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Le blog d'André Boyer

LE POUVOIR CENTRALISÉ DE PHILIPPE LE BEL

28 Décembre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

PHILIPPE LE BEL FAIT ARRÊTER LES TEMPLIERS

PHILIPPE LE BEL FAIT ARRÊTER LES TEMPLIERS

Les Rois ont très rapidement cherché à accroître leur contrôle sur la société française et cette tendance permanente au renforcement du pouvoir de l’Etat pointe déjà sous Philippe Auguste (1180-1223).

 

Ce dernier assure la diffusion de l’autorité du monarque par la mise en place des baillis, investis de pouvoirs d’administration, de justice et de finances, qui ne porte que sur son domaine royal, un domaine qui ne comprend pas encore les possessions de ses vassaux, comme la Bretagne par exemple.

Saint Louis (1226-1270), qui succède à Philippe Auguste, acquiert pour sa part une réputation d’arbitre international qui est sanctionnée par sa canonisation, équivalente au prix Nobel de la Paix d’aujourd’hui. Après lui commence à s’affirmer la toute puissance de la monarchie française, qui fait aujourd’hui de la France le seul véritable État centralisé du continent européen, sinon du monde.

Alors que Philippe Auguste régnait en France, la Grande Charte, appelée Magna Carta, était concédée aux Anglais en juin 1215 par Jean sans Terre sous la pression des barons et de l’Église. Elle garantissait à tous les hommes libres le droit de propriété, la liberté d’aller et de venir en temps de paix. Elle donnait aussi des garanties en cas de procès criminel, comme l’impartialité des juges ou la nécessité et la proportionnalité des peines. Elle posait le principe essentiel, pour un régime parlementaire, qu’aucun impôt ne serait levé sans le consentement du Conseil du royaume, un Conseil où siégeaient les barons, les comtes et les hauts dignitaires ecclésiastiques.

Pendant ce temps, les souverains hispaniques ne parvenaient pas encore à obtenir l’unité politique de la péninsule, les principautés italiennes se livraient à des luttes intestines, l’Allemagne était éclatée entre de multiples souverainetés hétérogènes coiffées par un Saint Empire Romain Germanique qui servait de cadre juridique à la cohabitation de princes et de ducs quasi autonomes dirigés par un Empereur qu’ils élisaient eux-mêmes. Mais les habitants du Saint Empire Romain Germanique n’étaient pas les sujets directs de l'Empereur, contrairement aux sujets du Roi de France, car ils avaient soit leur propre seigneur, soit ils appartenaient à une ville d’Empire dirigée par un Maire élu.

Dans cette Europe des libertés et des  autonomies, Philippe IV le Bel (1285-1314), Roi de France, agit en sens contraire. Il devient le maître d’œuvre d’une monarchie française qui ne cesse de s’affermir en droit et en fait, dotée d’une très nombreuse administration centrale. C’est lui qui procède massivement à la confiscation des biens des particuliers et à l’expulsion collective des groupes qu’il considère comme des obstacles à son pouvoir.

Il innove aussi en lançant de grandes campagnes d’opinion, en recourant au nom de la raison d’État, à la calomnie, à l’intimidation et à la désignation de boucs émissaires individuels ou collectifs. L’affaire des Templiers est ainsi montée de façon à attiser les fantasmes d’une population appauvrie par l’Etat et la conjoncture. On voit les conseillers du roi accuser sans vergogne les Templiers d’être secrètement affiliés à l’islam, de cracher sur la croix ou de pratiquer des rites obscènes, avec pour objectif central d’obtenir l’adhésion de l’opinion publique à la confiscation de leurs biens.

Au total, Philippe le Bel n’a de cesse d’accroître sa puissance par la guerre et par de nouveaux carcans administratifs. Il est le premier à oser dévaluer la monnaie.

En mettant en œuvre pendant ses vingt-neuf années de règne la plupart des outils de pouvoir qui fondent encore aujourd’hui la spécificité de la France, Philippe Le Bel se retrouve à la tête d’un Etat puissant qui compte plus de sujets que tout autre Etat en Europe.

