L'ultime victoire de la Grande Armée
Pour traiter de l'affaire DSK, nous avons délaissé quelques jours le récit de l'extraordinaire aventure de la Bérézina. Rappelons nous que les dernières troupes organisées de la Grande Armée traversent les deux ponts de la Bérézina le 27 novembre 1812, tandis que deux armées russes se rapprochent, l'une sur la rive droite commandée par Tchitchakov et l'autre talonnant l'arrière garde de Victor sur la rive gauche, commandée par Wittgenstein.
Dans la nuit du 27 au 28 novembre, c'est le désordre: des militaires isolés traversent, ainsi que de l’artillerie et des bagages, mais dans le désordre. Désarmés, regroupés autour de leurs feux, cachés dans leurs cambuses auxquelles ils s'accrochent, les trainards ont enfin compris qu’il fallait bouger lorsqu'ils entendent le son des canons russes. Une horde compacte se rue sur les ponts, alors que la nuit précédente personne n’avait traversé.
Napoléon a décidé de garder les ponts encore ouverts dans la journée du 28 novembre pour permettre au maximum de troupes, de trainards, de civils et de bagages de s’enfuir. Face à l’armée de Wittgenstein qui attaque, quatre mille hommes de Victor restent sur la rive gauche pour protéger le passage, appuyés par trois cent cavaliers et l’artillerie de la Garde positionnée dans les marais sur la rive droite.
Le 28 novembre 1812 se déroule la dernière bataille de la campagne de Russie, et cette bataille est encore victorieuse pour la Grande Armée, aussi affaiblie soit-elle. Ce ne sont pas moins de deux batailles simultanées qui se déroulent. En effet, pendant que Napoléon prenait des dispositions pour permettre le franchissement des attardés, Tchitchakov l’attaque avec toutes ses forces sur la rive droite. Pour l’affronter, Oudinot et Ney réunis ne disposent que de huit mille cinq cent hommes, dont mille cinq cent cavaliers.
Le terrain est couvert de bois clairs et de champs. Depuis le Nord, le vent chasse une neige épaisse, les mains engourdies des soldats privés de vivres ont du mal à tenir le fusil. Oudinot est blessé. Le combat dure depuis deux heures sur la rive droite quand Wittgenstein attaque Victor sur la rive gauche. La foule des trainards se rue alors vers les ponts, formant une multitude compacte de cent hectares! tout en se défendant à un contre cinq, Victor réussit malgré tout à s’emparer d’un bois d’où l’artillerie russe, semant la terreur, tirait sur la foule massée à l’entrée des ponts. L'image que la postérité a retenu de cette bataille, c'est ce moment où les hommes et les chevaux se noient dans la Bérézina, les voitures se renversent, les fuyards éperdus courent en tous sens sous les boulets…
Sur la rive droite, les attaques de Tchitchakov sont repoussées par l’artillerie et par les cuirassiers de la Grande Armée. Il n'est même pas nécessaire de faire donner la Garde pour l'emporter. Mais c'est un combat très sanglant, car, lorsque la nuit sépare les combattants, la moitié des officiers et des soldats qui ont combattu dans la journée ont été blessés. Quant aux autres, ils sont presque tous malades.
Le soir du 28 novembre, Eblé fait pratiquer une sorte de tranchée dans l’encombrement, par laquelle les troupes de Victor, à l’exception d’une arrière garde au contact de l’ennemi, se fraient un chemin sur l’autre rive entre 21 heures et une heure du matin. Il se passe alors un événement extraordinaire : les ponts sont libres mais personne, ou presque, ne passe. Il y a pourtant sur la rive gauche un grand nombre de soldats isolés, d’employés, de domestiques, de familles fugitives. Mais l’apathie les a gagnés, à force de fatigue, de maladies et de blessures. Aussi, dans la nuit, malgré les efforts de Victor et d’Eblé, la plupart refusent de quitter leur bivouac
Le 29 novembre à six heures et demi du matin, lorsque Victor fait passer son arrière garde sur l’autre rive, la multitude prend enfin conscience qu’il faut quitter les lieux et se précipite vers les ponts. Deux heures plus tard, Eblé doit se résoudre à faire détruire les ponts alors qu’il reste encore cinq mille personnes sur la rive gauche, hommes, femmes et enfants qui hurlent leur désespoir. À neuf heures, les cosaques les entourent et les font prisonniers. À neuf heures et demi, Eblé achève la destruction des ponts tandis qu’apparaissent les premières troupes de Wittgenstein.
La suite n’est qu’une longue fuite vers Vilnius puis vers Königsberg, au cours de laquelle la Grande Armée se désagrège en quasi totalité. Déjà, à peine trois jours après avoir franchi la Bérézina, elle ne compte plus que huit mille quatre cent combattants !
Quant à Napoléon, il quitte l’armée six jours plus tard, le 5 décembre, pour rejoindre Paris via Vilnius. Il rejoint la capitale le 19 décembre.
Il y aurait beaucoup à conter encore, notamment sur l’odyssée des troupes que Napoléon laisse au débouché de la Bérézina ou sur le changement radical qui se produit en Europe lorsque l’on découvre que le grand conquérant a perdu son armée.
Mais arrêtons nous à la Bérézina, car ce récit avait pour objectif de décrire les efforts inouïs que Napoléon, ses généraux, ses officiers et ses troupes ont déployé pour survivre face à la faim, à la marche, au froid et bien sûr face aux troupes russes. Lorsque, pratiquement encerclée, la Grande Armée se retrouve contrainte de traverser la Bérézina en catastrophe, l'extraordinaire réside, dans sa capacité collective à s’organiser, à tromper l’ennemi, à combattre et finalement à passer.
Une leçon de courage, de volonté de courage, une victoire vraiment…
PS: parmi les ouvrages dont je me suis inspiré pour écrire cette série sur la Bérézina, je vous recommande l'ouvrage, téléchargeable sur Google, du Général Georges de Chambray, Histoire de l'Expédition de Russie, 1823, dont le récit me semble particulièrement proche des événements qui se sont effectivement déroulés.
L'affaire DSK ou le tigre au pays des Bisounours
À propos de la sidérante affaire DSK, trois concepts bien français ont émergé dans le débat qu’elle suscite : la présomption d’innocence, le respect de la vie privée et le complot. Ils m’ont inspiré les violentes réflexions suivantes, qui justifient mon titre.
La présomption d’innocence…
Ce grand principe consiste à poser que toute personne qui se voit reprocher une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement et définitivement établie. Elle a, entre autres, pour implications concrètes la double interdiction de donner librement son opinion sur la culpabilité de quelqu’un et de diffuser sans son accord les images d’un accusé, pardon d’un prévenu, menotté.
