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Le blog d'André Boyer

L'ORGUEIL ANGOISSÉ DE SCHOPENHAUER

23 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

HEGEL ET SCHOPENHAUER (VIEUX)

HEGEL ET SCHOPENHAUER (VIEUX)

Le début de ses ennuis s’annonce au bout de quelques mois. Pendant qu’il se détend en Italie, il apprend en août 1819 la faillite de l’entreprise dans laquelle il avait placé les fonds reçus en héritage et qui lui permettaient de vivre de ses rentes.

 

AS comprend alors, tout philosophe qu'il est, qu'il n’a plus les moyens de flâner entre Rome et Naples. Il rentre en Allemagne en octobre 1819, pour constater que ce ne sont pas les ventes de son ouvrage, un échec cuisant, qui lui permettront de se renflouer. Il croit trouver un moyen de subsistance en se faisant inscrire en février 1820 sur la liste des docteurs enseignants de l’Université de Berlin, ce qui devrait lui permettre de faire également la promotion de ses idées et donc de son ouvrage.

Orgueil, défi, provocation, AS estime qu'il peut se confronter au célébrissime Hegel, en donnant son cours à la même heure que ce dernier.

Le résultat ne se fait pas attendre, c’est un échec éclatant : AS parlait devant une salle presque vide, tandis que l'on ne pouvait pas trouver de place chez Hegel. Aussi AS ne tint qu'un semestre et le cours fut arrêté le semestre suivant faute d'auditeurs.

Nous sommes en 1821. AS entame une relation discrète avec une actrice, Caroline Medon, relation qu'il maintiendra plus ou moins toute sa vie puisqu'il lui léguera une forte somme. Avant elle, il a fait en vain sa cour à une autre actrice, Caroline Jagemann. La belle Caroline Medon a plusieurs amants, ce qui déplait évidemment à AS. Avant lui, en ces temps de quasi absence de contraception, elle a déjà eu un enfant d'un autre amant, sans doute Louis Medon, dont elle a pris le nom. Bref AS est épris et jaloux.

En mai 1822, AS a suffisamment rétabli ses finances pour repartir en Italie, à moins que l'envie du "voyage italien" ne l'ait emporté sur sa gêne financière. Il laisse Catherine Medon seule à Berlin en croyant, vain espoir, qu'elle sera suffisamment attachée à lui pour ne céder à aucun amant pendant toute son absence. Or il apprend qu'elle a eu un second enfant, Gustav, le 27 mars 1823, soit dix mois à peine après son départ en Italie!

Cela explique, partiellement au moins, sa dépression de 1823 et il s'en console en notant dans son carnet intime : « Si, par moments, je me suis senti malheureux, ce fut par suite d'une erreur sur la personne, en me prenant par exemple pour un chargé de cours qui n'est pas promu titulaire de chaire et qui n'a pas d'auditeurs [...] Mais je suis celui qui a écrit Le Monde comme volonté et comme représentation et qui a apporté une solution au grand problème de l'existence. [...] C'est celui-là, moi, et qu'est-ce donc qui pourrait inquiéter celui-là dans les années qui lui restent encore à vivre ? ». Toujours l’orgueil (justifié) et pas un mot au sujet de Catherine.

Deux ans plus tard, il revient à Berlin où il vit jusqu'en 1831. Lorsque qu'il proposera en 1831 à Catherine Medon de fuir avec elle de Berlin à cause du choléra pour s’installer à Francfort où il séjournera le reste de sa vie, il posera comme condition qu'elle n'amène pas son fils Gustav avec elle! Et, oblitérant toute psychologie féminine, il sera profondément blessé qu'elle refuse, si bien qu'il ne maintiendra plus avec elle que des relations épistolaires jusqu'à sa mort, lui laissant un fort héritage...à condition qu'elle ne l'utilise pas pour son fils !

On voit donc se dessiner un personnage orgueilleux et sentimental, mais également dépressif. Il tient cela de son père, Floris Schopenhauer, qui s'est probablement jeté du grenier dans le canal derrière la maison après une vie entrecoupée de phases dépressives et d’obsession suicidaire.

Son père qu'il admirait, un banquier pourtant prospère, était obsédé par la folie qui rodait autour de sa famille. Car deux de ses frères avaient dû être internés pour des troubles psychiques et la grand-mère paternelle d'AS était devenue folle après la mort de son mari. Quant à Adèle, la sœur cadette d’AS, rongée par la solitude, elle sera obsédée par l’idée de se suicider.

AS, sauf à la fin de sa vie, sera habité par cette même angoisse existentielle. Il confiera à son carnet secret : « De mon père j’ai hérité cette maudite anxiété contre laquelle je me suis bien battu de toutes les forces de ma volonté ».

Il écrira aussi, de façon tragi-comique : « Quand survenait un bruit au cours de la nuit, je sortais du lit et prenais une épée, ainsi qu'un pistolet que je maintenais constamment chargé. » [1]

Finalement, seul son chien, un caniche qu'il appelait Atma (« âme du monde » en sanscrit), trouvera grâce à ses yeux. Il a d'ailleurs légué une partie de sa fortune à sa gouvernante pour qu'elle recueille son chien et s'occupe de lui jusqu'à sa mort.

 

Mais il est temps de s'intéresser directement à l'œuvre d'Arthur Schopenhauer, d'autant plus que, vers la fin de sa vie, cette œuvre l'a sauvé de ses angoisses...


[1] Cité par Rüdiger Safranski, Schopenhauer et les années folles de la philosophie, PUF, 1990

 

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V
Chaque visite sur ton blog m'apporte culture et prise de hauteur. Merci André. Hate de lire la suite de l'arc Schopenhauer.
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A
Merci de ce commentaire chaleureux, David. <br /> Amitiés, <br /> André