La BNP victime d'un racket?
S’il est difficile d’avoir de la sympathie pour les tentatives de dissimulation de la BNP, on peut s’interroger sur les méthodes du système juridique américain, qui ressemble de plus en plus à une entreprise d’extorsion de fonds.
La BNP se défend en faisant valoir qu'elle n'a enfreint aucune loi européenne, ni française, en commerçant avec le Soudan. Il est vrai aussi que les opérations sous-jacentes n'avaient rien à voir avec les Etats-Unis, mais comme, elles étaient libellées en dollars, la BNP a été contrainte de les compenser à New York, ce qui a fourni un angle d’attaque aux juristes américains.
Dès lors, la BNP a dû faire face à un système sauvage de poursuite des banques fautives qui est tout sauf équitable. Non seulement les bourreaux de la BNP, avec à leur tête Benjamin Lawsky (photo ci-jointe), l’ambitieux régulateur bancaire de New York, étaient plus ou moins en mesure de dicter leurs conditions, mais ils avaient de plus une forte motivation à obtenir l'amende la plus forte possible.
En effet, le DFS s’est distribué en partie à lui-même les sommes attribuées, j’allais écrire extorquées. M. Lawsky obtient ainsi deux milliards de dollars de la BNP, quatre fois plus que son budget annuel, des sommes qu’il est allé puiser dans les caisses en grande partie françaises de la BNP pour les déposer triomphalement dans les coffres vides de l'État de New York.
De plus, dans la procédure américaine, on ne trouve aucun processus de contrôle ni de possibilité de faire appel. Les dirigeants de la BNP ne peuvent même pas critiquer publiquement l’offre qu'ils sont contraints d’accepter. Aucune jurisprudence n’est invoquée pour justifier l’oukase du DFS et aucune donnée ne permet d’évaluer la proportionnalité de la peine appliquée à la BNP.
Ce système judiciaire plus proche du racket que de la justice permet du coup à la BNP, et à ses dirigeants, de se présenter comme des victimes. L’énormité de la somme demandée oblige à s’interroger sur la proportionnalité des peines, les obligations des entreprises traitant avec des régimes répréhensibles et le caractère raisonnable d’une politique nationale qui impose sa politique étrangère par l'intermédiaire du système financier international et de sa monnaie dominante.
Cette affaire est en effet exemplaire du comportement des Etats-Unis n’hésitant pas à jeter tout leur poids financier dans la balance, à utiliser la menace de retirer l'accès à son marché et à sa monnaie pour forcer les acteurs à respecter ses propres priorités. En exploitant trop fortement leur autorité sur les transactions libellées en dollars, les régulateurs américains accroissent les incitations des banques internationales à mettre en place un système de paiements basé sur une autre monnaie.
En France, on évoque du coup un autre contentieux franco-américain, comme l’alliance entre General Motor et PSA, qui a obligé Peugeot, alors que GM ne détenait que 7% des actions de Peugeot, à renoncer à vendre 457000 voitures par an en Iran, soit 13% de ses ventes mondiales annuelles. L’origine des difficultés de PSA ne se situe pas ailleurs que dans ce diktat américain. On fait aussi l’addition pour constater que l’amende est équivalente à verser 100 Euros par français au Trésor américain, même si la BNP n’est plus une entreprise 100% française.
Beaucoup de commentateurs en concluent que les Etats-Unis jouent un jeu dangereux en utilisant à fond le privilège de posséder la monnaie de réserve mondiale.
Mais tous ces discours sur la brutalité de la justice américaine obèrent la question de la responsabilité des individus dans la criminalité d’une entreprise comme la BNP…
(À SUIVRE)
Le Big Stick appliqué à la BNP
Il a fallu attendre 2010 pour que la BNP cesse de travailler avec Cuba et fin 2012 avec l'Iran. Ces longs retards à réagir ont sans aucun doute attisé la colère des contrôleurs américains et contribué à accroître le montant de l'amende.