On a pu constater que la justice américaine n’a pas cette réserve vis-à-vis du prévenu lorsqu’elle organise devant le juge, les jurés et le public la confrontation entre l’accusé et le plaignant, avec la participation active du procureur qui soutient une accusation fondée sur les éléments recueillis par la police. Tout n’est pas fait pour le protéger tant qu’il n’a pas été jugé. Il est placé en pleine lumière, face au tribunal et aux médias. Il lui faut faire face, il ne peut se cacher. En contrepartie, le procureur doit montrer ses preuves, qui doivent résister à l’éclairage cru auquel elles sont soumises.
Or, tandis que les amis de DSK répétaient en boucle: « On ne sait pas ce qui s’est exactement passé, attendons ses explications, nous jugerons après », nous avons été gâté en matière d’images, avec le « perp walk »[1] de DSK! Le puissant menotté, tête basse ! Que l’on s’apitoie ou non sur sa destinée, cela a eu l’avantage de sortir l’affaire de l’ombre et d’attirer rapidement l’attention sur le sort de la plaignante, après que certains eurent le culot de juger que ce n’était guère plus qu’un « troussage de domestique »[2].
En France, cela ne se serait pas passé comme cela. Même si, on peut en douter, les policiers avaient accepté le dépôt de plainte, la présomption d’innocence aurait joué à plein en faveur d’un prévenu aussi important que DSK. Entre une inculpation qui aurait mis en danger la République et la justice rendue à une femme de chambre qui n’avait fait, au pire, que l’objet d’une simple tentative de viol, le parquet n’aurait sans doute pas longtemps hésité. Cette misérable affaire se serait probablement réglée avec une discrétion de bon aloi. La présomption d’innocence aurait joué contre la victime et finalement contre la défense de la société.
Allons les bisounours, ne laissez pas les criminels se servir de vos beaux principes pour échapper à toute sanction, tandis que, comme dans l’affaire d’Outreau, les juges ne se gênent pas pour vous enfermer sans se soucier le moins du monde de la même présomption d’innocence.
Le respect de la vie privée…
En France, le respect de la vie privée englobe la vie familiale et conjugale, la vie quotidienne à domicile, l’état de santé de la personne, sa vie intime, sa vie amoureuse, ses relations amicales, ses loisirs ainsi que sa sépulture. Utile pour le citoyen ordinaire, mais pour l’homme politique ? On ne peut guère en effet séparer l’action publique de l’action privée. Doit-on se contenter de l’image d’Épinal que nous brossent les publicitaires ? On a vu, il y a quelques jours, c’est-à-dire il y a une éternité, DSK benoîtement cuire des steaks en famille. On nous promet pour bientôt Sarkozy en train de pouponner. Sont-ce ces images factices qu’il nous faut prendre pour argent comptant ? Sont-elles la véritable face privée de ces personnages publics ? Cacher les errements privés d’un homme politique consiste purement et simplement à tromper les électeurs, placés dans l’incapacité de porter un jugement équilibré sur ceux qui sollicitent leur confiance.
Allons, les bisounours, mes frères, ouvrez les yeux…
Enfin le complot…
C’est avec stupéfaction que j’ai appris que, selon un sondage[3], 57% des personnes interrogées considéraient que DSK était victime d’un complot! à peine 32% étaient d’un avis contraire et 7% hésitaient entre les deux thèses. Ainsi les deux tiers des Français penseraient que DSK aurait été attiré dans un piège par une femme de ménage, sans doute stipendiée et recrutée par la CIA désireuse de rendre service à Sarkozy ou peut-être à Hollande, qui sait ? Regardez à qui profite le crime, nous disent ces braves gens, qui pensent que les Américains sont capables de tout, lancer leurs propres avions contre les Twins Towers ou liquider Ben Laden à la barbe de leurs « amis » pakistanais. Et puis, il avait l’air si intelligent, si bien sous tous rapports, ce bon DSK dont ils attendaient qu’il les libère de la tyrannie de l’affreux Sarko…
Si j’étais un homme politique cynique, voilà un sondage qui me réjouirait. J’en déduirais que l’on peut faire gober n’importe quoi aux électeurs français, qu’il suffit de mettre le paquet sur la publicité pour qu’ils croient ce que l’on raconte et qu’ils sont toujours prêts à prendre leurs désirs pour la réalité.
Mais comme je ne suis pas un homme politique cynique, que je fais encore partie, nolens volens, de ces moutons de Panurge que l’on conduit régulièrement à l’abattoir, je me suis dit qu’il était temps de le quitter, ce peuple de Bisounours, afin de me mettre hors de portée des tigres qui le dévorent.
Sauf si ceux qui sont encore mes concitoyens finissent par se réveiller…
PS : Quoiqu'encore quelque peu entravé, j’apprends que le tigre se remet de ses émotions entouré de l’affection et de l’argent de sa famille. Avec tous les bisounours et tous les médias qui manipulent les bisounours, j’en suis tout attendri…
Le passage de la Bérézina, enfin!
En attendant de revenir sur l’affaire DSK, qui est également une sorte de « Bérézina », je poursuis le récit du passage de la Bérézina.
Le général Eblé a établi les plans[1], organisé le travail des pontonniers et Napoléon n’a pas quitté les travaux du regard depuis qu’ils sont commencés. Le 26 novembre, à une heure de l'après-midi, le premier pont est terminé.
Tout de suite, il fait passer devant lui le 2e corps d’Oudinot, sept mille hommes. Ce dernier repousse aussitôt les troupes légères de Tchitchakov, commandées par Tchapanitz, vers Borisov. Puis il dirige un détachement ver Zembin, qui permet de controler le débouché de la route vers Vilnius.
Pendant ce temps, Tchitchakov reste étrangement inactif. Il avait recu un message de Koutousov qui lui indiquait que Napoléon allait tenter de passer la Berezina par Bérézino, au sud de Borisov. Tchitchakov n’y croyait pas ; il pensait pour sa part que le passage serait Borisov, dont le pont n’était pas détruit, mais seulement coupé et où il voyait de ses yeux la plus grande partie des troupes de Napoléon. Même lorsque Tchapanitz, qui est en face de Studianka, informe Tchitchakov que Napoléon y fait des préparatifs évidents de passage, il n’est pas entendu et recoit l’ordre de ramener la plupart de ses troupes devant Borisov.
Si bien que la nuit du 25 au 26 novembre, il n’y avait plus que deux régiments et 12 canons russes face à Studianka ; par crainte de les voir détruits, ces canons ne sont pas mis en batterie. Bref, Napoléon a trompé Tchitchakov.