Il reste que ses difficultés financières le contraignent à convoquer des assemblées appelées à le soutenir par des subsides, les premiers « États Généraux », dont on retrouvera l’écho à l’aube de la Révolution Française. Il échoue aussi dans sa tentative d’inventer l’impôt permanent en raison de l’incapacité de son administration, encore trop faible, à fixer l’assiette de l’impôt.

 

Après le règne de Philippe le Bel, les XIVe et XVe siècles furent des temps de crise. La guerre de Cent Ans entraîna la révolte des campagnes et des villes, ce qui provoqua en retour un nouveau durcissement du corset étatique et fiscal de la France.

 

À SUIVRE

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LE QUATUOR DE LUCERNE

24 Décembre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LA VILLA SENAR, PRÈS DE LUCERNE

LA VILLA SENAR, PRÈS DE LUCERNE

Christian Caleca vient d’écrire un magnifique ouvrage, Le Quatuor de Lucerne, livre d’histoire, de musique et finalement de vie, autour de cinq personnages, un journaliste et quatre immenses compositeurs russes, le premier témoin de la rencontre imaginaire des quatre autres à Lucerne.

 

Avec le Quatuor de Lucerne, il faut se laisser emporter par l’histoire et bercer par la musique qui encadre le récit en trois mouvements de concerto :

  • Allegro moderato :

Celui qui écrit, fictivement, est un journaliste qui apprend la mort de Chostakovitch en 1975. Cette mort, qui le bouleverse, le pousse à décrire un évènement, tout aussi extraordinaire qu’imaginaire, la rencontre des quatre grands musiciens russes du XXe siècle, Rachmaninov, Prokofiev, Stravinski et Chostakovitch à Lucerne en 1938 où venait d’être créé par Arturo Toscanini un festival international de musique.

Christian Caleca sait admirablement recréer l’ambiance du décor paradisiaque de la Suisse centrale à la fin des années 1930 et nous faire découvrir la belle demeure helvétique du vieux Rachmaninov, sollicité par Toscanini. Puis, il nous transporte dans le cadre brutal de l’URSS de Staline, nous faisant comprendre les conditions dans lesquelles Prokofiev et Chostakovitch sont autorisés à se rendre au festival de Lucerne, aux côtés de Stravinski, le parisien, et donc de Rachmaninov.

Dans le décor fort réaliste de villes européennes anxieuses, en cette année fébrile des accords de Munich qui sont encore en gestation, Il fait entrer en scène chacun des quatre compositeurs, à Lucerne, à Paris, à Moscou et à Leningrad,

Chacun d’entre eux, alors qu’ils s’apprêtent à se retrouver et à se réunir à Lucerne, sont conscients qu’ils vivent probablement les derniers jours de la paix. L’organisateur de ce premier festival, le chef d’orchestre Arturo Toscanini, pourtant confortablement installé à New York, n’ignore rien de ces menaces et c’est pourquoi il veut faire de Lucerne le symbole de la résistance des musiciens au nazisme.

Ainsi, chapitre après chapitre, en train ou en bateau, les héros du roman se hâtent vers Lucerne, où les attend Rachmaninov.

  • Andante cantabile

Nous vivons la préparation et l’organisation du festival sous la triple direction d’Ansermet, de Walter et de Toscanini, dans une Suisse qui s’honore d’ouvrir ses portes à ces exilés prestigieux, un peu comme si elle voulait conjurer le sort.

Dans les décors et l’ambiance tendue de l’époque, les compositeurs livrent leurs craintes et leurs espoirs, les belles âmes se rencontrent, des amours s’ébauchent. Puis vient le concert d’ouverture du festival présenté par Toscanini. C’est un grand moment de gaieté et de gravité à la fois, qui débute symboliquement par l’ouverture Guillaume Tell de Rossini. Tout près d’eux, les grandes manœuvres diplomatiques s’amplifient, l’URSS observant, sceptique, la capacité de résistance de la France et de la Grande-Bretagne aux menaces hitlériennes.

