Sainte Ioulia Timochenko, martyre
On se demande pourquoi l’Union Européenne, le Parlement Européen et la Commission Européenne défendent avant autant de conviction Ioulia Timochenko.
Condamnée à sept ans de prison pour abus de pouvoir, Ioulia Timochenko multiplie les gestes de protestation pour mobiliser l’opinion européenne. Vous remarquerez que les medias français n’expliquent jamais pourquoi elle a été condamnée. Ils relatent seulement le fait qu’elle est en prison et qu’elle proteste. Et de fait, les dirigeants et le Parlement Européen, relayés par les medias, multiplient les gestes de soutien à son égard comme si elle était victime d’une horrible injustice en étant condamné à la prison pour abus de pouvoir. On nous explique que sa vie est en danger et qu’elle subit une injustice de la part d’un pouvoir dont on nous laisse entendre qu’il est arbitraire.
Revenons donc vers quelques données factuelles.
Tout d’abord Ioulia Timochenko est belle, avec son visage de madone slave auréolée d’une couronne de tresses blondes. Cela joue beaucoup dans la sympathie qu’elle provoque et qui fait qu’on lui donnerait le bon Dieu sans confession.
Mais qui est Ioulia Timochenko ?
D’origine russo-arménienne, Ioulia Hryhian, aujourd’hui Ioulia Timochenko est née le 27 novembre 1960 dans la ville industrielle de Dniepropetrovsk. En 1979, elle épouse Oleksandr Timochenko, fils du responsable politique de la région de Dniepropetrovsk, avec lequel elle a une fille, Eugenia, née l'année suivante.
Elle obtient en 1984 un diplôme en économie et cybernétique de l'université d’État de l’Oblast, puis elle entame sa carrière professionnelle à l'Usine Lénine de construction mécanique. En 1988, elle ouvre avec son mari Oleksandr un magasin de location de vidéos, lancé avec 5 000 roubles soviétiques qu'ils ont empruntés. De 1989 à 1991, elle travaille en tant que directrice commerciale du centre de jeunes « Terminal » de Dniepropetrovsk.
Elle est ensuite nommée directrice de la société Ukrainian Oil Corporation en 1991, car elle a fait la connaissance de Pavel Lazarenko, gouverneur de la région, avec qui elle se lie d’amitié. En 1995, ce dernier devient Premier ministre et propulse sa jeune protégée à la tête de la compagnie privée “United Energy Systems of Ukraine” (UESU). C'est alors qu'elle et son mari deviennent très vite riches: les contrats pleuvent, les pots de vin aussi et le couple Timochenko devient l’une des premières fortunes du pays. En 1999, Pavel Lazarenko, reconnu coupable d’escroquerie et de blanchiment d’argent, est arrêté. Ioulia, elle, n’est pas inquiétée car elle a senti le vent tourner et a su s’éloigner de lui à temps pour se rapprocher de Leonid Koutchma, le président de la République.
La même année, elle se décide à entrer en politique. Elle est élue députée de la région de Kirovohrad et se voit proposer par le nouveau Premier ministre, Viktor Iouchtchenko, le poste de vice-Premier ministre et le portefeuille de l’Énergie.
Au gouvernement, la « princesse du gaz », comme on la surnomme, parvient à restructurer le secteur de l’énergie et à éponger la dette ukrainienne contractée auprès de la Russie. Son succès lui donne des ailes et elle ne tarde pas à critiquer ouvertement les autres membres du gouvernement.
Las de la voir interférer dans ses affaires, le président Leonid Koutchma finit par la limoger en janvier 2001. Ioulia Timochenko, poursuivie pour falsification de documents et contrebande, est alors incarcérée. Quand elle sort de prison, un mois plus tard, elle est victime d’un accident de voiture dont elle sort indemne mais qui lui permet de crier à l’attentat et de fédérer l’opposition.