Au début de 2014, lorsque les négociateurs de la BNP se sont réunis avec les régulateurs, un accord de poursuite différée, qui l’aurait autorisé à remplir les exigences du DFS durant une période déterminée pour aboutir à l’abandon des charges, n’était plus sur la table de négociation. L’administration américaine avait pourtant offert un tel accord à HSBC en 2012, mais elle n’a proposé à la BNP que le choix entre plaider coupable ou demander à passer devant un tribunal.
Finalement cette affaire, comme beaucoup d’autres aux Etats-Unis (voir mon blog « Le gibier » du 20 octobre 2013), ne sera pas plaidée devant un tribunal. Car, même si son cas avait été plus défendable, la BNP n’aurait pas eu d’autre choix que de plaider coupable et de négocier un règlement puisqu’une défaite devant un tribunal américain aurait sans doute signifié la perte de sa licence bancaire américaine et sa condamnation à mort en tant que grande banque internationale, sans compter des poursuites pénales engagées contre les banquiers eux-mêmes.
Rappelons de quoi était accusée la BNP : avoir réalisé des opérations secrètes avec le Soudan, l’Iran et Cuba, alors que les Etats-Unis interdisaient toute transaction financière pour les banques utilisant le dollar américain et que la plupart des banques respectaient cet interdit.
Trois facteurs semblent expliquer l’importance de la peine infligée à la BNP, le caractère délibéré de l’infraction, le désir de réfuter toute accusation de laxisme vis-à-vis des banques et la volonté du gouvernement américain d’intégrer l’outil financier dans sa politique étrangère.
Tout d’abord, l’enquête montre clairement que la BNP a sciemment poursuivi ses opérations interdites et a cherché à brouiller les pistes, alors que les autorités américaines s’attendaient à ce que les responsables de la BNP avouent leurs fautes, coopèrent et restructurent l’entreprise pour s’assurer que les infractions ne se reproduiraient pas. Pire, la BNP a laissé se produire de nouvelles infractions, une fois que les premières eut été détectées.
Ensuite, la BNP a joué de malchance. Elle est tombée entre les mains des enquêteurs du DFS au moment même où les procureurs américains étaient accusés de traiter les banques avec trop d’indulgence.
Enfin l’affaire de la BNP intervient à une époque où les États-Unis ne veulent pas, ou ne peuvent pas, utiliser leur puissance militaire pour soutenir leurs objectifs de politique étrangère. Ils cherchent un pouvoir de substitution en se servant de leur puissance financière, comme ils le font en imposant des sanctions à la Russie dans le cadre de la crise ukrainienne.
Or, il suffirait que quelques banques contournent les sanctions imposées par les États-Unis pour rendre l’arsenal financier américain inopérant, alors qu’il est difficile de détecter quelles sont les banques qui ne respectent pas les règles et de connaître dans quelle mesure elles ne les respectent pas.
Par conséquent, lorsqu’une banque fautive est démasquée, les autorités de contrôle frappent particulièrement fort pour dissuader les autres banques de prendre le risque de frauder.
Ainsi, si les financiers et l’opinion publique européenne jugent l’amende infligée à la BNP excessive, tant mieux, puisque c’est l’objectif : faire peur aux contrevenants potentiels.
Or, si l’on se place exclusivement du point de vue américain, l’emploi du gros bâton ne risque t-il pas de provoquer des effets négatifs bien supérieurs aux effets positifs attendus, comme les Etats-Unis l’ont souvent expérimenté dans leur politique étrangère ?
(À SUIVRE)
Le scalp de la BNP
La Cour Fédérale des Etats-Unis, District de New York Sud, a rendu son « Exposé des faits » (que je tiens à votre disposition en pdf) et le représentant de la BNP, George Dirani, a reconnu cet exposé « véritable et exact ». En foi de quoi, la BNP a accepté de payer la somme de 8,9 milliards de dollars (6,5 milliards d’Euros)
Quels jugements porter sur cette décision de notre point de vue ? Plus précisément, comment juger le comportement de la BNP ? Quelles sont les justifications de la décision américaine ? Comment apprécier l’attitude des responsables français ? Quelles sont les conséquences de cette décision ?
