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Le blog d'André Boyer

LA COLÈRE ET L'INDIGNATION DE LA BOÉTIE

23 Janvier 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LA COLÈRE ET L'INDIGNATION DE LA BOÉTIE

Ce qui fait la valeur de La Boétie, n'est pas la dénonciation des tyrans. Des centaines d'écrivains l'on fait avant et après lui. Elle réside dans son diagnostic et surtout dans la pérennité de ce diagnostic.

 

Si un million d'hommes se laissent assujettir sans réagir par "un seul", cela ne s'explique pas par leur lâcheté ou leur couardise. S'ils ne rejettent pas la tyrannie, c'est qu'ils la veulent, d'où le titre du Discours: la servitude n'existe que parce qu'elle est volontaire.

La Boétie postule que le peuple a le choix, "ou bien être serf, ou bien être libre". À l'origine, ajoute encore La Boétie, la nature humaine obéit à trois grands principes : "si nous vivions avec les droits que la nature nous a donné et avec les enseignements qu'elle nous apprend, nous serions naturellement obéissants aux parents, sujets à la raison et serfs de personne" : je crois qu'il serait surpris par la réalité du monde actuel...

Car pour lui, la famille est une institution fondamentalement naturelle, comme la raison. Enfin, la nature "n'a pas envoyé ici-bas les plus forts ni les plus avisés pour y gourmander les plus faibles". L'autorité du gouvernant n'est pas plus naturelle que l'obéissance du gouverné. L'association des hommes n'implique pas leur soumission et la société ne signifie pas dépendance des uns par rapport aux autres. D'où le troisième grand principe qui régit la nature primordiale de l’homme : "Il ne faut pas faire de doute que nous soyons naturellement libres". On reconnait là les fondements de la pensée anarchiste.

Pourquoi ? d'une part, l'histoire porte témoignage de "la vaillance que la liberté met dans le cœur de ceux qui la défendent" et d'autre part, si la nature de l'homme est raisonnable, elle inclut l'autonomie et la reconnaissance mutuelle de l’autre : dans l'interdépendance, il n’y a plus de dépendance. Et d'ailleurs, dans la nature tous les animaux sont libres.

Cette liberté naturelle est plus qu'un idéal, elle est agissante, elle est une exigence impérative : pour elle, l'homme doit savoir combattre et mourir.

C'est alors que La Boétie confronte le paradoxe de la servitude volontaire avec l'essence naturelle de l'homme et qu'il se condamne à comprendre l'incompréhensible. La colère le saisit.

Comment les hommes peuvent-ils en arriver à nier cela même qu'ils chérissent le plus ? La Boétie scrute, de manière très moderne le principe de l’État, qui ne conduit à la tyrannie que par la faute du peuple : « c’est le peuple qui s’asservit lui-même ». Les peuples ne font aucun effort pour comprendre que les yeux avec lesquels le maitre épie se sujets, « ce sont eux qui le lui baillent; que ces mains avec lesquels il les frappe, il ne les prend que d’eux ». Les hommes « dénaturés » ont perdu la lucidité et le sens de l’effort. C’est pourquoi ils ne s’aperçoivent même pas que le maitre n'a pouvoir sur eux que par eux.

Comment l’expliquer ? Il y a en l’homme une paresse native qui est comme sa seconde nature : « Si la nature de l’homme est bien d’être franc et de le vouloir être, sa nature est aussi telle que, naturellement, il tient le pli que la nourriture lui donne ».

Parmi les causes de cette aberration, la coutume et l’habitude jouent un rôle funeste. Sous le poids de l’habitude (et j’ajouterai du confort), l’homme laisse s’éteindre en lui la lumière et la force : « avec la liberté, se perd tout d’un coup la vaillance ». Engourdi et complice de sa torpeur, il a « le cœur bas et mol », il est « incapable de grandes choses ». L'homme asservi n'a plus la nature de l'homme et il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.

En face, les gouvernants. La Boétie ne met pas en accusation l'idée de gouvernement : il reconnait, comme l'écrira plus tard Kant, que l'homme a besoin d'un maître. Il ne s'intéresse pas à la typologie des régimes pour aller droit au but: il se tourne vers le maitre qui a toujours la possibilité "d'être mauvais quand il voudra".

L'indignation le secoue et se transforme en invectives.

Le roi, le prince, le président peu importe, ils règnent tous de manière semblable : il dompte le peuple pour le réduire en esclavage. Toujours, il dénature l'autorité souveraine : au lieu de gouverner, il se veut le maître, au lieu de remplir un devoir, il s'attribue tous les droits. Le roi héréditaire se croit le propriétaire de son royaume et de ses sujets. L'élu ne songe qu'à renouveler son mandat indéfiniment.

Il s'efforce d'accroitre son pouvoir par tous les moyens, il chasse de son peuple la science et l'intelligence, il installe partout la corruption. Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les médailles allèchent des sujets déjà endormis par le vice. D'une façon générale, insiste la Boétie, le tyran met toutes les hypocrisies au service de son pouvoir personnel. Ainsi les largesses de type paternaliste ne signifient pas qu'il aime son peuple. D'ailleurs il ne peut ni aimer ni être aimé, car il n'est qu'un sordide calculateur pour qui la bonne foi, l'intégrité, la constance n'ont pas de sens. Il n'est soucieux que de sa côte de popularité, qu'il quémande par tous moyens.

Dans son odieuse psychologie, le tyran se croit un dieu. Il empêche "de faire, de parler et quasi de penser". Par une impudente duperie, il exploite l'opinion et l'imagination du peuple, usant des superstitions. Le "peuple sot" en arrive "à faire lui-même les mensonges pour après les croire". Pour que le tyran soit tout, il faut que le peuple ne soit rien. L'idée même de gouvernement n'a plus de sens pour des gouvernés qui ne sont plus des hommes, mais le tyran impose sa subjectivité comme objectivité, ce qui est la définition philosophique de la terreur.

 

La servitude est donc le mal politique absolu en quoi s'anéantit la nature humaine. Rien de surprenant à ce qu'elle engendre des effets saisissants.

 

À SUIVRE

 

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