Le 26 novembre à 4 heures de l’après-midi, le pont de gauche, destiné à l’artillerie et aux voitures, est terminé. Aussitôt l'artillerie du 2e corps passe, suivie par celle de la Garde. Au débouché du pont, la gelée permettait le passage du marais alors que deux jours auparavant, cela n’aurait pas été possible.
Toute l’armée se met en mouvement. Ney arrive et se prépare à passer dans la nuit, Davout se rapproche. Le 9e corps de Victor décroche pour rejoindre Borisov. Les soldats dépenaillés de la Grande Armée, épuisés par la faim, le manque de sommeil et les marches, sont tout surpris de les voir avancer avec leurs armes, en rangs et en uniformes. Cela ne durera pas.
Dans la nuit du 26 au 27 novembre, deux ruptures de chevalets se produisent à une heure d’intervalle. Les pontonniers harassés sont tirés du bivouac par Eblé qui parvient à en mobiliser la moitié. L’encombrement s’accroit devant le pont. On repare, à 6 heures du matin la communication est rétablie.
Napoléon a passé la nuit du 26 au 27 dans une chaumière à Studianka. Au matin du 27 novembre, aidé par Berthier, Murat ou Lauriston, il s’occupe personnellement de réguler le passage, puis il se décide à traverser la Bérézina à une heure de l’après midi. Il s’installe à quatre kilométres du pont à Zavniki, puis revient à cheval prés des ponts et s’efforce d’accélérer le passage des 4e, 3e, 5e et 6e corps.
Davout arrive, suivi par Victor qui est parti de Borisov à 4 heures du matin. Il a laissé la division Partouneaux, forte de 5000 hommes vers Borisov, pour tenir le passage jusqu'à ce que le 1er corps et la cohue des traînards, qui le suivent, se soient écoulés. Mais Wittgenstein se rapproche et Partourneaux se rend compte qu’il est désormais coupé de Studianka. Pour se frayer un passage vers le pont de Studianka, il passe avec résolution à l’attaque avec ses trois brigades, environné par une foule désordonnée de trainards.
Mais ses efforts se brisent contre la supériorité numérique des troupes russes ; il est fait prisonnier avec l’une de ses brigades. Les deux autres brigades et la cavalerie se replient à Borisov; encerclées, elles doivent capituler le 28 novembre au matin. Dans le combat, la moitié des troupes ont été tuées ou blessées, et en sus des troupes combattantes, cinq mille trainards sont faits prisonniers par Wittgenstein ; seul un bataillon de 150 hommes parvient à rejoindre Studianka.
Pendant que Partourneaux était pris à la gorge le 27 novembre, le franchissement de la Bérézina continuait en assez bon ordre.
Je ne sais pas si nous pouvons imaginer le passage des régiments de Davout qui se présentent le soir devant les ponts dans leur plus belle tenue, au son des fifres et des tambours !
[1] 24 travées de 4,30 mètres, 23 chevalets par pont de 1 à 3 mètres avec des chapeaux de 4,50 mètres et des poutrelles de 5,50 métres de longueur et de 15 cm de diamètre.
dskatastrophe
J’intercale dans ma série de blogs sur la Berezina un bref commentaire sur l’affaire DSK. Il faut convenir qu’elle est extraordinaire, mais on le verra, pas si surprenante que cela. Il faut convenir que depuis le début de l’année 2011, la fréquence des événements considérables est vraiment inusuelle : la fuite de Ben Ali, puis celle de Moubarak, la guerre contre Kadhafi, la chute de Gbagbo et la liquidation de Ben Laden. Entre-temps, on a du enregistrer la gravissime catastrophe de Fukushima. Au plan des faits-divers, on a constaté l’assassinat planifié de la famille De Ligonnès, la fuite du père et maintenant voici DSK accusé d’agression sexuelle, de séquestration de personne et de tentative de viol.
Pour tous ceux qui proclament que cela ne ressemble pas au DSK qu’ils connaissent, je recommande de visionner la vidéo suivante, diffusée le 5 février 2007 par Thierry Ardisson, dans laquelle Tristane Banon raconte comment DSK a essayé de la violer:
http://www.dailymotion.com/video/k6uvGOiEEA8r3ROmi3#from=embed
Après cela, il me paraît plutôt réaliste de considérer que l’agression d’une femme de chambre par DSK est nettement plus vraisemblable que le thème du complot.
Je vous propose, pour en tirer les leçons, de lire quelques commentaires des lecteurs de "The Economist" qui ne versent pas de larmes de crocodiles sur les malheurs de DSK en oubliant la femme de ménage agressée pour laquelle ils n’ont manifestement aucune considération :
Commentaires politiques :
« Je me demande comment un homme peut faire pour à la fois conduire (sic) une Porsche, posséder des appartements luxueux dans le monde entier, acheter des costumes coûteux, et en même temps se proclamer socialiste et se présenter comme candidat à la présidence d’un pays européen développé ? C’est comme être un cannibale qui prêche les vertus des plats végétariens. Soit les électeurs sont devenus fous, soit DSK dispose de capacités hypnotiques sur les électeurs français… »
« Oh, comme c’est amusant et comme c’est honteux pour toute la classe dirigeante française qui regarde de haut ses voisins aux mœurs barbares ! Maintenant je comprends mieux pourquoi Madame Merkel fait tout ce qu’elle peut pour éviter de rencontrer les politiciens français ! »
Plus humoristiques :
« DSK a dû penser qu’une suite à 3000$ impliquait un service complet… »
« La grande majorité du peuple français ne devrait pas être autorisée à quitter le sol français »
« Quelle surprise ! »
Pour conclure, je pense que nous sommes dirigés de façon abusive par une classe politique dont DSK était, jusqu’à ce matin, considéré comme l’un de ses meilleurs représentants, « aimant la vie », intelligent, bienveillant, admiré du monde entier.
Je propose donc tout simplement de la supprimer, cette classe politique, en interdisant tout renouvellement de mandat…
Echec et mat à Borisov?
Pour retarder l’échec et mat, le joueur déplace le roi puis il prend un pion avec la seule tour qui lui reste, mais son adversaire riposte en bloquant tous ses mouvements avec un fou.
Le 23 novembre, Napoléon s’établit à Bobr, quelques kilomètres au sud-est de Borisov pour faire croire à Tchichakov qu’il va passer au sud. Oudinot reprend Borisov, mais Tchichakov fait aussitôt détruire le pont.
