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Le blog d'André Boyer

culture

FIN DE L'HISTOIRE

26 Mars 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

14 JUILLET

14 JUILLET

Ce billet est une pure fiction

Le 14 juillet 2024, le Président réunit son Premier Ministre et son ministre des Affaires étrangères. Après cette longue journée de commémoration, ils sont fatigués. Le Président a lu le rapport de la DGSE qui lui indique que les troupes ukrainiennes n'en ont plus que pour quinze jours avant de devoir se retirer d'Odessa.

Les troupes russes poussent continûment, les bombardements sont incessants sur la ville, sa périphérie et ses accès. Si Odessa tombe, la mer Noire sera fermée à l'Ukraine. Il est temps de montrer que la détermination de la France à aider l'Ukraine reste intacte.

Une discussion presque violente s'engage entre les trois hommes qui savent que leur avenir politique, et pas seulement, se joue ce soir là. Le Président et le ministre des Affaires Étrangères sont du même avis, il faut envoyer des troupes constituées et sans attendre.  Le Premier Ministre, plus politique, y est opposé. Il souligne notamment l'imminence des JO qui commencent dans 12 jours. Faire la guerre et les JO en même temps, ce serait une première !

Le Président sourit de cette objection secondaire : dès l'entrée de nos troupes en Ukraine, il fera un discours pour informer et rassurer les Français; il annoncera en même temps le report sine die des Jeux.

Mais il veut se concentrer sur l'essentiel. Il ne croit absolument pas à une riposte stratégique, sous forme d'attaque nucléaire sur la France. Ce serait disproportionné et Poutine a toujours calculé ses réactions. Il croit en revanche que nos troupes devront faire face à de violents bombardements, mais ça c'est l'affaire du chef d'état-major des armées. Lui se concentre sur l'aspect politique. La France apparaitra comme l’acteur stratégique principal en Europe, devant les Anglais, les Allemands et même les Américains, sans même mentionner les Polonais, va-t’en guerre mais prudents. 

Si les troupes françaises réussissent à retarder, voire à arrêter, l'avance russe sur Odessa, la France parviendra à mobiliser les Européens derrière elle. Elle sera en position de force pour proposer à la Russie de négocier. Le risque, bien sûr, réside dans des pertes humaines et matérielles trop élevées. Mais même si c’est le cas, on ne les rendra publiques que dans un délai raisonnable, ce qui nous laissera le temps d'exploiter l'avantage politique de l'initiative et cela rajoutera à notre autorité. Le prestige de Napoléon n'a pas souffert du million de soldats tués. 

Le Premier Ministre objecte, qu'en matière militaire, les risques d'échecs sont nombreux et non maitrisables, que ce risque non mesurable rend l’enjeu, à savoir la prédominance militaire française en Europe, trop sujet à caution. Il va réfléchir, mais il n'exclut pas de démissionner dès demain ; ses deux interlocuteurs se réécrient ; il se tait. 

Tous trois évoquent brièvement les conditions de l'intervention avant de se séparer. Les troupes françaises en Roumanie, dotées d'un nombre important de blindés ont déjà doublé. Plus de 1300 soldats français étaient déployés depuis deux ans à Cincu (Roumanie) avec des chars Leclerc, des canons Caesar, des LRU (lance-roquettes unitaires), des mortiers de 120 mm, des véhicules blindés, un détachement de défense sol-air MAMBA et un élément avancé de niveau brigade. Récemment, le 2e régiment étranger d'infanterie (2e REI) a rejoint Cincu et il dispose d'un nouveau véhicule blindé multi rôles Griffon. Il est prévu de leur adjoindre immédiatement des éléments supplémentaires, surtout logistiques, permettant au détachement de passer au niveau d'une brigade.

Le Président compte que ce sera effectif dans la semaine et une fois complétée, la brigade, composée de 6000 soldats environ, se mettra en route vers Odessa à plus de 600 kms de là, passant au travers de la Moldavie et effleurant la Transnitrie, cette longue bande de territoire ou stationnent 2000 ou 3000 soldats russes.  

Avant ce passage, qui débouche à 40 kilomètres d'Odessa, le Président se sera adressé à la nation, mais il sait que les Russes pourront suivre quasiment en direct le mouvement théoriquement secret des troupes depuis la France jusqu'à Cincu, puis vers Odessa.

Le 24 juillet, le Président annonce donc l'entrée des troupes françaises en Ukraine et la suspension des JO, les premières mesures de défense civiles et demande au gouvernement d'informer le Parlement de l'entrée des troupes françaises en Ukraine, selon l'article 35 de la Constitution. Aucun vote n'est prévu, mais s’il avait eu lieu, il sait qu’il aurait été clairement négatif.

Le 27 juillet, les troupes françaises se positionnent à 20 kms en arrière d'Odessa, sans avoir subi d'attaques russes contrairement à ce que les porte-paroles officieux du Kremlin avaient claironné. Première victoire ?

En France, des manifestations contre la guerre ont lieu depuis plusieurs jours dans divers points du territoire national et une grande manifestation nationale de protestation se prépare à Paris pour le dimanche 28 juillet. Il est question de l’interdire.

Le soir du 27 juillet, le Président, en tant que Chef des Armées, donne l'ordre au Chef d'état-major des Armées de faire avancer les troupes en direction d'Odessa, ce qui les mettra en contact direct avec les troupes russes. Ce dernier, invoquant l'article D. 4122-3 du Code de la défense, informe le Président, qu'en tant que subordonné, il refuse d'exécuter cet ordre* qui « prescrit d’accomplir un acte contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés », dans la mesure où il prend l'initiative d'un conflit contre des forces ni menaçantes, ni belligérantes contre la France.

En vertu du même article, il procède ensuite à la mise aux arrêts du Président et en informe le Premier Ministre. Aussitôt le Président du Sénat, saisi, fait une allocution pour informer le pays qu'il assure l'intérim de la Présidence de la République et qu'il donne l'ordre aux troupes françaises de se replier à Cincu, en attendant les ordres ultérieurs.

Le 28 juillet, le ministère de la défense russe annonce que ses troupes ont suspendu leur offensive vers Odessa. En France, le PM, maintenu dans ses fonctions, prévoit de faire commencer les JO avec une semaine de retard.   

 

Le Président a finalement réussi sa manoeuvre sans casse, mais au prix de son mandat.

 

* Ronan Doaré, Ordre légal, ordre illégal, Inflexions, 2013/3 (N° 24), pages 153 à 162 Éditions Armée de terre.

