L'esclave
L’esclave
Sous ce titre, Michel Herland brosse un triple fil romanesque autour de trois époques et de deux personnages centraux, Michel et Colette.
C’est un livre dérangeant qu’a bâti Michel Herland qui n’autorise pas le lecteur à rester indifférent. Le style classique, parfois poétique, nous confronte à des scènes souvent sensuelles et parfois d’une violence sans concession. Les personnages ont une épaisseur psychologique, les évènements sont dramatiques, les dialogues portent sur des sujets qui nous interpellent, la religion, le sens de la vie, l’amour.
Ce sont trois romans en un qui nous sont proposés. L’histoire commence en 2081, loin devant nous, lorsque Colette apprend que Michel, son amour d’autrefois, vient de mourir à l’âge respectable d'un siècle, tandis que les amours de Colette et Michel datent de 2009. Deux visions cohabitent déjà, ces amours vus en 2081 sous la forme d’une série de lettres de Colette à l’adresse du cher disparu et le récit direct de cette rencontre en 2009. Grâce à ces deux voix, la vérité sur ces amours torrides se révèle progressivement au long des pages. Il s’y ajoute les conversations de Michel avec Colette, ses cours devant les étudiants qui présentent les points de vue des philosophes, tant sur la religion que sur l’esclavage.
Mais ces amours passées sont confrontées aux évènements inquiétants et aux alertes majeures qui environnent Colette en 2081. Ils semblent conforter le roman qu’écrivait Michel en 2009 et qu’il avait fait lire à Colette à cette époque.
Ce roman dans le roman qui est censé se passer en 2014 peut être lu comme une suite d’aventures picaresques, mais aussi comme une vision prémonitoire d’une France soumise, au moins en partie, à de sanguinaires musulmans qui pratiquent l’esclavage et la violence barbare pour se faire obéir, à côté de pratiquants plus sincères qui n’en peuvent mais. C’est la partie la plus originale de L’Esclave, un monde qui n’est plus dominé par les puissances occidentales, où s’impose un intégrisme religieux et un djihadisme mâtiné d’hypocrisie, confronté à la crise écologique. La lecture de ce futur possible fait froid dans le dos, même si un paradis bucolique parvient à cohabiter de manière fragile et marginale avec cette sauvagerie conquérante.
Le mérite de l’auteur est de ne pas nous proposer un simple exercice de futurologie. Les personnages sont des êtres de chair et de passions, composés de sages et de fous, de sincères et de fourbes, d’amoureux et de jaloux, de rancuniers, d’orgueilleux, de cruels et de saints. Les femmes jouent un rôle majeur dans ce roman construit autour des passions humaines. On tremble pour Mariam, que Michel décrit comme l’arrière-arrière-petite-fille de Colette, devenue esclave de Selim, un riche propriétaire terrien converti par arrivisme à la religion des envahisseurs. Pendant ce temps, dans les Pyrénées, quelques territoires demeurés libres accueillent des insoumis : à Ercol, une petite communauté s’est organisée autour d’Emmanuel…
Je ne puis révéler la fin ou plutôt les fins, mais pour ma part, je dois avouer que ce livre m’a fortement touché et interrogé.
Références : L’Esclave, de Michel Herland, Editions Le Manicou, 2014, 410 pages sous forme de livre et d’e-book.
L'unique banqueroute de la République Française à ce jour
Ramel-Nogaret, le ministre de la banqueroute
La politique de force du Directoire lui donna le courage de redresser les finances de la République en spoliant les rentiers par "la banqueroute des deux tiers": elle reste, jusqu’à ce jour, l'unique banqueroute de la République…
Le Directoire lanca en outre toute une batterie de nouveaux impôts et recettes : une loterie nationale, un droit sur les chemins et un autre droit sur les hypothèques. Les droits d'enregistrement et portant sur les tabacs étrangers furent accrus.
L’année suivante, un ensemble de lois redéfinirent les contributions directes en établissant la contribution foncière, la mobilière, la personnelle, la patente commerciale ainsi qu'une célèbre contribution sur les portes et fenêtres. L'octroi fut également rétabli à Paris. La répartition et le recouvrement des contributions fut confié à des fonctionnaires indépendants.
