l'idéologie de l'oligarchie française
Le 10 octobre dernier, je m’interrogeais sur les raisons pour lesquelles les Français ne sont pas dirigés par des hommes politiques qualifiés, des dirigeants raisonnablement contrôlables et interchangeables? Pour éclaircir cette spécificité nationale au sein des démocraties occidentales, j’aborde un nouveau chapitre consacré au rôle de l’idéologie, comme outil de pouvoir entre les mains de l’oligarchie française
Dans toutes les sociétés, on attend des élites[1] qu’elles conduisent le mouvement, qu’il soit intellectuel, matériel ou philosophique. C’est pourquoi leur vision du monde est primordiale pour définir les idées autour desquelles s’organise la vie de la société. Encore faut-il que ces idées soient relativement en harmonie avec celles de la population qu’elles prétendent gouverner, à moins qu’elles ne veuillent la dominer et la contraindre, plus que la piloter.
Or, compte tenu de l’histoire mouvementée de la France, il est assez naturel que la capacité des élites à diriger le pays soit régulièrement contestée. Le « Qu’est-ce que le Tiers État ? » de l’abbé Sieyès, la parabole de Saint-Simon[2], la charge de Bernanos ou l’analyse de Marc Bloch sonnent toutes comme des assauts rémanents contre le système de sélection des élites françaises, une charge dans laquelle s’inscrivent les critiques contre la haute fonction publique et le personnel politique et médiatique du pays, accusés d’être incapables de diriger le pays.
Dans les années cinquante jusqu’aux années quatre-vingt, peu d’analystes mettaient en cause le désintéressement, le dévouement ou la compétence des grands commis de l’État, alors qu’aujourd’hui on stigmatise la confusion des rôles qui semble régner entre l’administration, la politique, les medias et les affaires. La population, qui est d’autant plus conservatrice qu’elle paie comptant les dégâts de la déréglementation enrage de ne pas être consultée par les « élites » sur les grandes questions qui l’engagent alors que ces dernières gaspillent des milliards d’Euros par impéritie, privilégient leurs avantages personnels sur le bien public et s’auto absolvent de toute faute. Se trouvent contestés aussi bien le recrutement des dirigeants politiques au sein des seuls hauts fonctionnaires que le système de sélection des élites qui réserve aux seuls élèves admis dans les classes préparatoires l’accès aux postes de responsabilité politiques et économiques, un système qui revient à en exclure le reste de la population française à l’âge de vingt ans.
Au moment où j’écris ces lignes, les politiciens au pouvoir n’ont aucune solution pour réduire la dette qu’ils ont accumulé depuis 1980. Ils n’osent pas expliquer à la population comment ils voient le futur du pays qu’ils dirigent. Ils ne se risquent pas à leur dire les efforts qu’il faudra fournir pour faire face aux charges qu’ils ont accumulées sur leur dos. Car d’un côté, ils sentent qu’ils sont impuissants à faire face aux problèmes qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer par électoralisme et de l’autre ils sont dans l’incapacité d’en convenir par peur d’être aussitôt balayés du pouvoir.
Mais comment ces « élites » peuvent-elles faire accepter aux citoyens français qu’il leur faut soutenir un système qui se déclare impuissant à infléchir le cours des événements ? Comment faire admettre à la population qu’il n’existe pas de solution aux problèmes de la société française ? C’est pourtant bien ce que déclarent nos politiciens, servilement relayés par les medias…
Écoutons les.
Ils nous expliquent que la France est menacée par la mondialisation qui lui a été imposée par les Etats-Unis qui veulent imposer leur style de vie, leurs produits et leur idéologie au monde entier. L’éveil de la Chine, de l’Inde et de tous les pays en voie d’industrialisation ne fait que renforcer ce danger. Quant à la France, conduite par une élite éclairée qui est aussi soucieuse du social que de l’économique, elle lutte pour une société qui préserve la dignité de l’homme. Mais comme le pays n’est plus assez fort pour agir seul, notre élite s’efforce de rassembler au sein de l’Union Européenne les pays qui partagent les mêmes valeurs. C’est cet effort qui justifie la multiplication des structures de l’UE, de la Commission Européenne jusqu’à l’Euro en passant par les accords de Schengen, qui nous a conduit à accepter des droits de douane ramenés à peu de choses et une aide à l’agriculture qui s’est réduite comme une peau de chagrin. Tout cela pour le bien de la population française. Mais il n’est jamais question de faire le bilan des avantages et des inconvénients de l’Union Européenne comme si les nouvelles structures étaient un fait acquis définitif, ou comme si la construction européenne relevait d’un dogme religieux. Et l’accroissement continu de la taille de l’UE génère des difficultés nouvelles d’adaptation aussi bien pour les anciens que pour les nouveaux pays membres.
