LA MAITRISE DU MONDE?
LA MAITRISE DU MONDE ?
L’humanisme est tout entier fondé sur le principe de contrôle, de la nature et de soi-même. Or les résultats spectaculaires de l’humanisme dépassent les attentes de ses promoteurs, d’où la remise en cause partielle ou totale de ses principes.
Nous devons tout d’abord nous souvenir que la science est une création grecque qui date de 2500 ans, en partant de l’idée que la réalité sensible, celle à laquelle les sens nous donnent accés, n’est pas la seule réalité accessible.
Avec les Grecs, l’homme a subodoré qu’il y avait des choses derrière les choses, donnant le départ au développement des connaissances en Occident. Comment avoir accés à ces connaissances ? Platon pose qu’il s’agit d’Idées et que l’on y accède par la dialectique, c’est-à-dire que l’on confronte des idées en éliminant dans ce processus les idées incohérentes. On fera donc de la dialectique pendant deux mille ans, sans aboutir à une connaissance certaine, uniforme et partagée de ces choses derrière les choses.
En assurant que le livre de la Nature est écrit en langage mathématique, Galilée a permis le passage du monde qualitatif des idées au monde quantitatif de la mesure des choses.
La mesure est en effet le procédé qui permet de passer d’une sensation qualitative à une donnée quantitative, de l’éloignement d’un objet à la distance qui m’en sépare. Elle constitue la deuxiéme rupture dans l’ordre de la pensée, après la première avancée du monde des Idées de Platon, à laquelle elle donne tout son sens. Et puis tout se mesure, les distances comme les profits, ce qui signifie que ce qui ne se mesure pas n’a pas d’intérêt, ou plus précisément n’a pas de valeur.
Notre rapport à l’espace et au temps est significatif à l’égard de la mesure. Nous n’avons pas besoin d’un mètre pour évaluer une distance, mais nous avons besoin d’une montre pour connaitre l’écoulement du temps objectif que nos sensations ne nous permettent pas d’apprécier. Derrière le temps normalisé apparait une vision déterministe de la nature.
Si le monde est déterministe, comme l’affirme Descartes et tous les scientifiques jusqu’à la fin du XIXe siècle, il est possible de prévoir son évolution. Si l’homme peut prévoir, il peut modéliser les conséquences de ses choix, donc il peut choisir son avenir : l’homme devient Dieu, puisqu’il maitrise son destin.
Jusqu’à ce que la science découvre progressivement les limites de son pouvoir de maîtrise, qui l’empêche de décrire totalement la réalité. Le théoreme de Gödel, le second principe de la thermodynamique, le chaos déterministe en mécanique, les relations d’incertitude en physique nucléaires, marquent, entre autres, les limites des avancées scientifiques sur le chemin de la vérité.
En outre, la science porte en elle la technologie qui est mise en œuvre pour maitriser la nature, technologie qui engendre des effets indésirables, en vertu du second principe de la thermodynamique. Petit à petit, ces effets indésirables, comme la pollution deviennent insupportables, ce qui conduit au développement d’une nouvelle technologie pour les éliminer, qui génére à son tour de nouveaux effets désirables. Une spirale technologique illimitée s’installe, l’une corrigeant la précedente…
Pour sa part, l’économie entre progressivement dans l’ère du non-maitrisable. Le supplément de pouvoir d’achat dégagé par le progrés technologique, les effets d’expériences et les économies d’échelle ne servent plus seulement à satisfaire des besoins limités, mais des désirs illimités.
Enfin, lorsque la sociologie montre que l’on peut expliquer le comportement humain à partir de sa culture et que la psychanalyse renchérit en l’expliquant à partir de son insconscient, la philosophie abandonne la morale kantienne, selon laquelle l’être humain est libre et responsable.
En constatant la remise en cause de la notion de maitrise, l’Homme-Dieu en vient à débattre de l’humanisme qui l’avait mis en mouvement.