Ces mesures drastiques ruinèrent les petits rentiers touchés par « la banqueroute des deux tiers », accrurent le chômage et firent baisser les prix agricoles, enfoncant les paysans dans la misère.
Les impôts rentraient difficilement alors que les victoires militaires, qui avaient permis de ponctionner les pays occupés, n'étaient plus au rendez-vous. Ces rentrées fiscales decevantes contraignirent la République à faire appel aux fournisseurs des armées pour boucler les fins de mois. Elle les paya en biens nationaux, ce qui créa de nouveaux riches qui contribuérent à discréditer encore plus fortement le Directoire.
Si les royalistes avaient été exclus du pouvoir l’année précédente par le coup d’État du 18 fructidor an V, ce fut l’opposition jacobine qui remporta les élections de Germinal an VI (avril 1798), du fait des difficultés économiques. Les néo jacobins obtinrent, avec la faible participation électorale désormais habituelle, trois cent siéges sur les quatre cent trente-sept à pourvoir.
Le Directoire, mis à nouveau en minorité, mais cette fois-ci sur sa gauche, fit montre d’une grande inventivité pour contourner le suffrage des urnes. Pour y parvenir, il fit purement et simplement annuler, par le biais d’une commission ad hoc, toutes les élections qui pouvaient être dangereuses pour son pouvoir. C’est parce que cette décision fut prise par la loi du 22 floréal an VI (11 mai 1798), que l’on appela les cent vingt-six députés invalidés les « floréalisés ». Les députés jacobins rescapés furent sélectionnés par les Conseils qui choisirent les têtes qui leur revenaient, ce qui ne rendit pas ces derniers plus indulgents pour le Directoire. Ils prirent pour cibles principales Barras et Reubell, au nom de la lutte contre la corruption. Les citoyens étaient d’autant plus sensibles à ce mot d’ordre que l’hiver 1798-1799 fut d’une exceptionnelle rigueur, rendant la vie de chacun difficile et que le coût de la vie, comme le chômage, augmentaient.
Aussi les élections suivantes, celles de l'an VII (mars avril 1799), se révélèrent encore plus mauvaises que celles de l'an VI. Elles concernaient trois cent quinze députés et comme presque tous les «floréalisés » l’année précédente furent réélus, le Directoire se sentit impuissant à réagir contre une poussée électorale aussi spectaculaire. La pression des Cinq-Cents s’accrut; ils exigeaient du Directoire des explications sur sa politique, contraignant La Révellière-Lépeaux et Merlin de Douai à la démission. Les néo-jacobins préconisaient désormais une politique de salut public, leur sanglante marotte.
Le Directoire se trouvait désormais sur la défensive, d’autant plus qu’il devait faire également face à des difficultés militaires.
Retour au bercail
La triche, un sport universitaire?
Cette première expérience américaine m’a beaucoup appris, malgré sa durée écourtée.
En me révélant les dimensions de la vie universitaire en Amérique du Nord, elle m’a montré par contraste les déficiences de l’université française. En premier lieu, l’importance mineure accordée en France aux bibliothèques universitaires révélait que l’acquisition des connaissances par les étudiants était dominée par les règles bureaucratiques qui l’enserrent. Les décennies qui se sont écoulées depuis ont vu Internet bouleverser, heureusement, les conditions de travail des étudiants et les bibliothèques universitaires françaises progresser nettement.
D’une manière plus générale, autant l’on comprend immédiatement le but que se propose d’atteindre une université américaine, offrir des conditions de travail aussi confortables que possible aux étudiants, les inciter à apprendre, à résoudre leurs problèmes eux-mêmes et à se confronter à la compétition, autant l’on ne saisit pas ce que veut faire des étudiants l’université française, sinon leur apprendre qu’il existe des règles, aussi absurdes soient-elles, qui s’imposent tout de même à eux.
Des amphis surchargés, des professeurs qui s’absentent sans prévenir et sans s’excuser, la plus grande indulgence accordée aux fraudeurs, des cités universitaires dotées d’un confort dépassé, l’absence d’accueil des étudiants, l’absence de relation avec les milieux économiques sont, pêle-mêle, autant de tares qui n'ont été que partiellement corrigées ou qui se sont au contraire aggravées au fil du temps.
