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Le blog d'André Boyer

L'exfiltré

29 Octobre 2013 Publié dans #INTERLUDE

Voici Clément désormais habitué à partager un espace de quatre mètres carrés avec un autre détenu. Matricule 48257-159, il n’a pour tout bien que ses affaires de toilette, quelques biscuits, cinq livres et deux cahiers sur lesquels il écrit, il écrit. 

jonathan2znCeux qui positivent en toute circonstance peuvent toujours penser que la prison est une magnifique opportunité pour se libérer de la tyrannie de « l’avoir ». En effet, C n’a plus d’autre choix qu’à se concentrer sur « l’être ». Il le faut, car l’ambition de la machine pénitentiaire consiste à annihiler l’âme des prisonniers, afin de justifier à posteriori le processus d’abrutissement carcéral.

Au contraire, il lui faut continuer à revendiquer son appartenance à l’humanité en compagnie des autres êtres humains, qui parviennent encore, même broyés par le système pénitentiaire, à écouter, partager, interroger. Et puis, il y a la musique qui lui permet de s’élever, de s’évader, de « se laisser envahir par son « récital intérieur ».

Pour ajouter de la tragédie à la tragédie, voilà que ses deux parents le quittent pour toujours, à quatre mois d’intervalle, sans qu’il ait pu les revoir. On imagine la profondeur de sa tristesse dans sa géhenne. Il s’accroche à ce jour où il reviendra, où il ira fleurir leurs tombes et leur dire combien il les a aimé, combien ils lui manquent.

Il y trouve encore plus de force pour sortir de cette infernale situation en s’appuyant sur la procédure de transfèrement des détenus non-américains, destinée à les rapprocher de leurs familles et à faire faire des économies à l’industrie pénitentiaire. Encore faut-il se battre, du fond de la prison, contre l'apathie, la paresse et l’inertie de l’administration pénitentiaire américaine, peuplée de geôliers indifférents, payés soixante dix mille dollars par an pour garder des sous hommes. Un job comme un autre, rien d’autre.  

Enfin, le mardi 8 juillet 2008, Clément quitte Morgantown. Le voilà à nouveau nu et inspecté à fond. Puis il monte dans un bus blindé, les mains et les pieds enchainés, avant de prendre un avion spécialisé dans le transport des détenus, qui débarque directement ses passagers enchainés dans la prison-hub d’Oklahoma City,  en un long défilé de bagnards marchant lentement les pieds entravés.

Les voilà entassés à cinquante dans un local entièrement revêtu de plaques d’acier qui amplifient le son. Au bout de cinq heures de cet enfer sonore, viennent une heure trente de procédures, de déshabillage de rhabillage, de contrôle physique complet, de prise d’empreintes, de photos et de remplissage de questionnaires. Puis un lever à quatre heures du matin pour endurer quatre heures de torture sonore supplémentaires dans la salle d’attente revêtue d’acier. Et encore quatre heures de vol dans l’avion prison blanc jusqu’à New York, avec escale à Atlanta.

New York, l’enfer comme antichambre de la délivrance !

Entassé avec dix autres malheureux dans un van grillagé, à la limite de la suffocation, il voit défiler sous ses yeux éberlués l’image surréaliste de joggeurs libres qui se détendent dans Central Park après une bonne journée de travail, jusqu’à ce que le van grillagé s’engouffre dans les sinistres sous sols du MCC Manhattan, le centre de détention.

Séance de déshabillage pour enfiler une tenue orange et être propulsé dans un cachot d’acier de six m2 pour deux. Dans une odeur nauséabonde, il passe deux jours et deux nuits, sans explication et sans rien d’autre à faire que d’écouter les cris et les  bruits avant d’avoir droit à une douche, menotté, dans une cage de fer d’un demi mètre carré ou il attend, accroupi, que l’on veuille bien venir le chercher. Enfin, on le transfère dans une cellule normale, ouverte, suprême luxe, une partie de la journée sur un espace commun aux autres cellules et sur une douche en libre accès.

