L'OREILLE DE JENKINS
Les Anglais ne peuvent pas accepter les succès français dans les colonies, en Inde, aux Antilles et au Canada. Manifestement, ils se préparent à la guerre contre leur seul concurrent, la France coloniale.
La Compagnie des Indes avait un pouvoir important. Elle avait le droit, au nom du roi de France de conclure des traités avec les princes indiens, de battre monnaie et de rendre la justice, en s'appuyant sur une force armée navale et terrestre. Lorient, siège de la Compagnie, bénéficiait de la prospérité́ de celle-ci, mais les autres grands ports atlantiques comme Nantes et Bordeaux voyaient leur trafic s'envoler grâce aux bénéfices du trafic triangulaire entre l'Europe, l'Afrique et les Antilles.
Notamment, l'essor de ces dernières est spectaculaire. Entre 1715 et 1740, on constate à la fois l'augmentation de la population blanche, du nombre d'esclaves, de la production de sucre et du commerce atlantique. À Saint-Domingue, la production de sucre brut décuple entre 1714 et 1742.
Pendant la même période, le commerce franco-américain connait une croissance moyenne de 22 % l'an, alors que le commerce anglo-américain ne connaît qu'une expansion de 6 % l’an : la France rattrape son retard rapidement sur le Royaume-Uni dans le commerce colonial.
Or, au XVIIIesiècle, la marine française se retrouve seule face à̀ la marine anglaise après l'effacement de la marine néerlandaise. Cette dernière, qui avait mobilisé́ aux côtés de la Royal Navy des flottes de cent vaisseaux contre les escadres de Louis XIV, ne cesse de décliner. Elle n’a plus que trente-trois vaisseaux en 1745, puis vingt-huit en 1760. Les Provinces-Unies ont accepté́ les prétentions anglaises au contrôle militaire des mers, et vivent désormais à l'ombre de leur ancienne rivale. L'Espagne fait de son côté́ un grand effort de réarmement naval, mais la flotte espagnole, peu manœuvrante et mal équipée, n'est guère en mesure d'inquiéter la Navy. La rivalité franco-anglaise sur les mers ne peut qu’engendrer la guerre et c’est ce que prévoit un auteur anonyme en 1734 qui publie un Mémoire sur les moyens de faire la guerre à l'Angleterre d'une manière qui soit avantageuse à la France, ou pour prévenir que le roi d'Angleterre ne nous la déclare. Il observe en effet que si l’Angleterre entretient depuis les traités de paix de 1712-1713 une coûteuse flotte de plus de cent vaisseaux, sans compter les frégates, c’est pour faire la guerre à son seul ennemi potentiel, qui ne peut être que la France.
Cependant, durant les années 1720-1730, les campagnes navales françaises sont limitées à quelques engagements contre les Barbaresques et à quelques démonstrations dans la Baltique, en raison d’une politique très prudente du cardinal de Fleury. En effet, la guerre de Succession de Pologne (1733-1738) force le gouvernement à envoyer dans la Baltique une petite force de neuf vaisseaux et cinq frégates, porteuse de 1 500 hommes de troupe pour appuyer le nouveau roi de Pologne qui vient d’être élu avec le soutien de la France contre le candidat des Russes et des Autrichiens. Mais sous la pression russe, le nouveau roi, Stanislas 1er doit se réfugier à Dantzig puis en France et l’aide de la flotte française restera symbolique.
La guerre, qui deviendra ensuite la guerre de Succession d’Autriche reprend dés 1739 avec la guerre dite de l’ « Oreille de Jenkins » entre l'Espagne et l'Angleterre. Cette guerre est un pur produit de l’impérialisme anglais.
Les Espagnols ne pratiquent pas eux-mêmes la traite des Noirs mais achètent un nombre important d’esclaves d’origine africaine pour leurs colonies. Lors du Traité d’Utrecht de 1713, l’asiento pour les colonies espagnoles, à savoir le monopole de la traite des Noirs, a été concédé à la Grande-Bretagne pour une période de trente ans. Par ailleurs, l’importation de marchandises britanniques dans les colonies espagnoles est contingentée, à raison d’un navire britannique de marchandises par an. Or les Anglais organisent la contrebande qui est théoriquement réglementée par le traité de Séville de 1729, selon lequel tout bateau espagnol, même privé, peut inspecter tout bateau de commerce britannique croisant dans les eaux espagnoles. Ce « droit de visite » n’est accepté que du bout des lèvres par les Britanniques.