Les quatre grands compositeurs finissent par se rencontrer à la villa Senar, propriété de la famille Rachmaninov. C’est la partie la plus imaginaire du roman, mais pas la moins passionnante que cet échange entre compositeurs célèbres qui porte sur la Russie, sur la politique et naturellement sur la musique, chacun reconnaissant, parfois avec une réticence jalouse, le génie de l’autre.

En écho à leurs inquiétudes, surgit le 12 septembre, à peine le premier festival de Lucerne achevé, le discours plein de menaces d’Hitler, qui annonce la fin de la Tchécoslovaquie libre. Pour souligner l’exactitude historique de l’ouvrage, l’auteur n’hésite pas à transcrire ce discours, dont la tonalité terrifie encore le lecteur, quatre-vingt-treize années après qu’il ait été prononcé à Nuremberg.

  • Allegro vivace

Comme les Français cèdent à Hitler sous la pression des Britanniques, la Tchécoslovaquie est dépecée, l’URSS s’éloigne de l’alliance pour rechercher un accord solitaire avec l’Allemagne nazie, obligeant l’Italie à la rejoindre malgré la réticence de Mussolini. Tout se met alors en place pour que la guerre vienne. Et elle vient en effet, jusqu’au siége interminable de Leningrad et ses horreurs se reflètent dans les sons déchirants de la septième symphonie, dite de Leningrad, composée par Chostakovitch : l’histoire, en effet, fait la musique.

Après le festival de Lucerne, l’histoire a fait fuir Rachmaninov et Stravinski vers les États-Unis et Prokofiev vers le Caucase. Seul Chostakovitch reste à Moscou et se soumettra au Parti Communiste soviétique.

Le narrateur reprend les traits d’Etienne d’Andigné qui revient à Lucerne en 1975, avant de songer à sa vie et à Evguénia, son amour emporté par la guerre, au bord de la mer antiboise : « Le matin est calme, sur la plage les courtes vagues finissent leur course répétée sur la grève luisante et balayent inlassablement le sable humide ».

 

Le Quatuor de Lucerne, un livre aux multiples facettes, un livre d’histoire, un livre sur les géniaux compositeurs russes du XXe siècle, un livre débordant d’une tendre nostalgie dans son épilogue : jamais nous n’écouterons plus leurs œuvres sans nous référer aux liens que l’auteur a su si fortement tisser entre la musique et nos vies.

 

Christian Caleca, Le Quatuor de Lucerne, Éditions Maïa, 199 pages, 15 euros.

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LE POUVOIR CENTRALISÉ FRANÇAIS

18 Décembre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

PHILIPPE LE BEL (1268-1314)

PHILIPPE LE BEL (1268-1314)

J’ai commencé, il y a plusieurs années, à conter l’histoire du pouvoir politique en France, une histoire que je reprends aujourd’hui.

 

Vous trouverez ci-après l’essentiel de l’histoire de la centralisation du pouvoir depuis Philippe Le Bel jusqu’à Napoléon III, avant que je ne la reprenne avec de plus grands détails à partir des années 1850. L’histoire du pouvoir politique français est en effet pleine d’enseignement pour le présent et pour le futur de la France, car,  sous les masques alternatifs de la Monarchie, de l’Empire et de la République, l’histoire du pouvoir en France est celle de l’installation d’un système politique qui veille sans cesse à renforcer son pouvoir central,

En effet, du point de vue de la centralisation du pouvoir, tout commence au XIIe siècle, dans cette zone géographique que l’on appelle aujourd’hui la France, où les conditions de sécurité ont permis un certain développement économique dans le cadre fragmenté de royaumes ou de principautés relativement indépendants. En outre, gouvernées par des marchands, des villes semi autonomes émergeaient, qui devenaient des havres de liberté par rapport aux sociétés agraires asservies.

