imposer ses vues personnelles, l’important est de savoir en détecter les potentialités pour les utiliser à son profit.

On ne gagne rien à aller contre le Tao, car on ne réussit qu’en sachant en épouser les lignes de force. Ainsi le non agir, wu wei, ne relève pas du quiétisme. Il s’agit plutôt de ne pas intervenir brutalement mais de laisser se dérouler les processus naturels. C’est un idéal d’action qui préconise, non pas  de l’indifférence pour le cours des événements  mais au contraire son suivi attentif pour profiter pleinement de ses propensions, afin d'obtenir un effet maximal avec une intervention minimale. 

 

L’association « Propension/Potentiel » est donc à la base de l’axiomatique de la pensée chinoise. 

 

François Julien, Vivre de Paysage ou L’impensé de la Raison, 272 pages, Gallimard, 2014.  

 

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UNE PORTE DOIT ÊTRE OUVERTE OU FERMÉE

23 Janvier 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

UNE PORTE DOIT ÊTRE OUVERTE OU FERMÉE

Dans mon billet du 8 décembre 2019, j’ai relaté l’opposition philosophique qui s’est fait jour entre mes étudiants et moi au sujet de la précision, vue comme une valeur fondamentale par les premiers et comme un outil par moi-même. D’autres étonnements ont marqué cet enseignement aux étudiants chinois. 

Durant les périodes où ils n’avaient pas cours, les étudiants étaient en stage dans des entreprises, presque toutes publiques à l’époque. Six entreprises publiques accueillaient chacune six stagiaires. Deux d’entre elles restent dans mon souvenir, l’une pharmaceutique où la qualité de fabrication, d’après les étudiants-stagiaires laissait vraiment à désirer et l’autre qui a eu des conséquences qui ont été médiatisées dans la presse chinoise. 

Il s’agit d’une entreprise automobile, Beijing Truck N2, qui montait des camions légers fournis par la Pologne. Nous avions visité l’usine qui nous avait semblé mal tenue, comme en témoignait des Dazibao qui demandaient de ne pas emporter chez soi des outils et des pièces détachées. Aussi, lorsque les étudiants nous ont rapporté que la porte côté conducteur des camions qui étaient fabriqués dans cette usine ne fermait pas, obligeant leurs conducteurs à attacher la porte au montant avec une ficelle, nous n’avons qu’à moitié été étonnés. 

Nous avons alors demandé aux étudiants de se renseigner sur les raisons de ce dysfonctionnement persistant. Or la direction de l’entreprise a nié le problème, en indiquant qu’elle réunissait nombre de clients chaque année pour un banquet sans que ces derniers n’expriment aucune réclamation à ce sujet…

Les étudiants, influencés par la formation qu’ils recevaient, ne se sont pas contentés d’une non-réponse bureaucratique. Ils ont cherché et ils ont trouvé, grâce à la tradition chinoise de collecte et de conservation des données écrites. Dans une salle à l’écart, ils ont trouvé des milliers de courriers de réclamations, portant notamment sur le dysfonctionnement de la serrure du camion. 

Tout fiers de leur découverte et sans nous en parler, ils sont allés la confier à des journalistes d’un quotidien pékinois, qui l’ont publié après avoir essayé, en vain, de contacter la direction de l’usine. Scandale. Il a fallu sévir, au moins officiellement, en licenciant les responsables. En représailles sans doute, nos étudiants ont perdu leur stage. Et je ne sais pas si le fonctionnement de la serrure a finalement été corrigé, alors qu’elle ne demandait à ma connaissance qu’une petite correction de son emplacement latéral sur la porte. 

Vous l’avez peut-être ressenti, nos étudiants chinois n’avaient pas grand-chose à voir avec nos étudiants habituels, par leur comportement à l’extérieur de l’école et par l’attitude à notre égard, en tant que professeurs et en tant qu’étrangers.

Je l’ai déjà écrit, ils n’étaient pas bien agréables, revendicatifs en groupe et hostiles par principe parce que nous n’étions pas chinois. Le thème de mon cours poussait à s’interroger sur les informations statistiques que l’on pouvait obtenir en Chine. On ne savait pas quel était le pouvoir d’achat des Chinois, mais on voyait bien que le niveau de vie était bien supérieur à ce que les salaires affichés permettaient. 