En somme, si l’on apprend aux étudiants américains à se développer dans le contexte de la société américaine, on forme les étudiants français à se débrouiller dans le contexte des règles bureaucratiques françaises. Cela peut se passer très bien, pour les chanceux et les malins, mais très mal pour les autres : songez qu’il suffit d’un quart d’heure d’entretien, après une thèse passée dans des conditions très variables, pour que quelqu’un soit nommé en France Maitre de Conférences à vie, sans que jamais son « statut », terme bien français, ne soit remis en question. Je peux en parler savamment, j’ai fait partie des heureux élus.
J’en ai tiré progressivement la conclusion que le système universitaire français n’avait pas de sens. À l'automne 1973, je croyais encore qu'il était capable de changer, lorsque je m'efforçais de me remettre du retour brutal à l’IAE de Nice.
Je me suis donc remis au travail reprenant mes cours et publiant deux articles sur les créations d’entreprises et dix petits articles dans l’Encyclopaedia Universalis que m’avaient confié Jean-Claude Dischamps. Je me suis également mis à l’écriture de ma thèse en me concentrant sur la question de la croissance des firmes (d’où mon article sur les créations d’entreprises), en attendant de repartir aux Etats-Unis.
Car j’avais réussi, avec le soutien de mon directeur de thèse, à obtenir une bourse de la jeune FNEGE pour passer la période de l’été (summer semester) à Wharton School au sein de l’Université de Pennsylvanie, à Philadelphie. C’était le temps béni où la FNEGE, subventionnée par l’État, envoyait le plus possible de jeunes chercheurs en sciences de gestion aux Etats-Unis. Mes collègues de l’IAE d’Aix en ont largement bénéficié, d’autant plus qu’ils étaient encouragés et soutenus par l’influent Pierre Tabatoni, ancien directeur de l’IAE d’Aix-en-Provence.
Pour ce retour dans une université américaine, j’accédais à l’une des meilleures écoles de gestion américaines, alors que SUNYA était une université de niveau moyen. De plus, je partais pendant l’été, à une période pendant laquelle personne ne pouvait me reprocher de n’être pas présent à l’IAE de Nice. Un IAE dont la petite équipe pédagogique ne comprenait qu'un professeur-directeur, un Maître de Conférences, Joseph Raybaud et deux assistants, Alain Massiera et moi-même, accompagnés par une seule secrétaire, Marie Claude Berthommé. Ils allaient cependant recevoir en octobre 1974 le renfort d’Alain Chiavelli et de Robert Teller en provenance du département GEA de l’IUT, qui allaient contribuer à faire progressivement basculer l’enseignement de gestion vers la comptabilité, ce qui a aujourd’hui encore des conséquences pour le développement de l’IAE de Nice.
De plus, au printemps 1974, j’avais croisé quelqu’un dans le couloir de l’IAE. Il s’agissait d’un professeur américain en congé sabbatique auquel personne ne semblait prêter attention, Kristian Palda, professeur à Queen’s University (Kingston, Ontario) docteur de la prestigieuse Université de Chicago, qui avait écrit en 1964 une fameuse thèse sur le cas Lydia Pinkham, dans laquelle il mesurait, pour la première fois dans l’histoire du marketing, la relation entre la demande et les dépenses publicitaires.
Cette rencontre a eu de très grands effets sur ma carrière et sur ma vie, puisque nous avons noué ce jour-là une coopération scientifique fructueuse et une amitié qui dure toujours, quarante années plus tard. Il faut ajouter qu’en 1987, Kristian Palda sera distingué par son université pour son excellence en recherche, mais en 1974, à part moi, personne ne se rendait compte de la chance de l’avoir dans nos murs.
L’année universitaire s’achevait, en juillet 1974, par un deuxième départ pour les Etats-Unis, qui me voyait bien décidé à y rassembler tous les éléments nécessaires pour écrire ma thèse.
(À suivre)
L'anarchie ou le pouvoir désenchanté
Les Papous, une société anarchiste?
À la source de l’anarchie, on retrouve la forte conviction que l’amour de la liberté devrait pousser les hommes à s’organiser afin de la préserver. En revanche, l'anarchisme est opposé au postulat que la coercition et la domination soient nécessaires à l’organisation de la société.