Le 30 juin 2014, les procureurs et les régulateurs ont annoncé les sanctions qu'ils imposaient à BNP Paribas, première banque française, une fois que cette dernière ait accepté de plaider coupable face aux accusations américaines de s’être soustraite à l’interdiction américaine de commercer avec le Soudan, Cuba et l'Iran tout en cherchant à falsifier ses dossiers pour échapper aux poursuites.
Ces sanctions s’élèvent non seulement à une amende de 8,9 milliards de dollars, mais aussi la suspension du droit à effectuer certaines opérations en dollars et le licenciement de douze cadres de la BNP.
À elle seule, l’amende est supérieure aux bénéfices de BNP en 2013. D’autres banques, américaines celles-là, ont subi des amendes plus lourdes. La Bank of America a été sanctionnée à trois reprises, en février 2012, janvier 2013 et mars 2014 par des amendes de respectivement 11,8, 11,6 et 9,3 milliards de dollars pour des accusations portant sur des saisies immobilières, des ré achats d’hypothèques et des créances hypothécaires et la JP Morgan Chase a reçu l’amende unitaire la plus forte, de 13 milliards de dollars en octobre 2013, pour des accusations relatives à des créances hypothécaires.
On peut se poser la question d’évaluer la sanction appropriée pour une entreprise qui encourage un génocide.
Pour la Justice américaine, cela mérite une année de profits et le licenciement de quelques cadres. La BNP a en effet reconnu avoir aidé le gouvernement soudanais à vendre du pétrole en violation des sanctions américaines contre le Soudan, en utilisant, contrainte et forcée par l’utilisation du dollar comme monnaie de transaction, la chambre de compensation de New York. Elle s’est livrée à ces profitables transactions au moment même où des milices soutenues par le gouvernement Soudanais massacraient des civils par dizaines de milliers au Darfour. Au lendemain de la crise du Darfour, en 2006, la branche suisse de la BNP détenait près de la moitié des actifs en devises du Soudan, dont le Président est devenu par la suite le premier Chef d’État en exercice à être accusé de crimes de guerre par la Cour pénale internationale.
Mais la BNP, toute occupée à compter ses dollars, ne voulait pas le savoir.
La BNP a dissimulé un total de 190 milliards de dollars de transactions libellées en dollars entre 2002 et 2012, selon le département des services financiers de New York (DFS), qui comprend également des transactions impliquant Cuba et l'Iran. Pour dissimuler l’origine des transactions, la BNP a enlevé les informations d'identification des documents et ré acheminé les paiements au travers d’un réseau de banques satellites. Les courriels internes montrent que nombre de cadres supérieurs de la banque étaient au courant de ces opérations qui suscitaient chez eux un certain malaise, dont on ne sait s’il provenait de leur peur d’être pris la main dans le sac ou de l’immoralité des opérations qu’ils couvraient.
En 2005, par exemple, un courriel d'un responsable interne de la conformité des opérations de la Banque s’inquiétait de l’utilisation d’un réseau de banques arabes utilisé par BNP pour contourner l'embargo contre le Soudan. Selon le DFS, ces inquiétudes étaient ignorées par la Direction de la banque, y compris par Georges Chodron de Courcel, le directeur de l'exploitation de la banque. Ce dernier a « autorisé des transactions illlicites de manière continue » (source DFS).
Il est vrai que les enjeux financiers étaient importants, puisqu’en 2006 les lettres de crédit de la filiale de la BNP étaient équivalentes à 25% des exportations du Soudan.Cela explique sans pourquoi il a fallu attendre 2007 pour que Baudouin Prot, le directeur executif de la BNP de l’époque, se résigne à donner officiellement l’ordre de mettre fin à ces opérations, mais sans se donner la peine de vérifier que nombre de ses subordonnés ne lui obéissaient pas !
Pour finir, le curriculum vitae de Georges Chodron de Courcel mérite que l’on s’y arrête. J’ai mis sa photo en illustration de ce blog. Il est le cousin de Bernadette Chirac et fait partie de la famille des industriels Chodron, ennoblie par Napoleon III. Agé de 64 ans, il a été déchargé « à sa demande », le 30 juin 2014, de ses fonctions de Directeur Général Délégué de la BNP et prendra sa retraite le 1er octobre 2014.