Aussi, lorsqu’en 1731, un navire contrebandier britannique, le Rebecca, est arraisonné dans les eaux espagnoles par un navire espagnol et que son capitaine saisit au collet le capitaine britannique, Robert Jenkins et lui tranche une oreille en lui disant : « Porte-la à ton roi, et dis-lui que je lui ferai la même chose si je le vois par ici ! », les Britanniques y voient une humiliation inacceptable pour un sujet britannique, même contrebandier.
Les parlementaires tories n’hésiteront pas, huit ans après l’incident (sic), à faire comparaitre Jenkins devant la Chambre des Communes pour qu’il raconte son histoire et montre le bocal contenant son oreille. On imagine aisément les parlementaires poussant des cris d’indignation, exigeant que l’honneur britannique soit lavé de cet insupportable affront fait à un contrebandier anglais, et sous le coup de l’émotion savamment simulée, obtenant du premier ministre Walpole, pourtant partisan de la paix, de déclarer la guerre à l’Espagne, le 30 octobre 1739.
Les Anglais n’ont jamais eu peur de la plus grossière manipulation pour arriver à leur fin. Le général Colin Powell, brandissant une soi-disant fiole d’anthrax à la tribune des Nations Unies n’est que leur digne successeur.
À SUIVRE
LES CONTRAINTES DU LIBAN
Vous l’avez peut-être remarqué, les experts sont désespérants, car, pour conserver leur crédibilité, aucune solution ne trouve grâce à leurs yeux. Heureusement, les faits leur donnent tort, car des solutions s’imposent toujours, par la vertu de la nécessité.
Les experts conviennent que, bien que les négociations soient enlisées, le Liban finira bien par trouver un accord avec le FMI. Ce dernier injectera alors des devises qui redonneront un peu d’oxygène au pays, car, ajoutent les experts, cet argent, dix ou vingt milliards de dollars, ne réglera pas les problèmes de fond du pays.
Certes, mais que doit donc faire la Liban pour s’en sortir ? Les experts, d’autant plus impavides qu’ils savent que leurs solutions sont non seulement inapplicables mais pire, inopérantes, vous disent carrément que le Liban doit se réinventer de fond en comble, développer une économie productive, instaurer un système fiscal plus redistributeur, rompre avec un système politique confessionnel complètement vicié. N’en jetez plus. Pouvez-vous me citer un pays, un seul, qui se soit « réinventé de fond en comble » ? Et vous pensez vraiment qu’un système fiscal redistributeur est la solution, juste parce qu’elle est moralement satisfaisante ?
Oublions les experts justement fatigués de raisonner en rond et regardons de près ce qu’est le Liban.
Avec dix mille quatre cents km2, le Liban est à peine plus grand que la Corse. Mais alors que la Corse compte, hors les touristes, trois cent trente-cinq mille habitants, le Liban en compte presque vingt fois plus, six millions deux cent mille habitants, dont deux millions deux cent mille réfugiés !
Avec les chiffres précédents, vous avez déjà, sans être expert, l’origine du problème libanais, trop d’habitants et surtout trop de réfugiés.
Bien sûr, si vous voulez fuir ce problème majeur, vous pouvez toujours vous intéresser à la culture libanaise fondée une société pluriconfessionnelle, qui a donné lieu à un système politique répartissant le pouvoir entre les grandes communautés, maronites, chiites, sunnites, druzes, orthodoxes. Si vous croyez qu’il faut d’urgence réformer ce système politique ou réduire la puissance du Hezbollah ou lutter contre la corruption, plutôt que, d’urgence obtenir le départ d’un nombre significatif de réfugiés, c’est que vous vous payez de mots ou, qu’au travers de la crise libanaise, vous voulez régler vos comptes avec tel ou tel groupe politico-social.
Si vous voulez vraiment régler la crise libanaise, essayez donc de régler le problème des réfugiés au Liban. Vous pouvez commencer par verser une allocation de 5000$ par réfugié (la moitié du PNB/ habitant) soit 10 milliards de $ par an. Cela devrait relancer l’économie libanaise avec tous les dommages collatéraux (inflation, transferts d’activité) que cela provoquera.
Mais jusqu’à maintenant, la communauté internationale, par les Nations unies principalement, s’est contentée de verser quelques centaines de millions de dollars pour aider le Liban à faire face à l’afflux de réfugiés. En revanche, hormis quelques exceptions, les pays occidentaux se sont toujours refusés à ouvrir leurs frontières aux réfugiés installés au Liban, si bien que l’aide internationale, tout en étant très insuffisante, a eu pour objectif non déclaré de fixer les réfugiés au Liban.
