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Le blog d'André Boyer

culture

PAROLES ARMÉES II

30 Novembre 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

PAROLES ARMÉES II

L'OUVRAGE DE P.J. SALAZAR

 

J’ai essayé de montrer dans le blog précédent quel était l’enjeu de la bataille qui s’engage, en ayant pour objectif la destruction de l’État Islamique. À partir de cet enjeu, nous pouvons approfondir notre analyse à partir de l’ouvrage de P.J. Salazar.  

 

Face à une conscience européenne, et singulièrement française, endormie par un demi-siècle de paix qui n’a été que vaguement troublée par des combats périphériques, Dae’ch a surgi au cœur de Paris pour assassiner de tranquilles citadins attablés aux cafés ou des spectateurs de chanteurs rocks et de matchs de foot.

Confronté au chaos provoqué par Dae’ch, P.J. Salazar s’attache à nous montrer où se situe ses forces, qu’il serait bien avisé de connaître avant de l’affronter.

Le discours de Dae’ch est un mélange de prédication religieuse et de harangue militaire qui galvanise, entraine et mobilise au nom de valeurs transcendantales, ignorées, voire niées par l’Occident qui s’en trouve empêché de comprendre ces « terroristes ». 

Car ces derniers ne se qualifient naturellement pas ainsi. Ils se perçoivent comme des soldats de Dieu et de ses valeurs qui doivent maintenir puis élargir le Dar al-islam destiné à accueillir les musulmans opprimés ailleurs. Élargir, car la logique de son combat implique que ce territoire doive être agrandi par la conquête en fonction des opportunités,  ce qui implique de mener en permanence une guerre « sainte » contre tous ceux qui ne se rallient pas à leurs thèses, musulmans sunnites mous, musulmans chiites et bien entendu non-musulmans.

Il est improductif de qualifier les Européens qui les rejoignent de « paumés », car ces derniers se voient plutôt comme des héros. Des héros parce qu’ils s’engagent pour une cause qui les transcende et qu’ils y mettent toute leur force et leur volonté au point d’y sacrifier leur vie. D’ailleurs, ceux qui les combattent sont frappés par leur absolue détermination.

Il faut donc être conscient de ce hiatus entre leur monde et le nôtre. Face à leur détermination d’une violence inouïe, nous recommandons le dialogue, la tolérance, l’amour. Face à leur grand dessein, nous prêchons pour le carpe diem et la consommation individuelle. Face à l’impératif de respect des commandements divins tels qu’ils les voient, nous sommes les avocats de la diversité, de la coexistence, du vivre-ensemble.

Comme nous nous refusons à reconnaître qu’il existe une différence fondamentale entre eux et nous, nous cherchons à tout prix à les inclure dans notre monde en les classant dans la catégorie des malades mentaux, fragilisés par les tares de notre société, le chômage, la discrimination, tares qu’il suffirait de corriger pour faire disparaître cette aberration : plus de crédits pour les banlieues ferait disparaître les partisans de Dae’ch qui deviendraient, ou redeviendraient, de doux pratiquants d’une religion musulmane apaisée ou « intégrée ». 

Ce refus de reconnaître la différence, plus qu’une paresse intellectuelle, se niche dans la peur de ce monde d’affrontement et de violence qu’il faudrait identifier, justifier et organiser, un nouveau monde qui suppose de ranger dans les greniers de l’histoire notre période « bisounours ». Y consentir reviendrait à nous renier, à leur donner raison, nous dit-on.

En effet, nous sommes confrontés à un choix cornélien, nous adapter pour les combattre ou nous y refuser et capituler. Car P.J. Salazar relève que toutes les explications préfabriquées par les bisounours ne permettent pas de comprendre pourquoi des dizaines de milliers de personnes sont prêtes à mourir pour des idées que l’Occident croyait disparues.

Puis, parce qu’il est professeur de rhétorique, il s’emploie à décrypter l’arsenal de propagande de Dae’ch, ses vidéos sophistiquées, ses magazines sur papier glacé, ses sites Internet. Il explique le rituel de ce qu’il appelle le porno politique, ces scènes monstrueuses d’égorgement, de décapitation et de crucifixion. Il montre que, contrairement aux nazis qui cachaient leurs crimes, Dae’ch les diffuse en visant d’un côté à effrayer ses adversaires et d’un autre côté à enrôler de futurs combattants pour une lutte implacable. Montrer l’absolue violence démontrerait que la détermination sera absolue…