Dans la nuit du 23 au 24 novembre, Oudinot fait procéder à des reconnaissances le long de la Berezina de part et d’autre de Borisov. Il trouve un passage au-dessous de la ville qui s’avère peu praticable pour l’artillerie et trois au-dessus, dont celui de Studianka, à 16 kms au nord de Borisov et celui de Wésélowo quatre kilomètres encore plus au nord. C’est le choix de Studianka qui s’impose à Oudinot grâce au passage de la Bérézina qu’a réalisé Corbineau à cet endroit : une de ses patrouilles a remarqué un paysan dont les vêtements étaient mouillés et ce dernier leur a montré l’emplacement du guet, entre Studianka et Brillowo. Les rives ont donc été reconnues des deux côtés et l’on sait que la rivière y est peu profonde, que les abords sont faciles et que le débouché marécageux est possible grâce à la gelée. Il reste que la colline en face peut permettre à l’ennemi, s’il s’y installe, d’empêcher la traversée.
Le 24 novembre, Napoléon met tous les pontonniers, tous les sapeurs et tous les mineurs qui lui restent aux ordres d’Oudinot pour construire les ponts. Le même jour, il fait brûler la moitié des voitures dont il récupère les chevaux pour l’artillerie, qui seule donne les moyens de tenir les ponts. Faisant feu de tout bois, il forme deux compagnies de cavalerie en rassemblant tous les officiers montés.
Ces instructions données, Napoléon quitte Bobr pour Losnitza le 24 à 10 heures du matin, se rapprochant encore de Borisov. Dans la Grande Armée, l’angoisse est palpable, car chacun sait que le pont de Borisov est coupé, que Tchichakov empêche le passage de la Bérézina, que Wittgenstein est à droite, si prés que l’on entend le feu de ses canons contre Victor, et que Koutousov, derrière, se rapproche. Chacun conjecture[1] sur les chances de pouvoir sortir vivant de ce guêpier.
Napoléon lui-même ne cache pas son inquiétude lorsqu’il écrit, dans l’instruction qu’il envoie, le 25 novembre à 5 heures du matin : « …Faites donc brûler ; dans 24 heures nous serons peut-être obligés de tout brûler… » Ce matin-là, il va à Borisov où il s’efforce de faire croire, en déployant moult activités visibles, que rien de sérieux ne se trame à Studianka. Pendant ce temps, il ordonne d’y commencer la construction des ponts dés le soir. Malheureusement, si on a bien fabriqué une vingtaine de chevalets, le bois utilisé se révèle trop faible, ils sont inutilisables.
Le 26 novembre, Napoléon se rend à 6 heures du matin chez Oudinot à Studianka pour évaluer la situation tactique. Il ne sait pas que la construction n’a pas encore commencé. Sa présence accélère tout. Il fait passer à la nage quelques cavaliers et, par radeaux, quelques centaines d’hommes qui chassent les cosaques, mais pas les vedettes russes qui courent prévenir Tchichakov de ce qui se trame à Studianka. Quelques canons russes sont foudroyés par le feu des quarante canons disposés par Napoléon pour protéger le passage. On se rassure lorsque les prisonniers interrogés confirment que Tchichakov ne réagit pas, pas encore, puisqu’il est toujours en face de Borisov.
La construction des ponts ne commence que dans la matinée du 26 novembre. Elle comprend deux ponts séparés de 200 mètres, l’un à droite pour les cavaliers et l’infanterie, l’autre à gauche plus solide, pour l’artillerie et les voitures. La longueur des ponts est de 100 mètres, plus que prévu, et la profondeur maximale est déjà de deux mètres à cause de la crue en cours. En silence, Napoléon assiste à la construction et avec lui toute l’armée. Tous regardent les pontonniers d’Éblé se jeter à l’eau jusqu’à la poitrine, ce qui, chacun le sait et eux les premiers, les condamne à une mort certaine, compte tenu du froid, de leur condition physique et de l’état de la médecine de l ‘époque : ils sacrifient leur vie pour que la Grande Armée vive…
Une Grande Armée, qui, ce matin du 26 novembre, n’est plus composée que de vingt-neuf mille sept cent combattants, dont quatre mille cavaliers, sans compter les traînards. Autour de lui, cent quarante mille Russes l’encerclent.
Neuf jours après Krasnoï, ce 26 novembre 1812, à une heure de l’après-midi, le pont de droite, celui réservé aux cavaliers et à l’infanterie, est achevé.
[1] Le général Rapp rapporte : « Ney me prit en particulier, nous sortîmes; il me dit en allemand: « Notre position est inouïe; si Napoléon se tire d’affaire aujourd’hui, il faut qu’il ait le diable au corps. » Nous étions fort inquiets, et il y avait de quoi. Le roi de Naples vint à nous, et n’était pas moins soucieux : « J’ai proposé à Napoléon, nous dit-il, de sauver sa personne, de passer la rivière à quelques lieues d'ici ; j'ai des Polonais qui me répondraient de lui, et le conduiraient à Wilna; mais il repousse cette idée, et ne veut pas en entendre parler. Quant à moi, je ne pense pas que nous puissions échapper. » Nous étions tous les trois du même avis.
Survivre après Krasnoï
Le 17 septembre à Krasnoï la bien nommée[1], Napoléon échappe à l'encerclement grâce à la lenteur de Koutousov. Maintenant il lui faut durer.
Il prend quelques heures de repos, puis repart dans la nuit alors que la température remonte quelque peu et que le dégel s’amorce, qui rend les chemins boueux. Il parvient néanmoins à atteindre Dubrovno le 18 novembre avant le jour, cinquante kilomètres plus loin.
Pendant que la troupe abat des maisons pour alimenter les feux, il apprend la perte de Minsk, prise par les troupes de l’amiral Tchitchakov. C’est une catastrophe majeure, puisque sa retraite est désormais coupée. Comme à son habitude, Il réagit aussitôt en ordonnant à la division Drombrowski, chassée de Minsk, de se porter à Borisov et d’y défendre la tête de pont sur la rive droite de la Bérézina. Il ordonne aussi au corps d’armée du maréchal Oudinot, qui s’est replié de Polotsk deux cents kilomètres au Nord, de se joindre à la division Drombrowski afin de reprendre Minsk. Mais comment enlever Minsk avec deux fois moins d’hommes que l’ennemi ?
À trois heures du matin, le 19 novembre, toujours depuis Dubrovno, Napoléon donne l’ordre au maréchal Victor de contenir autant que possible les troupes russes de Wittgenstein. Enfin, au petit matin du même jour, Il fait mettre la Vieille Garde en carré, puis, se plaçant au centre, il la fait témoin de la désorganisation de l’armée pour lui confier le soin de maintenir la discipline. Sacrée nuit !
Il se remet aussitôt en marche vers Orsha, à trente kilomètres de là. Orsha est une ville de garnison située sur le Dniepr, qu’il atteint le 19 novembre à midi. Il s’y efforce de réorganiser ses troupes. Avec les trente-six canons et les chevaux qu’il y trouve, il fait six batteries. Il demande inlassablement de détruire les voitures non indispensables et il fait lire partout un ordre du jour enjoignant aux traînards de rejoindre les unités régulières. Sans beaucoup de succès.