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L'ACCIDENT

23 Juillet 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

L'ACCIDENT

Après Un récital intérieur (2013) et Le quatuor de Lucerne (2021), deux œuvres fort distinctes mais toutes deux consacrées à la musique, Christian Caleca nous livre L’accident, un ouvrage qui aborde une thématique éloignée en apparence de la musique.

En apparence, encore qu’il s’agisse toujours d’harmonie, harmonie avec son monde, harmonie avec sa vie, harmonie apparente, harmonie perdue, harmonie retrouvée mais harmonie fragile. Et pour peindre ces différentes formes d’harmonie, l’auteur nous propose un roman, qui lui permet de prendre la distance qui l’arrange avec ses personnages, encore que l’on sente bien qu’il les a tous rencontré, parfois de très prés.

Car tout de suite, ce roman apparait authentique, personnel, profond. Il ne fait aucun doute que l’auteur fait corps avec les créatures auxquels il s’identifie, et pas seulement à Pierre Dorval, le héros central du roman.

J’ai beaucoup aimé ce livre car il reste authentique dans toutes ses dimensions. Lorsque l’auteur choisit « l’accident » comme titre, il ne triche pas, car l’accident est bien au cœur du roman et il y est même à plusieurs titres, comme vous le verrez.  Lorsqu’il décrit Lancigny, on reconnait sans peine une charmante ville d’eau bien connue en train de s’éteindre doucement, mais où il fait si bon vivre. Lorsqu’il décrit le site d’Alphagum, cette usine qui fabrique des caoutchoucs spéciaux, on partage la fascination de ses cadres pour la matière qu’ils transforment, tout en étant inquiets face aux projets de la maison mère américaine General Rubber. Car cette dernière n’a, on le sent bien, aucune tendresse particulière pour l’usine française ou pour ses employés livrés tout crus à l’ogre américain par l’État français, par les actionnaires et par l’opinion publique.

Enfin, lorsque l’auteur décrit les rêves, les ambitions et les faiblesses de ses personnages, on reconnait aisément les acteurs de notre société contemporaine, ces cadres qui font semblant de croire que leur vie ne connaitra aucun accident, qu’ils peuvent se permettre de mettre de côté leur vie personnelle au profit de leur vie professionnelle, avec la foi du charbonnier pour un système qu’ils ne contrôlent pourtant pas. 

Comme j’avoue un fort penchant pour l’incomparable culture iranienne, j’aime qu’il ait pris le soin d’inscrire dans son roman une femme iranienne, Mithra, qui finalement se révèlera dans le rôle de l’épouse de Pierre. Et lorsque tout le système de Pierre déraillera à cause de l’accident, sans que je puisse ici vous en révéler les détails, elle jouera son rôle avec une finesse toute iranienne alors que toutes les conséquences qui en découlent s’enchaineront implacablement.

Puisqu’il faut un responsable à l’accident, Pierre devra assumer ce rôle. À cette occasion il découvrira la brusque solitude du chef, il verra ses patrons américains saisir l’occasion qu’offre l’accident pour régler leurs comptes avec la filiale française et ses dirigeants. Il verra son monde intime se dissocier sous les coups de l’inévitable corbeau qui se cache dans la foule, une foule qui ne ratera pas l’occasion de se réjouir du malheur de l’autre, et on la comprend, puisqu’elle a dû si longtemps ronger son frein en le regardant étaler vivre un double bonheur, professionnel et familial sans pouvoir l’atteindre.

Face à cette déconstruction programmée d’un système qui révèle alors toutes ses contradictions et ses illusions, Pierre devra attendre l’opportunité de rebondir, à supposer qu’elle se présente. C’est alors, et j’aime particulièrement cette partie du roman, que les évènements, après s’être organisés pour l’abattre, se concerteront pour lui permettre de se reconstruire. 

L’accident ne serait pas un bon roman s’il n’était un roman pluridimensionnel. Il est, dès les premières lignes, un hommage tendre et mélancolique pour Vichy et son art de vivre en péril. Il propose une analyse du détricotage de l’industrie française, au profit de l’ogre américain. Il montre de l’intérieur les mécanismes d’un management limité par son manque de pouvoir et toutes les hypocrisies qui en découlent.

C’est aussi un roman sur la loyauté qui est le révélateur de l’amitié. J’aime le personnage d’Olivier Vermeulen le syndicaliste, loyal envers son ex Directeur Général dont il a compris la sincérité et la profondeur, comme envers ses syndiqués et son entreprise. Vermeulen, un homme, un vrai.

C’est enfin un roman sur l’amour entre des personnages qui cherchent leur voie au milieu des pièges qu’ils ont, chacun pour leur part, contribués à créer et qu’ils devront surmonter ou contourner durant les sept années durant lesquelles le roman se déroule, selon quarante chapitres nerveux y compris l’épilogue, qui cernent bien chacun un épisode précis, réaliste et clair de cette belle histoire.  

Logiquement l’histoire a commencé avec la susdite Lancigny, elle se termine aussi avec cette dernière, au point de se demander si cette ville n’en est pas, au fond, l’acteur principal, à moins que l’auteur veuille juste nous le faire croire. Voici en tout cas les deux dernières phrases de son livre :

« Il semble qu’il existe de moins en moins de refuges pour se tenir à l’écart de tous ces grands basculements. Et pourtant on ne renonce pas à l’espoir. »

Des refuges en peau de chagrin ?

De grands basculements ?

L’espoir ?

 

On pourrait discuter longtemps de ces assertions, mais le mieux est de lire L’accident.

 

Christian Caleca, L’accident, Éditions Maïa, 187 pages, 20 euros.

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SUR LA ROUTE DE L'ESPÉRANCE

19 Mars 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

RAISHA MUNDHIR

RAISHA MUNDHIR

Ce roman de Fatima Boyer sert de shiromani à un livre de souvenirs, de témoignage et d'engagement pour un statut de la femme comorienne.

 

Encore que pour moi, c'est en premier lieu un livre rare sur l'expérience vécue d'une jeune Anjouanaise à l'aube de l'indépendance des Comores.

Pour ceux qui sont ignorants de la géographie comme de l'histoire des Comores, le préambule et les autres documents qui précédent le roman seront d'une grande utilité, mais je concentrerai mon compte rendu sur le roman proprement dit, qui, je le redis, n'a de roman que le nom, encore que les aventures vécues par l'héroïne ne soient pas banales.