C’est là qu’il rencontre Rafaello Follieri*, un jeune homme riche et célèbre, qui habitait quelques jours auparavant un superbe appartement sur Central Park, avec sa petite amie, l’actrice Anne Hathaway, jusqu’à ce qu’un jeune procureur newyorkais en mal d’avancement ait décidé de se le « payer ». En vingt-quatre heures, il est passé du paradis à l’enfer, comme DSK… 

Clément doit encore passer ainsi quatre jours, avant JFK, avant la délivrance, avant l’avion qui le conduira en prison en France, entouré de deux policiers français qui ne se prennent pas pour des cow-boys justiciers. 


 

Enfin, le 2 août 2008 à 7 heures du matin, un surveillant de la prison de Villepinte entre dans sa cellule pour le prévenir qu’il sera libéré dans la matinée…

(D’après « Un récital intérieur, Persée, 2013)

 

Moi, son beau-frère, qui me suit inspiré de son livre pour écrire ces trois blogs, j’en tire les leçons suivantes :

- Lorsque les mâchoires bureaucratiques s’emparent de vous, rien ne peut vous sauver, surtout pas l’innocence : si possible, ne vous laissez pas prendre !

- Le système judiciaire et carcéral américain constitue à l’évidence un monstrueux business, dont la plupart d’entre nous n’ont pas idée.

- Quoique l’on nous bassine avec l’allié américain, j’aimerais bien que l’on prenne nos distances avec cet encombrant ami et ce n’est pas son système d’espionnage ou ses guerres punitives qui me feront changer d’avis…

 

* Rafaelo Follieri a été convaincu d’escroquerie, condamné à quatre ans de prison (ce qui signifie qu’il ne devait pas avoir fait grand chose, compte tenu de l’échelle des peines US). Il a été transféré en Italie où il est aujourd’hui libre.

 

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Le convict

24 Octobre 2013 Publié dans #INTERLUDE

 

Une limousine noire avec chauffeur attendait Clément Sorel, lorsqu’il quitta, seul, à 8 heures du matin le 31 janvier 2008, la résidence surveillée qu’il occupait à Washington. On imagine son état d’esprit…

Sa femme l’avait quitté précipitamment quelques jours auparavant, menacée qu’elle était de menée anti américaine par le FBI, qui avait découvert l’existence d’une pétition pour la libération de son mari réunissant des centaines de signatures dans la ville où il exerçait son activité, pétition que le FBI soupçonnait être à son initiative.

Ils venaient de se marier quelques semaines auparavant devant l’ambassade de France, empêchés d’y entrer, toujours par le FBI. 

fci-morgantown.jpg

Il arriva à FCI Morgantown, sans rien d’autre que ses lunettes de vue, tout autre objet lui étant interdit. Plus tard, j’essayais de lui adresser quelques journaux aussi subversifs que les Echos, mais ils furent détruits par l’administration pénitentiaire.

La prison offrait un décor à priori avenant, une sorte de campus ou une base militaire. Illusion. En quelques minutes, il se retrouve nu devant un Correctional Officer (C.O.), fouillé dans ses parties intimes : on connaît ça dans les films, mais il faut le vivre !

Il découvre alors l’unité de vie Alexander, une salle de 25 m2 où il va essayer de dormir dans un des dix lits superposés, s’habiller, ranger ses affaires dans un minuscule placard déglingué et aucun instant de solitude n’est possible.

Dés la première nuit, il découvre que la prison est peuplée de ronflements tonitruants, de palabres interminables et ponctuée de hurlements. Le jour, le brouhaha permanent, les gestes brusques des détenus et les hauts parleurs des C.O. ne laissent guère l’esprit en repos.

Il reste que la prison pourvoit aux besoins physiologiques fondamentaux, notamment la nourriture qui fournit le minimum de calories nécessaires, à raison de deux dollars par jour alloué à la prison pour chaque détenu, mais aussi l’hygiène corporelle de base et l’accès à des exercices physiques comme à la bibliothèque.

Un lieu d’existence, pas un lieu de vie.