Mes étudiants se refusaient à me fournir la moindre clé de ce décalage et je décidais donc de les y contraindre, en me servant de leurs travers, tels que la compétition acharnée entre eux et leurs tendances à interpréter mes questions au second degré.  

J’organisais donc un exercice final qui leur demandait d’enquêter sur l’évolution des biens durables sur cinq ans que possédaient les personnes interrogées. Je ne parlais pas de revenus, sur lesquels les étudiants auraient refusé d’enquêter, quand bien même ils auraient pu obtenir des réponses. 

Je décidais de demander à chaque étudiant de faire une enquête individuelle, en demandant que chacun n’interroge que dix personnes, sachant que leur esprit de compétition les pousserait à en interroger plus, pour faire la différence. `

Enfin, j’insistais sur mon intérêt pour les graphiques qu’ils produiraient, sachant qu’ils chercheraient par réaction à faire la différence sur la qualité des données, alors que j’avais ostensiblement marqué mon désintérêt pour les résultats proprement dits de l’enquête. 

Par ce procédé, j’imposais donc 36 enquêtes individuelles, en m’attendant à ce que leur esprit de compétition les pousse à faire plus que ce que je leur demandais, qui était volontairement modeste, et donc qu’ils interrogent chacun plus de dix personnes et qu’ils s’intéressent plus à la qualité des données qu’aux graphiques. Enfin, au travers de l’enquête indirecte que j’avais programmée, je cherchais à obtenir des informations sur le niveau de vie des Chinois. 

 

Les résultats de mon stratagème ont dépassé mes espérances…

 

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APRÉS LA CAPITULATION DE MONTRÉAL, LA BATAILLE DE SIGNAL HILL

17 Janvier 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

SIGNAL HILL ET SAINT JOHN AUJOURD'HUI

SIGNAL HILL ET SAINT JOHN AUJOURD'HUI

Je vous ai infligé le texte intégral de l’acte de capitulation de Montréal, car il m’a semblé utile de le connaitre, avant de le commenter ci-dessous. 

 

On constate, par exemple, que de nombreux articles précisent les conditions dans lesquelles les responsables de l’administration française renteront en France, car il s’agit d’une question diplomatique majeure à l’époque. Un article prévoit aussi ce qui se passera si, lorsque la paix sera signée entre la France et la Grande-Bretagne, la Nouvelle-France en tout ou partie retournerait sous la souveraineté française. C’était déjà arrivé, pour Québec longtemps auparavant et pour Louisbourg en 1748. A l’issue du conflit, il fut envisagé en effet de rendre à la France sa souveraineté sur la Nouvelle-France. Je reviendrais sur cette question ultérieurement. 

On a beaucoup glosé sur le refus d’Amherst, le général en chef anglais, de rendre les honneurs aux troupes françaises, provoquant le geste de mauvaise humeur de Levis, brûlant les drapeaux des régiments. Mais d’une part, la garnison française ne s’est pas battue et d’autre part il s’agissait d’une question d’honneur qui avait des effets sur la carrière future des militaires français. Un problème corporatiste, en somme. 

Par contre, on a peu insisté sur le refus anglais de reconnaitre le moindre droit aux Acadiens, comme s’ils étaient considérés par les Anglais comme des traitres à leur patrie, territoire britannique depuis 1713. On trouvera d’autres articles révélateurs dans cet acte de capitulation, comme le libre exercice de la religion catholique (Article 27), le maintien de la coutume de Paris comme principe de droit (Article 42) ou le maintien des Amérindiens alliés aux Français sur les terres qu'ils habitent (Article 40).

Quoiqu’il en soit, Montréal et avec cette ville, la Nouvelle France toute entière, passent sous la souveraineté anglaise. Le 9 septembre 1760, le général en chef Jeffrey Amherst en tire les conséquences, au travers des ordres qu’il adresse à ses troupes : les Canadiens sont devenus, par le fait de leur soumission, des sujets britanniques et ont par conséquent droit à la protection du souverain anglais. 