Raisha était la première des filles de sa famille de douze enfants a être officiellement inscrite au collège, puisque sa grande sœur avait dû se cacher pour fréquenter les bancs de l'école. On pense immanquablement à ce qui se passe aujourd'hui en Afghanistan, qui mériterait d'être plus approfondi avant d'extérioriser son indignation.

À l’adolescence, l'éducation de Raisha, à la fois comorienne et musulmane, ne l’empêche pas de ressentir l’injustice de voir les femmes de son pays écartées de la vie politique, sociale, culturelle et économique. Aussi adhère-t-elle, même partiellement aux buts de la révolution d’Ali Soilihi qui a permis aux femmes de faire entendre leur voix durant son bref règne, entre 1975 à 1978.

Durant cette période, elle se souvient de la panique qui l'avait saisi auparavant, lors de sa première rentrée de classe, alors que habillée de pied en cap et perturbée d'avoir, à la place de sa grand-tante à l'école coranique, une inconnue comme maitresse à l'école française, de devoir écrire de gauche à droite et non l'inverse, elle découvrit, tétanisée,  qu'elle n'avait pas été appelée par la maitresse!

La responsabilité n'en revenait pas à son père tout puissant, mais à une confusion patronymique dont elle n'avait pas conscience mais qui fut corrigée une fois identifiée ; elle découvrit dans ces circonstances qu'elle avait d'une part un nom coutumier, Sitti Falaska, et un nom officiel, Raisha Mundhir.   

Raisha revient alors aux évènements historiques auxquels elle sera mêlée : après l'indépendance le 6 juillet 1975, il fallut moins d'un mois pour que le gouvernement d'Ahmed Abdallah soit renversé, alors qu'il célébrait à Mutsamudu, lui et son gouvernement, le mariage de la fille d'un ami.

Ali Soilihi, le chef du Conseil National de la Révolution se fit rapidement nommer chef du gouvernement. Mais l'ile de Ndzuani (Anjouan), où s'était trouvé l'ancien chef du gouvernement lors du coup d'état et où il se cachait toujours, était entrée presque naturellement en résistance, ce qui entrainait un blocus qui privait notamment sa population de sel.

Ce blocus se prolongea jusqu'au 29 septembre 1975, date à laquelle un commando de troupes d'Ali Soilihi débarqua dans l'Ile de Ndzuani, suscitant une résistance d'abord armée puis passive.

Les trois années suivantes, ses habitants vécurent dans l'attente d'un coup d'État qui rétablirait le pouvoir d'Ahmed Abdallah. Ce n'était pas le point de vue de Raisha qui travaillait au sein du comité du Utamaduni* et frayait ainsi avec le nouveau pouvoir pour, disait-elle, protéger sa famille. Je pense que ce n'était pas tout à fait vrai, car elle croyait à certains idéaux de la révolution, surtout à celui de la libération des femmes.

En plus, elle le faisait savoir, comme lorsqu'elle lut une déclaration en l'honneur d'Ali Soilihi, suscitant la colère de sa mère qui se disait inquiète des conséquences des prises de position publiques de sa fille, et surtout, qui ne les partageaient pas. Aussi, lorsque Raisha se mit à distribuer des documents de propagande à travers l'ile, sa mère en vint à ne presque plus lui adresser la parole.

La tension entre la mère et la fille menaçait de s'accroitre encore, lorsque Raisha apprit qu'elle allait être appelée à Moroni pour exercer des fonctions politiques plus élevées. Mais le hasard, est-ce bien le hasard, la libéra de ce dilemme lorsqu'elle apprit un jour d'avril 1978 qu'un groupe d'Anjouanais s'apprêtait à fuir Anjouan pour Mayotte. Sans plus réfléchir, elle se joignit spontanément à eux.

Elle se retrouva, au milieu des fuyards, parmi lesquels elle découvrit son propre frère Mlipvwa, dans une 404 bâchée qui ne manqua pas d'être arrêtée par un gendarme soupçonneux. Mais l'excuse, classique, d'un mariage à célébrer auquel s'ajouta "un large sourire et quelques battements de cils" suffirent à le contenter.

Une panne providentielle leur permit de se reposer dans une propriété appartenant à l'un de ses oncles, mais à la fin la vedette prévue pour Mayotte ne vint pas. Il fallut que Raisha retourne chez sa mère, qui la consigna sans explication dans sa chambre.  Un nouveau départ fut fixé à midi le lendemain, et cette fois la vedette était au rendez-vous.

Voguant vers l'exil, Raisha se remémora les réformes entreprises par Ali Soilihi. La réforme agraire que les paysans avaient refusé d'appliquer par crainte d'être traités de mauvais musulmans. La langue nationale avec l'alphabet latin que les personnes âgées avaient refusé d'apprendre. Les festivités liées au mariage dont la durée avait été limitée pour limiter les dépenses, suscitant la colère des familles et des commerçants. L'interdiction du voile, auxquelles les femmes âgées qui commandaient à leurs filles, s'étaient opposées.

Cela n'empêchait pas Reisha de s'enfuir à Mayotte, taraudées par les questions contradictoires qu'engendrait cette fuite, son approbation au moins partielle du régime, son impossibilité de s'opposer aux volontés de sa mère et pourtant l'inquiétude des risques que faisait courir à cette dernière, comme à toute la famille, sa fuite soudaine. S'y ajoutait bien sûr son angoisse face à l’inconnu qui l’attendait.

Au bout de presque dix heures de traversée, la vedette arriva au large de Mayotte où elle fut abordée par un canot de la gendarmerie. Raisha se retrouva dans un camp de réfugiés à Dzaoudzi et ce fut le moment pour elle de comprendre le mouvement profond qui avait conduit les Mahorais, à partir du transfert de la capitale de Dzaoudzi vers Moroni en 1962, à la séparation de Mayotte et des trois autres iles des Comores jusqu'au statut actuel de département français.   

Ce fut aussi pour Raisha le moment de se souvenir de son amie, Mugu, qui n'accepta de se marier qu'avec un Comorien résidant à Paris. Mugu justifiait ce choix en expliquant qu'elle voulait décider de sa vie, ce qui l'obligeait à fuir sa famille aux Comores. La condition féminine...

Pour sa part, à Mayotte, Raisha jouait la vedette dans un reportage de FR3 sur les réfugiés comoriens, avant de revenir à Mutsamudu après la chute d'Ali Soilihi. C'est alors qu'elle constata avec tristesse le retour en arrière de la condition féminine à Anjouan célébrée par les femmes âgées !