À SUIVRE
LES ENJEUX DES DÉCALAGES DÉMOGRAPHIQUES
Ces décalages entre les taux de fécondité nationaux constituent de profondes sources d’antagonisme.
D’un côté les pays dont la population baisse sont soumis à une pression migratoire croissante comme on l’observe en Europe et d’un autre côté, les pays dont le taux de fécondité est élevé seront, s’ils ne le sont pas encore, incités de plus en plus énergiquement à prendre des mesures de nature à réduire leur natalité.
Le tableau ci-dessous (les données complètes se trouvent dans l’article cité précédemment) présente une comparaison des populations de différents pays en 2017 et en 2100, calculées par le modèle de l’IHME. Il nous a paru utile d’indiquer la date à laquelle chaque pays a atteint le pic de sa population durant la période 2017-2100, aussi avons-nous ordonné de manière décroissante les pays en fonction de l’année qui a vu leur population atteindre ce niveau maximum :
PAYS |
POPULATION 2017 En millions d’habitants |
MAXIMUM POPULATION (année) En millions d’habitants |
POPULATION 2100 En millions d’habitants |
NIGERIA |
206 |
790 (2100) |
790 |
EGYPTE |
96 |
199 (2100) |
199 |
R. D. CONGO |
81 |
246 (2100) |
246 |
ALGÉRIE |
40 |
79 (2100) |
79 |
ISRAEL |
9 |
24 (2100) |
24 |
ETHIOPIE |
102 |
240 (2080) |
154 |
TURQUIE |
80 |
112 (2068) |
101 |
GRANDE BRETAGNE |
67 |
75 (2063) |
71 |
ÉTATS-UNIS |
325 |
363 (2062) |
336 |
MAROC |
35 |
42 (2051) |
32 |
IRAN |
82 |
95 (2049) |
70 |
INDE |
1380 |
1605 (2048) |
1093 |
FRANCE |
65 |
71 (2046) |
67 |
BRÉSIL |
212 |
235 (2043) |
165 |
ALLEMAGNE |
83 |
85 (2035) |
66 |
CHINE |
1410 |
1431 (2024) |
732 |
POLOGNE |
38 |
38 (2017) |
15 |
RUSSIE |
146 |
146 (2017) |
106 |
JAPON |
128 |
128 (2017) |
60 |
ITALIE |
61 |
61 (2017) |
31 |
Certains chiffres sont spectaculaires, voire provocateurs : en 2100, le Nigeria atteindrait 790 millions d’habitants, plus que la Chine, tandis que cette dernière verrait sa population diminuer de moitié, comme le Japon, l’Italie ou la Pologne. D’autres comparaisons sont moins surprenantes, comme la population de l’Algérie qui dépasserait celle de la France en 2100 et serait au moins deux fois plus nombreuse que celle du Maroc…
On ne peut donc prendre à la lettre ces résultats, issus d’un modèle prévisionnel provisoire. Mais ils s’inscrivent dans le cadre de deux tendances persistantes, la baisse et les inégalités des taux de fécondité à travers le monde.
Or, la baisse du taux de fécondité relativise, dans le temps, la pression humaine sur l’environnement et les inégalités de ces taux de fécondité entre les pays sont porteurs de risques de conflits entre pays ayant des profils démographiques différents, car le pouvoir d’une population est directement, sinon exclusivement, lié au nombre.
Rappelons-nous que la France, à l’époque géant démographique, a dominé l’Europe du XVIIeet XVIIIe siècles avant de s’effondrer démographiquement au XIXe siècle pour subir la loi de l’Allemagne, nouveau géant démographique, à la croisée des XIXe et XXe siècles.
En outre, la coexistence de pays avec des taux de croissance démographique différents, les uns encore croissants, les autres décroissants, implique une pression démographique des premiers vers les seconds, au moyen de migrations qui annoncent d’autres conflits pour le partage du pouvoir à l’intérieur des pays d’immigration, entre les populations autochtones et les populations immigrées ainsi qu’entre les diverses populations immigrées entre elles.