Le général Amherst imposa ensuite la loi martiale aux habitants du pays entre 1759 à 1763, le temps que la guerre se termine en Europe. Cependant, dans la région des Grands Lacs, Pontiac, le chef des Outaouais, comptait encore sur l'aide du roi de France et poursuivait le combat. Il obtint plusieurs victoires spectaculaires, subit l’horrible traitrise des couvertures contaminées par la variole offertes en guise de « gage de bonne volonté » par les Anglais et finira par signer le Traité de Paris.  Cette révolte amérindienne assez dangereuse incita le roi Georges III à signer une proclamation royale en 1763, qui donnait le droit aux Amérindiens de continuer à occuper leurs terres et qui est largement à l’origine de la révolte des treize colonies contre la souveraineté anglaise. 

Pendant que les Indiens de Pontiac bataillaient à l’ouest, la guerre se poursuivait à Terre-Neuve, jusqu’à la bataille de Signal Hill, le 15 septembre 1762, qui se révèlera être le dernier affrontement entre les troupes régulières françaises et anglaises sur le théâtre nord américain pendant la guerre de Sept Ans. 

Sur l’île de Terre-Neuve, les Français conduits par le colonel comte Joseph-Louis-Bernard d'Haussonville, se sont emparés de Saint-Jean le 27 juin 1762. Cette prise succède à une opération secrète organisée par le duc de Choiseul qui a chargé le Chevalier Charles-Henri-Louis d’Arsac de Ternay (dit le chevalier de Ternay) de « ravager » les côtes de Terre-Neuve, de prendre Saint-Jean et d’affaiblir la flotte britannique stationnant dans la région, afin de réaffirmer la présence française en Amérique du Nord et à terme d'attaquer le Canada.

Le Chevalier de Ternay commande à une flotte de cinq navires, avec à bord 750 militaires dont 161 Irlandais recrutés à Terre-Neuve. Il part de Brest le 8 mai 1762 avec deux vaisseaux de ligne, une frégate et deux flûtes. Il rejoint la ville de Saint-Jean en juin, qui est capturée par les troupes d'infanterie du colonel d'Haussonville. Il en fait sa base arrière, à partir de laquelle il mène à bien sa mission, détruisant systématiquement tous les établissements de pêche ennemis et capturant ou coulant 460 bateaux de toutes tailles.

Tandis que le colonel d’Haussonville consolide sa position à Terre-Neuve, en installant quelques postes avancés munis d'artillerie sur le pourtour de la colline du Signal (Signal Hill aujourd'hui), James Murray, toujours gouverneur de Québec, est averti de la prise de Terre-Neuve et décide d’envoyer une flotte et des troupes pour la reprendre. 

Le 13 septembre 1762, Ternay et Haussonville ne peuvent s'opposer au débarquement ennemi, à Torbay, quelques kilomètres au nord de Saint-Jean. Ils envoient alors un détachement garder le sommet dénudé de Signal Hill qui contrôle les environs, afin de gêner l'avance des Britanniques. Mais le 15 septembre 1762, au lever du jour, les Britanniques gravissent par surprise la colline tenue par les Français : les Anglais sont aujourd’hui encore les spécialistes de l’attaque surprise (la campagne des Malouines en 1982) et de la guerre psychologique (les Casques Blancs en Syrie, 2018-2019). Ayant avancé dans une zone non visible des Français, la surprise est totale sur la colline, l'engagement bref et meurtrier. Le commandant du détachement français, Guillaume Léonard de Bellecombe, est grièvement blessé et du côté́ britannique, le commandant MacDonell a sa jambe fracassée par une balle. 

Les Français se replient sur le fort de Saint-Jean que les Anglais dominent désormais depuis Signal Hill d’où ils commencent à bombarder Saint-Jean, ce qui force sa garnison à capituler trois jours plus tard, d’autant plus que Ternay, qui se retrouve face à̀ une flotte britannique supérieure en nombre, décide de quitter Terre-Neuve pour rallier l'Europe avec ses vaisseaux.

 

Poursuivi dans l'Atlantique par deux navires britanniques, il ne rejoint Brest que le 28 janvier 1763, après s'être refugié́ dans le port de La Corogne en Espagne. Il ne sera pas sanctionné, ayant sauvé sa flotte. 

 

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LES RAVAGES DE L'IDÉOLOGIE DOMINANTE

12 Janvier 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LES RAVAGES DE L'IDÉOLOGIE DOMINANTE

 

 

Patrick Boisselier, introduit par une belle préface d’Alain Bauer, a écrit un important ouvrage sur les bouleversements  actuels et à venir de l’humanité, de l’Europe et in fine de la France. 