Raisha réussira à s'en évader grâce à ses études, son travail et son mariage en Afrique et en France. Elle visitera le monde, mais elle regrette toujours que les leçons de la révolution d'Ali Soilihi n'aient pas encore porté leurs fruits, quarante-cinq ans après l'indépendance. Cependant, l'espoir n'est pas mort, car Raisha sait que "la jeunesse est porteuse d’audace, d'ambition, de curiosité, de sens de l'entraide et de l'échange". 

 

Un roman ? Un livre de souvenirs ? Plutôt un ouvrage engagé dans lequel l'auteur se sert de son combat personnel afin de porter une espérance pour le futur de son ile chérie...                                

*Utamaduni: la culture en swahili.

Voici le lien pour obtenir l'ouvrage: 

https://www.kalamudesiles.com/2022/12/20/fatima-boyer-du-patrimoine-a-lecriture/

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BOULGAKOV: LE MAITRE ET MARGUERITE

15 Août 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LA TOMBE MOSCOVITE DE MICHAEL ET ELENA BOULGAKOV

LA TOMBE MOSCOVITE DE MICHAEL ET ELENA BOULGAKOV

Michael Afanassievitch Boulgakov, né en 1891 à Kiev et mort d’une maladie héréditaire à Moscou en 1940 a connu une vie complexe et romantique à souhait que je vous invite par ailleurs à parcourir.

Médecin pendant la Première guerre mondiale, fortement impliqué à Kiev contre le régime communiste, il comprend que ce dernier s’est installé en Ukraine et en Russie pour durer. Aussi abandonne-t-il Kiev pour Moscou et la médecine pour le journalisme et la littérature, activités qui le confronteront sans cesse à la censure soviétique.

Boulgakov a écrit pour le théâtre et l’opéra, mais il est surtout connu pour ses œuvres de fiction, comme La Garde Blanche et Le Maitre et Marguerite. Dans ce dernier roman achevé peu avant sa mort, il mêle habilement le fantastique et le réel de telle sorte que le fantastique passe pour le réel et le réel pour le fantastique.

Le thème du Maitre et Marguerite est le suivant : dans le Moscou de l’entre-deux guerres, le Diable déguisé en professeur plonge ses habitants dans le désordre le plus profond : des personnages disparaissent ou se dédoublent, certaines personnes deviennent invisibles, d’autres se métamorphosent en chat, en porc ou en sorcière, des têtes sont tranchées puis recollées. Tout ceci se déroule sous forme de bals sataniques et de spectacles de magie noire, mettant en déroute la hiérarchie bureaucratique et finalement la raison.

Il reste que le Diable avait ses raisons. Il sauve l’amant de Marguerite qu’elle appelle le Maitre, auteur censuré et rendu fou par la persécution qu’il subit, qui symbolise bien sûr Boulgakov, tandis qu’Elena Sergueïevna, sa troisième épouse et son amour fou, sert de modèle à Marguerite.

Mais cette histoire romancée et fantastique se double d’un deuxième niveau, qui nous ramène vingt siècles en arrière, à Jérusalem, histoire qui serait le fragment d’un roman du Maitre inséré dans le roman de Boulgakov, lequel roman relate la vie de Jésus vue par Ponce Pilate. Finalement, les deux niveaux d’écriture se rejoignent lorsque tout rendre dans l’ordre : le Diable et ses acolytes quittent Moscou dont les habitants restent perplexes et le Maitre et Marguerite se retrouvent, comme Boulgakov et sa femme se sont retrouvés après de folles péripéties.

Ainsi, dans Le Maitre et Marguerite, le récit joue à la fois avec le temps, le XXe siècle et le début de la Chrétienté, et l’espace, Moscou et Jérusalem. L’auteur utilise un langage concis dans les passages historiques et un langage fantaisiste pour le présent moscovite, le fantastique servant à mettre en lumière les absurdités de la machine bureaucratique soviétique. Boulgakov s’abrite derrière l’extravagant pour dénoncer le formalisme, la hiérarchisation absurde et le despotisme qui s’exercent notamment à l’égard d’artistes condamnés au compromis et au silence. Mais, malgré ce camouflage, son ouvrage n’a pas échappé à la censure : écrit entre 1928 et 1940, il ne paraitra  dans une version tronquée qu’en 1966.

Voici un échantillon de l’écriture étonnante de cette œuvre :

« À l’instant même, le plancher de la scène se couvrit de tapis persans sur lesquels se posèrent d’énormes glaces éclairées de côté par la lueur verdâtres de tubes luminescents. Puis, entre les glaces, apparurent des vitrines où les spectateurs, étonnés et ravis, purent voir des robes parisiennes de modèles et de coloris les plus divers. (…) Alors une jeune fille rousse en toilette de soirée noire, sortie le diable sait d’où, une jeune fille qui aurait été tout à fait charmante si une cicatrice bizarre n’avait abimé son joli cou, arbora près d’une vitrine un sourire aimable de commerçante avisée… »

Plus loin dans le roman, les personnages se rejoignent laissant filtrer la satire, lorsque Woland le magicien présente Ponce Pilate au Maitre :

« Les cavaliers s’arrêtèrent.

« Ils ont lu votre roman, dit Woland en se tournant vers le Maitre. Ils ont dit que, malheureusement, il n’était pas terminé. Aussi ai-je voulu vous montrer votre héros. Voilà près de deux mille ans qu’il est assis sur ce plateau, et qu’il dort ; mais quand arrive la pleine lune, comme vous le voyez, il est tourmenté par l’insomnie »

 

Dans le roman de Boulgakov, Ponce Pilate figure la compromission de l’intelligence et de la culture avec l’ordre établi, tandis que Yeshua HaNotzri (Jésus le Nazaréen) représente la négation obstinée, paradoxale mais moralement triomphante du mal tout-puissant. Le Diable quant à lui incarne moins l’esprit du mal qu’un mystificateur qui fait éclater l’ordre de la bêtise et de la lâcheté.

 

Le Maitre et Marguerite, traduit du russe par Claude Ligny, Laffont, 1968.

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MAXIME GORKI

1 Juillet 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

MAXIME GORKI À LA RADIO DE NIJNI NOVGOROD

MAXIME GORKI À LA RADIO DE NIJNI NOVGOROD

Je poursuis la publication de billets sur les écrivains russes du vingtième siècle, aujourd'hui Maxime Gorki, avant que l'on considère dans cette partie de l'Europe que les écrivains russes n'ont plus droit de cité. 