Il quitte Orsha le 20 novembre au soir pour s’installer quinze kilomètres plus loin, à Baranui. C’est dans ce bivouac qu’il apprend la bonne nouvelle du sauvetage de Ney. Enfin une bonne nouvelle ! La tentation était grande de faire enfin une pause. Le temps était plus clément et à Orsha, on avait enfin trouvé des vivres. Or, il fallait continuer à avancer coûte que coûte, à cause de la prise de Minsk par Tchichakov. Mais qu’elles étaient silencieuses et accablées, ces troupes qui avançaient sans relâche ! Et que dire des traînards qui les entouraient !
Le 21 novembre, l’arrière-garde détruit à Orsha les ponts sur le Dniepr, tandis que Napoléon s’établit à Kokhanov, tourmenté par la question du pont de Borisov, qu’il faut à tout prix conserver.
Las, le 22 novembre, alors qu’il marche vers Tolotchino, il apprend que Tchichakov vient de s’emparer, non seulement de la tête de pont, mais de la ville de Borisov elle-même ! Car Dombrowski n’a pas pu résister, avec ses cinq mille cinq cent hommes, à l’armée de Tchichakov, cinq fois plus nombreuse. En apprenant la nouvelle, Napoléon, d’ordinaire si maître de lui, ne peut s’empêcher de montrer sa consternation…
Comment s’en sortir ? Il ne reste qu’une seule solution, trouver un passage pour traverser la Bérézina malgré Tchichakov, et tout de suite, pour ne pas être pris en tenaille par Wittgenstein et Koutousov ! En plus, comme on n’a plus d’équipages de pont, il va falloir construire des chevalets et tout cela sans outils ! Mission impossible !
Napoléon voit bien que la situation est redevenue aussi critique qu’à Krasnoï. Platov talonne son arrière-garde. Wittgenstein le serre à droite, avec pour seul écran le corps d’armée de Victor. Comment empêcher Tchichakov et Wittgenstein de se réunir pour couper sa route ? Rien d’autre à faire que de prendre toutes les mesures possibles : faire face, le reste sera donné de surcroît. Napoléon se hâte vers Toloczin. Puisque Dombrowski a pu s’enfuir de Borisov avec mille cinq cent hommes, qu’il se joigne à Oudinot. Que ce dernier marche sur Borisov pour reprendre la ville. Qu’il prévoit la construction de deux ponts, à droite ou à gauche de Borisov, si d’aventure le pont actuel était détruit. Qu’il soit maître d’un passage dans 48 heures. Il n’y a pas une minute à perdre !
Mais où passer, sans laisser le temps à Tchichakov de réunir son infanterie pour attaquer le pont ?
Dès lors, la partie d’échec commence.
Bain de sang à Krasnoï
Ayant perdu le contact avec Koutouzov au cours des deux semaines précédentes, Napoléon a cru à tort que l'armée russe était aussi affaiblie que la sienne. C’est pourquoi, à partir du 11 novembre, il commet l'erreur de reprendre sa retraite par petites unités et sur plusieurs jours, ne s'attendant pas à une offensive des Russes.
Le 14 novembre, en tête de l'armée, les Corps de Poniatowski et de Junot passent Krasnoï, à 80 kilomètres de Smolensk et continuent à l'Ouest vers Orcha, 50 kilomètres plus loin.
Le lendemain 15 novembre, Napoléon, avec les seize mille hommes de la Garde impériale, arrive à son tour à Krasnoï où il pense rester quelques jours. Il s’agit de permettre aux six mille hommes du IVe Corps d’Eugène de Beauharnais, aux neuf mille hommes du Ier Corps de Davout et aux huit mille hommes du IIIe Corps de Ney, de le rejoindre pour poursuivre la retraite. Ces derniers, qui constituent l’arrière-garde, ne quittent Smolensk que le 17. À ces troupes organisées se sont joints quarante mille hommes et femmes qui marchent en désordre autour de ces divisions.
Plus au sud, dans des régions moins dévastées, l'armée de Koutouzov se dirige aussi vers Krasnoï dont elle atteint les environs en même temps que Napoléon, le 15 novembre. Les Russes disposent de soixante mille hommes, d’une importante cavalerie et de 500 canons auxquels s’ajoutent les vingt mille cosaques qui harcèlent les troupes françaises le long de la route.
Les dix sept mille hommes de Miloradovitch barrent l’accès à Krasnoï. Napoléon, à la tête des seize mille hommes de la Garde impériale, décide de marcher sur lui. Impressionné par l’allure de la Garde, Miloradovitch refuse[1] le combat. Les troupes de Napoléon n’ont plus alors qu’à chasser les trois mille cinq cent cosaques d’Ozarowski qui défendent Krasnoï avant d’en décimer la moitié dans une attaque aussi surprise que nocturne. À ce moment-là, Napoléon envisage de rester à Krasnoï quelques jours pour permettre au reste de son armée de se regrouper. Les événements vont en décider autrement.
Le 16 novembre, le IVe Corps d’Eugène de Beauharnais se présente à son tour devant Krasnoï. Il perd, dans les combats que lui imposent les soldats de Miloradovitch, le tiers de ses hommes, son artillerie et son train des bagages.
Le 17 novembre, dans l'après-midi, le Ier Corps de Davout se hâte à son tour vers Krasnoï. La nouvelle de la défaite d'Eugène fait que Davout a décidé de ne pas attendre le IIIe Corps de Ney, qui n'a toujours pas quitté Smolensk. Miloradovitch déclenche un barrage massif d'artillerie contre lui, menaçant rapidement le Ie Corps d'anéantissement. Napoléon décide alors de le soutenir en simulant une offensive de la Garde impériale contre les troupes de Miloradovitch. Dans le même temps, ce qu’il subsiste du IVe Corps d'Eugène passe à l'ouest de Krasnoï pour sécuriser la route de retraite vers Orcha. Dès que Davout et Ney seront arrivés, Napoléon espère reprendre aussi rapidement que possible sa retraite afin de ne pas présenter son flanc à Koutouzov lorsqu’il marchera vers Orcha.
