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Le blog d'André Boyer

SCHOPENHAUER IGNORÉ PUIS ENCENSÉ

28 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

HOUELLEBECQ, UN DISCIPLE RÉCENT DE SCHOPENHAUER

HOUELLEBECQ, UN DISCIPLE RÉCENT DE SCHOPENHAUER

L'œuvre de Schopenhauer l'a sauvé de ses angoisses, mais partiellement et pas tout de suite.

 

Partiellement, car Schopenhauer sera toujours angoissé, y compris pour la postérité de son œuvre. Ainsi, à la fin de sa vie, reconnu et encensé, il se demandera encore, avec beaucoup de réalisme j'en conviens, ce qu'il adviendrait de sa philosophie entre les mains des professeurs de philosophie.

Pas tout de suite, car il lui faudra attendre trente ans pour qu'il soit enfin reconnu en tant que philosophe. Car, depuis l'arrêt de ses cours à Berlin, se dressait un mur de silence auquel Hegel n'était pas étranger. Pour sa part, en dehors des ouvrages qu'il fit paraitre, AS ne cessa de lancer pendant toutes ces années de violentes attaques contre la philosophie enseignée dans les universités, tandis qu'il guettait d'un œil tourmenté la plus petite allusion à sa propre philosophie dans les journaux allemands et étrangers.

Il faut convenir que la soutenance de sa thèse à l'université́ d'Iéna en 1813, De la quadruple racine du principe de raison suffisante, puis la publication de Sur la vue et les couleurs en 1816, qui adoptait la theorie de Goethe sur les couleurs, et la première édition de son ouvrage principal, Le Monde comme volonté́ et comme représentation en janvier 1819, auront fort peu de retentissement.

Il en est de même lorsqu'il publie en 1836 De la volonté́ dans la nature, qui se présente comme une confirmation scientifique de sa métaphysique. L'ouvrage est un échec en termes d'édition puisque seulement 125 exemplaires seront vendus sur un tirage déjà modeste de 500 exemplaires. En 1840, alors qu'il est âgé de 52 ans et qu'il n'est toujours pas reconnu comme philosophe, il répond au concours lancé par la Société Royale des Sciences à Copenhague, qui invitait à répondre à une question touchant "la source et le fondement de la philosophie morale".

Il traita le sujet avec beaucoup de force dans son essai intitulé Le Fondement de la morale, effectuant une critique radicale de la métaphysique kantienne, posant que la « volonté de vivre » l'emportait sur les impératifs nés de la Raison, et que la morale, loin de s'appuyer sur des impératifs abstraits comme la loi ou l'obligation, obéissait d'abord à l'ordre des sentiments.

Schopenhauer était si ignoré, ou rejeté, que, bien qu'étant le seul candidat, le prix lui fut refusé. Il eut le mérite de ne pas se décourager et de publier difficilement en 1841, Les deux problèmes fondamentaux de l'éthique, qui rassemblait deux de ses œuvres, Essai sur le libre arbitre et Le Fondement de la morale.

La parution de la deuxième édition du Monde comme volonté́ et comme représentation, en 1844, comportait d'importants suppléments qui en doublèrent le volume, mais elle n'eut guère plus de succès que la première édition. En outre, le profond remaniement de sa thèse, De la quadruple racine du principe de raison suffisante donna encore lieu en 1847 à une parution confidentielle.

Mais la publication en 1851 de Parerga et Paralipomena (suppléments et omissions, en grec) en deux volumes sonna la fin définitive de son purgatoire. L'ouvrage traitait, dans un style facile d'accès et sur des sujets familiers, les thèmes de la philosophie, de son histoire, de sa dénaturation universitaire, de la nature du monde et de la vie, de la religion, des formes et conditions de la sagesse, de l’éthique, de la logique, du droit, de la politique, de l’esthétique, de la langue, de la physionomie et même des femmes, tout cela de manière incisive, parfois provocante.

L'édition de Parerga et Paralipomena ne fut pas plus facile que les autres et il ne fut tiré qu'à 750 exemplaires seulement. Mais il attira l'attention de John Oxenford, traducteur anglais de littérature allemande qui en fit une recension élogieuse pour l'English Quarterly journal Westminster Review en 1852. L'année suivante, Oxenford rédigea pour cette revue un article sur la philosophie de Schopenhauer intitulé " Iconoclasme dans la philosophie allemande " qui fut traduit en allemand et imprimé dans la Vossische Zeitung. Schopenhauer était lancé.  