 

Morgantown contient mille deux cent détenus, 60% d’Afro-américains internés le plus souvent pour des affaires de drogue. 25% d’hommes de « race caucasienne » comme les appellent l’administration US,  majoritairement condamnés pour des délits de corruption ou de fraude fiscale, 10% d’hispano-américains et 5% d’asiatiques et d’indiens d’Amérique, des groupes qui cohabitent sans se fréquenter.

Clément Sorel, le seul français de Morgantown, est accueilli avec étonnement et sympathie. Que fait-il là ?

 

Rien, sauf à servir d’otage pour dissuader les concurrents.

 

Mais dans les prisons américaines, un tel nombre de délits donne lieu à emprisonnement qu’un américain sur cent est en permanence en prison, soit trois millions de personnes plus que dans tout autre pays au monde, y compris la Chine quatre fois plus peuplée, et que dix millions de personnes y transitent chaque année. Souvent pour pas grand chose, bien sûr.

croissance-prisons-US.pngLe système judiciaire et pénitentiaire est aujourd’hui le secteur économique le plus important des Etats-Unis, un business de plusieurs centaines de milliards de dollars, qui broie dans ses mâchoires tous ceux qu’il parvient à saisir, pour la moindre peccadille. Le secteur de la criminalité des cols blancs y est en plein développement, car le marché est beaucoup plus lucratif que celui des petits délinquants de la drogue, qui n’ont pas de sous pour se payer de bons avocats et qui ne rapportent rien sur le plan électoral. Or, être procureur est désormais la voie royale pour faire une carrière politique, être avocat est un des moyens les plus directs pour devenir riche et gardien de prison est un des jobs les plus tranquilles et des plus sûrs, loin de toute crise des Subprimes.

On ne comprend rien au système pénitentiaire hypertrophié américain si l'on ne voit pas que c’est un magnifique business, fondé sur la chasse à l’homme, ou plus précisément sur la chasse à la faute juridique.  

Qu’en pense Madame Taubira qui trouve qu’avec un détenu pour mille habitants en France, dix fois moins en proportion, les prisons françaises sont surpeuplées ? Nous avons simplement la chance, pour l’instant, que l’État français, qui a déjà réussi à transformer les conducteurs en gibiers de radar, n’ait pas encore étendu le système à tous les autres délits, sinon nous aurions aussi six cent mille personnes en prison.

 

Clément, lui ne parvient pas à trouver une logique, ni à sa peine, ni à ce système. Les jours passent lentement, nauséeusement rythmés par les hauts parleurs assourdissants qui appellent six à huit fois par jour pour compter les détenus, pour le réfectoire, pour l’ouverture et la fermeture des espaces extérieurs, pour les convocations et les extinctions de feu.

Il décide d’écrire un livre où il mêlera la narration de son expérience et sa passion pour la musique.

 

C’est ainsi que nait « Un récital intérieur » qui présente 91 œuvres musicales, entrecoupées du récit de ce qu’il a vécu, une façon de s’échapper par l’esprit de cette vie matérielle si lourde.

 

(D’après «  Un récital intérieur », Persée, 2013.)

 

À suivre…

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Le gibier

20 Octobre 2013 Publié dans #INTERLUDE

Dans le livre, il s’appelle Clément Sorel. Dans la vie, c’est mon beau frère.


GibierDans le livre et dans la vie, le 31 janvier 2008, il entrait dans la prison fédérale dite de « sécurité minimale » de Morgenstern, en Virginie aux Etats-Unis.

Qu’avait-il donc fait ? Je connais un peu le dossier, car j’ai suivi l’histoire depuis le début et je suis allé le voir à Washington, pendant sa période de résidence surveillée.

En 2007, Clément, cadre supérieur diplômé de l’Essec, dirigeait avec succès depuis plusieurs années la filiale d’un groupe étranger en France, qui employait plusieurs centaines de personnes. Il avait sauvé de nombreux emplois, développé la filiale et accru le profit de la maison mère.

Il se rendit fin avril 2007 à Houston, au Texas, pour un congrès professionnel qui devait durer trois jours. Il était heureux, il allait se marier quelques jours après ce bref déplacement professionnel avec ma belle sœur.

