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Le blog d'André Boyer

Sua Emittenza ou la puissance et la limite du symbole

8 Octobre 2010 Publié dans #ACTUALITÉ

Les gestionnaires ne peuvent guère ignorer les phénomènes que l’on regroupe aujourd’hui sous le terme de mondialisation. En affaiblissant les solidarités collectives, ces derniers provoquent en retour une volonté politique de contrôler le processus de transformation économique et sociale. Or les entrepreneurs sont bien placés à la fois pour comprendre les difficultés du changement et les mécanismes de contrôle des opinions publiques, car ils connaissent depuis longtemps le rôle joué par les médias pour faire parvenir au public leurs messages publicitaires, valoriser leurs marques et mettre en valeur l’image de leurs entreprises.

silvio-berlusconi_6_465250a.jpgC’est dans ce contexte que la désignation de Silvio Berlusconi au poste de président du Conseil de la République Italienne en décembre 1994 puis en mai 2001 a soulevé les passions, dans la mesure où il a pris le pouvoir politique à partir de l’emprise qu’il possédait sur la télévision commerciale italienne. Mais on aurait tort d’oublier que son accession au pouvoir découle avant tout de la symbolique globale qu’il a su offrir aux Italiens.

Les médias ont justement insisté sur le rôle de la Télévision dans l’ascension de Silvio Berlusconi, le surnommant « Sua Emittenza », l’Éminence des ondes.  Il a en effet contribué à montrer que la communication politique était désormais un spectacle de masse, diffusant un message politique fondé sur des enquêtes d’opinion censées établir la volonté du peuple, comme l’entreprise s’appuie sur des études de marché pour modifier ses produits. Mais on sait depuis toujours dans les entreprises que le message et son contenu ne peuvent pas être séparés. Silvio Berlusconi a réussi pour sa part une extraordinaire synthèse entre son personnage, le message qu’il veut faire passer et les moyens qu’il a mis en œuvre.

Pour comprendre cette synthèse, il est nécessaire d’observer le chemin parcouru. Silvio Berlusconi a débuté sa carrière en construisant un quartier résidentiel, puis une ville satellite, tous deux dotés de services intégrés permettant de vivre en circuit fermé. Très rapidement, il y installe une télévision privée par câble, puis, lorsqu’il est mis fin au monopole public de la TV en Italie, il contrôle progressivement vingt chaînes de TV sur l’ensemble du territoire italien, tout en créant Fininvest qui regroupe pas moins de trois cents sociétés. Désormais première fortune italienne, il accède à la fonction de Président du Conseil de la République italienne.

Dés l’origine, il a toujours imaginé de s’adresser globalement à ses clients, depuis des services complets pour l’habitat jusqu’à l’offre de Fininvest comprenant les médias, la grande distribution, en passant par la publicité, les assurances et les produits financiers. Il a poussé la logique de cette démarche jusqu’à  une offre politique globale. 

De quelle offre s’agit-il ? Silvio Berlusconi s’adresse à des Italiens en quête d’unité nationale, qui doutent de leur Etat et qui sont fervents de l’esprit d’entreprise. Lui-même symbolise l’ordre, le neuf et la propreté. C’est une offre qui est cohérente avec son image d’entrepreneur italien, de self made man et d’homme respectueux. Par son activité et son apparence, il personnifie le symbole du manager gagnant, bronzé, souriant, riche et élégant. Le symbole est aussi en concordance avec la culture médiatique diffusée par la télévision berlusconienne qui mêle l’éloge du travail acharné et l’idéalisation de l’entrepreneur.

Célébrant les vertus de la libre entreprise, il était logique aussi que Silvio Berlusconi appliquât à la direction de l’État italien les techniques de communication qu’il employait dans ses rapports avec les clients de ses entreprises. De même, il était naturel qu’il transformât ses équipes politiques en équipes de vente organisées en commandos commerciaux et qu’il donnât à l’Italie une image sportive, client d’œil en direction à la fois du sport et de la compétition internationale  : Forza Italia !

En procédant ainsi, il a mêlé les techniques de management de l’entreprise et celles du pays, comme si l’État n’était qu’une macro entreprise répondant à la demande de ses citoyens consommateurs !

Mais à se concentrer trop sur l’analogie des techniques, on risque d’oublier la valeur symbolique du leadership. Silvio Berlusconi personnifie avant tout la réussite italienne. Il est l’exemple à suivre, l’homme capable d’appliquer à l’État italien les recettes qui ont si bien réussi dans ses affaires et le « professore », susceptible d’apprendre à ses citoyens les règles du succès individuel et collectif. Il contribue de la sorte à nous révéler le rapprochement qui s’opère sous nos yeux entre le consommateur et le citoyen, le premier devenant demandeur d’une offre complète qui est presque celle du citoyen, le second devenant plus attentif aux signes qu’aux discours, programmes et autres engagements, engagements qu’il est disposé à oublier plus vite encore que ceux qui les ont formulés.

Inexorablement, que ce soit pour Sylvio Berlusconi ou pour n’importe quel autre dirigeant vendeur de symboles, d’images et de rêves, le jour finit par se lever sur les difficultés pratiques. Des résultats financiers médiocres éclipsent les brillantes prestations médiatiques et les admirables manœuvres stratégiques. Des indicateurs négatifs font lever les orages politiques. C’est l’instant où le charme de la symbolique n’opère plus.

C’est alors que l’on commence à apercevoir, derrière les ruines des mythes effondrés, un nouveau magicien qui s’apprête à user de ses sortilèges sur la foule en attente…

 

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