Pure langue de bois, puisqu’il ne part qu’à la demande de la DFS, et inutile de lui souhaiter une bonne retraite puisqu’il reste administrateur de Bouygues, Alsthom, FFP, Nexans, Compagnie nationale à portefeuille, Groupe Bruxelles Lambert, BNL, également censeur de Safran, de Scor, d’Exane et en outre membre du Conseil de surveillance de Lagardère.
Espérons quel sa « retraite » de la Direction Générale de la BNP lui permettra de faire mieux bénéficier de son expérience réglementaire et éthique l’ensemble de ces importants groupes français…
(À suivre)
L'âge de l'anxiété
« L’âge de l’anxiété » est une expression passe partout. Elle est utilisée pour caractériser la période actuelle, la conscience que nous avons de tout ce qui est dangereux dans le monde moderne : la dégradation de notre environnement, l’énergie nucléaire, le fondamentalisme religieux, les menaces qui pèsent sur notre vie privée, la drogue, la violence, le terrorisme.
L’expression « âge de l’anxiété » est largement utilisée depuis la dernière guerre mondiale et elle apparaît dans de nombreux articles et ouvrages sur des domaines aussi variés que la science, la politique ou la sexualité. Mais pour celui qui a lutté contre l’anxiété depuis longtemps, cette expression n’apparaît pas justifiée .
En effet, du point de vue de celle ou de celui qui en souffre, l’anxiété est toujours et absolument personnelle. C’est une expérience de vie qui modifie la manière dont quelqu’un pense, ressent ou agit. C’est une petite chose monstrueuse qui est capable de vous paralyser lorsque vous hésitez entre une sauce au fromage bleu et une vinaigrette à mettre sur votre salade, dans la mesure où ce choix vous paraît tout d’un coup vital. Cette angoisse là n’a manifestement rien à voir avec notre temps.
Pourtant, il est indéniable que nous nous trouvons à une époque où un nombre important et croissant de personnes souffrent d’anxiété. Aux Etats-Unis, l’Institut National de la Santé Mentale estime que l’anxièté affecte désormais 18 pour cent de la population, soit quarante millions de personnes. Par comparaison, les troubles de l'humeur, principalement la dépression et la maladie bipolaire, affectent 9,5 pour cent de la population. Cela fait de l’anxiété le mal le plus frequent en matière psychiatrique et l’un de ceux qui entrainent le plus de prescriptions médicales : l’anxiété est un grand et profitable marché.
Il reste que ce n’est pas parce que cette dernière est souvent diagnostiquée et soignée à l’aide de plus en plus de médicaments que nous pouvons en conclure que nous sommes plus anxieux que nos ancêtres. C’est peut être tout simplement que nous sommes mieux soignés et que nous sommes, en tant qu'individus et du point de vue culturel, plus conscients qu’autrefois de la tendance de notre cerveau à échapper à tout contrôle.
Car les époques antérieures ont souvent été plus anxiogènes que la nôtre. L'Europe du XIVe siècle, par exemple, a connu des famines dévastatrices, des vagues de pillages, des révoltes paysannes, des conflits religieux et pour finir la peste qui a décimé la moitié de la population européenne en quatre ans. Les faits ont montré que ces évenements ont entraîné une anxiété de masse telle que « plus on savait, moins le monde avait de sens ».
Il est difficile d'imaginer que nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation aussi grave. Pourtant, il y a un aspect de l'anxiété que nous possédons plus que nos ancêtres : la conscience de soi. Autrefois, aussi anxieux qu’ils l’étaient, nos ainés ne considéraient pas l’anxiété comme un état. L'anxiété est apparue, en tant que concept psychiatrique cohérent, au début du vingtième siècle, lorsque Freud a mis en évidence l’anxiété comme le point central de l’état mental des personnes. Ce sont ses analyses qui ont engendré ensuite une recherche de plus en plus frénetique sur le concept et sur les explications possibles de l’anxiété.