Le 2 mai, il participe à une réunion organisée à l’initiative d’une entreprise japonaise qui souhaitait réunir tous ses concurrents de manière informelle.

Le 3 mai à six heures du matin, quatre agents du FBI et un procureur font irruption dans sa chambre d’hôtel, lui passent des menottes, les mains dans le dos, pour le conduire, sirènes hurlantes, à la prison du Marshall. Il va ensuite passer 9 mois en résidence surveillée à Washington avant d’être condamné à 14 mois d’emprisonnement.

Qu’avait-il fait ? Il était accusé d’avoir violé le Sherman Act, paragraphe 1, qui a été conçu pour empêcher les abus de position dominante. Il n’avait strictement rien fait de ce genre, ni participé à l’élaboration de prix artificiellement élevés, ni partagé un marché avec ses concurrents.

Mais les procureurs américains sont des chasseurs aux aguets. Ils n’écoutent pas leurs proies, n‘examinent pas les faits avec objectivité, prudence et encore moins bienveillance. Il leur faut juste des « faits ». Le « fait » en question, c’était la réunion organisée par l’entreprise japonaise avec ses concurrents, qui « prouvait » l’entente illicite.

Il ne fallait pas y aller ! C’était un piège ! Tant pis pour vous, pauvre gibier !

Que s’était-il passé au juste ? La société japonaise qui avait organisé la réunion était de mèche avec le FBI. Fin 2006, elle avait eu maille à partir avec la Division Anticartel du Département américain de la Justice. Pour alléger son amende, elle avait monté, avec le concours des Services Spéciaux de la Marine Américaine, une réunion piège pendant la Conférence Annuelle à laquelle participait Christian. La salle était truffée de caméras vidéo  dans les faux plafonds. Rien de notable ne s’est dit dans la réunion, mais tous les participants ont été arrêtés, justement parce qu’il y participaient et que par ailleurs la société japonaise avait fourni des documents prouvant une ancienne entente sur les prix avec ses concurrents, entente à laquelle Christian n’était nullement partie prenante.

Il croyait, au début du moins, qu’il lui suffirait de prouver sa bonne foi et qu’on le libérerait avec des excuses ! Mais il avait participé à la réunion. C’était un « fait », largement suffisant pour l’accuser, donc le condamner. Il faut préciser que le gibier ne se doutait pas qu’il était tout à fait comestible pour le Department of Justice, dont l’objectif était, outre d’encaisser de confortables amendes, de dissuader ces arrogants concurrents étrangers, français, japonais, anglais et italiens de prendre des marchés sur leur propre territoire aux pauvres innocentes entreprises américaines.

Car ils allaient payer les imprudents. Ils ne sortiraient pas des Etats-Unis sans peines de prison et amendes. Inutile de plaider non coupable, aucun de ces cadres et de ces entreprises n’en avaient les moyens. Le deal était simple : ou vous attendez en résidence surveillée le procès qui aura lieu dans cinq ans environ, et le Department of Justice n’allait pas mettre les bouchées doubles pour répondre à l’impatience de ces effrontés accusés étrangers, ou bien vous plaidez coupable et vous prenez une peine de prison tout de suite et une amende.

Ils étaient pris en otage, les gibiers ! Cadres supérieurs, habitués à une vie confortable, dotés de femme, enfants, familles, amis, ils n’allaient pas passer cinq années confinés dans un quartier de Washington avec un bracelet à la cheville en attendant d’être jugés pour un résultat aléatoire, avec en prime le FBI qui leur téléphonait toutes les nuits, soi disant pour vérifier s’ils étaient bien là où ils devaient être, en réalité pour les persécuter.

Quant aux entreprises, coupables de les avoir mis dans un tel guêpier, elles allaient tout faire pour régler cette affaire au plus vite. Sauf l’entreprise de Christian, qui l’abandonna en rase campagne avec un cynisme digne du livre « La firme » de John Grisham.

Alors Clément, pris au piège, se débattit vaillamment pendant neuf mois avant de rendre les armes en plaidant « coupable ». Coupable ! Rarement un mot n’aura exprimé plus exactement son contraire que dans son cas ! Coupable d’être honnête, coupable d’être innocent !  