Or, il suffirait de reconstruire la Syrie pour relancer son économie donc l’économie libanaise et rendre tout le monde heureux. Halte là ! Nos amis américains veillent, avec pour objectif de montrer qu’ils ont toujours la capacité de rendre malheureux les gens qu’ils ont désignés comme leurs ennemis.
Depuis 2018, les États-Unis, dans leur guerre contre l’Iran et le Hezbollah, leur allié libanais, ne cessent d’accroître leurs pressions sur le Liban. Récemment, Washington, considérant que l’organisation chiite était partie intégrante du gouvernement, s’est fait un devoir d’imposer des sanctions à une partie croissante des autorités politiques libanaises.
De plus, pour empêcher le Hezbollah –et donc le Liban– de jouer un rôle dans la reconstruction syrienne et de sortir la tête de l’eau par la même occasion, Washington a promulgué une nouvelle loi punitive : le Caesar Act, qui impose des sanctions contre tous particuliers ou entreprises commerçant avec la Syrie.
Jusqu’à maintenant, la France s’est toujours refusée d’accepter les injonctions américaines de rompre le dialogue avec le Hezbollah. La distinction d’une branche politique et d’une branche militaire au sein du Hezbollah a permis à l’UE et à la France de garder un canal diplomatique avec l’organisation chiite et donc de rester un soutien du Liban, contrairement aux États-Unis, mais les pressions américaines s’intensifient sur Beyrouth, réduisant les marges de manœuvre de la France…
La solution de la crise du Liban ne passe pas, principalement, par des réformes politiques et économiques de la société libanaise. Elle se situe dans la bénévolence de la politique américaine à l’égard de l’Iran et de ses alliés. Or, quand on observe l’obstination bornée des États-Unis à appliquer des sanctions contre Cuba (depuis 1962 !), contre la Corée du Nord, le Venezuela et l’Iran, pour ne citer que les principaux ennemis que les États-Unis se sont auto désignés, il faudrait un véritable renversement de la politique américaine pour que les données économiques au Moyen-Orient s’améliorent.
En attendant que ce renversement de la politique américaine ait lieu, il ne reste qu’à contourner les sanctions américaines pour aider les Libanais à survivre et pas seulement eux : aider aussi les Syriens, les Iraniens et les Yéménites à résister à la pression profondément inhumaine de la politique américaine.
PS: En l'honneur d'un Liban plus que jamais meurtri, on ne manquera pas d'écouter (et de voir) cette magnifique chanson de Yasmine Hamdan:
Yasmine Hamdan-Balad
HARO SUR LA BANQUE DU LIBAN
Le gouvernement libanais dirigé par le sunnite Hassan Diab, homme d’affaires et professeur d’université, a démissionné le 10 août dernier. Il faut préciser que sa démission est un geste militant, car il s’associe souvent aux « réformes », qui consisteraient essentiellement à une redistribution des richesses, une sorte de « nuit du 4 août » libanaise qui verrait les riches redistribuer leur fortune aux pauvres.
La première cible des manifestants, contestataires et réformateurs, celui qui est censé bloquer les réformes, est Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban, qui s’est vu signifier par un juge libanais la saisie préventive de ses biens, le lundi 20 juillet, dans le cadre de la procédure judiciaire lancée contre lui par un groupe d'activistes.
Les activistes le considèrent en effet comme le partenaire d’une classe politique accusée de corruption. Avec le soutien de l’ancien Premier ministre Hassan Diab, ils lui font aussi assumer la responsabilité de la chute vertigineuse de la valeur de la livre libanaise face au dollar, chute qui a provoqué une formidable envolée des prix.
Or, jusqu’à une période récente, Riad Salamé était une personnalité respectée. Né en 1950 d’une famille maronite, il a travaillé pendant vingt ans, de 1973 à 1993 chez Merrill Lynch à Beyrouth et à Paris, dont il est devenu le Vice-Président de la filiale parisienne. Sa nomination au poste du gouverneur de la Banque du Liban le 1er août 1993, est due à Rafiq Hariri, ancien premier ministre sunnite assassiné en 2005, dont il gérait la fortune à Merrill Lynch. Il a ensuite fait ses preuves puisqu’il a été prorogé à quatre reprises dans son mandat, le dernier en cours s’achevant en 2023.
Pour attirer les capitaux, Riad Salamé a installé un rapport quasi fixe, qui s’est récemment effondré, entre la livre libanaise et le dollar, et il a introduit un bénéfice particulier pour les déposants de plus d’un million de dollars en livres libanaises. Ces derniers pouvaient souscrire des prêts à 2% de taux d’intérêt qui leur rapportaient 10%. Ainsi les prêteurs additionnaient deux rémunérations, les intérêts payés sur le prêt en dollars et les intérêts payés sur la livre libanaise. En outre, les banques libanaises qui montaient ces opérations complexes étaient fortement rémunérées.