Il faut souligner que ce ne sont bien entendu pas ses collègues philosophes qui le reconnurent en premier, mais le grand public. Ce furent d'abord des magistrats, des avocats, des négociants, des artistes, des journalistes, des jeunes gens en général qui adhérèrent à sa philosophie.

Les philosophes professionnels vinrent après, tandis qu'un grand nombre de célébrités se reconnaissent par la suite dans ses écrits, à commencer par Nietzsche : "Je suis, déclara-t-il, un de ces lecteurs de Schopenhauer qui, après avoir lu la première page de lui savent avec certitude qu'ils iront jusqu'à la dernière, et qu'ils écouteront chaque parole sortie de sa bouche."

Tolstoï s'enthousiasma pour ses écrits : "Un émerveillement incessant à lire Schopenhauer et une abondance de joies intellectuelles comme je n’en avais encore jamais éprouvé". Freud observa que Schopenhauer était l'un des très rares penseurs "qui ont aperçu clairement les conséquences considérables du pas que constituerait, pour la science et la vie, l’hypothèse de processus psychiques inconscients."

Ce furent ensuite, dans le désordre, August Strindberg qui vit en lui "un esprit profond, peut-être le plus profond de tous.", puis Gustave Flaubert, suivi par Taine et Proust qui lui rendirent hommage. Plus tard, ce fut l'hommage de Thomas Mann, de Søren Kierkegaard ou de Jorge Luis Borges qui déclare "Si j'ai étudié sérieusement l'allemand, c'est seulement afin de pouvoir lire Schopenhauer dans le texte."

Il en fut de même pour Guy de Maupassant ou pour Richard Wagner qui note: "Je suis pour l'instant exclusivement occupé d'un homme qui m'est apparu dans ma solitude comme un envoyé du ciel : c'est Arthur Schopenhauer, notre plus grand philosophe depuis Kant."

Plus récemment, Charles Chaplin écrivit: "j'ai acheté trois volumes du Monde comme volonté et comme représentation et depuis plus de quarante ans je n'ai pas cessé d'en relire des pages."  et pour terminer, Michel Houellebecq lui a rendu hommage.

Bref, AS a largement récupéré dans la postérité, le déficit de considération qu'il a subi la plus grande partie de sa vie. Auparavant Il disposera de neuf ans pour profiter de sa gloire, jusqu'à son décès du 21 septembre 1860, au cours duquel son médecin, entrant chez lui, le trouva assis sur son canapé, paisible, mort probablement d'une crise cardiaque à 72 ans. Pendant cette période, il vécu l'existence retirée d'un misanthrope, dont les visiteurs venaient écouter la conversation sarcastique à la table d'hôte de l'hôtel d'Angleterre de Francfort.

 

Avant d'analyser ses œuvres, tirons deux leçons de la vie de Schopenhauer, pour nos amis universitaires en premier lieu mais finalement pour tous : vos collègues ne reconnaitront que contraints et forcés la qualité de vos travaux et surtout, si vous croyez en ce que vous faites, ne vous découragez jamais. Avec un peu de chance, vous n'aurez pas besoin de mourir pour que l'on reconnaisse vos mérites...

 

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L'ORGUEIL ANGOISSÉ DE SCHOPENHAUER

23 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

HEGEL ET SCHOPENHAUER (VIEUX)

HEGEL ET SCHOPENHAUER (VIEUX)

Le début de ses ennuis s’annonce au bout de quelques mois. Pendant qu’il se détend en Italie, il apprend en août 1819 la faillite de l’entreprise dans laquelle il avait placé les fonds reçus en héritage et qui lui permettaient de vivre de ses rentes.

 

AS comprend alors, tout philosophe qu'il est, qu'il n’a plus les moyens de flâner entre Rome et Naples. Il rentre en Allemagne en octobre 1819, pour constater que ce ne sont pas les ventes de son ouvrage, un échec cuisant, qui lui permettront de se renflouer. Il croit trouver un moyen de subsistance en se faisant inscrire en février 1820 sur la liste des docteurs enseignants de l’Université de Berlin, ce qui devrait lui permettre de faire également la promotion de ses idées et donc de son ouvrage.