Pourtant comment expliquer que la zone euro soit la région du monde où le taux de croissance est le plus faible ? Tout le monde a compris que l’Europe n’est pas plus à l’origine des désordres de la France qu’elle n’est en mesure de les faire disparaître. L’Europe est une donnée, une contrainte et une opportunité, mais le destin des Français est entre les mains de leur gouvernement. Même si la bureaucratie européenne n’est pas très secourable, la répartition du pouvoir en France que révèle clairement le mode de recrutement des dirigeants semble bien plus à l’origine des difficultés du pays que le bon ou le mauvais fonctionnement des structures européennes dont ces mêmes dirigeants, après les avoir imposées à leurs concitoyens, ont l’impudence de se plaindre. Ce sont ces mêmes dirigeants qui pilotent un État omnipotent mais jamais responsable ni coupable, un Etat qui fabrique des gens mécontents de leur sort, d’éternels quémandeurs de subsides, des citoyens qui s’enfoncent dans un taillis d’allocations, d’indemnités, de droits acquis et de statuts.
Pour l’oligarchie en place, il est inconcevable de reconnaître que l’organisation du pays est en cause, d’où les discours incantatoires autour de l’idéologie républicaine présentant la France comme la patrie des droits de l’homme, en butte à l’hostilité de méchantes puissances étrangères qui lui veulent du mal.
[1] Selon la définition du Petit Robert : « ensemble des personnes les meilleures, les plus remarquables d’une communauté ».
[2] « Nous supposons que la France perde subitement… », Qui montrait que l’importance généralement sous-évaluée des élites scientifiques et la subséquente surévaluation des élites politiques.
Du catastrophisme à la gestion de la planète
Je dois avouer que le totalitarisme écologique provoque de ma part une réaction instinctive de défense qui m’incite à examiner avec méfiance les arguments des écologistes quant aux conséquences de l’activité humaine sur la planète.
Tout d’abord je m’étonne que l’on trouve du côté des propagandistes du catastrophisme écologique un amuseur public comme Nicolas Hulot dont les connaissances scientifiques m’apparaissent très faibles et du côté de ses opposants un scientifique comme Claude Allègre, voué aux gémonies par les medias, mais que j’ai tendance à trouver plus sérieux que le premier. Ensuite je me méfie fortement du catastrophisme en politique, parce qu’il permet de mobiliser les foules pour des causes qui se révèlent nocives à terme. Si la lutte contre le terrorisme a engendré la guerre d’Irak, quelles seront les conséquences politiques et stratégiques de la lutte contre le réchauffement planétaire ?
Ce réchauffement n’est d’ailleurs pas aussi stable et assuré que l’on nous l’affirme en se fondant sur les publications du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Une étude sur l'évolution de la température moyenne globale des onze dernières années publiée par l'équipe britannique de l'université d'East Anglia et par le Centre de recherche climatique d’Hadley montre en effet qu’entre 1998 et 2008, la tendance moyenne de l’accroissement de la température n’a été que de 0,02 ºC par décennie alors que le Groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat (GIEC) table sur une croissance de 0,2 ºC par décennie environ, soit dix fois plus. Naturellement ces derniers résultats sont contestés par les experts favorables à un fort taux d’accroissement de la température moyenne et leurs arguments ne sont pas négligeables.