Il évoque la fascination des chants djihadistes, les nachids, psalmodiés d’une voix sourde par des chœurs masculins. Il note que la communication de Dae’ch utilise souvent un langage châtié, poétique et lyrique, loin de celui des banlieues. Voici par exemple un extrait de la revue Dar al-islam de janvier 2015, que l’on croyait réservé à Bossuet :

« Qu’en est-il donc de ceux qui s’allient à ces hommes sans foi, s’attristent de leur mort, se désavouent des héros qui ont appliqué le jugement du Seigneur sur ses ennemis ? Ils n’ont fait que faire apparaître leur hypocrisie, leur manque de foi et leur absence d’amour envers l’envoyé du Seigneur. »

Notez au passage qu’ « Allah » a été remplacé par « Seigneur » et notez aussi, songeur, à « leur absence d’amour ». Leur absence d’amour…

Afin que nous ne restions pas désarmés, P.J. Salazar nous incite donc au réalisme, avant de nous questionner sur les valeurs que nous voulons défendre, et défendre jusqu’à quel point ? La liberté de conscience ? La laïcité ? La chrétienté ? L’Europe ? La France ?

Puis il conclut en proposant une stratégie de négociation avec le califat. Car « que le calife meure, assassiné par un drone, ne changera rien : il aura un successeur. » En ce sens, dit-il, « le califat  nous remet dans la realpolitik: apprendre à coexister belliqueusement avec l’ennemi et non seulement le contrecarrer  sur le terrain avec la force qui s’impose, mais aussi le contrecarrer sur le terrain de la persuasion. ».

« Paroles Armées »  nous rappelle ainsi qu’il faut tout d’abord identifier Dae’ch, inventorier ses forces et ses faiblesses et reconnaître en même temps les nôtres. Puis qu'il nous faut rassembler nos moyens pour le vaincre, avant de trouver un modus vivendi avec un integrisme qui aura abjuré le terrorime, car une forme ou une autre d'intégrisme restera, mais nous aussi nous resterons.

 

En somme « Paroles Armées » est une sorte de contrepoint à « Soumission » de Houellebecq, un livre qui ne nous renvoie pas une image névrotique de notre société prête à toutes les soumissions mais qui nous incite à la lucidité et à la mobilisation pour retrouver enfin le chemin de la puissance, avant de cohabiter en position de force. 

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PAROLES ARMÉES I

27 Novembre 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

PAROLES ARMÉES I

LE PORTE AVION CHARLES DE GAULLE

Après l’attentat du 13 novembre, la France s’interroge sur la manière de lutter contre le terrorisme de Dae’ch et plus globalement sur les moyens de vaincre cette organisation.

Un ouvrage de Philippe-Joseph Salazar, Paroles Armées, paru en août 2015, décrypte la démarche idéologique de Dae’ch afin que nous puissions à notre tour nous réarmer idéologiquement.

 

Directeur du Centre d’études rhétoriques à l’Université du Cap en Afrique du Sud, cet expatrié de soixante ans a concentré ses recherches sur les techniques d’éloquence et de persuasion politiques. Son livre présente deux années de  recherche sur les messages que cherche à transmettre Dae’ch.

 

Il nous rappelle qu’en même temps que l’organisation de l'Etat Islamique en Irak et au Levant  islamique (EEIL) se transformait en État islamique, cette dernière proclamait le 29 juin 2014 le rétablissement du califat, le régime politique islamique qui a été aboli par Mustapha Kemal Atatürk le 19 octobre 1923. Comme l’a souligné lors de cette proclamation le porte-parole de l'EIIL, le califat doit être « le rêve de tout musulman », en fait de tout musulman sunnite, ce qui fait qu’il est « désormais de leur devoir de prêter allégeance au calife Ibrahim », ainsi nommé en référence à son véritable prénom. Et de fait, de nombreux groupes islamistes jusqu’en Libye et au Nigeria se sont ralliés au califat.

En outre, il faut se souvenir qu‘Oussama Ben Laden invoquait régulièrement « la catastrophe d’il y a quatre vingt ans » qu’avait été la disparition du califat qui avait symboliquement régné sur le monde musulman sunnite depuis la mort de Mahomet. Il faut se souvenir aussi que le mouvement des Frères Musulmans qui naquit en Égypte en 1928, cinq ans après l’abrogation du califat, se donna pour mission de le rétablir sur toute « la terre d’islam ». Car le califat désigne «l’émir des croyants » qui succède au  prophète Mahomet. Après les quatre premiers califes qui ont régné à sa suite, le califat a connu son âge d'or au temps des Omeyyades (661-750) et surtout des Abbassides (750-1517) avant de connaître sa fin, provisoire on s’en rend compte aujourd’hui, avec le démantèlement de l'Empire ottoman.