Orgueil, défi, provocation, AS estime qu'il peut se confronter au célébrissime Hegel, en donnant son cours à la même heure que ce dernier.

Le résultat ne se fait pas attendre, c’est un échec éclatant : AS parlait devant une salle presque vide, tandis que l'on ne pouvait pas trouver de place chez Hegel. Aussi AS ne tint qu'un semestre et le cours fut arrêté le semestre suivant faute d'auditeurs.

Nous sommes en 1821. AS entame une relation discrète avec une actrice, Caroline Medon, relation qu'il maintiendra plus ou moins toute sa vie puisqu'il lui léguera une forte somme. Avant elle, il a fait en vain sa cour à une autre actrice, Caroline Jagemann. La belle Caroline Medon a plusieurs amants, ce qui déplait évidemment à AS. Avant lui, en ces temps de quasi absence de contraception, elle a déjà eu un enfant d'un autre amant, sans doute Louis Medon, dont elle a pris le nom. Bref AS est épris et jaloux.

En mai 1822, AS a suffisamment rétabli ses finances pour repartir en Italie, à moins que l'envie du "voyage italien" ne l'ait emporté sur sa gêne financière. Il laisse Catherine Medon seule à Berlin en croyant, vain espoir, qu'elle sera suffisamment attachée à lui pour ne céder à aucun amant pendant toute son absence. Or il apprend qu'elle a eu un second enfant, Gustav, le 27 mars 1823, soit dix mois à peine après son départ en Italie!

Cela explique, partiellement au moins, sa dépression de 1823 et il s'en console en notant dans son carnet intime : « Si, par moments, je me suis senti malheureux, ce fut par suite d'une erreur sur la personne, en me prenant par exemple pour un chargé de cours qui n'est pas promu titulaire de chaire et qui n'a pas d'auditeurs [...] Mais je suis celui qui a écrit Le Monde comme volonté et comme représentation et qui a apporté une solution au grand problème de l'existence. [...] C'est celui-là, moi, et qu'est-ce donc qui pourrait inquiéter celui-là dans les années qui lui restent encore à vivre ? ». Toujours l’orgueil (justifié) et pas un mot au sujet de Catherine.

Deux ans plus tard, il revient à Berlin où il vit jusqu'en 1831. Lorsque qu'il proposera en 1831 à Catherine Medon de fuir avec elle de Berlin à cause du choléra pour s’installer à Francfort où il séjournera le reste de sa vie, il posera comme condition qu'elle n'amène pas son fils Gustav avec elle! Et, oblitérant toute psychologie féminine, il sera profondément blessé qu'elle refuse, si bien qu'il ne maintiendra plus avec elle que des relations épistolaires jusqu'à sa mort, lui laissant un fort héritage...à condition qu'elle ne l'utilise pas pour son fils !

On voit donc se dessiner un personnage orgueilleux et sentimental, mais également dépressif. Il tient cela de son père, Floris Schopenhauer, qui s'est probablement jeté du grenier dans le canal derrière la maison après une vie entrecoupée de phases dépressives et d’obsession suicidaire.

Son père qu'il admirait, un banquier pourtant prospère, était obsédé par la folie qui rodait autour de sa famille. Car deux de ses frères avaient dû être internés pour des troubles psychiques et la grand-mère paternelle d'AS était devenue folle après la mort de son mari. Quant à Adèle, la sœur cadette d’AS, rongée par la solitude, elle sera obsédée par l’idée de se suicider.

AS, sauf à la fin de sa vie, sera habité par cette même angoisse existentielle. Il confiera à son carnet secret : « De mon père j’ai hérité cette maudite anxiété contre laquelle je me suis bien battu de toutes les forces de ma volonté ».