L’anarchiste se veut donc libre de penser par lui-même et d'exprimer sa pensée. Sur la base de ce principe fondateur, comment peut s’organiser la société ?
On peut postuler qu’une société libérée de ses entraves retourne spontanément à un ordre « naturel », dans la droite ligne de la pensée de Proudhon et de Rousseau.
On peut également estimer que le concept d'ordre lui-même est artificiel. Pour l’anarchisme, il faut s’opposer à l’installation d’un ordre coercitif, quel qu’il soit, ce qui implique sauf en cas d’absolue nécessité (mais qu’est-ce qu’une « absolue nécessité » ?) de mandater qui que ce soit pour agir à sa place. Cette méfiance relative à toute délégation de pouvoir se retrouve dans une des théories du management, la théorie de l’agence.
Sur ces fondements, le projet d’organisation sociale anarchiste consiste à gérer directement sa propre vie et à décentraliser le pouvoir. Chacun est supposé participer à la vie commune tout en conservant son autonomie individuelle.
Mais lorsque le projet anarchiste se traduit en organisation, il se divise en deux mouvements principaux, l’anarchie socialiste et les individualistes libertaires. La première considère que la clef du pouvoir provient de la propriété privée, ce qui le conduit à prôner l'appropriation collective des moyens de production.
Ce postulat purement économique de l’origine du pouvoir n’est pas partagé par les seconds, les individualistes libertaires, qui considèrent que l'individu peut légitimement posséder un bien en propre. Ils recommandent par contre de supprimer les institutions autoritaires afin d’atteindre une société libertaire individualiste par des moyens éthiques.
Au total, ces deux grands courants et leurs variantes se rejoignent dans la volonté de mettre en place une société où la liberté politique serait la règle, dont le réalisme est souvent contesté. Les anarchistes se défendent d’être des utopistes en citant les expériences anarchistes réussies au cours de l’histoire:
- Les pratiques anarchistes de certains peuples, comme les Aeta aux Philippines ou les Papous.
- Les révolutions qui ont généré provisoirement des sociétés anarchistes, la Commune de Paris en 1871, la Révolution Cantonale en Espagne en 1873, la « République socialiste de Basse Californie » en 1911, la révolte de Kronstadt en mars 1921, les anarchistes espagnols et catalans en 1936-1938.
- En période non révolutionnaire, ils citent la métropole socialiste d'occident au Mexique en 1881, la Colônia Cecília dans le Parana brésilien en 1891, la coopérative Cosme au Paraguay en 1896, tous en Amérique du Sud et Centrale. En Europe, ils rappelent l’expérience de la Escuela moderna en Espagne à la fin du XIXe siècle et quelques décennies plus tard, l’émergence en France, de diverses colonies libertaires comme Aiglemont, Vaux et Saint-Maur-des-Fossés). Enfin, la commune libre danoise de Christiania représente l’expérience la plus contemporaine d'un squat autogéré au niveau d'un quartier.
Même si ces expériences n’ont pas duré. Elles semblent montrer que les sociétés anarchistes organisées autour d’un management sans chefs, sans pouvoir et sans coercition sont trop instables pour durer. Mais des graines d’anarchisme ont réussi à germer dans ces organisations bien vivantes aujourd’hui que sont les coopératives, même si elles restent minoritaires dans la pensée managériale.
Avant de nous concentrer sur le mouvement central du management AVEC chefs, nous examinerons donc les mouvements des coopératives depuis la pensée de Robert Owen et le succès des Équitables Pionniers de Rochdale jusqu’aux coopératives contemporaines.
(À SUIVRE)
L'opinion publique grondait...
LE PAPE PIE VI
Il n’en fut rien.
Le scrutin était parfois censitaire, parfois universel. La participation varia entre cinq et vingt pour cent selon les scrutins et les lieux. Avec le temps, elle fut constamment décroissante. Globalement, on peut retenir, sans grande erreur, une participation moyenne de dix pour cent pour les élections en France pendant la Révolution.
Il faut lire par exemple l‘article de Maurice Genty, « les élections municipales à Paris sous le Directoire » (numéro 391 des Annales Historiques de la Révolution Française) pour comprendre l’absence totale d’ambiance démocratique qui présidait à ces élections et le découragement rageur des électeurs.