Alekseï Maksimovitch Pechkov, dit Maxime Gorki, est né en 1868 à Nijni Novgorod. Le choix de son pseudonyme dit tout, puisque « gorki » signifie amer. En français, l’on traduirait son nom par « l’amer Maxime ». Gorki a eu en effet une vie extrêmement dure dans sa jeunesse, puisque, dès l’âge de huit ans, il a dû abandonner l’école et subvenir à ses besoins par toutes sortes de petites tâches, aide savetier, coursier, garçon de cuisine.

Mais il possédait un talent d’écrivain qu’il commença à exploiter vers l’âge de 24 ans  par des nouvelles dont la romantique et rebelle Makar Tchoudra qui le fit découvrir par le public russe.

Sa rébellion s’affirma à l’aube du XXe siècle, si bien que sa participation à la révolution de 1905 le contraignit à partir aux États-Unis puis en Italie, à Capri. Amnistié, il revint en Russie en 1913 pour lancer le journal rebelle « Nouvelle Vie » et commença à écrire son autobiographie dont Enfance (1914) constitue le premier des trois tomes.

Il retourna en Italie avant la révolution de 1917 pour y soigner sa tuberculose et ne revint en URSS qu’en 1932, à l’invitation de Staline, avant d'y mourir en 1936. Officiellement chantre de la révolution, il reste aujourd’hui une sorte de médiateur entre deux Russies successives : la tsariste et la soviétique.

Dans Enfance, qui est son chef d’œuvre, Gorki évoque, sans lyrisme ni complaisance, cette période marquée par le malheur et la misère.

Assistant successivement à la mort de son père puis de sa mère, Gorki est élevé par son grand-père, un homme dur et violent et par sa grand-mère, toute en douceur et tendresse, mais il subit aussi la présence, dans ce foyer pauvre et désespéré, de ses indignes oncles.

L’ouvrage Enfance s’achève lorsque l’auteur, âgé de douze ans, doit obéir à son grand-père qui le somme d’aller travailler pour subvenir à ses besoins. Son récit sur sa vie d’enfant nous dit tout sur lui, à commencer par sa soif de justice et de liberté mais aussi sa foi dans la grandeur et la résistance de l’âme russe.

Voici quelques extraits d’Enfance :

- Au sujet de sa grand-mère :

« Toute sa personne était sombre, mais ses yeux brillaient d’une lumière chaude et gaie. Elle était voutée, presque bossue, et très corpulente ; pourtant elle se déplaçait avec aisance et légèreté comme une grosse chatte, dont elle avait aussi la douleur caressante. Avant de la connaitre, j’avais comme sommeillé dans les ténèbres ; mais elle parut, me réveilla et me guida vers la lumière »

- Sur le peuple russe :

« Plus tard, j’ai compris que les Russes, dont la vie est morne et misérable, trouvent dans leur chagrin une distraction. Comme des enfants, ils jouent avec leurs malheurs dont ils n’éprouvent aucune honte. Dans la monotonie de la vie quotidienne, le malheur lui-même est une fête… »

- Lors du décès de sa mère :

« Je restai très longtemps immobile près du lit, la tasse à la main, regardant le visage qui se figeait et devenait gris.

Lorsque grand-père entra, je lui dis :

  • Elle est morte, ma mère.

Il jeta un coup d’œil vers le lit :

  • Qu’est-ce que tu racontes ? (…)

Quelques jours après l’enterrement, grand-père me dit :

  • Eh bien, Alexis, tu n’es pas une médaille, tu ne peux pas rester toujours pendu à mon cou, va donc gagner ton pain…

Et je partis gagner mon pain. »

 

Enfance se poursuivit avec les publications de Parmi les gens et de Mes universités.

La mort de Maxime Gorki, qui était devenu un personnage équivoque aux yeux du régime, reste suspecte. Il serait mort officiellement d’une pneumonie le 18 juin 1936 mais l’on soupçonne un empoisonnement.   

Staline et Molotov furent deux des porteurs du cercueil de Gorki, mis en scène comme un évènement mondial. Il a été inhumé dans la nécropole du mur du Kremlin derrière le mausolée de Lénine.

 

 

À SUIVRE

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LA TROISIÈME NEIGE

5 Juin 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LA TROISIÈME NEIGE

LA TROISIÈME NEIGE

 

Après Les Douze d'Alexandre Blok et Le pays des Canailles de Sergueï Aleksandrovitch Essenine contemporains de la Révolution russe de 1917, voici La Troisième Neige d'Evgueni Evtouchenko qui annonce le changement après la mort de Staline

 

Le texte entier porte un regard, celui d'un "nous" indéterminé, autour d'une attente de la "neige", la vraie, la pure, qui ne fond pas. Les hommes de la ville, inquiets, attendent la neige qui tombera par trois fois avant d'arriver enfin, "pure, immense, toute de simplicité, épaisse avec assurance, poudreuse avec timidité". La troisième neige, les hommes ne l'attendaient pas, mais elle est pourtant là au moment même où ils désespéraient de la voir tomber:

"pas encore de neige!

il est temps,

grand temps qu'elle vienne"

Or la neige tomba,

tomba le soir venu

(...)

Elle se répandait fragile

et pas très sûre d'elle-même

(...)

Cette première neige n'était que

l'annonce d'une autre couche de neige

Elle vint ?

Elle se rua.

Ses bourrasques nous aveuglaient,

ses hurlements n'arrêtaient pas.

(...)

Mais cette deuxième neige ne sut

résister aux pas des hommes.

(...)

Un beau matin,

mal réveillés,

Le seuil de la

porte franchi,

sans savoir  

qu'elle était

tombée,

nous avons foulé son tapis.

Elle reposait,

pure, immense,

toute de

simplicité,

épaisse avec assurance,

poudreuse avec timidité

(...)

C'était elle,

c'était la vraie neige.

Nous l'attendions.

Elle était là*

 

Evgueni Evtouchenko est né en 1933 près d'Irkoutsk, en Sibérie Orientale, et mort à Tulsa, en Oklahoma, en 2017. Il a écrit La Troisième Neige à 20 ans. L'attente de cette troisième neige, qui finit par advenir, exprime l'espoir de changement qui habite les Soviétiques, une fois Staline mort. Le succès de ce poème est sans doute plus politique que poétique, encore que la métonymie et l'ellipse rendent bien la tension dramatique de l'attente.