Il écrira aussi, de façon tragi-comique : « Quand survenait un bruit au cours de la nuit, je sortais du lit et prenais une épée, ainsi qu'un pistolet que je maintenais constamment chargé. » [1]

Finalement, seul son chien, un caniche qu'il appelait Atma (« âme du monde » en sanscrit), trouvera grâce à ses yeux. Il a d'ailleurs légué une partie de sa fortune à sa gouvernante pour qu'elle recueille son chien et s'occupe de lui jusqu'à sa mort.

 

Mais il est temps de s'intéresser directement à l'œuvre d'Arthur Schopenhauer, d'autant plus que, vers la fin de sa vie, cette œuvre l'a sauvé de ses angoisses...


[1] Cité par Rüdiger Safranski, Schopenhauer et les années folles de la philosophie, PUF, 1990

 

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UN AUTOMNE AVEC SCHOPENHAUER

19 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

A. SCHOPENHAUER À 21 ANS

A. SCHOPENHAUER À 21 ANS

Né à Dantzig (Gdansk), Arthur Schopenhauer (AS) a vécu entre 1788 et 1860, mais il aurait pu vivre n'importe quand, puisque, selon lui, l'histoire est un mensonge.

 

Schopenhauer publia en 1819 la 1ere édition de sa grande œuvre, Le monde comme volonté et comme représentation. Avant d'en analyser le contenu, il me semble intéressant de parcourir sa vie afin de comprendre comment il a été conduit à écrire cet ouvrage et ce qui s'est passé pour lui, après le lancement de son œuvre qui a failli le dévorer.

La mère d’AS, Johanna Trosiener, avait 19 ans quand elle s’est mariée avec son père, Henri Schopenhauer, un riche commerçant de 38 ans. Son père choisit le prénom d’Arthur, pour le préparer au métier de commerçant européen auquel il le destinait, parce qu’il avait la vertu d’être international.

AS semblait donc né sous une bonne étoile. Lorsqu’il eut cinq ans en 1793, sa famille quitta Dantzig pour la ville libre de Hambourg, afin de fuir l’occupation prussienne, qui n’était pas apparemment appréciée par tous. Sa sœur naquit neuf ans après Arthur, en 1797, et c’est aussi l’année où son père décida de s’occuper de son éducation de futur commerçant : son avenir montrera que le futur est aussi un mensonge.

L’éduquer à être commerçant signifiait pour son père l’étude des langues et les voyages. À neuf ans (à neuf ans !) il l’envoya chez son correspondant au Havre pour qu’il y apprenne le français, en plein Directoire et pendant deux années. L’éducation était apparemment rude à l’époque et l’affection paternelle lointaine…

De retour à Hambourg, il ne cessa pas de suivre son père lors de ses déplacements commerciaux en Allemagne. Puis, lorsqu’il acheva ses études commerciales à 15 ans (on ne faisait pas d’écoles de commerce entre 18 et 23 ans à l’époque) son père l’envoya pendant un an et demi voyager en Europe, de mai 1803 à septembre 1804. Il séjourna assez longtemps à Londres pour parler ensuite couramment anglais et il voyagea aussi en France, en Savoie, en Suisse, en Bavière et en Autriche, qui devaient être des destinations commerciales courantes de son père.

À 16 ans, il devint un employé de l’entreprise familiale. Évidemment, cette activité à laquelle l’avait destiné son père ne l’intéressait pas, sinon on n’écrirait pas sur lui comme philosophe. Néanmoins, il s’y plia jusqu’à ce que son père meure en avril 1806, moins de deux ans après son retour, en tombant, volontairement dit-on, dans un canal situé derrière la maison. Sa thèse du « vouloir vivre » est sans doute liée à cet évènement fondateur de sa propre vie.

Sa mère, âgée de 40 ans et peu portée sur les activités commerciales, vendit le fonds de commerce pour s’installer à Weimar où elle comptait exercer ses talents littéraires, ce qu’elle fit avec succès. Comme toujours à cette époque, elle tint un salon auquel participa son fils qui y rencontra Goethe, avec lequel il se lia profondément d’amitié.

Pour sa part, AS entama des études littéraires à Weimar, puis, à 21 ans, des études philosophiques à Göttingen et à Berlin. Comme tous les bons étudiants qui ont besoin de modèles pour avancer, il subit de façon excessive l’influence de ses professeurs, en l’occurrence le philosophe Schultze à Göttingen. Il en tira cependant la substantifique moëlle en retenant qu’il existait quatre références essentielles en philosophie, Kant et Platon en premier, Aristote et Spinoza en second : on saurait plus mal choisir.