Car si les trois Directeurs avaient fait ce que l’armée et les faubourgs attendaient d’eux, la majorité des électeurs se voyaient une nouvelle fois floués. Il y eut des changements de personnel. Merlin et François remplacèrent Carnot et Barthélemy au Directoire et devancèrent les candidatures de Masséna et Augereau, ce qui fait que le Directoire crût nécessaire d’éloigner Augereau, sous couvert de le récompenser par le commandement de l'armée d’Allemagne. Sieyès prit la présidence du Conseil des généraux.
Le coup d'État de Fructidor confirmait qu’il était désormais normal et naturel pour les politiciens de ce nouveau régime politique instauré une fois de plus de force, de bafouer et de violer la Constitution, la Loi et la Souveraineté de la Nation. On voyait désormais des conseils délibérants sous la menace des soldats, des généraux appelés à se prononcer, des élus déportés, la presse supprimée.
Comme par hasard, le Directoire basculait dans la dictature alors qu’il penchait vers les Jacobins. L’un et l’autre allaient ensemble. Une nouvelle vague anti-royaliste, anti-émigrés et anticléricale se propageait. On procéda à des déportations massives de prêtres, et l’on s’essaya au « culte décadaire ». Quelque mille cinq cent prêtres français et huit mille prêtres belges furent touchés par cette répression. Certains furent déportés en Guyane, d'autres furent libérés par la flotte anglaise durant leur transfert, mais la grande majorité connut une effroyable captivité à l'île de Ré ou à Rochefort.
En outre, le 20 janvier 1798 le général Berthier occupait Rome et enlevait le Pape Pie VI pour le déporter à Florence, avant de le transférer à Valence où il mourut.
Pie VI avait eu en effet le courage de s’élever contre la condamnation et l’exécution de Louis XVI, et il paya de sa vie ce courage. Je ne résiste pas à la tentation de vous livrer un extrait du discours, un discours que l’on devrait faire connaître si l’on veut avoir un regard non partisan sur la Terreur et le Directoire, que le Pape avait prononcé à la suite de la décapitation (déjà !) du Roi Louis XVI :
« Les philosophes effrénés entreprennent de briser les liens qui unissent tous les hommes entre eux, qui les attachent aux Souverains et les contiennent dans le devoir. Ils disent et répètent jusqu’à satiété que l’homme naît libre et qu’il n’est soumis à l’autorité de personne. Ils représentent, en conséquence, la Société comme un amas d’idiots dont la stupidité se prosterne devant les prêtres et devant les rois qui les oppriment, de sorte que l’accord entre le Sacerdoce et l’Empire n’est autre chose qu’une barbare conjuration contre la liberté naturelle de l’homme. Ces avocats tant vantés du genre humain ont ajouté au mot fameux et trompeur de liberté cet autre nom d’égalité qui ne l’est pas moins. Comme si entre des hommes qui sont réunis en société et qui ont des dispositions intellectuelles si différentes, des goûts si opposés et une activité si déréglée, si dépendante de leur cupidité individuelle, il ne devait y avoir personne qui réunît la force et l’autorité nécessaires pour contraindre, réprimer, ramener au devoir ceux qui s’en écartent, afin que la Société, bouleversée par tant de passions diverses et désordonnées, ne soit précipitée dans l’anarchie et ne tombe pas en dissolution. »
La pensée de Pie VI peut encore s’appliquer à nos contemporains !
L'efficacité et la morale réunies
LA FORCE ALLIÉE À LA MORALE
Depuis des semaines, les medias occidentaux martèlent, avec un peu plus d’insistance à chaque assassinat d’otage, des messages, des commentaires et des images pour nous convaincre de la barbarie de ce groupe qui se dénomme lui-même « État islamique ».
À la fin du mois d’août, chacun a compris qu’il allait bientôt pleuvoir des bombes, lorsque les medias nous ont livré l’interview de la mère d’un otage américain qui venait d’être décapité. Jamais nous n’avons vu auparavant d’interviews de mères d’un des civils tués par les drones américains, ni de la mère d’un des quatre condamnés pour possession de haschich décapités en Arabie Saoudite le jour même où l’otage américain a été sauvagement assassiné.