Ces chiffres annoncent aussi, si l’on prolonge les courbes, le remplacement de toutes les populations mondiales, de l’Europe à la Chine en passant par les Amériques, par des populations d’origine sub-sahariennes. Mais n’est-ce pas ce qui est déjà arrivé à l’homme de Néandertal remplacé par l’homo sapiens ?
Ces chiffres annoncent enfin, comme toutes les autres prévisions démographiques, la disparition de l’humanité entre 2200 et 2400.
À moins que, comme toujours, l’histoire à venir ne se joue des tendances en les corrigeant, d’une manière ou d'une autre…
L’ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE AU XXIe SIÈCLE
Une étude publiée récemment dans The Lancet[1]remet en question le scenario élaboré précédemment par l’ONU[2]qui prévoyait une croissance continue de la population mondiale au XXIe siècle.
Selon ce rapport de l'ONU sur la population mondiale, la Terre devrait porter 9,7 milliards d'habitants en 2050 et 10,9 milliards en 2100, contre 7,7 milliards actuellement. Mais la nouvelle étude de l'IHME, financée par la fondation Bill et Melinda Gates, prédit un pic de population à 9,7 milliards d’habitants dès 2064, avant un déclin continu sauf mesures correctrices, qui réduira la population mondiale à 8,8 milliards en 2100.
Chacun comprend que connaitre les futurs niveaux de population permet de prévoir les besoins futurs de l’humanité. Ces prévisions portent principalement sur les tendances futures de la fécondité qui restent incertaines, mais aussi sur l’évolution de la mortalité et des migrations.
Selon l’IHME, les progrès dans le niveau d'éducation des femmes et dans l'accès à la contraception permettent de prévoir que la croissance démographique mondiale ne se poursuivra que moins d’un demi-siècle pour décliner continuellement ensuite. Cette prévision est naturellement fondée sur la baisse persistante du taux de fécondité, qui, en deçà de 2,1 enfants par femmes en âge de procréer n’assure plus le renouvellement de la population. Or, ce taux de fécondité devrait atteindre, selon une prévision moyenne, 1,66 par femme en âge de procréer en 2100.
Il est clair que si ce taux de fécondité ne remonte pas, la population humaine sera rapidement, c’est-à-dire en l’espace de quelques siècles à peine, condamnée à disparaitre. Cependant, ces calculs ne produisent que des prévisions fondées sur les tendances passées, ils sont donc incertains, sujets à révision permanente et les tendances naturelles peuvent être corrigées soit par des mesures gouvernementales qui favoriseraient la natalité soit par le remplacement partiel de la procréation naturelle par des procédés de procréation artificielle.
Bref, les informations que fournit l’IHME sont provisoires, mais il faut tout de même retenir que toutes les tendances observées conduisent à une réduction du nombre d’enfants par femme, qui, à plus ou moins long terme, conduisent à une diminution et un vieillissement de la population.
Cette réduction de la population engendre un résultat que l’on peut considérer comme positif, qui est celui de la baisse de la pression humaine sur l’écologie et son corollaire l’angoisse écologique, d’ici une cinquante d’années.
Le vieillissement de la population envoie inversement un message négatif, qui implique une réorganisation de la société autour de la survie et du bien-être de populations âgées proportionnellement de plus en plus nombreuses.
En outre, le taux de fécondité est actuellement très différent selon les régions et son évolution, en réduction partout, va également suivre des pentes plus ou moins accentuées.
Le résultat est qu’en 2100, selon les prévisions de l’IHME, certains pays continueront encore à accroitre leurs populations, tandis que d’autres pays voient déjà aujourd’hui les leurs diminuer.