En attendant, après que le simulacre d’attaque eut sauvé Davout, il envoie ce même 17 novembre à cinq heures de l'après-midi, onze mille soldats de la Garde pour sécuriser l'est et le sud-est de Krasnoï. Tandis qu'une colonne de cinq mille hommes marche le long de la route de Smolensk, une autre de six mille hommes marche au sud vers Ouvarovo. Koutouzov, impressionné, annule l'offensive prévue malgré l'écrasante supériorité numérique de ses troupes. Pendant ce temps, au nord de Krasnoï, les troupes de Davout commencent à arriver, fortement affaiblies par l’artillerie russe et le harcèlement des cosaques. Tous ces combats consomment quantité de soldats : c’est ainsi que, prés d’Ouvarovo, le 1er régiment d'infanterie légère de la Jeune Garde se retrouve réduit à onze officiers et cinquante soldats…
Afin de ne pas prendre le risque de se laisser encercler, la hantise de tout général, Napoléon décide de repartir aussitôt vers Orcha, quitte à sacrifier le IIIe Corps de Ney. Ce ne fut pas une décision facile, mais il finit par se résoudre à ordonner à la Vieille Garde de rejoindre le IVe Corps d'Eugène, à l'ouest de Krasnoï. De son côté, la Jeune Garde est relevée par les troupes de Davout, troupes qui ne comptent plus que la moitié des hommes partis de Smolensk. Seule une division de trois régiments commandée par le général Friedrich est laissée à Krasnoï.
Koutousov finit la journée du 17 novembre en submergeant l’arrière-garde de Napoléon, qui perd la totalité d'un régiment, tandis que sur la route d’Orcha, ce dernier pulvérisait un petit détachement de troupes russes dans un extraordinaire capharnaüm d'explosions, de wagons renversés, de fugitifs paniqués et que les cosaques s’emparaient du train de bagages du Ier Corps et même des effets personnels de Davout !
À la nuit, ce 17 novembre, les soixante dix mille soldats de Koutouzov occupent Krasnoï et ses environs. Pendant ce temps, sans se douter que c’est Koutouzov, et non Napoléon, qui l’attend à Krasnoï, le maréchal Ney, après avoir quitté Smolensk le matin même, se dirige droit dans le piège.
C’est le lendemain 18 novembre à trois heures de l'après-midi que se joue enfin le dernier acte de cette sanglante représentation, une aventure extraordinaire qui commence lorsque le IIIe Corps de Ney rencontre les 12 000 hommes de Miloradovitch. Ney dispose de 8 000 hommes qui sont pris sous le feu de l’artillerie russe. Miloradovitch, qui sait bien que Ney n’a aucune chance de percer au travers de l’ensemble des armées russes qui l’entourent, lui offre une reddition honorable. Ney la rejette, croyant toujours que Davout se trouve à Krasnoï et tente au contraire de se frayer un chemin à travers les rangs ennemis. Il parvient à percer les deux premières lignes d'infanterie, mais ses troupes épuisées succombent face à la troisième ligne. Miloradovitch fait alors à Ney une seconde proposition de reddition, que ce dernier rejette encore pour se lancer au combat à la tête de ses hommes, un fusil à la main.
Il résiste jusqu’à la nuit, puis laissant ses feux de bivouac allumés, profite de l'obscurité pour s'échapper vers le Nord à travers la forêt, franchir à gué le Dniepr à peine gelé, se jeter dans la forêt avec deux mille rescapés poursuivis par les Cosaques de Platov et finit par rejoindre les troupes françaises à Orcha le 20 novembre. Ils ne sont plus que huit cent survivants, mais Napoléon qui les croyaient perdus, décerne à Ney le titre de « Brave des braves » et puise dans cet exploit de nouvelles espérances, même si les combats de Krasnoï ont réduit la Grande Armée à trente mille hommes et vingt-cinq canons, sans aucune cavalerie.
Mais l'armée française n'était pas totalement anéantie.
Il lui restait à franchir la Bérézina…
[1] « La garde impériale avec Napoléon parmi eux traversa les rangs de nos Cosaques comme un navire de 100 canons aurait traversé une flottille de bateaux de pêche. »
À Smolensk, le sort bascule...
Nous avons laissé Napoléon pénétrer dans Viasma, tandis que Koutousov estime que l’endroit pourrait être fatal à la Grande Armée…
Le 2 novembre, les troupes de Napoléon sortent de Viasma en direction de Smolensk. Aussitôt, le corps du prince Eugène est attaqué par les troupes du général Miloradovitch et il est sur le point de céder, comme l’avait prévu Koutousov, lorsque les forces du maréchal Davout puis celles du maréchal Ney se portent à son secours. Miloradovitch fait appel à Koutousov qui refuse de s’engager et qui ordonne de continuer à côtoyer l'ennemi. Du coup, c’est une défaite pour les assaillants encore que les troupes françaises aient perdu dans le combat 4 000 tués ou blessés.
La marche reprend, de plus en plus pénible. Le maréchal Davout, dont les forces ont été trop éprouvées pour rester à l’arrière-garde, laisse les troupes de Ney faire face aux cavaliers de Miloradovitch. Les escarmouches sont fréquentes et lorsque le 3 novembre, la neige se met à tomber dru, l'armée est contrainte de ralentir son allure ce qui permet aux Cosaques du général Platov d’attaquer et d’enlever à Ney 400 chevaux et fourgons.
À partir de la nuit du 4 au 5 novembre, la température baisse brusquement, atteignant moins douze degrés. Les hommes, transis de froid, torturés par la faim, commencent à se traîner. Les chevaux, mal ferrés et nourris avec des écorces et de la paille pourrie, glissent, tombent et ne peuvent plus se relever. Ils sont aussitôt dépecés et mangés. La route est jalonnée de cadavres, de pièces d'artillerie et de chariots abandonnés faute de chevaux.
Le 8 novembre, les premières unités françaises pénètrent dans Smolensk. Il ne reste déjà plus que 40000 hommes en état de se battre sur les 100000 hommes partis de Moscou quinze jours plus tôt. Pour permettre aux artilleurs de conserver les quelque 200 canons qui leur restent encore, la cavalerie a renoncé à ses montures. Napoléon espérait que l'armée pourrait se reposer à Smolensk et récupérer environ trente mille traînards. Il avait donné de multiples instructions pour que des vivres soient stockées dans la ville et que les cantonnements soient préparés. Mais Smolensk est en partie détruite et les convois ont été souvent dispersés par les attaques des partisans. Aussi sa fureur et sa déception sont–elles immenses lorsqu'il découvre que les magasins n’ont que dix jours d'approvisionnements et qu'aucun quartier d'hiver n'a été préparé. Il n’y a pas d’hôpitaux, au point qu’il faut laisser les blessés et les malades dans les rues sur les charrettes qui les ont amenés…
Si la Grande Armée n’est pas en mesure de prendre ses quartiers d’hiver à Smolensk comme Napoléon l’avait initialement prévu en quittant Moscou, il faut continuer la retraite vers Minsk où se trouvent d’importants dépôts. Or l’horizon s’assombrit rapidement. À 250 kilomètres au nord-ouest de Smolensk, les troupes du maréchal Oudinot occupaient les villes de Polotsk et de Vitebsk, sur la route prise par la Grande Armée venant de Königsberg et Vilnius. Elles ont été bousculées par les forces du général Von Wittgenstein qui occupent désormais Vitebsk, sur le chemin de la retraite prévue par Napoléon. Au Sud, l'armée de l'amiral Tchitchakov remonte de la frontière turque en direction de Minsk. Ceci a deux implications stratégiques. D’une part, l’armée napoléonienne doit désormais prendre un passage plus au sud, par Orcha et Borissov, où elle devra franchir la Bérézina. D’autre part, il faut accélérer la retraite pour franchir ce passage dangereux avant que Wittgenstein et Tchitchakov aient pu réaliser leur jonction. La question du passage de la Bérézina se pose par conséquent à Napoléon dés le 11 novembre lorsque les avant-gardes quitte Smolensk en direction de Krasnoï.