Symbole de la révolution orange de 2004, Ioulia Timochenko devient Premier ministre après l’investiture du candidat Iouchtchenko à la présidence de la République. Limogée en 2005, elle reprend ses fonctions en 2007, avant de se présenter en 2010 à l’élection présidentielle. Battue par Viktor Ianoukovitch, Ioulia Timochenko voit alors son gouvernement renversé par le nouveau président de la République.
Reconnue coupable d’abus de pouvoir, l’ancienne icône glamour est condamnée, en octobre 2011, à une peine de 7 ans de prison. Elle comprend alors qu’elle ne peut plus jouer de sa féminité. Désormais, c’est l’image d’une victime qu’elle veut renvoyer.
En se posant en martyr de la démocratie, il semblerait bien que Ioulia Timochenko, qui souffre en Ukraine d'une large impopularité essaie de faire oublier le « Machiavel en jupon » et la milliardaire qu'elle est.
Mais pourquoi donc l’Union Européenne, ses dirigeants, ses medias la soutiennent-ils avec autant d’acharnement ? mystère….
The Winter of Discontent
Dans mon blog précédent du 19 mai dernier intitulé « Moved by the Iron Lady » je vous ai donné mes impressions sur ce film consacré à la vie de Margaret Thatcher. Dans celui-ci, je décris les circonstances qui ont précédé son accession au pouvoir, car elles expliquent son attitude rigide vis-à-vis des syndicats, sa popularité et son succès.
Avant cet hiver-là, qui prépara la voie à la victoire de Margaret Thatcher aux législatives de 1979, le gouvernement travailliste de James Callaghan, qui avait succédé à celui d’Harold Wilson, combattait sans beaucoup de succès l’inflation qui avait atteint un sommet de 26,9 % (26,9% !!!!) par an en août 1975. En 1976, il était obligé de solliciter, comme la Grèce aujourd’hui, un emprunt auprès du FMI.
C’était le déclin. Le gouvernement travailliste faisait ce qu’il pouvait avec ses petits bras. Pour tenter de remettre le pays sur les rails, il avait conçu avec le Trade Union Congress (TUC) un « contrat social » prévoyant une politique des revenus qui plafonnait les hausses de salaire à 5% pour lutter contre l’inflation. C’est ce qui déclencha les grèves de l’hiver 1978-1979. L’affaire commença chez Ford qui, sous la menace du blocage de sa production, accorda une augmentation bien supérieure au plafond. Le 28 novembre 1978, le gouvernement annonça des sanctions contre Ford et 220 autres entreprises tout en reconnaissant qu’il n’avait pas la force politique de les appliquer.
Aussitôt, les syndicats se lancèrent dans la brèche ouverte. Les plus rapides furent les camionneurs, membres du TGWU. Ils bloquèrent les livraisons de carburants, contraignant les compagnies pétrolières à leur accorder des hausses de salaire de 15 %. Loin de mettre un terme à leurs revendications, ils entamèrent une grève non officielle à partir du 3 janvier 1979. Les stations services fermèrent leurs portes, des piquets de grève bloquèrent les principaux ports entraînant la mise à pied d’un million de travailleurs. Le gouvernement travailliste finit par céder totalement aux camionneurs en leur accordant une augmentation de 20 %.
Les grévistes de Kingston upon Hull provoquèrent un incident demeuré célèbre en refusant de laisser passer la nourriture pour les animaux, entraînant la mort de nombreux porcs et poulets qui furent déversés par des fermiers ulcérés devant les piquets de grève.