La différence entre les deux prévisions serait due au fait que les données de température moyenne globale du centre Hadley n'incluent pas l'Arctique où s'est produit le plus fort réchauffement ces dix dernières années. Mais les zones arctiques sont dépourvues de stations météorologiques, si bien que les données du GISS ne sont calculées que par interpolation. Il semblerait que les températures moyennes globales de la prochaine décennie seraient de toute manière inférieures à celles de la décennie écoulée parce que l'augmentation de la température due aux activités humaines serait contrebalancée par la variabilité naturelle du système climatique. Il ne faut pas oublier que l’activité du Soleil serait un facteur explicatif majeur des variations de température sur la Terre, ce qui paraît assez logique. Au total, les prévisions d’accroissement de la température ne semblent ni stables ni assurées.
À la lumière de ces incertitudes, examinons donc la nature de lutte engagée par les pouvoirs publics pour la baisse de la consommation de gaz carbonique et lisons avec intérêt les arguments contraires développés par Christian Gerondeau. Selon les premiers, il serait devenu indispensable pour la survie de l’humanité de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et d’abord du gaz carbonique, le CO2, qui en constitue l’essentiel. Or il est impossible, observe Christian Gerondeau, que l’humanité renonce à utiliser ses réserves de pétrole, de gaz naturel ou de charbon et donc il est tout aussi impossible d’éviter que l’utilisation de ces énergies ne conduise à des rejets de C02. Par conséquent la concentration de gaz carbonique va continuer à croître jusqu’à ce qu’elle plafonne et finisse par disparaître lorsque les gisements seront épuisés, sans doute vers la fin du XXIe siècle. Tout ce que l’on peut obtenir, en limitant la consommation d’énergie dans les pays développés, c’est de lisser l’accroissement des gaz à effet de serre sur une plus longue période et de permettre aux pays émergents de se substituer à eux dans l’exploitation des réserves de pétrole, de gaz et de charbon jusqu’à épuisement, ce qui n’est déjà pas si mal.
Faisons donc le point de ce que l’on sait et ne sait pas :
- On sait que la population mondiale va continuer à s’accroître jusqu’à compter 9 milliards d’habitants dans un peu plus d’un siècle, sauf guerre d’extermination ou cataclysme imprévisible. Il faut donc se partager le gâteau, c’est-à-dire l’espace et l’énergie. C’est ce que l’on peut prévoir aujourd’hui. Donc toute économie d’énergie est la bienvenue aujourd’hui.
- On sait que les émissions de gaz provenant de l’activité humaine sont nocives pour les êtres humains, les animaux et les plantes. La réduction de la pollution ne peut être que positive pour l’humanité, si elle ne malmène pas trop leur vie par ailleurs. Je pense par exemple aux dommages collatéraux des éoliennes et à la diminution de la qualité et du niveau de vie induits par les économies d’énergie.
- On ne sait pas si l’activité humaine engendre vraiment un accroissement significatif de la température du globe terrestre. Il est par conséquent contreproductif de jouer avec le catastrophisme dans ce domaine, ce qui risque de mettre en péril les politiques d’économie d’énergie qui ont d’autres objectifs, partage du gâteau énergétique et réduction de la pollution.
En conclusion, plutôt que de s’amuser à terroriser les foules avec des prévisions cataclysmiques, il me semblerait plus humain, plus positif et plus joyeux de leur expliquer qu’il faut faire un peu de place pour les nouveaux êtres humains qui arrivent et leur laisser quelques ressources.
Pour cela, il suffira de mettre en place un management plus efficace des sociétés humaines. Les gains potentiels en matière de productivité et de bonheur sont immenses, compte tenu de la médiocrité de nos systèmes de gouvernement.
Terre!
Le 30 septembre dernier, j’évoquais dans un article intitulé « Notre religion cachée sous les oripeaux de la raison », la nécessité pour chacun d’entre nous de donner un sens à notre présence sur la Terre. Il nous faut donc disposer d’une forme de transcendance qui nous permette de cheminer dans la vie au sein d’un Univers dont le sens nous échappe. Mais voilà qu’aujourd’hui, on veut nous terroriser et nous culpabiliser en nous expliquant que la destruction programmée de notre biosphère est notre faute !
Bien sûr, nous savons depuis toujours que notre existence est conditionnée par celle de la Terre. C’est elle qui pourvoit à tous nos besoins matériels. Longtemps, nous nous sommes prosternés devant la puissance des éléments déchaînés et nous subissons toujours la violence des intempéries comme l’imprévisible fureur des tremblements de terre.