Il faut donc partir au plus vite, d'autant plus que les forces du général Platov continuent à progresser et que celles du maréchal Koutousov se dirigent vers Krasnoië, menaçant de couper la nouvelle route de retraite vers Orcha, à 130 kilomètres à l’ouest de Smolensk. Napoléon commence par ordonner au maréchal Victor de se porter au secours du maréchal Oudinot pour protéger son flanc droit puis s’organise pour que la Grande Armée quitte Smolensk au plus vite.
Le 14 novembre, la Garde suivie par les forces du prince Eugène et du maréchal Davout, protégées par les troupes du maréchal Ney sortent de la ville. Le même jour, les avant-gardes de Napoléon approchent de Krasnoië…
La Bérézina, le Dunkerque de la retraite de Russie
Je termine ma série de blogs sur la Biélorussie avec le récit de la bataille de la Bérézina, qui se trouve sur le sol biélorusse à 120 kms au nord-est de Minsk.
En français courant, l’expression « c’est la Bérézina » est synonyme de catastrophe, de déroute complète. C’est un contresens absolu car cette bataille a permis au contraire l’extraordinaire sauvetage de l’armée napoléonienne alors qu’elle était menacée d’anéantissement. L’armée en retraite était en effet à la fois acculée à la Bérézina tout en étant prise dans les mâchoires de trois armées russes rassemblant deux fois plus d’effectifs. Cette incroyable prouesse, comparable à l’évacuation de Dunkerque par les troupes anglo-françaises en mai-juin 1940, est l’œuvre conjointe de Napoléon d’une part, au sommet de son art de la manœuvre et du commandement, et des qualités de courage, de détermination et de savoir-faire de ses soldats d’autre part, parmi lesquels se distinguent en particulier les sapeurs du général Eblé.
La grande Armée franchit le Niémen en direction de Moscou le 24 juin 1812. Le 15 septembre, après la bataille de la Moskova, Napoléon s’installe à Moscou auquel le gouverneur de la ville, le comte Rostopchine, met aussitôt le feu. Napoléon songe dès le lendemain de l’incendie à se retirer de Moscou et revenir à Smolensk. Mais il espère l'ouverture prochaine de négociations et il ne veut pas abandonner le gage que représente l'ancienne capitale des Tsars. De son côté, Alexandre oppose un silence méprisant aux ouvertures de Napoléon, malgré les offres de paix faites à Koutousov le 4 octobre par le général Lauriston. Dès lors, Napoléon ne sait que faire. Peut-il marcher sur Saint-Pétersbourg à la veille de l’hiver et avec les forces de Koutousov dans le dos ? impraticable. Allons, il faut se résigner à quitter Moscou pour se replier sur Smolensk ou Vitebsk, mais symboliquement, comment battre en retraite sans perdre la face ? Le 13 octobre, la ville se réveille pour la première fois sous une mince couche de neige. Dans la soirée du 18 octobre enfin, l’Empereur apprend que les troupes du maréchal Murat, fortes de vingt mille hommes, ont été attaquées par les Russes. Elles ont perdu plus de 2 000 soldats, 36 canons et un drapeau. C’est la première fois, depuis l'entrée des Français dans Moscou, que les Russes passent avec succès à l'offensive. Napoléon y voit le prétexte nécessaire pour quitter Moscou : « Marchons sur Kalouga et malheur à ceux qui se trouveront sur mon passage ! ». Napoléon n'est resté que 34 jours à Moscou...
Dés le 19 octobre à sept heures du matin, les premiers Français commencent à quitter la ville. Le 22 octobre, près de 100 000 hommes l’ont abandonné. Seuls restent sur place les 8 000 hommes du maréchal Mortier qui ont ordre de miner le Kremlin et les principaux édifices publics. Koutousov a massé 85 000 fantassins et 35 000 cavaliers derrière la ville de Malo-Iaroslavets située à une cinquantaine de kilomètres au Nord de Kalouga, pour barrer la route de Napoléon. La bataille s'engage le 24 octobre. Dix mille hommes sont tués ou blessés, dont 4 000 Français et Italiens et 6 000 Russes. Napoléon doit désormais décider s’il doit livrer une nouvelle bataille à Koutousov qui s’est fortifié. Il s'agirait d'obtenir une percée en direction de Kalouga d'où l'on pourrait gagner Smolensk en traversant une région jusqu'alors épargnée par la guerre. L'autre solution consiste à se replier sans combattre sur Mojaïsk et reprendre la route suivie lors de la marche vers Moscou. Cette dernière voie est plus courte que la précédente, mais elle a été transformée en désert et est constamment attaquée par des partisans. Consulté, l’État-major pense que la sagesse consiste à éviter le combat et à se retirer, malgré les inconvénients de la route directe.
Napoléon s’y résigne et le 26 octobre, la retraite commence. La Grande Armée tourne le dos à Malo-Iaroslavets et prend la direction de Borowsk. L'objectif est désormais Smolensk où la Grande Armée pourrait prendre ses quartiers d'hiver, si les circonstances s'y prêtent. La colonne s'étire sur des kilomètres, avec Napoléon qui chevauche en tête entouré de sa Garde, suivi par les corps de Murat, de Ney et du prince Eugène. Le maréchal Davout ferme la marche. D'innombrables chariots tentent de suivre, chargés de blessés et alourdis d'objets hétéroclites. Ces traînards sont la proie des Cosaques et des partisans. Le moral de la troupe est bas, d’autant plus que le ravitaillement est impossible et que la nuit, la température commence à descendre au-dessous de zéro. Les chutes de neige deviennent fréquentes. Le 29 octobre, la troupe traverse le champ de bataille de Borodino, toujours jonché de cadavres.