 

On ne l’attendait pas sur ce sujet, lui le professeur d’université au CNAM, grand spécialiste, peut-être le meilleur spécialiste français, du contrôle de gestion. Mais, justement, cet ouvrage est révélateur de l’angoisse qui saisit les intellectuels responsables devant la trajectoire de l’humanité et ses conséquences sur nous tous. Ils prennent la plume pour nous le crier, afin qu’avec eux, nous interpellions ceux qui sont en charge de notre destin.

Nous vivons tous sur des « trends » exponentiels, qui ne peuvent, de ce fait, que se briser. Mais nous faisons semblant de croire à leurs continuités et même si nous ne le croyons pas, nous attendons passivement leur rupture, d’autant plus que nous en ignorons le moment. À partir de ce constat, je n’ose même pas écrire « postulat » tant son évidence est éclatante, Patrick Boisselier  propose un diagnostic, décrit des tendances, isole des variables clés et propose une démarche pour faire face à leurs conséquences inéluctables, si les tendances demeurent. 

Dans un premier chapitre, remarquable par la force de son contenu, il montre en quoi la démographie humaine est la source de nos problèmes actuels. Il évalue les tendances et les conséquences en termes de conflits et de migrations, avant de proposer des scénarios plus ou moins probables pour notre décennie, celle des années vingt. 

Face à ce constat, l’auteur se tourne vers le monde de la pensée, en établissant les fractures idéologiques de l’Europe dans le deuxième chapitre. Marquée par le fascisme et le totalitarisme, l’Europe se retrouve tétanisée par l’émergence de l’Islam comme projet politique. 

C’est alors que l’auteur estime nécessaire, dans un troisième chapitre, de faire un détour par l’épistémologie, afin d’installer l’analyse de la « réalité » qu’il veut situer dans un cadre scientifique, ce qui lui permet d’opposer science et religion dans un quatrième chapitre, en mettant en avant la déresponsabilisation de l’homme par la religion, déresponsabilisation qui ne peut que hâter le processus d’autodestruction dans lequel il est engagé. 

Il montre ensuite, dans un cinquième chapitre, quels sont les instruments qui permettent d’enfermer les croyants afin de les manipuler. C’est ainsi qu’il aborde notamment, exemple parmi d’autres, la question du voile, casus belli utilisé par les islamistes contre les sociétés qui les ont accueillis.  

Dans son sixième chapitre consacré aux réponses que l’Europe devrait apporter aux défis qu’il vient d’énumérer et d’analyser, Patrick Boisselier pose d’emblée une question brutale : « L’espèce humaine mérite d’elle d’exister ? ». Non, si l’on regarde son côté obscur, violent, voire sadique, oui si l’on prend en compte les civilisations qu’elle a su développer. Certes, on peut voir l’Europe comme une civilisation sur le déclin, mais l’on perçoit les chemins qui lui permettraient de survivre, la foi dans l’éducation, la maitrise de l’immigration, la réforme de son système de gouvernance qui permettrait de faire éclore des élites dont l’autorité serait incontestée. 

L’auteur pose enfin, dans son dernier chapitre, les bases d’une démarche offensive face aux menaces qui nous enveloppent. L’exigence d’une morale, laïque ou même minimaliste, la quête personnelle du sens de la vie, le changement de paradigme de la finance et, à sa suite, celui de l’économie, la réduction obstinée des inégalités semblent indispensable à la survie d’une Europe et d’un monde qui doivent « restaurer une homogénéité» dans leur regard sur eux-mêmes et sur leur rôle dans l’histoire… 

 

Je me dois d’ajouter que le livre de Patrick Boisselier est bien écrit, passionnant à lire tant il soulève de questions fondamentales qui ont rarement été abordées avec autant de franchise et de lucidité. En outre, il contient de très abondantes et actuelles références d’une myriade de penseurs que j’ai souvent découverts et qu’il analyse avec rigueur. 

 

Un ouvrage précieux, à lire chapitre par chapitre, en prenant le temps de réfléchir aux sujets qu’il aborde et que nous traitons le plus souvent avec désinvolture, au risque d’en découvrir les conséquences avant d’en avoir compris le processus qui les annonçait. En somme, un appel, comme l’écrit l’auteur, à se raccrocher d’urgence au « principe de réalité »

 

Référence : Patrick Boisselier, Les ravages de l’idéologie dominante : la société française menacée, 196 pages, VA Éditions, 2019

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PROPENSION CHINOISE VERSUS CAUSALITÉ OCCIDENTALE

7 Janvier 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

PROPENSION CHINOISE VERSUS CAUSALITÉ OCCIDENTALE

Si un dialogue direct entre Socrate et Confucius parait irréaliste, il nous reste à explorer, avec François Jullien, les proximités entre les pensées chinoises et occidentales.