Cela ne signifie cependant pas que la période actuelle se caractérise par sa tranquillité et qu’elle n’est susceptible en rien d’engendrer l’anxiété. Mais cela signifie que nous ne devons pas être prisonniers de nos incertitudes, car l'un des traits dominants de l'anxiété est la récursivité. L’anxiété commence en effet avec un souci tout simple qui fait que, plus l’on se concentre sur lui, plus il prend de l’importance et plus l’on s’en inquiète.
Aussi l’un des exercices les plus simples et les plus efficaces que l’on puisse demander à notre esprit est de lui apprendre à lâcher prise.
Mais si vous commencez à croire que l'anxiété est une fatalité, en donnant crédit au battage médiatique qui cherche à vous faire croire que la période actuelle est particulièrement anxiogène, vous allez perdre la bataille avant même de l’avoir commencé!
Le Directoire se débat
Je poursuis dans ce blog la présentation des membres du Directoire, avec les portraits de Carnot et Le Tourneur.
Lazare Carnot (1753-1823) est le fils d’un avocat. Militaire, il fréquente Robespierre. Chaud partisan de la Révolution, il est élu à la Législative et à la Convention où il siège à gauche. Il vote la mort de Louis XVI, mais se tient à l’écart des Jacobins. Membre du Directoire, il prend l’initiative des poursuites contre Babeuf et ses amis, les traque avec acharnement, organise la provocation du camp de Grenelle et les fait exécuter. Il se rapproche des royalistes, ce qui l’oblige à s’enfuir lors du coup d’État de Fructidor. Il continuera cependant sa carrière d’organisateur sous le Consulat et l’Empire. Ses fils et petits fils seront également des hommes politiques et des scientifiques importants.
Le Tourneur ou Letourneur (1751-1817) est capitaine quand il est élu par le département de la Manche à la Législative. Réélu à la Convention, il vote la mort de Louis XVI, mais est hostile à Robespierre. Proche de Carnot, il s’occupe de la marine avant d’être éliminé du Directoire par le tirage au sort, le 20 mai 1797. Il sera ensuite préfet de Bonaparte et Conseiller à la Cour des Comptes.
Lorsque l’on observe la composition politique du Directoire, on en conclue que le nouveau régime était dirigé par les mêmes hommes et confronté aux mêmes problèmes que la Convention thermidorienne : son défi primordial consistait à essayer de mettre un terme à la Révolution, en se gardant à gauche des Jacobins et à droite des Royalistes.
Dans les premiers mois du Directoire, la liberté de la presse et la liberté religieuse furent respectées. Les importations de denrées améliorèrent les approvisionnements dans les villes, non sans aggraver la situation financière de l’État. Le problème économique principal restait l'inflation, ce qui décida le Directoire à supprimer l'assignat. Une loi autorisa la création de mandats territoriaux qui pouvaient être échangés contre des assignats et permettaient d'acquérir les biens nationaux à des conditions très favorables. Ceux qui saisirent l’aubaine purent acquérir des biens nationaux avec des billets sans valeur. Ils devinrent par conséquent des adversaires résolus du retour des immigrés.
À partir du 21 mars 1796, le franc eut seul un cours légal, fixé à cinq grammes d'argent. À l'inflation succéda la déflation; les artisans se retrouvèrent au chômage et le Directoire ne parvenait plus à payer les fonctionnaires. Il dut céder des propriétés nationales comme le célèbre diamant de la Couronne « le Régent », vendre des biens nationaux aux enchères, et se trouva dans l'obligation d'emprunter au dey d'Alger, à des commerçants de Hambourg ou à des financiers véreux. Il trouvera la solution à ses mécomptes financiers par le prélèvement de fortes contributions de guerre sur les pays conquis, ce qui eut pour effet de rendre les politiques dépendants des généraux.
Le Directoire dut aussi faire face à l’extrême gauche. Babeuf, reprenant le discours des Enragés, faisait une critique radicale de la famille, de la religion et de la propriété. Lorsqu’il fonda un comité insurrectionnel, il fut arrêté et exécuté.