James Callaghan fit beaucoup pour sa défaite électorale le 10 janvier 1979, en pleine grève des camionneurs. Tout joyeux, frais et reposé, il venait de débarquer de Guadeloupe où s'était tenu un sommet entre alliés et il vantait aux journalistes la douceur des baignades dans les eaux des Caraïbes. Coupant court à son autosatisfaction, un journaliste lui demanda comment il voyait la situation chaotique du pays. Le Premier Minstre se contenta d’accuser la presse d’exagérer les faits, ce que le Sun traduisit le lendemain par ce titre assassin: « Crisis? What crisis? Rail, lorry, jobs chaos; and Jim blames press! »
Le gouvernement ayant cédé aux syndicats du secteur privé, ceux du secteur public entrèrent dans la danse. Les conducteurs de train de l'ASLEF et le National Union of Railwaymen avaient déjà entamé une série de grèves de 24 heures lorsque, le 18 janvier 1979, la conférence du Royal College of Nursing décida de demander une hausse du salaire des infirmières de 25 %. Puis le 22 janvier 1979, les syndicats du secteur public organisèrent une grève de 24 heures, ce qui n’était jamais arrivé depuis 1926.
Ce fut le signal d’un feu d’artifice de grèves tous azimuts. Les conducteurs d'ambulance se mirent en grève à la mi-janvier 1979, refusant parfois d'assurer le service des urgences. Le 30 janvier 1979, le gouvernement dût reconnaître que la moitié des hôpitaux du National Health Service ne traitaient plus que les urgences.
L'action la plus emblématique du « Winter of Discontent » fut la grève non officielle des fossoyeurs, membres du GMWU, à Liverpool. Les cercueils s'empilaient dans une usine désaffectée et l’on envisageait, si la situation devait persister, de les immerger dans la mer. Malgré cette menace réfrigérante, les fossoyeurs durent finalement se contenter de 14 % d'augmentation.
De nombreux éboueurs se mirent aussi en grève à partir du 22 janvier 1979, contraignant par exemple le Conseil de la Cité de Westminster à empiler les ordures à Leicester Square qui est situé dans le cœur du West-End de Londres, à la grande satisfaction des rats. Ce fut alors la surenchère, les municipalités les plus à gauche, comme le London Borough of Camden, cédant à toutes les revendications des syndicats.
Ces grèves frappèrent de stupeur la population comme les politiciens, même ceux qui étaient très proches des syndicats. Personne n’aurait jamais imaginé que des actions aussi radicales puissent être possible en Grande-Bretagne. Le Premier Ministre lui-même, James Callaghan, en était décontenancé. Il continua cependant à négocier avec les chefs syndicalistes et parvint à un accord qui, par un heureux hasard que relevèrent les journalistes, fut approuvé le jour même de la Saint-Valentin 1979. Malgré cet heureux présage, il reste que, lorsque les grèves s’arrêtèrent, leur coût s'élevait à prés de trente millions de journées de travail perdues.
Le parti conservateur était divisé. Une partie des conservateurs, dirigée par l’ancien Premier ministre Edward Heath, appelait à soutenir la politique du gouvernement travailliste, à l'opposé de Margaret Thatcher, chef du parti conservateur depuis quatre ans, qui critiquait les grèves et appelait à la fin de l'ingérence gouvernementale dans les négociations entre salariés et patrons et à celle du contrôle des prix. Elle soutenait que la hausse du niveau de vie n'était possible que par une hausse de la productivité, ce qu’empêchait justement les politiques travaillistes et les pratiques syndicales.
Au total, les grèves de l’hiver 1978-1979 modifièrent profondément les intentions de vote. La campagne du Parti conservateur reprit le titre du Sun « Crisis? What Crisis? », lu à la télévision de manière de plus en plus désespérée à mesure qu'étaient diffusées des images montrant les montagnes d’ordures, les usines fermées, les piquets devant les hôpitaux et les cimetières fermés à clé.
Le 3 mai 1979, Margaret Thatcher conduisit les conservateurs à leur plus importante victoire de l'après-guerre, avec 43,9 % des voix et 339 élus, contre 36,9 % et 269 élus aux travaillistes…
Moved by the Iron Lady
Au cours d’un long trajet aérien, j’ai eu récemment la chance de voir le film « Iron Lady » qui donne une représentation de la vie de Margaret Thatcher.