Le 31 octobre, après avoir parcouru plus de 100 kilomètres depuis Malo-Iaroslavets, l’armée fait une pause à Viasma...
Koutousov, de son côté, résiste à la tentation de se lancer à la poursuite de Napoléon pour lui livrer bataille, malgré les souhaits du général Bennigsen et du commissaire britannique. Il pense que les Français sont perdus et qu’il est donc inutile de les attaquer de front ; il suffit de les harceler en attendant de trouver la bonne occasion de leur porter le coup fatal. Il donne donc l’ordre au général Miloradovitch de suivre Napoléon sur son flanc gauche et aux Cosaques du général Platov de se porter sur son flanc droit. Lui-même et le gros de l'armée se contenteront de marcher sur les talons des fuyards.
Il prévoit que l'étau pourrait se refermer sur eux aux environs de Viasma...
Le loup-garou Loukachenko
ce blog est le 201 eme
Dans le blog précédent, je voulais surtout attirer votre attention sur la vision unilatérale de l’information qui nous est présentée dans les médias qui ne parlent de la Biélorussie que pour qualifier son Président de dictateur, sans jamais mentionner les succès économiques de la Biélorussie, un pays pourtant doté de peu d’atouts. Pour ne pas m’attirer les reproches que je formule à l’égard des médias, je vais donc traiter dans ce blog d’Alexandre Loukachenko, le loup garou des medias occidentaux.
À ce jour, la Biélorussie est le seul État européen qui ne fait toujours pas partie du Conseil de l’Europe, mais il faut avouer qu’Alexandre Loukachenko rassemble toutes les caractéristiques pour déplaire à l’Union Européenne. Tout d’abord, il n’est même pas un ancien membre du KGB, cet ENA de l’Est : né en 1954, diplômé d’une académie agricole, successivement garde frontière, directeur d’une usine de matériaux de construction, Alexandre Loukachenko a été élu en 1990 député au Conseil suprême de la République biélorusse. Fervent adversaire de la corruption, il a été ensuite est élu président du comité anti-corruption du Parlement biélorusse.
Au début de l'année 1994, une nouvelle Constitution est adoptée. Six candidats sont en lice, dont Loukachenko et Vyatchaslaw Kiebitch. Ce dernier est le grand favori mais à la surprise de la plupart des observateurs, Loukachenko conduit une campagne contre la corruption qui lui permet de se retrouver en tête du premier tour avec 45 % des voix et de l’emporter au second tour avec plus de 80 % des voix. On ne peut pas soutenir qu’il ait truqué ces élections-là, ses adversaires étant au pouvoir.
Élu, Loukachenko fait doubler le salaire minimum, introduit le contrôle des prix et abroge les réformes économiques. Pire, il remet en vigueur le drapeau de la Biélorussie et maintient le KGB.
Dés les premières années de son mandat, Loukachenko doit faire face à l’opposition de la Banque Mondiale et du FMI qui suspendent leurs prêts financiers à la Biélorussie en invoquant l’absence de réformes. Drôle de réaction de la part de ces organismes qui devraient être plus guidés par l’intérêt des populations que par l’idéologie libérale ou le combat politique contre les dirigeants qui leurs déplaisent.
Lors de l'été 1996, une majorité de députés signe une pétition contre Loukachenko. Ce dernier réplique en organisant un référendum pour accroître ses prérogatives. Le « oui » l’emporte avec 70,5 % des votants et il obtient un nouveau Parlement qui lui est acquis. En 1998, une nouvelle crise secoue le pays lorsque la Banque Centrale russe, peu amicale, suspend le change du rouble biélorusse. Loukachenko réagit en prenant le contrôle de la Banque Centrale biélorusse et en fixant autoritairement le taux de change.
La même année, la « Crise des Résidences » secoue les relations diplomatiques entre les pays occidentaux et la Biélorussie, lorsque les ambassadeurs occidentaux sont rappelés à la suite des pressions de Loukachenko pour expulser leurs ambassades de la zone résidentielle de Drozdy jouxtant la résidence du Président. Loukachenko invoque les activités d’écoute et d’espionnage de ces ambassades, dont l’ambassade US. De même, il expulse une délégation du FMI en qualifiant sans aménité ses membres « d'escrocs ».
En 2001, Il mène campagne pour son second mandat sur les thèmes du contrôle de l'économie et d’un fort pouvoir présidentiel pour maintenir l'ordre, et il l’emporte dès le premier tour. Alors que les gouvernements occidentaux critiquent les conditions de sa réélection, la Russie et les pays voisins estiment de leur côté que le scrutin a été transparent et ouvert. Il est encore réélu pour cinq ans en 2006 avec 82,6 % des voix au terme d'une élection toujours jugée non démocratique par les pays occidentaux et réélu triomphalement pour un quatrième mandat consécutif en décembre 2010 avec 79,67 % des voix. Dans les chancelleries occidentales, l’exaspération est à son comble, relayée[1] à Minsk par des démonstrations violentes. Des centaines de manifestants sont arrêtés, l'Union européenne et les États-Unis condamnent la répression et en profitent pour prendre des sanctions contre les entreprises biélorusses.
V Loukachenko n’est pas avare de déclarations publiques qui sont ressenties comme des provocations par les dirigeants et les medias occidentaux, mais c’est un peu la même chose. C’est ainsi que sa dernière sortie ne devrait pas calmer les esprits, lorsqu’il déclare en novembre 2010, en parlant de Guido Westerwelle, le Ministre des Affaires Étrangères d’Allemagne : « Je lui ai dit honnêtement, les yeux dans les yeux, qu'il fallait mener une vie normale », faisant allusion à l'homosexualité de son interlocuteur. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que fin janvier, Guido Westerwelle et son homologue anglais Hague, tous deux homosexuels, aient signé une tribune au ton très incisif contre le régime de Loukachenko dans le Wall Street Journal.
Pour conclure, je vous invite à lire en anglais, ou à écouter en russe, l’interview du Président Loukachenko par Lally Weymouth, pour le Washington Post du 28 février 2011.
Voici le lien :
http://7bnquestion.com/p/interview-with-president-of-beloruss-lukashenko
Le journaliste qui retransmet cette interview, observe ceci :
« Propaganda, brainwashing, information hiding and filtering are flourishing in American mass media. The American audience receives an one-sided view of many important domestic and world news at best. One example of such information distortion and hiding is an interview with the president of Belarus, Alexander Lukashenko, with Washington Post Chief editor Lally W., on 28.2.2011. »
[1] Les partis et associations dites pro démocratiques sont ouvertement financées, soit par les Etats-Unis et l’Union Européenne, soit par la Russie qui n’apprécie que modérément l’économie centralisée et la lutte contre la corruption d’Alexandre Loukachenko.