Il fallait aussi se résoudre à mettre fin à la guerre, qui plaisait aux généraux, mais pas à l’opinion publique. La Convention avait conclu la paix avec la Prusse, la Hollande et l'Espagne. Restaient l'Autriche et l'Angleterre, qui refusaient de voir la rive gauche du Rhin sous possession française. Pour obtenir une paix favorable, Carnot proposa de lancer une manœuvre de diversion en Italie du Nord, tout en menaçant Vienne avec deux armées, sur le Rhin et le Danube. Grâce au génie militaire de Bonaparte qui, avec peu de soldats et de moyens, obtint des victoires stratégiquement déterminantes, la diversion italienne se transforma en victoire décisive, pendant que les armées françaises piétinaient sur le Rhin avant de reprendre leur offensive, au moment où Bonaparte menaçait Vienne par son débouché depuis la péninsule Italienne.
Le 17 octobre 1797, Le traité de Campo-Formio était signé avec une immense joie. Il donnait à la France les Pays-Bas, la frontière sur le Rhin, la place forte de Mayence et les îles Ioniennes, tandis que l'Autriche recevait une partie de la Vénétie, l'Istrie et la Dalmatie et reconnaissait la république Cisalpine.
Mais il avait été signé directement par Bonaparte, avec une audace qui inquiétait les Directeurs.
Les splendeurs de l'Aude
La semaine dernière, j’ai consacré trois jours à l’Aude, en compagnie et grâce à mes amis Yann, Edgar et Jean-Pierre. Ce dernier avait établi un programme qui mêlait artistiquement la visite des vignobles, la gastronomie, l’art et accessoirement le sport.
On devrait visiter chaque département français de cette manière, car tous le méritent. Ainsi que vous le savez, l’Aude a pour préfecture Carcassonne et comme nous connaissions la ville tous quatre, nous l’avons négligé sauf pour honorer l’un de ses restaurants, ce qui a donné le ton au périple.
Ce dernier a véritablement commencé le lendemain, lorsque nous avons visité un domaine viticole de l’Aude. Ces vignobles n’ont vraiment connu le succès qu’à partir de celui de la blanquette de Limoux qui, à moins que je ne me trompe, a mis à son tour en valeur les vins de Corbières, du Minervois et des côtes de Malpeyres.
Recherchant à équilibrer les vignobles avec la culture, nous n’avons pas hésité à visiter la vieille abbaye de Saint-Hilaire, qui remonte au IXe siècle. Ses moines ont élaboré en 1531 la technique de vinification de la blanquette dite de Limoux qui a été copiée par Dom Pérignon, un moine d’Hautvilliers, pour connaître le triomphe avec le champagne. Nous avons ensuite estimé que nos efforts culturels méritaient d’être récompensés par un repas bucolique au sein du village fortifié de Pieusse.
Pour mieux le digérer, nous avons trouvé rien de mieux que de nous élancer dans une marche épuisante de plusieurs kilomètres qui m’a fait penser aux exploits stupides des athlètes d’Ironman, la nage et le vélo en moins. Épuisés, moi du moins, par une telle débauche d’énergie, nous avons trouvé néanmoins la force de visiter un nouveau domaine vinicole avant de nous réfugier à Alet-les-bains dans un pittoresque hôtel qui se trouve au sein même de l’ancien évêché.
Curieuse ville qu’Alet-les-bains, fortifiée et presque abandonnée, avec quelques résurgences de vie, une exposition ici, un musée là, un casino ailleurs. Le soir, nous nous sommes arrachés à ses langueurs mortelles pour plonger dans l’agitation fébrile de Limoux au travers de l’un de ses restaurants, fort habile dans son organisation et avisé dans ses discours.
Le lendemain, un fort périple automobile nous attendait qui a commencé par le chemin cathare conduisant aux pentes escarpées qui entourent le môle arrondi de Montségur, leur dernier refuge, à ces pauvres cathares.
Après ces émotions historiques, il ne nous restait plus qu’à plonger dans l’exotisme le plus débridé en allant déjeuner dans un restaurant afghan à Puivert, un village endormi où l’on ne se serait pas attendu un tel dépaysement gustatif. Mais nous y avons tout de même trouvé un Afghan, embastillé en cuisine.