Plusieurs controverses écornent désormais la réputation de la Banque du Liban et de son gouverneur. On s’interroge sur la lenteur de la banque centrale dans le processus de dévaluation de la valeur de la livre libanaise, sur le montant des pertes de la Banque du Liban et enfin sur le refus de procéder à un audit détaillé de la Banque du Liban qui pourrait révéler des anomalies susceptibles de gêner les partis politiques.
Ces accusations entourent de brumes les négociations destinées à remettre à flot les finances libanaises. Le gouvernement libanais (qui vient de démissionner) avait adopté fin avril un plan de réformes économiques afin de négocier une aide du FMI. Le pays compte sur un soutien de 10 milliards de dollars du FMI, en plus du déblocage des 11 milliards de dollars promis dans le cadre de la conférence Cèdre de 2018.
Toutes ces sommes sont conditionnées à la mise en œuvre de réformes toujours attendues, après dix-sept rounds de pourparlers et la démission du gouvernement libanais ne peut que les ralentir. Le blocage des négociations vient de ce qu’il n’y pas une mais deux délégations libanaises concurrentes et opposées qui négocient avec le FMI. D’un côté le gouvernement libanais, démissionnaire, poussait à engager des réformes tandis que la seconde délégation qui représente la commission parlementaire des Finances et du Budget, alignée sur la position de l’Association des banques du Liban, était réticente.
Les deux délégations libanaises (en clair le Gouvernement et la Banque du Liban) s’opposaient sur l’évaluation des pertes du secteur financier. La délégation du gouvernement estimait les pertes du secteur financier à 69 milliards d’euros tandis que celle de la Banque ne fait état que de 20 milliards d’euros.
Naturellement, les divergences concernaient aussi les recettes à adopter pour renflouer les banques. Ces dernières suggéraient un renflouement par l’État (bail-out), c’est-à-dire le remboursement des dépôts par l’émission de titres. À l’inverse, la solution qui était proposée par le gouvernement était celle d’un renflouement interne (bail-in), par une ponction qui ciblerait les gros déposants et engagerait la responsabilité́ des actionnaires.
Maintenant la donne a changé. D’un côté, la contestation fait entendre plus énergiquement sa voix à la suite de l’explosion portuaire et la pression du FMI et des bailleurs de fond est plus intense pour qu’aboutissent les négociations. D’un autre côté, la démission du gouvernement bloque ces négociations et la Banque du Liban n’est pas près de capituler parce qu’elle s’appuie sur la diaspora libanaise, qui a jusqu’ici assuré le financement du pays.
Mais ces ennuis financiers, même s’ils impactent cruellement le niveau de vie de la classe moyenne, ne sont que l’écume des contraintes dans lequel le Liban doit s’insérer pour survivre.
À SUIVRE
OÙ VA LE LIBAN?
Lorsque se sont produites les explosions dans le port de Beyrouth, le lundi 4 août vers 18 heures, tuant presque 200 personnes, en blessant entre cinq et dix mille et détruisant ou endommageant la moitié de Beyrouth, je m’apprêtais à publier une série d’articles sur le Liban, dont la situation économique, sociale et politique me paraissait déjà particulièrement critique.
L’explosion de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, saisie sur un bateau géorgien et entreposées depuis six ans dans le hangar 12 du port de Beyrouth souligne, peut-être, les failles de l’organisation libanaise, mais ce n’est pas sûr. En effet, les douaniers avaient alerté à six reprises sur le danger que représentait ce stockage, mais leurs recommandations n'avaient pas été suivies d’effet. De plus, les services de sécurité libanais avaient demandé en juin 2019 l’évacuation de l’entrepôt et les réparations de ses fissures. La justice libanaise n’avait pas suivi les services de sécurité quant à l’évacuation mais elle avait ordonné la réparation des fissures, que l’autorité portuaire avait accepté de faire.
Cette réparation était en cours, avec des travaux de soudure qui ont sans doute provoqué l’accident. Souvenons-nous de l’incendie de Notre-Dame de Paris, avant de prétendre que nous aurions fait mieux en France.
Il est certain que cette explosion aggrave fortement la situation générale au Liban et particulièrement celle de Beyrouth, tout en projetant une lumière crue sur les failles d’un système libanais pris à la gorge par des embûches qui le dépasse. En particulier, il ne suffit pas de se rallier au point de vue médiatique qui jette l’opprobre sur un système politique « corrompu » pour avoir la solution des difficultés du Liban. Pour ceux qui ont la mémoire courte, je rappellerai que le même opprobre a été jeté sur la Lybie de Kadhafi, entre autres, et on en voit le mirifique résultat.