L'hermétisme du poème permet en outre plusieurs lectures. Le "nous" n'est pas désigné, il montre que le poète est attiré par l'âme inquiète, contradictoire voire superficielle, impatiente, avide de changement des hommes. Ce "nous" désigne aussi le peuple soviétique qui vient à peine de sortir de vingt années de souffrances terribles et dont l'auteur crie la soif de changement, qui est soif de pureté et de vérité.

 

Aussi, des dizaines de milliers de jeunes venaient écouter Evgueni Evtouchenko, qui devint ainsi la voix de sa génération, car l'on a vu et l'on voit toujours dans Evtouchenko le premier poète qui a eu le courage de parler, après vingt années de mensonge et de flagornerie.  

 

* Adaptation française de P. Chaulot, Julliard, 1963.

 

À SUIVRE

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LE PAYS DES CANAILLES

8 Mai 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

SERGEÏ ESSENINE

SERGEÏ ESSENINE

Sergueï Aleksandrovitch Essenine est un poète russe (1895-1925) qui mit un grand espoir dans la Révolution, avant d'en être si fatalement déçu qu'il se suicida à l'âge de trente ans. Le Pays des canailles est son second et dernier poème dramatique, écrit en 1922-1923.

Dans cette pièce en vers, il décrit de manière désabusée un monde ou règne l'intérêt du plus fort, un monde où s'oppose la ville et la campagne, le bolchevisme et l'anarchie ainsi que le socialisme et le capitalisme.

L'histoire qu'il raconte est celle d'un anarchiste, Nomakh, qui veut attaquer un train qui transporte l'or des mines de la région. Dans le train, le commissaire (communiste) Rasvetov se moque du pouvoir de l'argent en Amérique. Il pourrait s’en moquer tout autant aujourd’hui à l’heure des « sanctions » contre la Russie. Pour l’heure, Rasvetov voit son pays mettre fin au banditisme (des Américains).

Mais une menace plus immédiate le guette, l’attaque du train par l’anarchiste Nomakh qui s’empare de l’or qu'il protège. C’est que Nomak (qui représente Essenine) est désillusionné par la Révolution et ne croit plus qu’en sa propre liberté, tandis que Rasvetov croit au pouvoir soviétique, seul capable d’organiser la Russie pour qu’elle puisse faire face à l’Amérique, pays sans âme où règne l’intérêt du plus fort.

Pas si curieusement que cela, un siècle plus tard, nous revoilà dans ce face à face fondamental.

Essenine n’a jamais terminé son poème dramatique. Il l'a interrompu pour partir vers l'Europe et les États-Unis avec sa seconde femme, la danseuse américaine Isadora Duncan. De retour en Russie, révolté contre l'état d'esprit américain, il remanie son poème pour mettre l'accent sur le conflit entre les mondes capitalistes et socialistes, mais sans toutefois l'achever.

Car, ce qui reste sans conteste dans la poésie d'Essenine, relève de la désillusion :

Il fut un temps où,

joyeux drille,

labouré jusqu'aux os

de l'herbe de la steppe,

je suis venu dans cette ville les mains vides,

mais le cœur plein

et non sans rien dans la tête.

Je croyais... je brulais...

Je partis pour la révolution.

Je pensais que la fraternité n'était ni un rêve,

ni un songe,

que tout, l'ensemble des peuples,

des races et des tribus,

se dissoudrait dans une mer unique.

 

Mais au diable tout cela !

 

Sergueï Essenine est né en Russie centrale, prés de Riazan. En 1913, à l’âge de 18 ans, il prend conscience de ses dons de poète et commence à fréquenter les milieux artistiques moscovites. Un an plus tard, il vit en couple avec Anna Izriadnova, tandis que ses premiers poèmes commencent à paraître en revues et dans les colonnes de La Voie de la Vérité, ancêtre de la Pravda. Abandonnant sa compagne qui vient de lui donner un enfant pour s'installer à Saint Pétersbourg, où Alexandre Blok (voir mon billet précédent sur la poésie russe) l'introduit dans les milieux littéraires, à qui il donnera lectures et récitals, jusqu'à sa mort. 

Boris Pasternak dira de lui que "jamais, depuis Koltsov, la terre russe n'a produit quelque chose de plus enraciné, de plus naturel, de plus opportun, de plus national, que Sergueï Essenine, en le donnant avec une liberté et sans grever ce tableau d'un trop lourd zéle populiste".

Essenine mobilisé, déserte en 1917, déborde d'enthousiasme pour la révolution, épouse en juillet 1917 Zinaïda Reich, secrétaire à La Cause du Peuple, dont il a deux enfants avant d'en divorcer en 1921.

Déçu des résultats de la Révolution, Essenine a en effet rencontré Isadora Duncan de dix-huit ans son ainée, invitée en URSS par le gouvernement soviétique, qu'il épouse en 1922 pour la quitter en 1923 après un voyage en Europe et aux États-Unis, voyage qui, loin de l'exalter, l'a gravement déprimé.

Miné par l'alcoolisme, il souffre désormais d'hallucinations. À Leningrad, il finit par se pendre à un tuyau dans la chambre no 5 de l'hôtel Angleterre, non sans avoir écrit avec son sang un dernier poème :

Au revoir, mon ami, au revoir,

Mon tendre ami que je garde en mon cœur.

Cette séparation prédestinée

Est promesse d’un revoir prochain.

Au revoir, mon ami, sans geste, sans mot,

Ne sois ni triste, ni chagrin.

Mourir en cette vie n'est pas nouveau,

Mais vivre, assurément, n'est pas plus neuf.

 

Un poète, assurément, mais un poète des temps incertains....

 

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LES DOUZE (Двенадцать) D'ALEXANDRE BLOK

30 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LES DOUZE (Двенадцать) D'ALEXANDRE BLOK

À contre-pied de la russophobie, je commence ici une série de billets sur les œuvres des écrivains russes et ukrainiens.

 

Dans un décor de soir noir et de neige blanche, dans la tourmente et le blizzard douze soldats de l’Armée rouge avancent, pillent, assassinent et se soûlent. Ivres d’une liberté « sans croix ni loi », ces gardes rouges abjurent le vieux monde et s’exhortent à tirer sur la Sainte-Russie. Défilant sous l’étendard, sans rien voir dans le blizzard, ils suivent une ombre et…

Voilà la neige, siffle le vent

Douze hommes s’en vont en rangs.

À leurs fusils-bretelles noires.

 

Autour des feux, les feux du soir…

Mégot au bec, casquette de chic,

Ils sont foutus comme l’as de pique.