J’avoue que le film m’a tiré des larmes, oui des larmes, lorsqu’il montre la faiblesse insigne de cette femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, tellement loin de l’image triomphante de celle qui fut la Dame de Fer. Sic transit gloria mundi. Comme la faiblesse est proche de la force, aussi assurée parait-elle en l’instant!
L'objet du film est de cerner la personnalité de Margaret Thatcher et de montrer les conditions dans lesquelles elle a exercé ses tâches de Premier Ministre. Son fil conducteur est constitué par la mémoire de Maggie, qui va et vient entre ses années de grandeur et le crépuscule de sa vie actuelle. Saluons la fine mise en scène de Phillyda Lloyd et la remarquable performance de Meryl Streep qui a su incarner Margaret Thatcher de saisissante manière.
Encore qu’ « Iron Lady » soit avant tout un film sur la solitude, l'isolement et la vieillesse, j’aurais été fortement déçu que les critiques bobos aient trouvé le film à leur goût. En effet, rien dans ce film ne pouvait leur plaire, ni le sujet, ni l’héroïne du film, ni le courage. Heureusement, aucun d’eux ne l’a aimé…
Le film nous montre donc une Margaret Thatcher si violemment haïe des mineurs en grève ou des Irlandais prêts à mourir de faim pour briser sa volonté inhumaine, mais qui n’est plus aujourd’hui qu’une pauvre femme étroitement surveillée. Évanouie sa fierté de fille d’épicier éduquée à la dure, disparu son amour pour le séduisant Denis Thatcher, oubliées ses homériques batailles électorales, périmée sa résistance opiniâtre face aux grandes grèves des mineurs, dépassée son incroyable détermination pour reconquérir coûte que coûte les Falkland, pardonnée la trahison de ses pairs qui la précipitent à terre le 19 novembre 1990!
Lorsque l’on voit dans la première scène, une petite vieille voûtée dans un imperméable beige, fichu noué sous le menton, un cabas à commissions en plastique bleu à la main, faire la queue dans un petit magasin après avoir trompé la vigilance du personnel chargé de sa sécurité, on a peine, aux deux sens du terme, à imaginer qu’il s’agit de la même Maggie intraitable qui malmenait les syndicats dans les années 1980. Une Maggie qui se souvient des déchirements engendrés par cette bataille permanente que fut sa vie, qui revoit ses jumeaux essayant en vain de la retenir à eux à l'aube de sa carrière politique, qui entend encore son mari lui reprocher son excessive ambition...
Finalement, elle a toujours été seule, Maggie, envers et contre tous, seule à prendre les décisions, cherchant résolument à mettre en œuvre ses idées, supportant stoïquement son impopularité, seule avec son credo: « Watch your thoughts, for they become words. Watch your words for they become actions. Watch your actions, for they become habits. Watch your habits, for they become character. Watch your character for it becomes your destiny! What we think, we become! (1)»
Où est passée cette fille d'épiciers fière de l'être et toute aussi fière d'avoir accompli ses études à Oxford, cette battante, cette politicienne de conviction ? Eh bien, elle n’a pas disparu, tant son courage et sa volonté surnagent dans son naufrage. Du début à la fin, elle ne fit que lutter: « I've done battle every single day of my life ». Alors elle continue à lutter, non pas contre des politiciens veules et corrompus ni contre les syndicats, mais contre ses propres hallucinations.
Laissons Maggie à ses derniers combats pour nous mesurer à l’essentiel, son œuvre. Un bilan qui fait pâlir tous les impuissants qui nous gouvernent, pour lesquels rien n’est possible, fors les promesses.