A SUIVRE
[1] Stein Emil Vollset et de nombreux autres auteurs, “Fertility, mortality, migration and population scenarios for 195 countries and territories from 2017 to 2100: a forecasting analysis for the Global Burden of Disease Study», The Lancet, vol 396, issue 10258, pp 1285-1306, 17 octobre 2020.
[2] UN, Department of Economic and Social Affairs, Population Division, World population prospects 2019: volume I: comprehensive tables. United Nations, New York 2019
L'IRAN FAIT FACE AUX ÉTATS-UNIS
Après la mort de Khomeiny le 3 juin 1989, l’Assemblée des experts, un corps élu de religieux expérimentés, a choisi le président sortant, l’ayatollah Ali Khamenei, comme Guide Suprême.
L’Iran se garda bien de participer à la Guerre du Golfe en 1991, tout en condamnant l’action des États-Unis et en permettant, sans rancune, à l’aviation irakienne de se poser en Iran et aux réfugiés irakiens de pénétrer sur son territoire.
Le président Hachemi Rafsandjani fut réélu en 1993 avec une majorité plus faible, qui fut attribuée par les observateurs au désenchantement engendré par une économie mal en point. C’est un religieux modéré, Mohammad Khatami, qui succède à Rafsandjani en 1997. Il a pour tâche d’entreprendre des réformes conduisant à une libéralisation modérée, sans trop mécontenter un clergé́ très conservateur. C’est une tâche classiquement difficile en Iran, qui aboutit à des protestations massives contre le gouvernement dans les rues de Téhéran en juillet 1999.
Malgré ces dernières, Khatami est réélu en juin 2001, mais les éléments conservateurs du gouvernement iranien œuvrent pour déstabiliser le mouvement réformateur, bannissant les journaux libéraux et disqualifiant les candidats aux élections parlementaires. Ce travail de sape entraine l’élection en 2005 du maire ultra-conservateur de Téhéran, Mahmoud Ahmadinejad. Son mandat se caractérise par des prises de position hostiles à l'égard d'Israël, l'arrêt des négociations sur le nucléaire et corrélativement des tensions croissantes avec les pays occidentaux.
À l’opposé de cette politique, Hassan Rohani, élu en juin 2013 à la présidence de la République iranienne, fait publiquement part de sa plus grande disposition à trouver un accord sur le nucléaire, alors que les sanctions prises par les pays occidentaux depuis plusieurs années sont de plus en plus difficiles à supporter.
Fin novembre 2013, un accord est trouvé́ entre Téhéran et le groupe 5 + 1 (États-Unis, Royaume-Uni, France, Chine, Russie + l'Allemagne), qui prévoit notamment que l'Iran n'enrichisse pas d'uranium à plus de 5 % pendant six mois, dilue la moitié de ses stocks actuels, suspende le fonctionnement de ses usines de Natanz, Fordow et Arak sans construire de nouveaux sites d'enrichissement et permette à l'AIEA d’avoir aura un accès quotidien et sans préavis à Natanz et Fordow.
En contrepartie, les Occidentaux s'engagent à̀ suspendre leurs sanctions économiques sur l'industrie, l'automobile, le commerce de l'or et surtout les exportations pétrochimiques, à ne pas essayer d'entraver la vente du pétrole iranien, encore que ces levées de sanction soient « limitées, temporaires et ciblées » et peuvent à tout moment être annulées en cas de non-respect de ses engagements par l’Iran.
Selon ces derniers termes, , un nouvel accord entre en application le 13 juillet 2015, après douze années de crise du nucléaire iranien. Puis le Président des États-Unis, Donald Trump remet en question cet accord en 2018, au grand dam des autres participants à l’accord, mais il parvient à imposer de nouvelles sanctions qui frappent durement l’Iran au plan économique. L’Iran réplique par une guerre larvée, au Yémen par l’intermédiaire des Houthis, sous couvert desquels il frappe l’Arabie Saoudite. Le conflit touche aussi l’arc chiite, de l’Irak au Liban en passant par la Syrie, impliquant Israël.