 

Liberté, liberté !

Eh, sans croix, ni loi,

Taratata !

………………………………

Ils vont au loin, démarche altière…

-Qui va là ? Allons, qui bouge ?

C’est le vent près des gouttières

Qui joue avec le drapeau rouge…

 

Devant eux, un tas de neige.

Qui se cache là, viens ici !

Seul un chien galeux y piège

Il se lève et il le suit…

…………………………

Ils s’en vont, démarche altière,

En arrière, un chien galeux,

En avant, un drapeau rouge,

À la main, une ombre bouge,

Invisible à tous les yeux,

Imprenable pour les balles,

Sur la neige perlée d’opales,

Par-delà les avalanches,

Dans les brumes, dans le vent,

Couronné de roses blanches,

Jésus-Christ, marche en avant*.

Les sonorités du poème créent en elles-mêmes l’atmosphère. Le traducteur et poète Angelo Maria Ripellino a décrit ainsi le style génial et déroutant de ce poème : « L'écriture, violemment secouée de syncopes et de ruptures, de sautes métriques, d'âpres dissonances (sifflements, aboiements du vent, piétinement, balles qui crépitent), mêle dans une pâte lexicale insolite des slogans d'affiche politique et des formules de prière, des constructions d'odes solennelles et des injures des rues, les termes grossiers de l’argot prolétarien et des accents de romance »

C’est dans une période hallucinatoire que Blok écrit Les Douze, du 8 au 28 janvier 1918. L’œuvre est le témoignage de la Révolution en cours en Russie, écroulement du vieux monde mais aussi appel au salut messianique du monde.

Le poème, publié le 3 mars 1918 eut un immense retentissement en Russie, déclamé dans la rue et au théâtre, certains de ses vers se retrouvant sur des affiches, des banderoles et sur des étendards des soldats.

Le 1er avril 1920, Blok, publiant une note qui décrit les conditions dans lesquelles il écrivit ce poème, déclare : « Les mers de la nature, de la vie et de l’art étaient déchainées. Les embruns s’élevaient en arc-en-ciel au dessus d’elles. Lorsque j’écrivis Les Douze, je regardais cet arc-en-ciel »

Alexandre Blok est né en 1880 à Saint-Pétersbourg, d’une famille aisée. Ce poeme témoigne de la vie tourmentée qu’il mène au sein d’une période toute aussi tourmentée. Il meurt en 1921.

Voilà la neige, siffle le vent

Douze hommes s’en vont en rangs.

À leurs fusils-bretelles noires.
…………………………………………….

*Traduction de G. Arout, Seghers, 1958

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LE QUATUOR DE LUCERNE

24 Décembre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LA VILLA SENAR, PRÈS DE LUCERNE

LA VILLA SENAR, PRÈS DE LUCERNE

Christian Caleca vient d’écrire un magnifique ouvrage, Le Quatuor de Lucerne, livre d’histoire, de musique et finalement de vie, autour de cinq personnages, un journaliste et quatre immenses compositeurs russes, le premier témoin de la rencontre imaginaire des quatre autres à Lucerne.

 

Avec le Quatuor de Lucerne, il faut se laisser emporter par l’histoire et bercer par la musique qui encadre le récit en trois mouvements de concerto :

  • Allegro moderato :

Celui qui écrit, fictivement, est un journaliste qui apprend la mort de Chostakovitch en 1975. Cette mort, qui le bouleverse, le pousse à décrire un évènement, tout aussi extraordinaire qu’imaginaire, la rencontre des quatre grands musiciens russes du XXe siècle, Rachmaninov, Prokofiev, Stravinski et Chostakovitch à Lucerne en 1938 où venait d’être créé par Arturo Toscanini un festival international de musique.

Christian Caleca sait admirablement recréer l’ambiance du décor paradisiaque de la Suisse centrale à la fin des années 1930 et nous faire découvrir la belle demeure helvétique du vieux Rachmaninov, sollicité par Toscanini. Puis, il nous transporte dans le cadre brutal de l’URSS de Staline, nous faisant comprendre les conditions dans lesquelles Prokofiev et Chostakovitch sont autorisés à se rendre au festival de Lucerne, aux côtés de Stravinski, le parisien, et donc de Rachmaninov.

Dans le décor fort réaliste de villes européennes anxieuses, en cette année fébrile des accords de Munich qui sont encore en gestation, Il fait entrer en scène chacun des quatre compositeurs, à Lucerne, à Paris, à Moscou et à Leningrad,

Chacun d’entre eux, alors qu’ils s’apprêtent à se retrouver et à se réunir à Lucerne, sont conscients qu’ils vivent probablement les derniers jours de la paix. L’organisateur de ce premier festival, le chef d’orchestre Arturo Toscanini, pourtant confortablement installé à New York, n’ignore rien de ces menaces et c’est pourquoi il veut faire de Lucerne le symbole de la résistance des musiciens au nazisme.

Ainsi, chapitre après chapitre, en train ou en bateau, les héros du roman se hâtent vers Lucerne, où les attend Rachmaninov.

  • Andante cantabile

Nous vivons la préparation et l’organisation du festival sous la triple direction d’Ansermet, de Walter et de Toscanini, dans une Suisse qui s’honore d’ouvrir ses portes à ces exilés prestigieux, un peu comme si elle voulait conjurer le sort.

Dans les décors et l’ambiance tendue de l’époque, les compositeurs livrent leurs craintes et leurs espoirs, les belles âmes se rencontrent, des amours s’ébauchent. Puis vient le concert d’ouverture du festival présenté par Toscanini. C’est un grand moment de gaieté et de gravité à la fois, qui débute symboliquement par l’ouverture Guillaume Tell de Rossini. Tout près d’eux, les grandes manœuvres diplomatiques s’amplifient, l’URSS observant, sceptique, la capacité de résistance de la France et de la Grande-Bretagne aux menaces hitlériennes.

Les quatre grands compositeurs finissent par se rencontrer à la villa Senar, propriété de la famille Rachmaninov. C’est la partie la plus imaginaire du roman, mais pas la moins passionnante que cet échange entre compositeurs célèbres qui porte sur la Russie, sur la politique et naturellement sur la musique, chacun reconnaissant, parfois avec une réticence jalouse, le génie de l’autre.