Un an avant l'arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir, ça n’allait pas très fort en Grande-Bretagne. À l’aube de la mise en place d’un gouvernement socialiste en France, il n’est pas inutile de se souvenir qu’une décennie de gouvernement travailliste avait laissé le Royaume-Uni exsangue, en proie à une crise économique sans précédent. C’est alors qu’arriva « The Winter of Discontent »…
(1) Attention à vos pensées, Surveillez vos mots, ils deviennent des actes. Surveillez vos actes, car ils deviennent des habitudes. Veillez à vos habitudes, qui forgent votre caractère. Surveillez votre caractère, car il forge votre destin. Ce que nous pensons, nous le devenons.
La création de l'université du troisième âge de Nice
Dans mon blog du 1er Mai dernier, j’ai conté comment l’idée d’université du troisième âge m’était venue à Göteborg, avec pour objectif de maintenir les retraités dans le flux de la vie. Dans le texte suivant, je narre quel fut le processus de création et de lancement de l’université du troisième âge de Nice.
En Suède, je ne poussais pas plus en avant mon idée pendant mon séjour. Puis, lorsque vint le temps de ma prise de fonction en tant qu’assistant contractuel auprès de l’IAE de Nice*, je n’eus pas l’occasion d’exposer cette idée immédiatement.
En effet, dès le premier jour de mon arrivée à l’IAE, j’appris que mon directeur de thèse, Jean-Claude Dischamps, qui était également le Président de l’Université de Nice, s’était donné comme objectif aussi ambitieux qu’extra-universitaire de se présenter à la députation dans une circonscription de la Ville de Nice. Je m’associais à ce projet immédiat, ce qui me contraignit à garder sous le coude celui dédié aux personnes âgées, jusqu’à ce que des temps plus propices à la réflexion de long terme permettent de le lancer.
Ce temps vint en 1974, lorsque Jean-Claude Dischamps se vit offrir le poste de Directeur de l’Enseignement Supérieur auprès du Ministère des Universités. Il quittait donc la Présidence de l’Université de Nice et l’un des candidats pour lui succéder, le Professeur de Droit Public Jean Touscoz, décida d’inclure dans son programme de Présidence de l’Université l’organisation d’une université du troisième âge.
Le 12 juin 1974, je formalisais un projet de création d’une Université du Troisieme Age et le présentais sous la forme d’un rapport au Président de l’Université de Nice et au chargé de Mission du CEPUN. Le Professeur Jean Touscoz, qui avait été élu Président de l’Université de Nice, me chargea à l’automne 1974 d’en concevoir la structure, sous une forme équivalente à celle du Centre Education Permanente de l’Université de Nice (CEPUN). J’en fus alors nommé Chargé de Mission, tout en n’étant toujours qu’un modeste assistant en Sciences de Gestion qui avait en premier lieu le devoir de rédiger et d’achever sa thèse d’État.
Oh, l’Université ne mit pas de grands moyens à la disposition de l’Université du Troisième Âge, que j’avais décidé d’appeler U3! Cette dernière disposait d’une secrétaire à mi-temps, d’un budget de 12000 francs pour l’année 1974-1975 et d’un petit bureau qui s’apparentait à une cave, caché sur les côtés du Centre Universitaire Méditerranéen le long de la rue Paul Valery. Ce n’était pas beaucoup, mais grâce à la secrétaire, c’était une structure viable.
Je fis beaucoup, sans le vouloir, pour ma popularité, en participant à la peinture du bureau-cave, un beau week-end du printemps 1975. Le Professeur Jean Touscoz ne manqua jamais par la suite d’évoquer cet « exploit » pour preuve que j’étais motivé ! Je l’étais vraiment, motivé, car quoi de plus exaltant dans la vie que d’être chargé de mettre au monde une organisation que vous avez vous-même conçue et dont vous pensez qu’elle peut-être utile à vos concitoyens ? À la réflexion, je peux écrire aujourd’hui que ce fut, jusqu’à ce jour, le projet professionnel le plus exaltant parmi tous ceux que j’ai développés au cours de ma vie.