Il s’agit en effet de nous persuader de l’impérieuse nécessité de protéger les populations menacées, dont nous faisons partie d’ailleurs. Mais cette impérieuse nécessité a convaincu nos États de faire quoi ? De les bombarder par voie aérienne ! Et comme nos responsables et nos medias sont réalistes, ils nous préviennent charitablement que cette guerre pourrait durer des années…
Je me demande si nos dirigeants nous tiennent vraiment pour des abrutis achevés, qui n’ont rien vu des échecs répétés et sanglants des politiques qu’ils ont menées en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, pour nous proposer une sorte de concentré des minables scénarios antérieurs ? J’imagine qu’ils ont l’espoir d’obtenir un fiasco encore plus retentissant que tous les précédents !
Car s’ils écoutaient ce que l’efficacité et la morale pour une fois rassemblées leur dictent, ils agiraient à l’inverse de ce qu’ils nous annoncent. En effet, si ces quinze à trente mille malades mentaux qui se promènent, armés jusqu’aux dents grâce aux stocks de l’armée américaine abandonnés par la pseudo armée irakienne, sont si dangereux, s’ils tuent un otage chaque semaine, s’ils liquident en masse tous ceux qui s’opposent à eux, s’ils kidnappent les femmes, faut-il vraiment attendre des années pour que les bombardements aériens finissent par les épuiser ?
Alors que, puisque nous avons la chance qu’ils soient tous rassemblés au même endroit, s’ils sont si monstrueux et si peu nombreux qu’on nous le dit, à peine deux divisions sur un territoire immense, voilà le moment idéal pour les liquider d’un coup. Car on ne peut pas croire que les forces rassemblées occidentales et arabes alliées, appuyées par les Iraniens, les Turcs et les Kurdes pour une fois réunis et les forces d’Assad, ne soient pas en mesure de les anéantir en quelques semaines.
Oh mais ce n’est pas si simple, nous rappellent les medias, car Obama a promis de ne pas envoyer de troupes au sol ! C’est vrai, si Obama l’a promis, il ne peut quand même pas changer d’avis, juste pour sauver quelques otages décapités, quelques dizaines de milliers de civils massacrés et quelques milliers de femmes enlevées. Et puis, il ne peut pas s’allier avec l’Iran et se coordonner avec Assad, il aurait l’air de quoi ? Regardez les Turcs, ils ont des chars à portée de tir de cette ville kurde assiègée, mais ils regardent passivement les gens se faire tuer, parce qu’ils ne savent pas trop qui sont leurs pires ennemis, les Kurdes ou « l’État islamique ». Alors c’est compliqué, vous comprenez ?
Ce qui fait que même l’idiot le mieux disposé du monde envers la novlangue que l’on nous sert aura du mal à gober d’une part que cet « Etat islamique », présenté comme une sorte d’hyper Al Qaïda, serait une terrible menace et d’autre part que le président américain et ses alliés, à commencer par les Turcs, ne veulent pas prendre le moindre risque pour les éliminer ! À moins que ces frappes limitées ne soient que des leurres, le temps diplomatique, technique et administratif de préparer une expédition militaire.
Car enfin, se dit l’idiot, si ces gens sont des monstres, pourquoi les attaquer si lentement, avec des moyens si limités? L’idiot ne comprend pas que tout se passe comme si « l’État islamique » et les États occidentaux s’étaient mis d’accord pour produire un spectacle de longue haleine à l’intention de leurs opinions publiques respectives, arabes et occidentales. D’un côté, comme dans un jeu vidéo, « l’Etat islamique » défie les grandes puissances occidentales, manifestant qu’il n’a pas peur. Les exécutions sont là pour montrer comment il humilie ces arrogants occidentaux et rajoutent un piment épicé à l’attrait de sa cause pour les jeunes fascinés par la violence et nourris du sentiment d’injustice. Du coup, les candidats au super war game réel offert par « l’Etat islamique » ne manqueront pas.
De l’autre côté, les États occidentaux, appuyés par leurs fidèles medias, nous montrent les horreurs que fomentent les méchants, ce qui leur permet d'avancer une fois de plus, qu’en comparaison, eux sont des gentils. Nos politiciens forment ensemble la « Force blanche» qui rassemble les gens humains et raisonnables. Ils luttent contre la «Force noire », avec des gants, de loin et de haut, parce que c’est bien que la «Force blanche» n’ait pas de pertes, parce que plus longtemps la «Force noire» résistera, plus longtemps la «Force blanche» aura un ennemi à désigner, plus longtemps les foules seront mobilisées, plus longtemps les esprits seront faciles à manipuler, plus la «Force blanche» disposera de temps pour prendre des mesures répressives, par exemple contre Internet.