 

Aussi terroriste soit-il, l’État Islamique est avant tout une nouvelle structure destinée à rétablir le califat.

 

On comprend dés lors que ni les Frères Musulmans, ni le Président de la Turquie Recep Tayyip Erdogan, fondateur du Parti de la Justice et du Développement opposé à l’œuvre d’Atatürk, ni les dirigeants des États salafistes de l’Arabie Saoudite et du Qatar ne peuvent s’opposer au concept de califat promu par Dae’ch, même s’ils ne sont pas forcément en accord avec les méthodes du nouveau calife à la personnalité contestée, Abou Bakr Al-Baghdadi.  

Il faut donc tout d’abord admettre que si nous nous opposons de fait à l’existence du califat, nous nous opposons non seulement à toute une nébuleuse de groupes terroristes, mais aussi à des États puissants qui sont encore aujourd’hui nos alliés théoriques, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar.

En contrepartie, nos alliés sont désormais les adversaires de toujours du califat, les chiites conduits par l’Iran, une partie des sunnites conduits par l’Egypte, les Kurdes, les Alaouites conduits aujourd’hui par Bachar El Assad et toutes les minorités chrétiennes d’Orient, tous soutenus par une Russie inquiète.

Il nous faut aussi admettre que les anglo-saxons engagés dans une politique d’équilibre au service de leurs intérêts pétroliers, mais aussi l’Allemagne engluée dans sa dépendance vis-à-vis de la Turquie ne nous apporterons qu’un soutien distant et frileux.

Nous devons enfin comprendre qu’il nous faudra prier pour la chute d’Erdogan et finir par bombarder les champs pétroliers d'Arabie Saoudite.

Vaste programme...

 

Ce n’est donc pas un petit combat qui s’engage et qui s’arrêterait avec l’effondrement de Dae’ch et le départ rêvé d’Hafez El Assad. 

À SUIVRE

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GOOD KILL

3 Mai 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

GOOD KILL

GOOD KILL OU BAD MURDER?

 

Hier soir, nous sommes allés voir le film Good Kill.

 

Je ne vais pas en profiter pour faire de ce blog une critique cinématographique dans la mesure où la valeur artistique, assez moyenne à mon avis, de ce film ne m’intéresse pas.

Certes, le réalisateur Andrew Nicoll est bien connu. Il a déjà réalisé Bienvenue à Gattaca en 1997, Lord of War en 2005. Les acteurs sont de qualité, que ce soient Ethan Hawke, Bruce Greenwood, Zoë Kravitz ou January Jones, mais la dramaturgie du film est simple : un aviateur qui se retrouve derrière une console pour tuer à distance des « ennemis » qui lui sont désignés par la CIA. Alors, cela  engendre chez lui un état dépressif, tout d’abord parce qu’il ne vole plus et qu’il réalise, assez lentement à mon avis, qu’il est tout simplement en train de commettre des assassinats sur commande. Du coup, il boit et son ménage va mal.

On le comprend mais à sa place j’aurai simplement refusé de faire ce boulot, ce qui évidemment aurait réduit la durée du film !

L’intérêt du film est tout d’abord visuel. Le spectateur est éberlué par la qualité des images dont disposent les opérateurs militaires, installés dans des containers climatisés au milieu d’une base aérienne proche de Las Vegas, images grâce auxquelles ils peuvent suivre tous les faits et gestes, voire les expressions, des personnes qu’ils observent et qu’ils vont le plus souvent assassiner en quelques secondes, dix secondes s’écoulant exactement entre la décision de tuer et la mort.

Une fois cette prise de conscience opérée, c’est l’indignation qui m’a suffoqué. Voilà des gens, avec leurs états d’âme c’est entendu, qui assassinent leurs prochains qu’ils voient, circonstance aggravante, mourir sous leurs yeux, simplement parce qu’un bureaucrate quelconque de la CIA installé à Langley, Virginie (très beau la Virginie, très vert, très calme) a décidé que ces gens étaient des ennemis des USA, qu’ils représentaient un danger « immédiat » pour la « sécurité » du « peuple » américain !

Je mets tous ces mots entre guillemets parce qu’ils se discutent tous et que la question est là, dans le prétexte et l’arbitraire que ces mots charrient.