Comment a commencé l’Université du Troisieme Âge de Nice? Lorsque j’en ai eu l’idée en septembre 1972 à Göteborg, je ne savais pas que ce concept était dans l’air du temps et que le Professeur Pierre Vellas était de son côté sur le point de lancer un projet similaire, six mois plus tard. Comme, contrairement à moi, il disposait du pouvoir de Doyen de la Faculté de Droit et de Sciences Économiques de Toulouse, il ne perdit pas de temps à convaincre les décideurs universitaires et créait, dès le 23 février 1973, l’Université du troisième âge de Toulouse.
Si l’idée avait été saisie immédiatement à Nice, nous aurions pu être les premiers. Mais foin de cette dispute sur l’antériorité, si c’est bien le Doyen Vellas qui a eu le grand mérite de la première création, il reste que la conception puis le développement de notre U3 se firent en toute indépendance. Lorsque je fus nommé Chargé de Mission d’U3 fin 1974, je n’ignorais évidemment pas l’action du Doyen Vellas, mais je n’en connaissais que vaguement le contenu dont je ne partageais d’ailleurs pas tout à fait la philosophie, si bien que notre structure et nos programmes furent conçus comme si nous étions les inventeurs du concept.
L’Université du Troisieme Âge de Nice a commencé ses activités très précisément le lundi 14 avril 1975 au CUM par une session expérimentale qui devait durer jusqu’au 23 mai 1975 mais qui s’est en pratique clôturée le 6 juin 1975 avec une réunion d’évaluation.
Ce fut déjà l’occasion de se féliciter de l’enthousiasme des participants lors de cette toute première session, un enthousiasme qui n’allait plus se démentir par la suite, au point de devenir la marque de fabrique d’U3…
* Avec le salaire assez modeste de 1550 francs, soit la moitié de ce que je recevais à la Mobil.
Surlendemain d'élection
Drôle d’impression. Une sorte de vide après le tohu-bohu, les discours, le matraquage médiatique, l’avalanche des sondages, le faux suspense des derniers jours. Puis tout s’est arrêté. La poussière est retombée sur le duel. L’un s’est retiré, dignement, l’autre se prépare à occuper le palais, tout aussi dignement.
Le système électoral a coupé les électeurs en quatre. 51,68% des votants sont plus ou moins contents. Maintenant leur joie s’atténue doucement et ils deviennent vaguement inquiets. Le système financier, le principe de réalité et la logique politique ne vont-ils pas réduire les promesses du candidat à des insignifiances, des symboles vite oubliés ? Le plaisir de voir Nicolas Sarkozy quitter la scène et d’y avoir participé ne peut pas être un sentiment durable. Bref, après l’ivresse, la gueule de bois les guette.
48,32% des votants en sont encore à cuver leur défaite, plus ou moins inquiets de lendemains qui devraient déchanter. Que va devenir la France désormais dirigée par celui qu’ils ont combattu, contre lequel ils ont voté et dont ils ont vilipendé le programme ? Ils se disent aussi que le système financier, le principe de réalité et la logique politique vont agir dans le bon sens pour limiter les effets nocifs des promesses du candidat François Hollande. Et ils s’apprêtent à supporter stoïquement les visages de ces futurs ministres qu’ils détestent d’avance.
Mais il ne faut pas oublier les 5,85% qui ont voté blanc. Eux ont voulu marquer qu’aucun des deux candidats ne leur paraissait digne de présider la France. Aujourd’hui comme le jour du vote, ils se bouchent le nez, n’attendant rien de bon de François Hollande comme ils n’auraient rien attendu de bon non plus de Nicolas Sarkozy. Pour eux, la critique sera facile, en attendant que le candidat de leur cœur ne revienne dans le jeu.
Reste enfin les 18,74% d’électeurs inscrits qui n’ont pas voté et qui, peu ou prou, ne votent jamais. Eux se sont placés au-dessus de la mêlée, ils ne s’intéressent pas à ces questions subalternes et n’acceptent aucune responsabilité dans les décisions qui seront prises. Ils se contentent de les subir.