C’est ainsi que le 31 janvier 2008, on le conduisit dans la prison fédérale de Morgenstern.

(D’après « Un récital intérieur », Persée, 2013.)

À suivre…

 

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Oui à la vie

15 Octobre 2013 Publié dans #PHILOSOPHIE

Si le moi autonome paraît une illusion pour Nietzsche (voir mon blog «Vous avez dit individu » du 30 septembre dernier), il reste à créer notre individualité en commençant par accepter notre vie.

 

Vie.jpgNietzsche estime que l’on ne peut jamais condamner LA vie à cause des horreurs dont on ne cesse jamais de nous abreuver et maudire SA propre vie parce que nous nous sentons malheureux.

Porter un jugement sur sa vie est sans objet.

Nous avons tous connu des moments de grâce où la vie était simple et lumineuse. Aussi rares et éphémères soient-ils, ces moments n’en sont pas moins liés aux périodes de souffrance qui les précèdent et qui les suivent. Vouloir isoler les périodes de bonheur (c’est cela que je vise !) des moments de malheur (c’est cela que je refuse !) n’a pas de sens, car ces derniers sont justement les chemins qui nous conduisent aux instants de bonheur.

C’est ainsi que l’on ne peut pas maudire la solitude alors qu’elle est à la fois la préparation et la conséquence de la communion entre deux êtres, car refuser à tout prix de faire face à la solitude implique de se priver de l’accomplissement amoureux qu’elle prépare. En somme, nous ne pouvons pas vouloir le plaisir sans accepter la souffrance, le bonheur sans accepter le malheur.

Ce qu’il nous faut comprendre et donc accepter, c’est l’imbrication des événements de la vie, qui fait que la réalisation de chacun d’entre eux  est conditionnée par tous les autres.

Nietzsche, en utilisant l’expression « amor fati » qui signifie ici « aime ton destin » nous engage à une sorte de thérapie.

Dire oui à la vie, c’est lutter contre le ressentiment, contre la mauvaise conscience et contre le nihilisme.

Pour Nietzsche, il ne s’agit pas pour autant de se résigner à l’intolérable mais de prendre ses distances. Plutôt que de contester l’insupportable, en se révoltant par exemple  contre l’injustice, une révolte ce qui rend notre vie dépendante du combat que nous livrons, ce qui ancre ce que nous ne voulons pas supporter au sein de notre vie, prenons nos distances.

C’est à un art de l’esquive, de la prise de distance avec ce qui aiguise notre rancœur que nous convie Nietzsche, qui y voit le fondement d’une morale élevée. 

Contrairement à celui qui reste esclave de ce qui le meurtrit, en contrepartie de sa volonté de revendiquer sa vertu, celle de la lutte contre l’inacceptable, l’homme s’élève en ne cherchant pas à combattre ce qu’il juge mauvais, mais simplement à l’ignorer en prenant ses distances. 

Plutôt que de pester contre la société de consommation en remplissant son caddie, plutôt que de tempêter contre la société du spectacle tout en restant collé à son poste de télévision,  plutôt que de rager contre des journalistes-propagandistes que l’on écoute tous les jours et plutôt que d’arracher rageusement des affiches dans le métro que l’on a regardées, il s’agit de consommer raisonnablement, d’éteindre son téléviseur, de lire des écrits de qualité au lieu de la propagande et de la poésie plutôt que des textes publicitaires.

Avec le temps et encore récemment, la prise de distance m’est apparue comme une composante importante de ma philosophie, ou, pour prendre le mot en son sens originel,mon amour de la sagesse. Se détourner de l’inacceptable et prendre ses distances me semblent, avec l’expérience, constituer une forte recommandation de Nietzsche, pour qui veut vivre en paix, loin des combats inefficaces et des tourments inutiles.

 

Faut-il pour autant ne jamais lutter contre l’inacceptable ?

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À l'été 1794, un trou noir surgit au coeur du pouvoir...