La victoire en novembre 2020 d’un Président démocrate aux États-Unis, Joe Biden, ouvre la voie à une nouvelle négociation, mais l’élection, le 18 juin 2021 d’un nouveau Président iranien, conservateur cette fois-ci, Ebrahim Raïssi laisse entrevoir une plus grande rigidité des participants iraniens, encore que les 72% des votes obtenus par Raïssi occultent les 50% d’abstention qui le fragilise.
L’histoire de l’Iran, et de ses conflits, reste ouverte, encore qu’elle s’inscrive dans une continuité historique liée au voisinage conflictuel avec les Arabes, soumise qu’elle est au Grand Jeu entre les Anglo-saxons, les Russes et désormais les Chinois. Cette continuité est aussi déterminée par la volonté farouche des Iraniens, depuis des millénaires, à rester eux-mêmes et par conséquent à ne pas se soumettre à la domination de qui que ce soit.
C’est pourquoi les Américains, s’ils s’attendent à ce que les Iraniens finissent par capituler sous le poids des sanctions, se trompent, tout simplement.
FIN
MENTIR À TIANJIN, TRICHER À BEIJING
Après cette journée aussi extraordinaire que dangereuse du mois de juin 1989 à Beijing (Pékin), nous sommes partis à l’aventure, Michel Poncet, vers Tianjin où nos futurs étudiants étaient supposés nous attendre.
Tianjin est à 120 kilomètres de Beijing, relié par le train, peu rapide à l’époque et par la route. Le train nous était interdit, car l’armée empêchait les étrangers de monter dans les trains au départ de Beijing. Nous étions donc contraints de prendre une voiture de l’ambassade, aucun taxi ne se risquant à transporter des étrangers.
Poncet, qui ne semblait pas affecté par l’incident dramatique de la veille, pris le volant, mais il ne connaissait pas bien la route et il n’y avait pas vraiment de panneaux d’orientation. Malgré ces écueils, il ne s’est pas trop mal débrouillé, car au bout de trois heures, nous sommes arrivés à Tianjin. Un baroudeur, ce Poncet, qui m’effrayait un peu par l’audace étourdie qu’il manifestait en toutes circonstances !
Tianjin, autrefois Tientsin en français, est aujourd’hui une énorme agglomération de 14 millions d'habitants, la quatrième ville de Chine en nombre d'habitants, après Shanghai, Beijing et Canton, est un des pôles chinois de développement dans l’aéronautique et l’électronique. Elle est située au bord de la Mer Jaune et cette situation en a fait une concession française au début du XXe siècle, dont il restait quelques traces comme le commissariat de police et la prison. On trouve à Tianjin deux universités, dont la prestigieuse université de Nankai, qui nous attendait pour que nous effectuions la sélection des étudiants pour notre programme de formation, qui comprenait successivement un an d’apprentissage du français et un an d’enseignement de la gestion.
En arrivant à Tianjin, nous avons été tout de suite surpris par l’atmosphère fort différente qui y régnait par rapport à Beijing. Pas de soldats, des badauds très détendus dans la ville, tous les magasins ouverts, presque une ambiance de fête. Cela montrait encore une fois la profonde diversité chinoise avec des provinces fort différentes dans leur style de vie et leur rapport avec le pouvoir. À Beijing l’état de siège, à Tianjin, la belle vie.
Les quatre-vingt-dix candidats étaient presque tous là, avec à la main leur convocation signée par l’Ambassade de France qui leur avait permis de quitter leurs unités respectives, au moins le temps de la sélection, et de faire le voyage jusqu’à Tianjin. Compte-tenu du mauvais état des chemins de fer chinois de l’époque et des énormes distances que certains avaient dû parcourir, ces voyages avaient duré entre une journée, si le candidat venait de Beijing ou trois semaines s’il venait d’Urumqi dans le Xinjiang.