Traversant ensuite les paysages désertiques qui séparent l’Aude des Pyrénées Orientales, nous avons vu les montagnes changer brusquement d’aspect, les sommets dénudés, surmontés de roches, succédant aux pentes couvertes de forêts auxquelles nous avait accoutumé la riante Aude. Nous sentions que la Méditerranée étendait son influence sur les panoramas qui s’offraient à nous, jusqu’à ce que nous nous arrêtions à Maury, aux vignobles gorgés de soleil. Bien sûr, une cave nous y attendait, l’une des plus fournies et des plus prometteuses de notre périple.
Après nous en être régalé, il fallut nous résoudre à faire demi-tour pour rejoindre Quillan, où les deux visages de la ville, qui n’étaient autres que les deux visages du département, voire de la France tout entière, nous attendaient.
Certes Quillan détenait un trésor, sa charcuterie. Pas que…Traversant le centre ville, nous voulurent pénétrer dans la boutique d’une antiquaire, mais que nenni ! Il était 17 heures cinq et la préposée aux antiquités n’avait pas cinq minutes de plus à perdre pour réaliser une vente éventuelle : « je ferme, Monsieur, vous n’avez pas compris ? ». Dans cette ville qui se meurt de la perte de son industrie, le Formica, on n’a pas de temps à perdre avec les clients ! Le travail fait peur, cinq minutes supplémentaires consacrées à garder une boutique ouverte font horreur !
Lorsque nous confièrent cette anecdote à un limonadier de Quillan, adepte du jeu à XIII entre amateurs gérés par des bénévoles, il nous asséna cette pensée définitive qui nous laissa coi : « L’avenir, Monsieur, il est ce que l’on en a fait… ». Pas « ce que l’on en fait », notez la nuance, « ce que l’on en a fait » : le futur jaillit directement du passé.
À Quillan, dans l’Aude et dans toute la France, qu’est-ce que l’on en a fait de l’avenir ? Est-ce que l’on s’en est vraiment occupé de l’avenir ? Alors, l’avenir, il se construit tout seul, autour des usines vides, des marchands désinvoltes ou désabusés et du tourisme. Heureusement, il reste le tourisme, ultime espoir. Suffira t-il à faire vivre ces villes et ces campagnes, avec l’aide de la vigne, des fonctionnaires, des retraités et des chômeurs indemnisés ? Car des industries, il n’en reste rien, absolument rien.
Ruminant cette grave pensée, nous sommes retournés à l’ancien évêché d’Alet. Devant le jardin romantique qui entoure ses ruines grandioses, nous avons diné, servis par une stagiaire ukrainienne. Cela nous montrait que l’Aude s’internationalisait de diverses manières, avec, du côté de la demande, des Anglais et des Hollandais attirés par les prix bas de l’immobilier et du côté de l’offre, des employés de toutes nationalités. Est ce que le tourisme permettra de sauver l’hôtel au charme unique où nous nous trouvions, plombé par son isolement et les exigences des normes ?
Enfin le dernier jour nous nous sommes replié sur Limoux, capitale de la partie de l’Aude que nous visitions, puisque nous avions passé ces quelques jours à tourner autour de la ville. Le marché remplissait ses rues et ses parkings, offrant fruits, fromages, charcuterie et divers artisanats provenant d’Aude ou de Chine, on ne sait. Ce jour là, la ville jouait à être prospère, mais on sentait bien, au nombre d’étals et de clients, que le cœur n’y était pas.
Observant les vignes à Brugairolles, prés de Limoux, qui entouraient une belle demeure surmontée d’un restaurant, je me disais que le métier de vigneron présentait de nombreux attraits, vivre entouré de la nature, travailler en sortant de chez soi, fabriquer un produit de la vigne à la bouteille en maitrisant tout le cycle de production et offrir un produit « noble ». Mais, à observer les vignerons, il ne semblait pas que la rentabilité de ce métier soit si facilement accessible que cela. Acheter un vignoble, vivre heureux et mourir ruiné assis sur un capital immobilier que l’on se refuserait jusqu’au bout à céder, était-ce cela le destin des vignerons ?