C’est justement à ce morcellement que se sont toujours opposés les rois de France, qui ont réussi à constituer dès le XIIIe siècle l’ensemble unitaire le plus puissant d’Europe. C’est dans ce dessein qu’ils s’opposèrent au cours des siècles à la prétention de l’Eglise de leur dicter leurs conduites. Les Rois de France firent de même barrage au protestantisme qui introduisait dans leur royaume de dangereux ferments de liberté. Fera-t-il de même face l’Islam ? Sans doute, à mon avis.

Au plan économique, la centralisation française du pouvoir a été tout de suite perçue à l’extérieur comme une erreur et un échec. C’est ainsi que  John Fortescue, qui combattit le roi de France pendant la guerre de Cent Ans, mentionne dans son essai, De laudibus legum Angliae (1470), la mauvaise gestion de la France par comparaison avec celle de l’Angleterre. Il observe que le Roi de France a tellement appauvri son peuple qui peine à survivre. Il s’étonne que, contrairement à l’Angleterre, les gens en France boivent de l’eau et non de la bière ou du cidre, se nourrissent de pain noir au lieu de pain blanc, ne peuvent pas consommer de la viande mais seulement un peu de graisse et des tripes. Il note que les gens en France ne portent pas de laine mais des blouses de canevas ou des braies qui ne descendent pas en dessous du genou et que leurs épouses et leurs enfants vont nu-pieds. Et bien sûr, que ces gens n’ont ni armes, ni argent pour en acheter.

L’étonnement de Fortescue porte sur le fait que les Français puissent vivre dans la pauvreté la plus rigoureuse alors qu’ils habitent le royaume le plus fertile du monde. L’image que donnait alors la France était celle d’un pays tellement mal gouverné et surexploité qu’il rendait pauvres ses habitants alors que toutes les conditions étaient réunies pour qu’il soit riche.

Un siècle après Fortescue, Machiavel trouve les rois de France « plus gaillards, plus riches et plus puissants qu’ils ne le furent jamais »*, dans son Rapport sur les choses d'Allemagne qu’il écrit en 1508. Cette force des Rois de France provient d’après lui de la taille toujours plus vaste du domaine qui appartient en propre au Roi de France et de la soumission de ses vassaux. Aucun ne peut lutter contre le roi, contre lequel les puissances voisines ont également du mal à faire face.

Cette soumission a un revers, note Machiavel, car elle affaiblit le peuple : « Le reste de la population, roture et gens de métier, est tellement asservie à la noblesse et bridée en toute chose qu’elle en est avilie.»*. Or, ajoute t-il, « la France, grâce à son étendue et à l’avantage de ses grandes rivières, est grasse et opulente, les denrées et la main-d’œuvre y sont à bon marché, sinon pour rien, à cause du peu d’argent qui circule parmi le peuple ; c’est à peine si les sujets peuvent amasser de quoi payer leurs redevances, si minces qu’elles soient (…) Tandis que nobles et prélats prélèvent, le Roi n’a pas besoin de dépenser trop en forteresses, grâce à la parfaite soumission de son peuple, humble et vénérant le Roi, vivant à peu de frais »*.

Ces deux témoignages anciens présentent une France accablée sous le poids du pouvoir royal, mais qui s’y résigne. Car, depuis le règne de Philippe le Bel, le pouvoir du roi s’appesantit sur un espace de plus en plus étendu et une population toujours plus nombreuse. Ce pouvoir cherche à contrôler au plus prés un peuple qui s’efforce d’éviter des impôts toujours plus lourds, du fait des ambitions guerrières du royaume, de ses coûts d’administration jamais satisfaits et des goûts de luxe des privilégiés au pouvoir.

Dans la suite du déroulement de l’histoire, le pouvoir central qui passera du Roi à l’Empire ou à la République, ne s’est jamais départi de ses prérogatives, cherchant à en rajouter presque toujours de nouvelles sauf lorsqu’il était en position de faiblesse.

 

C’est ainsi que la France détient aujourd’hui le record du monde des prélèvements obligatoires. Par hasard ? 

 

*Machiavel, Rapport sur les choses d'Allemagne, 1508.