9 Octobre 2013 Publié dans #HISTOIRE

 

En cette paisible année 1794, tandis que le doux Robespierre, qui était « personnellement » hostile à la peine de mort, se voyait contraint de couvrir la France de sang pour que vive sa conception de la République (voir mon blog du 26 septembre dernier intitulé « La Convention liquide ses opposants »), la guerre déclarée par les Conventionnels à l’Europe entière se poursuivait  au dehors.

trou-noir-1La formidable dictature militaire qu’était devenue la France était à l’offensive, appliquant aussi, il n’y avait pas de raison, la terreur à ses ennemis. Les Autrichiens évacuèrent la Belgique, les Prussiens se replièrent en Westphalie et les Anglais au Hanovre. Dugommier envahit la Catalogne, Moncey occupa Saint-Sébastien et sur les Alpes le général Bonaparte proposa l'invasion de l'Italie. Sur les mers, la situation était moins favorable : les comptoirs des Indes, St Pierre et Miquelon et la Martinique étaient tombés aux mains des Anglais et Haïti se trouvait plongé en pleine guerre civile.

On entendit à la Convention, l’ineffable Barère (qui est parvenu à mourir dans son lit en 1841) dénoncer « les perfidies et tous les genres de corruptions et de crimes employés par le gouvernement anglais », afin de proposer à la Convention, le 26 mai 1794, d’exécuter les prisonniers anglais et hanovriens. Exécuter !

En outre, le 4 juillet, la Convention décidait que les troupes ennemies occupant des places françaises qui, après sommation, ne se rendraient pas dans les 24 heures, seraient passées au fil de l’épée. Tout bonnement. On nage en plein délire sanglant : avez vous lu à l’école le moindre livre d’histoire qui vous narre  ces faits avérés, au doux pays des Droits de l’Homme ?

Cependant, au premier semestre 1794, dans une atmosphère de règlement de comptes entre mafias antagonistes,une sorte de trou noir aspirant tous ses acteurs vers la guillotine, finit par apparaître au centre du pouvoir.

La Terreur, que la Convention avait justifiée par le risque d’invasion étrangère, était naturellement devenue une machine à abattre toute personne susceptible de gêner le pouvoir, quand ce n’était pas au hasard ou pour remplir les quotas.

Tout indiquait que le pouvoir était entre les mains des malades mentaux les plus dangereux qui aient jamais gouverné la France.

Le premier d’entre eux, l’Incorruptible, concoctait une nouvelle « épuration », à sa gauche cette fois-ci, tandis que ses collègues le soupçonnaient depuis la cérémonie de l’Être Suprême, de vouloir accéder à la dictature. À partir du 29 juin 1794, Robespierre ne paraissait plus au Comité de Salut Public pour préparer ce nouveau coup de filet sanglant, tout en continuant à fréquenter régulièrement le Club des Jacobins dont il faisait exclure ses ennemis. 


Dans ce vide vertigineux qui les aspirait vers la mort, ceux qui se sentaient menacés par Robespierre se rapprochèrent et s'unirent pour faire face à l'épreuve de force.

C’est alors que Robespierre se décida à passer à l’attaque le 26 juillet 1794, en montant à la tribune de la Convention. 

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Le colossal dragon chinois

4 Octobre 2013 Publié dans #ACTUALITÉ

Antoine Brunet et Jean-Paul Guichard, ont publié  un ouvrage intitulé « La visée hégémonique de la Chine. L’impérialisme économique », qui traite des conséquences de l’installation de la Chine au cœur du commerce mondial. Un livre qui cherche à nous alerter, traduit dans de nombreux pays.

 dragon

Les auteurs soutiennent que la Chine pratique un dumping monétaire que subissent les autres pays, qui peut lui permettre  à terme  de tenter d’imposer son modèle de capitalisme totalitaire au reste du monde.