Nous savons que la Terre s’est formée voici quatre milliards six cent millions d’années. L’histoire des pierres et des fossiles nous raconte l’évolution de la Terre et le développement des espèces qui l’ont peuplé. Nous savons aussi que l’aventure de la vie s’inscrit dans le conflit plurimillénaire entre l’eau et la terre. Nous sommes conscients que le mouvement perpétuel de l’atmosphère et des océans est impulsé par l’énergie solaire et la rotation de la Terre ; nous observons en permanence les masses d’airs humides provenant des Océans tropicaux qui migrent vers le froid en déversant pluies et neiges. Nous sommes très attentifs aux moindres changements dans la circulation atmosphérique qui peuvent transmuer la plaine la plus fertile en désert aride !
Au cours du temps, l’attraction terrestre et les fleuves entraînent irrésistiblement les montagnes les plus fières au fond des océans, au point que vingt millions d’années suffisent pour immerger n’importe quel massif. Si l’on compte bien, depuis le début de l’histoire de la Terre, tous les continents ont été déjà engloutis deux cents fois. Par des mouvements qui nous sont quasiment imperceptibles au cours d’une vie humaine, des régions entières s’élèvent tandis que d’autres sombrent et que toutes glissent à la surface du globe.
Sous nos pieds se trouve un énorme magma de forces entravées, que l’homme moderne estime être capable de contrôler et d’exploiter. Dans ce paysage qu’il a modelé, il s’y croit en sécurité. Mais il suffit que se libère qu’une infime fraction de l’énergie enfermée sous l’écorce terrestre pour provoquer un tremblement à la surface, qui génère d’immenses vagues de pierres. Aussi, si nous pouvons faire semblant de ne pas voir quelle est la nature réelle de notre demeure formée d’une fine couche de sial surmontée de quelques kilomètres d’air respirable, il serait tout de même bon de s’en souvenir lorsque nous bouleversons notre lieu de vie car nous ne disposons d’aucun habitat alternatif à cette faible croûte agitée qui file dans le ciel. Mais pour autant, quelle est notre responsabilité réelle, en tant qu’être et société humaine, dans les changements qui affectent la Terre ?
Car le mystère devient incommensurable lorsque nous voulons bien lever la tête vers l’infini sombre et insaisissable : que signifie cet Univers qui surgit au creux de la nuit, ce cosmos illuminé d’incendies inconcevables et d’abîmes insondables ?
Une démocratie de carton-pâte
Le 21 septembre dernier, j’ai publié un article intitulé « la peur comme principe de gouvernement » dans la série que je consacre au fonctionnement oligarchique de la société française. C’est en effet un principe très largement appliqué que d’utiliser la peur pour contraindre les foules à se laisser conduire là où les gouvernants le souhaitent, y compris parfois jusqu’à la mort. Un autre principe consiste à brandir haut l’oriflamme de la démocratie, tout en ne laissant aucun véritable choix aux électeurs.
C’est ainsi qu’à l’orée de l’élection présidentielle de 2007, l’alternative offerte aux électeurs français se réduisait au choix alternatif de personnages politiques qui partagent tous ce qu’ils appellent la même vision « républicaine » du pays. Cela signifie qu’aucune décision prise par l’un n’est jamais remise en cause par l’autre, comme les dénationalisations, accomplies aussi bien par les gouvernements dits de « droite » que de « gauche » ou les impôts et prélèvements sociaux sans cesse alourdis par la gauche et jamais remis en cause par la « droite » une fois au pouvoir. Aujourd’hui la situation est encore pire, l’effort du Président de la République actuel consistant à gommer la frontière entre la droite et la gauche en prenant en otage les personnalités de gauche et en s’emparant des thèmes politiques à la mode. À fortiori les grands choix imposés du dehors à la société française comme la construction européenne ou l’installation d’une population immigrée que les postulats spécifiques à l’État français comme l’importance de la fonction publique ou l’organisation des systèmes éducatif et judiciaire ne sont jamais remis en cause par la classe politique qui s’est succédé au pouvoir depuis des décennies.