 

À SUIVRE

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LE CHAT DE MADAME CROCHEMORE

13 Décembre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

LE CHAT DE MADAME CROCHEMORE

En ce mois de janvier 1990, me voici dans la salle de conférences de l’Université Nankai à Tianjin négociant avec une brochette de cadres chinois.

 

Heureusement, pensais-je naïvement, il n’y avait rien à négocier, sauf, peut-être, des ajustements minimes de l’accord signé un an et demi auparavant. Les préliminaires me donnèrent provisoirement raison. Ils prirent en effet la forme d’odes à la coopération, de célébration de l’amitié si profonde entre les peuples chinois et français et de protestations insistantes quant à l’infinie bonne volonté chinoise.

Néanmoins, ces préliminaires plus longs qu’à l’habitude commençaient à m’inquiéter, quand l’exposé de la situation de notre petit groupe d'étudiants commença. Puis vers 10 heures 30, au bout d’une heure d’échanges banals, je fus alerté par le changement de tonalité vocale de l’interprète. Je tendis alors l’oreille pour découvrir que le sujet dont traitaient mes interlocuteurs avait quitté le champ des banalités pour se concentrer sur une question aussi précise que singulière : il était question du chat de Madame Crochemore !

Le lecteur attentif a en effet déjà appris que Madame Crochemore s’était installée en septembre 1989 à Tianjin, en compagnie de sa fille et de son chat. Quatre mois plus tard, je découvrais que le chat de Madame Crochemore, notre professeur de français, créait des soucis à nos hôtes chinois. J’utilisais alors les intervalles en chinois, entre deux traductions de l’interprète, pour comprendre les intentions de mes interlocuteurs, m’y adapter et les utiliser.

Leur discours était en effet extraordinaire, dans le cadre d’un échange entre universitaires sur la coopération franco chinoise en matière de formation à la gestion. Il est à peine utile de préciser que mon rapport au Ministère des Affaires Étrangères sur cette affaire fit le tour des bureaux.

Le chat de Madame Crochemore gênait. Je comprenais suffisamment la mentalité de mes hôtes pour comprendre ce que cela voulait dire. Oui, ce chat gênait et ils en parlaient avec des mines effarouchées. De sexe masculin, il faisait sans vergogne sa cour aux chattes chinoises. Lorsque je fis remarquer que ce comportement relevait des lois de la nature, on me rétorqua que ce chat était fort peu discret lors de ses ébats, perturbant les nuits tranquilles de Tianjin et l’on ajouta, soupçonneux, qu’il risquait fort, un jour, ou plutôt une nuit, de détériorer avec ses griffes le sofa mis à la disposition de Madame Crochemore par l’université.

Il faut savoir ici que le sofa était l’un des objets sacrés de tout foyer chinois qui se respectait, avec la machine à laver, la TV et le vélo. Qu’un chat, non chinois de surcroit, se permette de le détériorer, constituait plus qu’un dégât matériel, un forfait. Faisant observer pour ma part que cet acte répréhensible n’avait pas encore été commis par le chat en question, on objecta que ceci pourrait bien se produire, compte tenu du comportement permissif de l’animal. On n’ajouta pas, mais je le compris clairement, que le comportement du chat était fort probablement le résultat fatal d’une éducation laxiste, bien française.

L’argument massue vint comme toujours à la fin. De toutes manières, m’asséna-t-on, un règlement interdisait la présence de chats dans l’immeuble où se trouvait Madame Crochemore. Depuis quand, demandais-je ? depuis trois jours…

Cependant, nos amis chinois, le cœur empli de bonne volonté, voyaient bien une solution pour régler cette question dont la responsabilité revenait entièrement à la partie française, coupable de laxisme à l’égard de ce chat qu'elle avait importé. Il leur paraissait raisonnable de compenser les nuisances du chat en versant une juste indemnité à l’Université Nankai. Ils proposaient d’accepter 20 $ par jour, soit 7000 $ environ par an, pour tolérer la présence de ce chat !