 

Les autorités chinoises pratiquent en effet une stratégie mercantilisme, dont les auteurs rappellent qu’ils n’en sont pas les inventeurs. En effet, tous les pays qui ont voulu, et pu, s’assurer d’une hégémonie économique sur le reste du monde ont pratiqué la même stratégie mercantiliste, que ce soit l’Espagne et le Portugal au XVIe siècle jusqu’aux États-Unis au XXe siècle, en passant par l’Empire britannique aux XVIIIe et XIXe siècle. La France a également tenté de pratiquer la même politique avec Colbert au XVIIe siècle. L’idée centrale d’une telle stratégie est de générer des excédents commerciaux avec le reste du monde, fondés sur la production industrielle. 

Cette stratégie est forcément agressive pour les autres pays, qui sont contraints en contrepartie d’accepter un déficit de leur commerce extérieur. Normalement, cette recherche de l’excédent ne peut pas durer très longtemps, car elle entraine la destruction des industries des  économies partenaires. Pourtant, après avoir accumulé des excédents considérables, les autorités chinoises poursuivent avec détermination leur stratégie d’écrasement  des industries des pays occidentaux.

L’arme principale de la stratégie agressive de la Chine se situe dans la sous-évaluation du taux de change de sa monnaie, le yuan, tandis que son appartenance à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) interdit les autres pays membres de l’OMC de recourir à un « protectionnisme douanier défensif en réponse à son protectionnisme monétaire agressif ».

Le projet du Parti communiste chinois, d’après les auteurs, consiste à utiliser l’expansion économique de la Chine comme la source de l’affermissement de sa puissance politique et stratégique, afin de supplanter l’hégémonie américaine. Ils utilisent l’arme de la sous évaluation monétaire pour accroitre l’écart de croissance avec les pays occidentaux, contrôler les sources de matières premières, contrôler progressivement les entreprises cotées sur les bourses occidentales et imposer le yuan comme monnaie de réserve.

Depuis 2001, date d’entrée de la Chine dans l’OMC, la Chine pratique en effet un dumping monétaire qui consiste à sous évaluer systématiquement sa monnaie de 50%, ce qui a obligé les pays occidentaux, pour soutenir leurs économies, à pratiquer une fuite en avant dans l’endettement qui sape de plus en plus profondément les bases de leurs sociétés.

Il faudrait donc que l’ensemble des autres pays, à commencer par les Etats-Unis et l’Union Européenne exigent une forte réévaluation du yuan. Les auteurs estiment qu’ils n’y parviendront pas, encore que le Japon, tout seul, ait récemment réussi à faire baisser la valeur de son yen, en autres par rapport au yuan.

 

Au total, nos auteurs sont profondément pessimistes sur les possibilités occidentales de rétorsion. Ils estiment aussi impossible une forte réévaluation du yuan que des rétorsions commerciales occidentales, en raison d’un rapport de force qui est de plus en plus favorable à la Chine. La solution qu’ils proposent de créer un OMC bis me paraît tout aussi  peu crédible. Pourquoi le serait-elle ? Quel serait le rapport de force qui l’imposerait ?

 

De mon point de vue, s’ils n’ont évidemment pas tort d’attirer l’attention des lecteurs sur la tentative prédatrice de la Chine, ils surévaluent la puissance de la Chine, qui, comme toute construction humaine, ne montera pas jusqu’au ciel.  Au fur et à mesure qu’elle s’emparera d’une part plus importante du marché mondial, la Chine deviendra l’otage de l’endettement et de la consommation occidentale.

De plus, la Chine renferme aussi en son sein des fragilités économiques, sociales et politiques et développe à l’extérieur un faisceau d’hostilités régionales, du Japon à l’Inde en passant par le Viêt-Nam qui ne demandent qu’à exploiter ses faiblesses. Enfin, la longue histoire de l’Empire du Milieu n’est qu’une suite d’alternances de brillants développements et de chutes profondes, qui n’est pas prés de se transformer en un développement sans entrave.

 

Ces fragilités chinoises n’impliquent pas qu’il faille rester passif mais au contraire de les actionner en prenant notre destin en main.

 

Rien ne nous empêche de nous défendre, rien ne nous empêche de nous passer des produits chinois, rien ne nous empêche d’acheter ailleurs, y compris… en France.

C’est seulement une question de priorité, de volonté et de stratégie, mais aussi d’opportunités… 

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