Pour ma part, j’aime le Liban pour sa vie, sa lumière et son ouverture au monde. La première fois où je m’y suis rendu, lors d’un congrès de l’Association des Économistes de Langue Française, c’était pourtant à une date catastrophique pour le Liban, en mai 1975, au moment exact où débutait une guerre civile qui a duré quinze ans. Je rappelle notamment dans mon billet intitulé « Tout sauf la thèse » que « déjà le claquement sec des mitrailleuses troublait lourdement nos sorties au célèbre Holiday Inn. » mais que « les bruits de bottes n’ont toutefois pas empêché notre congrès de se dérouler à l’Université Saint-Joseph, dirigée par le célèbre Père Ducruet. Je me souviens d’y avoir rencontré de jeunes enseignants libanais dont le champ d’analyse embrassait le monde entier, d’avoir admiré les merveilles de Byblos au nord de Beyrouth et de Baalbek dans la vallée de la Bekaa ».
J’y suis également retourné après la guerre civile, découvrant un nouveau Beyrouth, doté d’une architecture moderne et assez froide qui cherchait à faire disparaitre les stigmates de quinze ans de destruction.
J’admire la capacité des Libanais à faire face avec courage aux situations les plus difficiles et à s’adapter aux changements du monde, même si je regrette parfois leur manque de rigueur. C’est pourquoi, je suis confiant dans leur capacité à réagir à la crise actuelle qui correspond à une situation particulièrement difficile.
Difficile, elle l’est en effet, puisque la République du Liban s’est tout bonnement déclarée en banqueroute le 9 mars dernier, pour la première fois de son histoire. Aujourd’hui, on ne sait plus très bien quel est le montant de sa dette publique qu’elle ne rembourse plus, mais qui doit représenter quelque part entre 170 % et 270% du produit intérieur brut (PIB).
Cette banqueroute a contribué à faire chuter la valeur de la Livre Libanaise, qui était autrefois indexée sur le dollar à raison d’un dollar pour 1507 livres libanaises. Aujourd’hui, plus personne n’achète de livres libanaises à ce taux, car il est beaucoup plus bas sur le marché parallèle où il lui est arrivé récemment de descendre jusqu’à 9000 livres libanaises pour un dollar. Il en résulte que tous les produits importés ont vu leurs prix multipliés par cinq ou six, faisant plonger d’autant le niveau de vie de tous les Libanais, étant donné que le Liban ne produit presque rien.
S’il ne produit presque plus rien, vous êtes en droit de vous demander de quoi vivaient les Libanais auparavant. Autrefois, le pays vivait de l’agriculture car il dispose d'une situation très enviable du point de vue de l’eau disponible et de la fertilité́ des terres. De fait, il possède la plus grande proportion de terres arables de tous les pays du Moyen-Orient. Outre les forêts de cèdres qu’il s’efforçait de protéger, le Liban produisait des fruits, des légumes, du tabac, des olives, du blé́ et…du haschich. Avant la guerre civile, l'agriculture contribuait au tiers du PIB libanais, aujourd’hui à moins de 5%. Voilà une piste de réforme pour le Liban du futur, la relance de son agriculture, mais aujourd’hui le pays, via l’économie souterraine, importe 85% des biens de première nécessité, avec, répétons-le, un dollar qui flambe, comme en Iran ou en Syrie.
Il existait aussi un secteur industriel dont je ne connais pas l’évolution et un tourisme, qui à lui seul représentait 20% du PIB, mais qui a plongé, du fait de l’instabilité régionale et de l’attractivité des villes du Golfe, Dubaï, Abu Dhabi et Doha.
Il ne restait plus au Liban, du fait de la défaillance de son système de production, qu’à emprunter en faisant appel à la « générosité » de l’énorme diaspora libanaise, quinze millions de personnes, soit plus de trois fois le nombre de Libanais restés au pays, éparpillée en Amérique du Nord et du Sud, comme notre Carlos Ghosn, en Europe et en Afrique. Elle comblait les déficits de la République du Liban jusqu’à peu, mais l’effondrement de la livre libanaise décourage désormais les prêteurs.
Auparavant, au contraire, prêter au Liban était une aubaine, et donc un privilège que se réservaient les riches membres de la diaspora et c’est une des questions qui est débattue avec le plus de passion au Liban au travers du procès intenté au Gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé et d’une manière générale aux riches, aux « corrompus » qu’il faut remette au pas au travers de « réformes ».
À SUIVRE