Selon une logique cynique, tout se passe donc comme si les deux protagonistes avaient intérêt à ce que le combat dure longtemps.
Mais comment l’idiot pourrait-il comprendre cette convergence entre la «Force blanche» et la «Force noire», alors qu’il croit que l’efficacité et la morale sont supposées gouverner le monde dans lequel il vit, celui de la « Force blanche ?
LE CLASH
REYKJAVIK, EN PASSANT...
Il était prévu que je revienne à Nice à la fin de 1973 et que je reprenne mes enseignements à l’IAE de Nice début janvier 1974. Mais un incident tout à fait imprévisible mit brutalement fin à mon séjour à SUNYA.
Le samedi 27 octobre 1973, je trouvais aux aurores un message du Président de l’Université de Nice qui était aussi mon Directeur de thèse, me demandant de l’appeler en urgence. Je m’inquiétais moins de ce qu’il avait à me dire que du coût de la communication. J’avais tort. Ce que le Président avait à me dire, c’était qu’il avait eu une altercation avec le Directeur de l’IAE de Nice de l'époque, qui avait le sang chaud.
Cette dispute me concernait au sens où, pour montrer qu’il avait, lui aussi, des moyens de pression sur le Président de l’Université, le Directeur de l'IAE menaçait de ne pas renouveler mon contrat annuel d’Assistant si je ne signais pas mon procès verbal d’installation avant le 1er novembre 1973, date officielle du renouvellement de mon contrat. Il avait pourtant été entendu, par accord préalable et nécessairement informel entre les deux protagonistes, que mon contrat serait signé rétroactivement lors de mon retour au tout début de 1974. Mais Jean-Claude Dischamps ne voulait pas prendre le risque que son collègue mette ses menaces à exécution et moi moins encore, puisque ma carrière et mon salaire dépendaient de sa bonne volonté. Je ne pouvais donc pas m’offrir le luxe de le défier.
Une fois surmontée ma stupéfaction, je décidais de revenir dans les meilleurs délais à Nice. Je commençais par prévenir l’administration de SUNYA, logement et scolarité, puis je me mettais à la recherche d’un billet d’avion pour le lundi 29 octobre, le surlendemain ! J’eus la chance de trouver une place d’avion sur la seule compagnie relativement low cost qui existait à cette époque, Loftleidir Icelandic, surnommé aux USA Hippie Airlines, qui faisait escale à Reykjavik, capitale de l’Islande, pour se poser finalement à l’aéroport de Luxembourg le mardi 30 octobre.
Je faisais mes adieux aux amis que je rencontrais, dont un ami allemand d’Alain Chiavelli, un de mes collègues niçois aujourd’hui décédé, ramassais rapidement mes affaires, prenais le premier bus pour New York où je m’installais, le cœur en bandoulière, dans un hôtel bon marché.
Le soir, je m’embarquais sur un moderne DC 8, me posais au point du jour dans les brumes à Reykjavik observant pour la première fois, mais pas la dernière, les paysages de l’Islande que je trouvais plus désolés que pittoresques, sans doute du fait de mon humeur morose, pour arriver dans la matinée à Luxembourg. Le soir du 30 octobre, je prenais le train de nuit Luxembourg Metz Dijon Marseille Nice, ayant eu à peine le temps de téléphoner à mon épouse pour la prévenir de mon arrivée impromptue.
Le matin du mercredi 31 octobre, je me posais à Nice, rejoignais mon domicile, posais mes affaires, puis me rendais à l’IAE où j’étais assez mal accueilli, aussi bien par le Directeur de l'IAE que par mon collègue Alain Massiera qui me reprochait je ne sais quoi, mais j’obtins du directeur de l’IAE ce que j’étais venu chercher en urgence de si loin, la signature de mon procès-verbal d’installation.