Les représentants de l’oligarchie soutiennent que leur consensus est tout naturel, qu’il n’est qu’une simple question de bon sens, même si la majorité de la population ne partage pas leur avis. Or l’extraordinaire dispersion des voix et le fort taux abstention au premier tour de l’élection présidentielle de 2002 a montré qu’une majorité se refuse à adhérer aux options prises par le personnel politique aux affaires. De plus la propagande médiatisée est impuissante à renverser le mouvement de défiance envers la classe dirigeante comme l’a révélé le hiatus qui s’est formé entre les cinquante-cinq pour cent de votants qui se sont prononcés contre le projet de constitution européenne en mai 2005 et la quasi-unanimité de la classe politique qui le soutenait mordicus. Certes, le système électoral cousu main pour que l’oligarchie se maintienne au pouvoir permet d’obtenir des majorités électorales mais elle n’a pas d’effet sur l’opinion profonde des citoyens, une opinion fondée sur leur propre expérience de vie.
Peut-on donc avancer que l’élite française conduit, malgré lui, le peuple vers un avenir raisonnable ? l’adhésion du peuple français semble pourtant nécessaire pour que le pays consente les efforts nécessaires à son adaptation à la nouvelle donne mondiale, tant il nécessite de bouleversements. Pour obtenir ce consensus, un débat s’impose sur l’ensemble des principes et des structures qui définissent le système français, un débat qui n’a lieu que très rarement, en général lors des campagnes présidentielles et à condition que les candidats estiment qu’il leur faille faire bouger les lignes idéologiques pour l’emporter. En 2002, le débat a été escamoté par le second tout Chirac Le Pen, qui a permis de rassembler artificiellement les quatre cinquièmes de la population autour des « valeurs républicaines ». D’une façon générale, il ne faut pas compter sur les classes dirigeantes françaises pour l’aborder dans la mesure ou leur pouvoir est intimement lié à la survie de ces mêmes principes et structures. C’est ainsi qu’imperturbablement les porte-voix de l’oligarchie affirment que les services publics français comptent parmi les meilleurs du monde mais qu’il faut tout privatiser, qu’ils accroissent sans cesse la fiscalité tout en affirmant qu’elle a atteint un niveau maximum, qu’ils accroissent sans cesse la charge de la dette publique tout en proclamant qu’ils souhaitent réguler l’économie française. Au final, la population paye dans sa vie quotidienne les conséquences des contradictions qui s’accumulent et l’écart de vitesse entre l’évolution de la société française et celle du monde devient de plus en plus élevé. Le diagnostic est que la fermeture du système politique empêche la formation d’un consensus sur les objectifs de la société et qu’elle interdit toute mobilisation collective pour permettre à la France de s’adapter aux changements du monde.
Finalement, comment expliquer que les Français ne soient pas dirigés par des hommes politiques qualifiés pour résoudre les difficultés de la société française et raisonnablement contrôlables et interchangeables? Pour éclaircir cette spécificité nationale au sein des démocraties occidentales, il nous reste à intégrer le rôle de l’idéologie forgée pat l’oligarchie française afin de se maintenir au pouvoir.
Management à la française
L’affaire des suicides qui se succèdent parmi les employés de France Telecom attire l’attention sur les pratiques de management de cette entreprise. Il serait trop sommaire d’expliquer directement ces suicides par ces pratiques, mais il est un fait que les medias, et donc l’opinion, relient implicitement ces actes de désespoir à la pression psychologique que les salariés subissent au sein de France Telecom. L’image de l’entreprise s’en trouve détériorée et des mesures symboliques s’imposent rapidement pour modifier son image externe et interne. Parmi ces mesures, la toute première consiste à remplacer les dirigeants en place. Les confirmer dans leurs fonctions en leur demandant de corriger eux-mêmes les mesures qui ont conduit à cette situation ajoute de la crise à la crise puisque cela correspond à un signal négatif envoyé aux employés et à l’opinion. C’est pourtant ce que vient de décider Christine Lagarde, Ministre de l’Économie. Pourquoi ?