Armé de ce viatique, Il se rendit ensuite à Berlin de 1811 à 1813 pour mettre un point final à ses études. Il avait l’intention d’écouter Fichte, mais ce dernier n’eut pas l’heur de le convaincre et il quitta Berlin pour soutenir sa thèse à 25 ans, avant de retrouver Goethe à Weimar qui resta l’un de ses inspirateurs, mais aussi de se brouiller avec sa mère, ce qui aura l’avantage de l’obliger à s’installer seul à Dresde où il écrira son grand œuvre. 

Cette grande œuvre, il lui faudra quatre ans pour l’achever, jusqu’à ce qu’il confie en septembre 1818 à son éditeur Le monde comme volonté et comme représentation, avant de partir, le cœur tranquille, pour un long voyage en Italie, tandis que son ouvrage paraissait au début de 1819.

 

Le cœur tranquille…

Il ne savait pas, comme beaucoup de doctorants lorsqu’ils mettent un point final à leurs thèses, que l’achèvement de sa grande œuvre signifiait le début de ses ennuis et de ses déceptions.

 

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LES ENCG EN GESTATION

15 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

ENCG SETTAT

ENCG SETTAT

 

 

Dans cette rubrique que j’ai appelé « Interlude », réservée aux lecteurs de ce blog qui me connaissent, j’ai commencé à traiter cet été de ma vie universitaire récente. Mais la réaction de mes lecteurs m’a montré qu’ils étaient plus intéressés par le récit de mes histoires anciennes qu’actuelles, que je vais donc laisser murir.

 

Lors des quatre années de direction de l’IECS Strasbourg, j’ai très peu écrit, car je n’avais évidemment que fort peu de temps disponible. À peine, en 1992, un petit article sur mon expérience, avec « L'exportation de la gestion dans les pays d'Europe Centrale et Orientale (Centre Inffo). » et un article dans la Revue Française de Gestion, dirigée alors par mon ami Renaud de Rochebrune aujourd’hui décédé, intitulé « Le Marketing-mix écologique », écrit en collaboration avec Christophe Poisson, prélude à une thèse qu’il soutiendrait plus tard. 

Puis en 1995, deux ouvrages liés l’un à l’autre, l’Essentiel de la Gestion aux Éditions d’Organisation, autour de l’idée ambitieuse d’offrir un panorama de la gestion, à mi-chemin entre un dictionnaire et une encyclopédie. Ce livre m’a demandé un travail considérable, qui n’a jamais été dépassé par aucun des autres livres consacrés à la gestion que j’ai écrits. Je n’en ai, comme on peut s’en douter, pas été récompensé par un grand succès de librairie, mais j’ai du moins pu en tirer un ouvrage en tchèque avec la forte collaboration de mes amies Hana Machkova et Stanislava Hronova, toutes deux impliquées dans l’aventure de l’IFTG, intitulé « Strucny Vykladovy Slovnik Managementu ».

Je n’ai pas beaucoup écrit, mais, en dehors de la direction de l’IECS Strasbourg, j’ai largement contribué en 1993 à la création des trois premières ENCG (École Nationale de Commerce et de Gestion) au Maroc, plus précisément à Settat, Agadir et Tanger. Depuis, signe de leur succès, elles ont essaimé dans toutes les grandes villes du Royaume.

Dans le cadre de la coopération franco-marocaine, le Ministère des Affaires Étrangères (MAE) français avait organisé une mission chargée d’évaluer et d’organiser ces écoles de gestion qui étaient en construction dans les trois villes précédentes.

Le but du Ministère Marocain était de professionnaliser une partie de l’enseignement supérieur de gestion, qui était jusqu’alors l’apanage d' écoles privées, à l'exception de l'ISCAE, fortement adossées à des Écoles de Commerce souvent françaises, et corrélativement, de réduire les effectifs colossaux inscrits dans les Facultés de Sciences Économiques et de Gestion des grandes villes marocaines, à commencer par Casablanca.