Ainsi, par cupidité, l’Université Nankai m’offrait sur un plateau un prétexte rêvé pour rompre avec eux et installer notre IAE à Pékin ! Il était plus de midi, l’affaire du chat nous avait occupé une bonne partie de la matinée. Je demandais une pause dans nos discussions pour, prétendais-je, consulter le Ministère des Affaires Étrangères (MAE). Naturellement, je n’en fis rien. Je me contentais de déjeuner puis de rédiger un courrier exprimant, théoriquement, la position du MAE, qui rejetait totalement la demande de l’Université Nankai, précisant, pour enfoncer le clou, que cette exigence, si elle était maintenue, remettrait en cause la totalité de notre coopération avec ladite université et par ricochet, les accords franco-chinois relatifs à la formation à la gestion.

Je remis ce document à l’interprète lorsque les discussions reprirent vers 13 heures. Naturellement, mes interlocuteurs ne pouvaient en prendre connaissance qu’à la pause, par les bons soins de l’interprète. Poussés par la curiosité, Ils demandèrent rapidement une suspension de séance, puis reprirent les discussions sans revenir le moins du monde sur le sujet du chat et sans montrer la moindre contrariété.

Nous finîmes nos échanges vers 16 heures, je repris le train de Pékin, puis l’avion pour Paris. Un mois plus tard environ, le MAE et la FNEGE reçurent un courrier les informant que l’Université Nankai mettrait fin à sa coopération en juillet 1990.

C’était exactement ce que je voulais. Lors de notre rencontre, j’aurais pu temporiser ou marchander, mais j’avais sciemment traité mes interlocuteurs avec brutalité, sachant qu’ils ne le supporteraient pas. Puisque leur rapacité m’avait offert l’opportunité de rompre, je l’avais saisie…

En juin 1990, je revins à Tianjin pour officialiser la fin de notre programme à l’Université Nankai. Madame Crochemore était déjà rentrée en France. Nous fîmes de nombreux toasts en buvant force alcool de riz, toasts qui délièrent la langue de mes interlocuteurs. Dans cette affaire ratée de demande d’indemnité pour un chat, qui leur avait couté le programme franco-chinois de gestion, ils tenaient à avoir au moins le dernier mot.

Ils me racontèrent donc, en le présentant comme un horrible scandale, que l’Université Nankai avait dû payer sur le train Tianjin Pékin un siège soft seat (première classe) pour le chat à côté de celui de Madame Crochemore, siège qui avait dû leur couter 5$. Ils ajoutèrent que de nombreux chinois, assis, eux, sur des sièges hard seat (seconde classe) avaient défilé dans le compartiment de première classe pour constater de leurs yeux ce sacrilège, un chat étranger assis sur un siège moelleux, tandis qu’ils devaient pour leur part poser leurs postérieurs sur de durs sièges en bois !

Je convins qu’en effet il s’agissait d’un immense désordre, qui justifiait tout à fait leur position sur l’affaire du chat de Madame Crochemore. Nous nous quittâmes bons amis et je pus installer en toute sérénité notre IAE à Pékin pour le mois de septembre 1990.

 

Il s'y trouve toujours...

À SUIVRE

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VERS DES NÉGOCIATIONS TENDUES À TIANJIN

4 Décembre 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

HUTONG SOUS LA NEIGE

HUTONG SOUS LA NEIGE

Dans le cadre de la prestigieuse Université Nankai, les cours de français pour les futurs étudiants chinois du programme de gestion du MAE (master en administration des affaires)  ont donc commencé sans encombre à Tianjin en septembre 1989.

 

Il s’agissait en effet de former au français des adultes qui n’avaient pour la plupart aucune notion de français, mais qui possédaient des notions convenables en anglais, ce qui nous laissait espérer une capacité avérée à apprendre une autre langue. À l’issue de cette année, un examen était organisé pour ne laisser passer en seconde année, celle de la formation à la gestion, que les étudiants capables de comprendre les cours dans notre langue. Notre objectif était bien sûr de former, puisque ce programme était financé par la France, de futurs cadres qui travailleraient avec ou dans les entreprises françaises installées en Chine.  