Il faut prendre conscience que la responsabilité des Conseils d’Administration (CA) est considérable dans le bon ou le mauvais management d’une entreprise puisque ce sont les CA qui choisissent les dirigeants et qui décident de les maintenir en poste ou de les écarter. De ce point de vue, les Conseils d’Administration des grandes entreprises françaises n’offrent pas toutes les garanties qui nous permettraient de croire qu’ils choisissent en général des dirigeants de bon niveau. Leur composition laisse penser le contraire. Les conseils sont en effet constitués de membres qui se redistribuent entre eux les postes d’administrateurs. Un tel, nommé dans le CA de Total par exemple, renvoie l’ascenseur en faisant nommer le PDG de Total comme administrateur dans sa propre entreprise. Cette connivence qui rassemble les CA des grandes entreprises françaises permet d’identifier un groupe de quelques centaines de personnes au maximum qui nomment les dirigeants des grandes entreprises, des dirigeants qu’ils choisissent naturellement parmi…eux-mêmes ! Il est donc bien difficile de virer un manager sans s’exposer à des représailles croisées.
Naturellement les considérations politiques viennent interférer dans le processus de nomination des dirigeants, et pas dans le bon sens, dans la mesure où le fait de choisir un féal politique n’implique pas que l’élu soit pour autant un bon manager. Cette pratique n’est pas aussi répandue dans les CA d’autres pays. Même en l’Allemagne où les CA sont très fermés, ces derniers prennent soin de recruter des dirigeants qui ont une longue expérience de l’entreprise, à l’inverse de la France où les CA vont chercher presque systématiquement les dirigeants à l’extérieur de l’entreprise.
C’est ainsi que lorsque Christine Lagarde, Ministre de l’Économie, apporte son soutien au PDG de France Telecom, Didier Lombard, elle choisit de ne pas bouleverser les équilibres complexes qui ont conduit à sa nomination, plutôt que de porter le fer dans la crise. La Ministre montre clairement que la nomination des dirigeants des grandes entreprises françaises ne dépend pas de leur capacité à manager mais plutôt de critères d’ordre politique. Aussi la responsabilité du mauvais management ne peut-elle être imputée qu’au cercle des dirigeants politico-économiques qui nous gouvernent, quelques centaines de personnes tout au plus groupées autour des Sarkozy, Bouygues, Lagardère et autre Bernard Arnault. Pensez au vieux scandale du Crédit Lyonnais ou à la catastrophe de Jean-Marie Messier à Vivendi…En outre, le management à la française doit faire face à un second problème lié à l’effet d’image que le management au plus haut niveau de l’État induit sur l’ensemble des organisations françaises, publiques ou privées. La façon dont est dirigé l’État français est naturellement un modèle à suivre par les organisations qui dépendent de lui. Or l’État français est centralisé depuis des siècles et le Président de la République actuel a de plus décidé d’assumer directement cette centralisation en apparaissant comme le seul responsable de toutes les décisions politiques prises en France. Cette structure centralisée et cette attitude présidentielle induisent un effet d’imitation sur les dirigeants français, qui sont de plus des amis du Président et de ses équipes : puisque le Président de la République Française décide de tout, les présidents des organisations qui lui sont inféodées font de même. Dans les entreprises, les PDG ambitionnent tout naturellement de jouer les Sarkozy, comme autrefois ils jouaient à De Gaulle. Et les structures de pouvoir abondent dans le même sens, comme les universités devenues autonomes dont les nouveaux statuts attribuent l’essentiel des pouvoirs aux présidents d’université.
Au total, le management français des grandes entreprises souffre de deux maux spécifiques, le principal étant celui du critère de choix de dirigeants sélectionnés au sein d’un cénacle restreint pour des raisons étrangères à leur qualité de manager auquel s’ajoute le caractère hyper centralisé de l’État français qui incite les dirigeants des entreprises privées comme des organisations publiques à pratiquer le même style de management centralisé.
Du coup, on peut comprendre que les salariés français soient plutôt conservateurs. Ils craignent en effet l’arrivée de nouveaux PDG et ils abhorrent les changements de statut, sachant que, sauf divine surprise, rien de bon ne peut provenir d’un dirigeant plus préoccupé de son avancement au sein de l’oligarchie française que du niveau de motivation de ses employés.