Le gouvernement marocain avait besoin des avis d'un groupe d'experts pour rationaliser l'organisation de ces écoles, en dehors des querelles intra-marocaines sur le modèle à suivre, marocain, français, américain ou tout autre variante. La France ayant proposé son assistance pour l'expertise et pour la formation des cadres des futures écoles, le Maroc avait implicitement choisi le modèle français des écoles de commerce. Le MAE s'était adressé à la FNEGE qui avait proposé trois experts avec des profils complémentaires, Jean-Pierre Helfer, alors Directeur de l'IAE de Paris, Michel Klein, Professeur de Finances à HEC Paris et moi-même, Directeur de l'IECS Strasbourg.

 

C'était théoriquement une répartition idéale avec un représentant du public, du privé et du semi-public, mais voilà, les circonstances ont modifié radicalement l'équilibre de ce groupe d'experts...

 

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ROBESPIERRE VACILLE

6 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

PIERRE-JOSEPH CAMBON (1756-1820)

PIERRE-JOSEPH CAMBON (1756-1820)

Dans mon billet du 18 août dernier, je notais que la famine menaçait le pouvoir de la Montagne.

 

Oui, la Montagne était menacée d’être débordée sur sa gauche, un temps par les « enragés » puis par les Hébertistes qui s’emparèrent à leur tour de la question des subsistances.

Les Hébertistes étaient dangereux car ils étaient soutenus par la Commune, ils étaient très populaires auprès des sans-culottes et ils disposaient de deux appuis au Comité de Salut Public, avec Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Il s’y ajoutait que le club des Cordeliers leur était acquis et qu’ils pouvaient compter sur l'armée révolutionnaire.

Hébert réclamait non seulement la mort pour les accapareurs, mais exigeait la déchristianisation forcée du pays, provoquant l’inquiétude de la Convention qui craignait de susciter une opposition radicale de la part des catholiques.

Aussi, lorsqu’en mars 1794, Hébert tenta de prendre la direction de l'agitation contre le coût des subsistances, la Convention le fit exécuter, lui et ses lieutenants, sans provoquer, à son grand soulagement, de réactions dans les faubourgs.

La Convention avait aussi des opposants de droite, « Les Indulgents » qui estimaient que le processus de la Terreur allait trop loin. Elle les fit également exécuter, dont Camille Desmoulins et Danton, guillotinés le 5 avril 1794.

À cette étape de la Terreur, Robespierre dominait le Comité de salut public. Il fit remplacer tous les tribunaux révolutionnaires de province par le seul Tribunal Révolutionnaire de Paris, afin d’accélérer le rythme des supplices :

  • le 18 avril 1794, dix-sept hommes et femmes accusés d'affamer le peuple sont exécutés, 
  • le 20 avril 1794, vingt-quatre parlementaires passent à la guillotine, 
  • le 22 avril, c'est au tour de Malesherbes, Le Chapelier et Thouret,
  • le 8 mai, les vingt-sept fermiers généraux, dont Lavoisier, sont exécutés, puis deux jours après, Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI.

Pour Robespierre, cela n’allait pas assez vite. La loi du 22 prairial an II ( 10 juin 1794) s’efforça d’y remédier, inaugurant la période dite de la « Grande Terreur » : la loi déclarait que « le Tribunal Révolutionnaire de Paris a en charge de punir les ennemis du peuple dans les délais les plus courts, que la peine portée contre tous les délits dépendant dudit tribunal est la mort, que, s'il existe des preuves soit matérielles soit morales, il ne sera pas entendu de témoins, que la loi donne pour défenseur aux patriotes calomniés des jurés patriotes ; elle n'en accorde point aux conspirateurs. »

On vit alors des prisons entières vidées et conduites à l'échafaud, avec toutes sortes d’erreurs. on vit apparaitre une sorte de trou noir qui aspirait tous les acteurs de la Terreur vers la guillotine, se rapprochant toujours plus du centre du pouvoir.

Au cœur du système, l’Incorruptible concoctait une nouvelle « épuration », cette fois-ci à sa gauche, tandis que ses collègues le soupçonnaient de vouloir accéder à la dictature depuis la cérémonie de l’Être Suprême.