 

Même en ce qui concerne le dialogue entre Socrate et Confucius, si l’on parvient à̀ remonter jusqu’au questionnement implicite des deux philosophes, la communication peut s’établir. C’est ce que propose François Jullien, qui ose des rapprochements et des confrontations entre des systèmes de pensée appartenant à̀ des cultures et époques différentes. 

La méthode proposée consiste à̀ disposer les conceptions chinoises et européennes en regard, afin d’évaluer leurs écarts, à partir d’une question commune qu’il faut formuler au préalable.

François Jullien revisite ainsi les grands textes de la tradition chinoise, confucéens, taoïstes, stratégiques, à commencer par le texte primordial du Yi Jing. À l’intérieur de ces textes, Il repère et analyse des notions transversales de la pensée chinoise, comme l’esthétique, la morale, la politique, la stratégie. Par exemple, il analyse une notion comme l’efficacité du point de vue de la pensée chinoise, en contrepoint de la philosophie occidentale. 

Ainsi relue dans son essai, De l’être au vivre (2015), la pensée chinoise prend du relief, les impressions d’obscurité́ ou d’ésotérisme du Taoïsme, de banalité́ ou de trivialité́ du Confucianisme s’estompent. La démarche de cet essai n’est pas comparatiste, mais veut  simplement apporter la preuve que les cultures ne peuvent pas être considérées comme des blocs d’incommunication. 

Le lexique euro-chinois élaboré́ par François Jullien, contient vingt couples notionnels où sont mis en vis-à-vis une représentation chinoise et une représentation européenne : 

1 Propension vs causalité́
2 Potentiel de situation vs initiative du sujet
3 Disponibilité́ vs liberté́
4 Fiabilité́ vs sincérité́
5 Ténacité́ vs volonté́
6 Obliquité́ vs frontalité́
7 Biais vs méthode
8 Influence vs persuasion
9 Cohérence vs sens
10 Connivence vs connaissance
11 Maturation vs modélisation
12 Régulation vs Révélation
13 Transformation silencieuse vs évènement sonore

14 Évasif vs assignable
15 Allusif vs 
allégorique
16 Ambigu vs équivoque
17 Entre vs au-delà̀
18 Essor vs 
étale
19 Non-report vs savoir différer

20 Ressource vs vérité́.

 

Les deux premières oppositions posent les bases de l’interprétation d’ensemble, sous l’angle théorique, la connaissance, et sous l’angle pratique, l’action. Le premier couple notionnel contient l’hypothèse fondamentale de François Jullien en ce qui concerne la pensée chinoise par l’opposition qu’il propose entre propension et causalité́

La causalité́ est une notion qui parcourt toute l’histoire intellectuelle de l’Europe, depuis ses racines grecques avec Platon et Aristote jusqu’à̀ la réflexion épistémologique contemporaine : connaitre, c’est relier de manière nécessaire un phénomène à sa cause. Tant que cette liaison n’a pas été́ découverte et établie, on reste dans l’ignorance ou dans l’opinion, on n’a pas de prise sur les choses. Spinoza note quIl est de la nature de la raison de considérer les choses non comme contingentes mais comme nécessaires. Kant fournit la formulation définitive de la causalité dans sa Critique de la raison pure la causalité́ est une catégorie de l’entendement, en d’autres termes un concept pour penser et ordonner l’expérience en général. C’est pourquoi toute démarche scientifique, productrice de connaissance objective, la met en œuvre : connaitre quelque chose, c’est connaitre la cause de ce quelque chose. 

Depuis Kant et la science de son temps, on a précisé́, compliqué, raffiné le contenu de la causalité́, sans en abandonner le principe. Or, d’après François Jullien, cette donnée de base de la rationalité́ européenne n’a jamais été partagée par la pensée chinoise…

François Jullien, De l’Être au Vivre : Lexique euro-chinois de la pensée, 320 p, Gallimard, Paris, 2015. 

 

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