La formation était donnée à Tianjin, immense métropole côtière aujourd’hui, ville moins importante mais surtout beaucoup moins fréquentée par les étrangers en 1989. Les premières plantations de vignes s’effectuaient dans la région, sous la direction de quelques employés de Remy Martin et c’étaient les seuls Français de Tianjin, à l’exception de notre professeur de français, Madame Crochemore.

Madame Crochemore, un professeur de Français d’une cinquantaine d’années, accompagnée de sa fille âgée de douze ans, de son chat, d’un piano et de quelques malles, avait accepté de venir de Dijon pour tenter une double aventure, culturelle et pédagogique. Au bout d’une année, on va le voir, elle jeta l’éponge sans dommage pour le programme car nous avions trouvé sur place des professeurs de français, mais à Beijing cette fois plutôt qu’à Tianjin.

Voici ce qui s’est passé :

Après la tempête du printemps de Pékin qui avait failli précipiter notre programme dans l’abime, tout se passait bien à Tianjin en cet automne 1989. Madame Crochemore enseignait à la satisfaction générale, semblait-il, elle-même ne semblait pas mécontente de son sort malgré sa solitude, et les étudiants apprenaient avec énergie le français, y consacrant plutôt 80 heures par semaine que nos traditionnels 35 heures, en écoutant, entre autres, RFI en ondes courtes pour en faire des comptes rendus.

Tout le monde était content, sauf moi. En effet, je voyais arriver avec inquiétude l’année suivante. Ce serait le temps où nous enverrions des professeurs d’université, au rythme d’un par mois, pour quinze jours de cours intensifs, avec deux difficultés, celle du voyage et celle du séjour. Le voyage à Tianjin depuis la France supposait une escale à Beijing, une nuit d’hôtel suivi d’un déplacement en train jusqu’à Tianjin, soit un jour aller et un jour retour de perdus pour dix jours de cours. En outre, le séjour à Tianjin serait austère pour mes collègues, privés de contacts et de sorties.

C’est pourquoi je comptais bien transférer notre programme de Tianjin à Beijing, profitant de ce que le conseiller culturel, instigateur du programme à Tianjin avait été muté vers un autre pays. Pour cela, j’avais, avec la FNEGE, recherché un autre partenaire, de mémoire l’université internationale de Beijing, avec qui nous avions ouvert des négociations préalables. Il me restait à trouver un prétexte. Or nos interlocuteurs chinois, toujours parfaitement prévisibles en ce qui concerne leur appétit financier, me l’ont offert sur un plateau.

Il était prévu d’effectuer, à mi-parcours de la formation au français, une visite d’évaluation de l’avancement du programme, visite que la FNEGE m’a chargé d’effectuer. C’était en janvier 1990. Il faisait un froid glacial à Beijing et guère moins froid à Tianjin. Je me souviens que j’avais acheté un confortable anorak vert bouteille, qui n’est pas ma couleur favorite, mais enfin il tenait chaud. Un vent glacé soufflait de l’ouest,  m’accompagnant sans vergogne jusqu’à Tianjin où m’attendait au grand complet l’état-major de l’Université Nankai réuni pour cette première coopération franco chinoise qui se tenait chez eux. Il y avait même le ministre chargé des relations internationales pour la province du Hebei, qui n’avait pas encore été amputée de la communauté urbaine de Tianjin.

Tout ce monde qui me faisait face s’était aligné sur une longue estrade couverte d’une épaisse draperie verte, toutefois pas vraiment en harmonie avec les couleurs de mon anorak. Dans la salle, face à eux, je me suis retrouvé seul. Même l’interprète était assis à un coin de la tribune.

 

C’était intimidant, mais la situation était moins dangereuse qu’en juin 1989. Et les discours ont commencé, en chinois ensuite traduit en français, ce qui m’a laissé le temps de comprendre et de réagir…

 

À SUIVRE

 

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