Pour préparer ce nouveau coup de filet, Robespierre ne parut plus au Comité de Salut Public à partir du 29 juin 1794, tout en continuant à fréquenter régulièrement le Club des Jacobins dont il faisait exclure ses ennemis. Ceux qui se sentaient menacés par Robespierre se rapprochèrent et s'unirent pour faire face à l'épreuve de force, et c'est alors qu'il se décida à passer à l’attaque le 26 juillet 1794, en montant à la tribune de la Convention. 

Désorientant les députés, il appela à épurer sans plus attendre les deux Comités, le Comité de Salut Public et le Comité de Sûreté Générale. Pour s’assurer du soutien de la droite, Robespierre n'omit pas de signaler au cours de sa harangue qu'il avait sauvé soixante-quinze Girondins, avant de s’attaquer à la gauche de l'hémicycle en la stigmatisant pour son système financier suspect, son exécrable conduite de la guerre et le mauvais usage qu’elle faisait de la Terreur.

Il déclara notamment : « La contre-révolution est dans l'administration des finances... Quels sont les administrateurs suprêmes de nos finances ? Des Brissotins, des Feuillants, des aristocrates et des fripons connus : ce sont les Cambon, les Mallarmé, les Ramel. »

Stupéfaite, l'Assemblée commenca par approuver Robespierre, sauf qu'il venait de mettre en cause nommément Pierre Joseph Cambon. Ce dernier n’était pas un député anonyme : négociant en toiles à Montpellier et député de l’Hérault, il faisait partie du Comité de Salut Public depuis avril 1793. Sa réputation d’expert financier lui avait valu de devenir Président du Comité des Finances. Il avait présidé plusieurs fois la Convention. C’est lui qui avait fait voter le Décret sur l’administration révolutionnaire française des pays conquis, à propos duquel il a écrit au Général Dumouriez chargé d’administrer la Belgique conquise : « Quand on aura ruiné les Belges*, quand on les aura mis au même point de détresse que les Français, alors on les admettra comme membres de la République ».

Ce n’était donc pas un tendre ! C’est lui aussi qui avait fait approuver la loi sur la confiscation des biens du clergé et qui avait créé le 24 août 1793 le  Grand-Livre de la Dette publique par lequel  la Convention reconnaissait les dettes de l’Ancien Régime, afin de se rallier les rentiers à la Révolution,

Mais juste après que Robespierre l'eut désigné à la vindicte publique, sa peau ne valait plus très cher et c’est pourquoi il eut le courage de monter à la tribune pour contrer Robespierre à qui il déclara dans un silence de mort : « Avant d'être déshonoré, je parlerai à la France, un seul homme paralyse la volonté de la Convention : Cet homme c'est Robespierre ! ».

* L’ironie de l’histoire voulut que Pierre Joseph Cambon fût contraint de s’exiler sous la Restauration chez les Belges, ceux la même qu’il voulait affamer: il est mort à Bruxelles le 15 février 1820…

 

 

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LA BAISSE DE FÉCONDITÉ EUROPÉENNE

1 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

ÉGLISE NOTRE DAME DE LA VISITATION À CHAMPLAIN

ÉGLISE NOTRE DAME DE LA VISITATION À CHAMPLAIN

En Europe, tous les taux de fécondité nationaux sont inférieurs à celui qui serait nécessaire au maintien de la population qui y vit.

 

En France, le taux de fécondité était de 1,9 pour 100 femmes en 2022, grosso modo stable depuis une trentaine d’années et donc inférieur au maintien de la population. Mais il est important de noter qu'il en est de même dans toute l’Europe, avec des taux particulièrement bas en Italie, en Grèce, en Roumanie et en Slovaquie.

De même, à l’est de l’Europe, la Russie connait un taux de 1,5% en 2020, de 1,38% en Biélorussie et de 1,22% en Ukraine, ce qui rend plus dramatique encore les pertes humaines dues à la guerre dans ce dernier pays. En 2020, deux cents écoles ont fermé en Pologne par manque d’effectifs. Pour sa part, le Portugal pourrait perdre la moitié de sa population d’ici à 2060. Déjà les territoires de l'est de l'Union Européenne ont perdu 6 % de leur population depuis 1990, soit 18 millions de personnes, soit l'équivalent de la population des Pays Bas.