En écho à leurs inquiétudes, surgit le 12 septembre, à peine le premier festival de Lucerne achevé, le discours plein de menaces d’Hitler, qui annonce la fin de la Tchécoslovaquie libre. Pour souligner l’exactitude historique de l’ouvrage, l’auteur n’hésite pas à transcrire ce discours, dont la tonalité terrifie encore le lecteur, quatre-vingt-treize années après qu’il ait été prononcé à Nuremberg.

  • Allegro vivace

Comme les Français cèdent à Hitler sous la pression des Britanniques, la Tchécoslovaquie est dépecée, l’URSS s’éloigne de l’alliance pour rechercher un accord solitaire avec l’Allemagne nazie, obligeant l’Italie à la rejoindre malgré la réticence de Mussolini. Tout se met alors en place pour que la guerre vienne. Et elle vient en effet, jusqu’au siége interminable de Leningrad et ses horreurs se reflètent dans les sons déchirants de la septième symphonie, dite de Leningrad, composée par Chostakovitch : l’histoire, en effet, fait la musique.

Après le festival de Lucerne, l’histoire a fait fuir Rachmaninov et Stravinski vers les États-Unis et Prokofiev vers le Caucase. Seul Chostakovitch reste à Moscou et se soumettra au Parti Communiste soviétique.

Le narrateur reprend les traits d’Etienne d’Andigné qui revient à Lucerne en 1975, avant de songer à sa vie et à Evguénia, son amour emporté par la guerre, au bord de la mer antiboise : « Le matin est calme, sur la plage les courtes vagues finissent leur course répétée sur la grève luisante et balayent inlassablement le sable humide ».

 

Le Quatuor de Lucerne, un livre aux multiples facettes, un livre d’histoire, un livre sur les géniaux compositeurs russes du XXe siècle, un livre débordant d’une tendre nostalgie dans son épilogue : jamais nous n’écouterons plus leurs œuvres sans nous référer aux liens que l’auteur a su si fortement tisser entre la musique et nos vies.

 

Christian Caleca, Le Quatuor de Lucerne, Éditions Maïa, 199 pages, 15 euros.

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LA VÉRITÉ SCIENTIFIQUE ASSAILLIE DE TOUTES PARTS

4 Juillet 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE, #CULTURE

KURT GÖDEL

KURT GÖDEL

Les philosophes n’ont eu de cesse d’insister sur le caractère subjectif de la pensée humaine, ou encore sur la subjectivité qui s’attache à la vérité délivrée par un être humain.

 

Arthur Schopenhauer s’est ainsi efforcé de montrer les limites de la pensée de Kant, en soulignant que la vérité trouvait sa source dans la volonté de l’individu. Quant à Nietzsche, il a  carrément refusé d’envisager la possibilité qu’il puisse exister une vérité objective. En outre, le subjectivisme a trouvé un renfort puissant chez les linguistes comme Saussure qui a démontré qu’aucun langage ne permettait de formuler quoi que ce soit d’assuré.

Même si Wittgenstein a tenté de surnager dans l’océan de scepticisme qui submergeait la pensée philosophique occidentale, il a dû finalement convenir qu’il fallait renoncer à toute prétention d’acquérir une connaissance objective des faits.

Puis les philosophes, obsédés par le subjectivisme, ont été soudainement dépassés par les artistes, qui sont souvent annonciateurs de changements de paradigme. Ce fut le cas, on s’en souvient, de Giotto Di Bondone dont le réalisme était le héraut du paradigme expérimental et ce fut encore le cas du Dadaïsme qui a barbouillé les espaces et du Surréalisme qui a aboli la différence entre le rêve et la réalité : tous deux annonçaient l’irruption de l’incertitude dans la pensée scientifique. 

La science, dès le début du XXe siècle, va se trouver en effet prise en tenailles entre la subjectivité de l’individu, à laquelle elle résistait victorieusement depuis deux siècles en s’abritant derrière l’objectivité de l’expérimentation et la soudaine association de l’incertitude aux résultats qu’elle obtenait, alors qu’elle rêvait d’offrir à la pensée humaine un univers ordonné.

Si elle avait toujours été consciente de ses failles, la science prétendait néanmoins avoir initié une marche en avant permanente vers la vérité. Or la physique, l’une des disciplines scientifiques les plus prestigieuses, se mettait tout d’un coup à nous présenter un monde chaotique, contradictoire, où se déroulaient des évènements non observables et où circulaient des particules indétectables dont l’origine était indéterminée et dont les effets étaient imprévisibles !

Ce fut un choc dont aucun scientifique ne s’est vraiment remis : Einstein décrivait un univers où la masse et l'énergie n’étaient que deux aspects d'une même réalité insaisissable et où les parallèles se rencontraient. Le battement d’aile du papillon devenait le symbole universel du désordre qui pouvait pervertir n’importe quel système. Pour couronner le tout, le principe d’incertitude de Bohr et Heisenberg appliqué aux électrons démontrait que l'observateur était, par essence, partie prenante dans l'expérience qu’il menait, si bien qu’aucune expérience ne pouvait être considérée comme objective. Aucune expérience n’était objective ! Tout simplement impensable!

Le choc ne s’arrêtait pas aux frontières de la physique. Il atteignait le cœur battant de la pensée scientifique, la logique scientifique, lorsque Henri Poincaré remettait en question le postulat central de cette logique scientifique en démontrant que le lien entre l'hypothèse et la preuve était construit artificiellement, ce qui remettait carrément en question la notion de démonstration. C’est ce qu’écrivait également Kuhn, quoiqu’avec plus de délicatesse, lorsqu’il décrivait les révolutions scientifiques comme des changements de paradigme, ce qui signifiait en clair que les découvertes scientifiques étaient dépendantes de la perspective choisie par le chercheur. Plus d’expérience objective, plus de démonstration véritable, que restait-il à la science pour prétendre détenir le monopole de la recherche de la vérité?

D’autant plus que Frege allait plus loin encore en soutenant que la raison ne fournissait rien de plus qu’une vérité contingente puisqu’elle se contentait de confirmer ce que l’esprit savait déjà par l’induction, l’intuition ou l’observationEt Gödel renchérissait dans le même sens en démontrant qu’il n’existait aucune logique qui permettait d’affirmer que des propositions mathématiques étaient justes ou fausses.

 

Ces remises en cause de la validité de la preuve, si centrale dans la démarche scientifique, contraignaient la science à reconnaître que ses démonstrations étaient entachées d’incertitude, de subjectivisme et d’autojustification qui, toutes trois, affaiblissaient sa légitimité.

Avec quels outils, finalement, approcher LA vérité ?

 

À SUIVRE 

 

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