Ces quatre morceaux de France vont donc, tous ensemble, devoir accepter les décisions que prendra le nouveau Président de mai 2012 à avril 2017. Auront-elles tant d’effet que cela sur leurs vies ? N’était ce pas beaucoup de bruit pour pas grand-chose ?
Sans sous-estimer l’importance des décisions prises par les Présidents précédents, je n’ai pas souvenir qu’elles aient changé ma vie ou celle de mes proches. Certes, individuellement, des personnes ont été fortement affectées par les décisions des différents Présidents de la République. Parmi eux, celui qui a le plus fortement changé la vie des Français fut certainement Charles De Gaulle lorsqu’il a décidé d’évacuer l’Algérie dans les conditions que l’on connaît. Mais les autres ? ils ont pris des décisions économiques, sociales qui s’imposaient plus ou moins d’elles-mêmes compte tenu de l’état de la société française. Certaines décisions ont été inversées, comme la nationalisation des grandes entreprises industrielles, d’autres maintenues comme les 35 heures ou l’ISF. La gauche a abrogé certains textes de lois sur la sécurité. Au total, le chemin s’est parfois infléchi, mais le cap a si peu changé que l’on a pu se référer à un État UMPS.
Il ne changera guère, à mon avis, avec le nouveau Président de la République et sa majorité soucieuse de gérer au mieux son confortable capital politique.
D’ailleurs, au cours de ma vie, ce ne sont pas les « grands » changements politiques comme l’avènement de la Ve République ou l’introduction de l’Euro qui l'ont changé, mais la technologie, l’automobile, l’avion, l’ordinateur ou le téléphone portable. J’ai vu aussi le niveau de vie des Français s’accroître constamment, les agriculteurs disparaître, les familles éclater, les comportements changer et le pays devenir multiculturel. Jusqu’ici, tous ces changements ne m’ont semblé en rien liés à l’élection présidentielle…
L'invention de l'Université du Troisième Âge
J’ai raconté dans mon blog du 27 février dernier, mon départ de la Mobil et les trois semaines dont j’ai disposé entre ce départ et mon arrivée à l’IAE de Nice, le 1er octobre1972, près de quarante années plus tôt ! Pendant cette courte période de trois semaines j’ai eu l’idée de créer une Université du Troisième Âge, un âge que j’ai fini par atteindre moi-même…
En septembre 1972, j’avais trois semaines libres entre mon départ rapide de la Mobil et ma prise de fonction à l’Université. Nous avons alors décidé, ma femme et moi, de les passer à Göteborg, en Suède, où nous avions des amis, les Nordin. Nous souhaitions aussi y acheter des meubles pour notre futur appartement à Nice car nous aimions bien le style dépouillé et fonctionnel du mobilier scandinave. Les Nordin formaient une famille remarquable par sa francophilie, composée de trois femmes, la mère et les deux filles. Le père était un grand architecte dont je ne sais plus si Ingrid Nordin était veuve ou divorcée. Elles habitaient toutes trois une assez vaste maison typiquement suédoise, confortable et pleine de charme, non loin du centre de Göteborg. Les deux filles, Christina et Margareta, étaient étudiantes, l’une d’entre elles a même fini par soutenir une thèse d’ethnologie sur les marchés en France.
Les Nordin nous ont donc accueilli tous trois, ma femme, mon fils et moi. Pendant que ma femme prospectait avec elles les marchands de meubles, dont Ikea alors tout à fait inconnu en France, je flânais à l’université de Göteborg ou je recherchais naïvement un sujet de thèse, comme si un sujet se trouve comme cela, au détour d’un livre ou d’un article.