J’étais de retour à l’IAE de Nice, d’humeur massacrante, absolument furieux des circonstances dans lesquelles j’avais dû mettre fin prématurément à mon séjour à Albany.
Un management sans chefs?
L'anarchie, une philosophie du management?
J’inaugure aujourd’hui une série d’articles sur le management, dans la série philosophique de mon blog. C’est que le management, art, science ou pratique de direction des hommes est une philosophie pour celui qui dirige, même si elle est avant tout une contrainte pour ceux qui en subissent le joug.
Aussi la question générale que je pose ici est de se demander s’il est possible de manager les autres ,sans les rendre malheureux ? Ou, à contrario, s’il est possible de ne pas manager les êtres humains ? La pratique a répondu, en général, que la société ne fonctionnait que par le truchement de groupes, familles, tribus, nations, toutes dotées de chefs et de règles de management.
Cette pratique a fait que, de tous temps, on a critiqué les chefs et les règles, tout en évitant de remettre en cause la nécessité de leur existence, que ce soit celle des chefs ou des règles, sauf par les anarchistes qui prétendent justement qu’il est possible de se passer de chefs. Le débat soulevé par les anarchistes est ancien puisque ce sont les Grecs qui ont inventé le terme d'anarkhia qui désigne une société littéralement « sans hiérarchie », où il n'existe pas de chef.
Dans le cadre de ces articles, nous allons commencer par prendre le temps d’examiner la possibilité d’un « auto management » des sociétés, des groupes, des entreprises, ce qui nous amène à commencer notre réflexion sur le management par une présentation de l’anarchie et de l’anarchisme.
L’anarchie est-elle synonyme de désordre, parce qu’il n’y a pas de pouvoir et qu’il en faut nécessairement un, ou au contraire constitue t-elle un ordre suprême ? En d’autres termes le principe d’autorité est-il une nécessité absolue pour les sociétés humaines ? L'anarchisme rassemble les tenants d’une philosophie politique qui nie le principe d’autorité dans les organisations humaines et qui croit possible de mettre en pratique cette négation, en instituant une société sans domination où les individus coopèrent librement.
Est-ce une philosophie applicable ou n’est ce qu’une doctrine sans fondements?
Il nous faut constater que l’anarchisme remonte aux origines de l'humanité et qu'il a été localement appliqué, puisque d’assez nombreuses sociétés ont fonctionné et fonctionnent parfois encore selon un ou plusieurs principes anarchistes : les Inuits, les Pygmées, les Santals, les Tivs, les Piaroa ou les Merina se perpétuent ainsi, sans autorité politique ou suivant des pratiques anarchistes telles que l'autonomie, l'association volontaire, l'aide mutuelle ou la démocratie directe.
Dés l’Antiquité en effet, une forme ou une autre de philosophie anarchiste a inspiré les pensées sur le pouvoir, puisqu’on la retrouve dans les écrits épicuriens, cyniques et stoïciens. Plus tard, au Moyen Âge, des mouvements religieux, comme les hussites ou les anabaptistes s'inspirent de principes libertaires. La Renaissance fait émerger des utopies anarchistes avant que la révolution industrielle ne provoque en réaction des mouvements de défense de la liberté individuelle, des attaques contre l'État et la religion, des critiques contre le libéralisme et le socialisme.
Enfin, des penseurs libertaires américains comme Henry David Thoreau, Ralph Waldo Emerson et Walt Whitman préfigurent l’anarchisme de la contre-culture, de l'écologie, ou de la désobéissance civile. Aujourd’hui, l'anarchisme reste une philosophie politique qui présente une vision d'une société humaine sans hiérarchie, et qui propose des stratégies pour y arriver. Il avance que l’ordre de telles sociétés serait fondé sur la coopération volontaire de personnes libres avec pour but de favoriser leur épanouissement.
L’anarchisme a donc existé dans la pratique sociale, il a inspiré des systèmes de pensée, il a touché les cœurs, mais à ce jour il n’a pas triomphé. Est-ce parce qu’il n’est qu’une vaine utopie, qui veut ignorer, par bravade ou par idéalisme, qu’il est généralement impossible de construire un système de management anarchiste, c’est-à-dire sans chefs ? Ou est-il au contraire le système de management du futur, dont les conditions de fonctionnement ne sont pas encore réunies ?
(À SUIVRE)