Parcourant la route de Limoux à Revel et sa magnifique place du marché, en passant par Castelnaudary, transformé en ville dortoir toulousaine, je me disais mélancoliquement combien l’Aude et la France étaient belles, dans leur agonie.
Je me disais enfin quelle chance j’avais eu de faire ce beau périple avec d’excellents compagnons…
La Norvège s'offre le luxe de s'inquiéter
Vu du Sud de l’Europe, on peut rêver d’être norvégien : le troisième PIB du monde par habitant, une croissance satisfaisante de 2% prévue en 2014 et pas de chômage.
Pourtant cela fait longtemps que la Norvège s’inquiète.
Longtemps pays déshérité, du fait de sa latitude et de son isolement, la Norvège ne s’est pas sentie rassurée lorsque l’on y a découvert de considérables réserves de pétrole et de gaz. Le pays a tout de suite créé un Government Pension Fund Global (GPFB) qui, régulièrement alimenté par les recettes pétrolières et correctement géré, est devenu le plus gros fonds d’investissement du monde avec 606 milliards d’Euro en 2013.
Correctement géré ? en 2013, la plus value du GPFB a atteint 15,9%. Le fonds investi dans les actions, les obligations et la pierre dans 82 pays. Rien que de très classique. Il investit aussi bien en Europe, aux USA qu’en Asie. Le fonds a des principes, tels que le refus d’investir en Norvège, la transparence (relative cependant) et l’éthique qui le conduit à ne pas investir dans les industries d’armement, les entreprises qui exploitent les enfants, qui portent atteinte aux droits de l’homme et à l’environnement. Très politically correct, le GPBF. Il faut dire qu’il est surveillé de prés par toutes sortes d’associations bien pensantes et elles pullulent dans l’opulente Norvège.
Le souci de la Norvège se situe dans l’avenir. Pour le moment, l’État norvégien s’est donné le droit d’utiliser chaque année 4% des fonds investis pour le bien-être du pays. Certains, comme le Parti du Progrès de Siv Jensen qui fait aujourd’hui partie du gouvernement, préconisaient d’utiliser plus les capitaux du fonds pour baisser les impôts et investir plus dans l’éducation, la santé, les services aux personnes âgées et les infrastructures. Mais la peur de l’avenir l’a emporté, la ponction sur le fonds ne dépassera pas 2,9% de son montant en 2014, sur les 4% autorisés. Cela représentera tout de même 17 milliards d’euros qui seront utilisés pour améliorer la vie des norvégiens, sans qu’ils paient le moindre impôt pour cela.
La peur de l’avenir freine les dépenses. Après tout, la valeur du fonds dépend de l’économie mondiale. Si cette dernière s’effondrait, la valeur du fonds suivrait automatiquement la même pente. Mais le fonds a pour première fonction de rassurer les norvégiens sur leur avenir à long terme.
En même temps, ils luttent contre le Dutch Disease, cette maladie des pays qui, émerveillés de recevoir une manne issue des matières premières, se laissent aller à la dégradation des autres secteurs économiques, comme l’Algérie.
Au contraire, la Norvège est loin de n’exporter que du pétrole. Elle a développé une industrie autour de l’exploitation off-shore du pétrole, qui compte, avec le pétrole lui-même, pour 20% du PIB de la Norvège. De plus, cette dernière possède des leaders industriels mondiaux : Yara pour les engrais, Norsk Hydro et Sapa pour l’industrie de l’aluminium, StatKraft dans le cadre des énergies hydroélectriques et des énergies renouvelables, Marine Harvest pour l’aquaculture et Schibsted pour l’édition. D’ailleurs, le pays est, facilement, doté d’énergie verte puisque 95% de son énergie est, du fait de son relief et de son climat, d’origine hydraulique.
Avec une recherche très développée, les cinq millions cent mille habitants de Norvège ne connaissent quasiment pas de chômage, 3,6% de la population active, et disposent de plus de cent mille dollars de revenus par habitant et par an.
Un paradis ? Les tensions qui traversent la Norvège, qui ont été révélées par le massacre de l’île d’Utoya, nous rappellent que c’est un paradis contesté et inquiet…