En quelques heures, je découvrais que l’on pouvait lire sans trop de difficultés le suédois économique, pour l’usage duquel je me fabriquais un petit dictionnaire personnel. Mais je ne concentrais pas toute mon attention sur la quête d’un sujet de thèse, prenant le loisir d’observer les comportements de ces curieuses personnes qu’étaient les étudiants suédois, beaucoup plus engagés dans des activités collectives que nos étudiants français.
La Suède était bien connue comme étant un pays doté d’un système de redistribution fiscale particulièrement fort permettant d’égaliser les revenus et de soutenir les plus faibles. Il était par conséquent assez naturel de voir les étudiants suédois s’intéresser au sort des handicapés et des personnes âgées. J’étais notamment frappé par l’avance de la Suède en matière d’équipements adaptés au handicap : tous les services publics, à commencer par l’université où je me trouvais, étaient largement pourvus en rampes, ascenseurs, toilettes, portes et meubles adaptés aux handicapés. Même quarante plus tard, la France malgré ses efforts n’a pas encore tout à fait atteint le niveau d’équipement de la Suède dans les années soixante-dix.
Les étudiants suédois, dans le cadre d’études d’urbanisme, de psychologie ou d’ergonomie, travaillaient donc sur les sujets du handicap. Dans le même esprit, Ils travaillaient aussi sur le vieillissement de la population suédoise et ses conséquences, notamment par rapport à la question de la solitude et de l’isolement. Cette dernière question est particulièrement sensible pour les Suédois qui connaissent, en particulier en hiver, un environnement souvent générateur d’un sentiment de solitude. D’où l’intérêt des étudiants suédois pour ce sujet et leur contribution sous la forme de modernes villages où les personnes âgées pouvaient se rencontrer tout en bénéficiant d’une assistance médicale aisément disponible et d’une animation culturelle conséquente.
Justement, la mise à l’écart des personnes âgées en France m’interpellait particulièrement. Je ne sais pourquoi, j’étais conscient, alors que je n’avais guère plus de 27 ans, du gâchis humain que constituait selon moi la mise à la retraite prématurée de nombre de salariés en France. C’était en effet le début de la mode qui consistait à mettre à la retraite des salariés, parfois dés cinquante ans, pour « faire de la place aux jeunes ». Cette idée, courante mais stupide sur le plan économique, feint d’ignorer que les retraites sont à la charge de la collectivité. En revanche, elle postule que le travail disponible en France représente une quantité fixe que l’on répartit au sein de l’ensemble des personnes actives. On peut alors considérer que toute personne qui part à la retraite libère 40 heures de travail par semaine qui sont en toute bonne conscience attribuées à quelqu’un d’autre. C’est un principe qui ne peut fonctionner que dans le cadre d’un système communiste fermé dans lequel tout progrès technique aurait été prohibé, par conséquent c'est un principe qui ne fonctionne nulle part et en tout cas pas dans la France des années 70.
Ces retraités prématurés, victimes d’une conception communiste de la vie économique, je les imaginais trainant seuls devant la télévision, jouant à la belotte ou assistant à des spectacles minables de chant ou de danse dans des mouroirs pour personnes âgées, n’ayant que de rares visites d’enfants occupés à faire leur vie ailleurs, loin des parents. C’était, à mon sens, criminel de condamner ces retraités à un vieillissement précoce. Ces pensées, je les avais à l’esprit avant de venir en Suède. Mais l’exemple suédois de programmes pratiques mis en place pour lutter contre l’isolement des personnes âgées par le gouvernement de la Suède avec l’aide de son université a été pour moi le catalyseur de l’idée qu’il fallait faire quelque chose en France pour maintenir ou réintégrer les personnes âgées dans le tissu vivant de la société.
Puisque mon prochain employeur était l’université, ce serait le cadeau d’arrivée que j’apporterai avec moi, cette idée de relier l’université française et les personnes âgées, d’autant plus qu'elle s'appliquait bien à la Côte d'Azur où la population retraitée était particulièrement fournie.