Si je ne m’étais pas rendu à Tianjin pour les sélectionner, ces candidats n’auraient pas eu d’attestation de l’Ambassade sur place à Tianjin et les attestations de l’Université de Nankai auraient été suspectes aux yeux des autorités. En définitive, ils auraient fort probablement été internés en attendant de clarifier leur situation et, après une telle mésaventure, la réputation du seul programme français de gestion en aurait été anéantie pour longtemps.
Les candidats étaient donc fort contents de me voir, tout en étant un peu surpris de ma présence. Ils n’ignoraient pas en effet que notre Premier Ministre, Michel Rocard, avait annoncé que son gouvernement avait interrompu toute coopération avec la Chine. Alors, interrogeaient-ils, vous venez vraiment de la part du gouvernement français ?
Je répondais affirmativement avec aplomb que nous étions à Tianjin, Poncet et moi, pour sélectionner les étudiants du programme de gestion organisé par le gouvernement français en plein accord avec lui. Comment aurait-il pu en être autrement ?
Il en était pourtant bien autrement. Nous avons fait une sélection pirate, ou virtuelle si l’on veut être indulgent, qui a retenu une quarantaine de candidats à qui nous avons donné rendez-vous en octobre. Quand j’écris « nous », c’était plutôt « je », Poncet se contentant d’apposer le tampon de l’Ambassade et de traduire les propos des candidats dont l’anglais m’était inaccessible. Quant aux autorités de l’université, elles nous regardaient agir, impassibles.
Toute la sélection a été effectuée en trois jours, puis nous sommes rentrés à Beijing sans difficultés particulières. Il s’agissait désormais de persuader le Ministère des Affaires Étrangères de la validité de notre sélection et du lancement du programme. Pour ce faire, puisque nous étions à la frontière de la légalité depuis mon arrivée en Chine, nous avons choisi, Poncet et moi, de continuer crânement dans la même voie.
Nous avons donc rédigé un rapport pour le Ministère des Affaires Étrangères que nous avons signé tous deux au nom de l’Ambassade. C’était facile à faire, puisque Poncet était le seul diplomate français encore présent à Beijing.
Dans ce rapport, nous avons prétendu avoir interrogé toutes les ambassades occidentales dans la capitale chinoise, les ambassades américaine, anglaise, australienne, canadienne, allemande, italienne, suisse, hollandaise et suédoise qui nous auraient fait savoir, toutes, sauf l’ambassade américaine, avons-nous écrit pour la vraisemblance, qu’elles n’envisageaient pas d’interrompre leurs programmes en cours ou en projet. Pour donner du corps à notre rapport, nous avons même ironisé sur la duplicité anglaise qui prétendait officiellement rompre sa coopération mais qui le maintenait en douce ! Naturellement, nous n’avions interrogé personne ou presque, même si nous citions avec effronterie nos interlocuteurs supposés, conseillers ou attachés culturels des différentes ambassades.
Le rapport a été adressé au Ministère des Affaires Étrangères fin juin 1989. C’était bientôt les vacances. Personne ne l’a lu ou en tout cas personne n’a pris de décision sur la base de ses conclusions, qui, naturellement, recommandaient de lancer notre programme de gestion. Puis, en septembre 1989, au retour des sacro-saintes vacances, le printemps de Beijing étant devenu une affaire passée et classée, l’inertie bureaucratique a eu un rôle apaisant. Les crédits avaient été affecté, les personnels recrutés et personne n’avait envie d’arrêter le programme : notre rapport a servi de base, fausse d’accord, mais enfin il avait le mérite d’exister, pour décider de continuer le programme.
D’ailleurs, cela faisait six mois que nous avions sélectionné le professeur de français que nous avons donc envoyé tranquillement en septembre à Tianjin, avec sa fille, son chat et son piano. J’y reviendrai.
Pour ma part, d’une certaine manière la conscience tranquille, je suis revenu à Nice prendre des vacances que je jugeais bien méritées . Enfin presque.
À SUIVRE