De nombreux Européens pensent que cet affaissement démographique est une bonne nouvelle, parce qu'il correspond à leurs choix de vie : "nous aurons davantage d'espace", "nous polluerons moins", "les prix baisseront". Ils ne voient pas qu'en revanche, moins de jeunes, c'est aussi moins de contribuables pour payer leurs soins médicaux et leurs futures retraites, moins de consommateurs, moins de demande, moins de croissance et plus de pression migratoire.

Quoi qu'en pensent ses habitants, comme l'Europe est à l'origine de la Révolution Industrielle, que les sociétés européennes comptent parmi les plus laïques du monde et que les femmes y jouissent culturellement d'une grande égalité en droit, il est logique que cette Europe soit à l'avant garde la décroissance démographique. C'est pourquoi les taux de fécondité sont en baisse en Europe depuis presque deux siècles, c'est à dire depuis le début de la Révolution Industrielle. Pendant cette période, on a observé des variations, telles que l'accentuation de la baisse pendant la période qui entoure la crise de 1929 et au contraire le redressement provisoire de la natalité à partir de la fin de la guerre de 1940-1945, et même pendant cette guerre.  

Mais la tendance de fond, bicentenaire, est liée à des facteurs matériels comme l’urbanisation qui rend difficile, pour une famille, d’élever de nombreux enfants et à des facteurs socio-psychologiques, avec en tout premier lieu l’autonomie croissante des femmes qui a fait baisser le taux de fécondité, génération après génération, cette autonomie psychique s'appuyant sur l'autonomie physique atteinte dans les années 1960 avec la pilule contraceptive. 

Cette autonomie a été acquise contre la religion, qui offre un exemple éclatant de la dégradation de l’influence de la société sur la fécondité. Les catholiques comme les protestants étaient opposées à la contraception, ce qui donnait de grandes familles dirigées par mari et femme dans leurs rôles traditionnels respectifs de soutien de famille et d’épouse au foyer. Mais en Europe, la messe dominicale n’est désormais plus fréquentée que par une faible minorité de la population, l’influence de l’Église a baissé et l’union libre, sans mariage religieux, devient majoritaire. L'exemple de la France indique que la messe dominicale n'est fréquentée que par 6% des Français selon leurs déclarations* contre 31% en 1961.

Si l'on élargit nos observations en regardant vers le Québec, parce qu'il est particulièrement marqué par l'influence de l'Église sur la société, le taux de natalité y était de 39,5 pour 1000 en 1900, il était encore de 24 pour 1000 en 1962 pour s'effondrer brutalement en 4 ans, passant à 17 pour 1000 en 1968 : la "révolution tranquille" du gouvernement Jean Lesage était passée par là. Et ce taux de natalité a continué de baisser régulièrement par la suite pour n'atteindre plus que 9,3 pour 1000 en 2022, soit 80700 naissances, alors que la même année le Québec accueillait 70000 immigrés réguliers.

Sans l'immigration, l'immense Québec, trois fois la France, deviendrait en quelques dizaines d'années une zone quasi désertique, tout simplement parce que l'injonction faite aux familles et en particulier aux femmes de faire des enfants pour maintenir la société traditionnelle québécoise catholique n'est plus entendue, ni même plus du tout formulée...

Revenons à l'Europe pour constater que tous les chiffres vont dans le même sens: le taux de nuptialité (nombre de mariages civils pour mille habitants) baisse partout, avec un record de faiblesse pour la France: 2,3 pour 1000 habitants en 2021 alors qu'il était de 7,8 pour 1000 habitants en 1970. Quant au taux de divorce de ces mariages dont le nombre est déjà en chute libre, il dépasse désormais 50%.

 

Inutile de vous abreuver d'autres chiffres, puisqu'ils convergent dans le même sens que la donnée fondamentale que constitue la baisse de la fécondité en Europe.

 

Doit-on en conclure que la population européenne actuelle va disparaitre, submergée qu'elle va être par la population immigrée, à moins qu'il soit possible de pratiquer des politiques natalistes qui inverseront la tendance ?

 

A SUIVRE

 

* Jérôme Fourquet, L'archipel français, Seuil, 2019

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