Alors, on peut s’intéresser aux états d’âme de l’assassin, mais c’est regarder le doigt qui montre la lune. C’est l’assassinat qu’il faut scruter. De quel droit, ces gens décident de tuer d’autres gens ? Dans le film, l’adjointe du commandant a une remarque de bon sens, avant de démissionner : « ce que vous faites, c’est sans fin ». Vous tuez des gens dont les proches vont chercher à se venger et que vous allez tuer aussi, provoquant de nouvelles vengeances. Où allez vous, les assassins ? Droit dans la haine, l’absurde, la mort.

Bravo le système américain. Et il va être dur à détruire, car lorsque le commandant sabote un ordre monstrueux (tirer sur les gens qui viennent dégager les corps), son supérieur le menace d’une enquête impitoyable de la CIA. On comprend bien que ces salauds qui sont directement impliqués dans ces assassinats feront tout pour ne pas être mis en accusation. Voyez leur acharnement contre Edward Snowden qui a révélé les pratiques d’espionnage massif et tous azimuts de l’administration américaine.

Que pouvons nous faire en France ? Sortir de l’Otan évidemment, mais pas facilement, après que Sarkozy nous y ait stupidement réintégré en 2009. Car les assassins dissimulés feront leur possible pour nous en empêcher et pour neutraliser ceux qui s’y risqueront, comme ils le feront pour tous ceux qui dénoncent leurs crimes.

 

Heureusement pour lui, Andrew Nicoll est célèbre, il a l’excuse de la création artistique et il est américain. Sinon, avoir commis ce film serait une raison bien suffisante pour que la CIA lui envoie un missile depuis un drone…

 

 

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L'ÉTAT-PARTI CHINOIS ET LES MULTINATIONALES

29 Mars 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

L'ÉTAT-PARTI CHINOIS ET LES MULTINATIONALES

LE DERNIER OUVRAGE DE JEAN-PAUL GUICHARD

 

Pendant que les medias occidentaux braquent leurs projecteurs sur quelques milliers d’extrémistes qui s’efforcent de terroriser l’Occident, les sujets de l’État-Parti chinois s’occupent des choses sérieuses : prendre le contrôle de l’économie mondiale au nez et à la barbe des Américains et des Européens, trahis par leurs multinationales.

 

Chaque jour en France, on apprend ainsi qu’une entreprise chinoise ou une autre est candidate, ici pour s’emparer d’un aéroport, là pour « sauver » Areva, ailleurs pour racheter une de nos entreprises industrielles.

Tout est fait par les medias et par l’État pour minimiser ce genre d’événement, comme s’il était anodin ou sans conséquence. Heureusement quelques lanceurs d’alertes veillent pour alerter les décideurs et le grand public des menaces qui planent sur une société anesthésiée.

Lanceur d’alerte, c’est bien le terme que l’on peut appliquer sans hésitation à mon collègue et ami, le Professeur Jean-Paul Guichard qui publie, après son ouvrage précurseur écrit avec Antoine Brunet, « La visée hégémonique de la Chine, l’impérialisme économique », un nouvel ouvrage qui démasque le Cheval de Troie du pouvoir chinois dans le cadre de la globalisation, intitulé « L’État-Parti chinois et les multinationales, l’inquiétante alliance ».

Dans cet ouvrage, il démontre une alliance qui saute aux yeux dès lors qu’il l’a identifiée, entre l’oligarchie chinoise et le club fermé des dirigeants des multinationales. C’est que le modèle mercantiliste imposé au peuple chinois par son État-Parti est bien commode pour les entreprises multinationales qui ne s’aperçoivent même pas que leurs profits à court terme annoncent leur liquidation à moyen terme.

À l’abri de l’État-Parti, ces multinationales font d’énormes profits fondés sur des salaires bas imposés au monde du travail et sur la sous-évaluation du yuan et rien ne les dérangeraient plus dans leur plan qu’un effondrement du PCC ou une montée du yuan.

Mais au fur et à mesure où le marché chinois s’élargit, naissent « naturellement » des firmes concurrentes géantes, géantes et chinoises, qui menacent progressivement les multinationales engagées dans le piége d’un marché chinois qu’elles ne peuvent plus quitter.

Les multinationales devraient réagir, exiger des mesures protectionnistes mais ce serait mettre en danger leurs profits immédiats. A contrario, elles plaident auprès des États qui ont encore les moyens d’agir, les USA et les pays européens, pour le maintien du statu quo. Les Etats-Unis préfèrent fuir dans une création monétaire qui leur permet de financer le déficit commercial et l’Europe, sous la conduite de l’Allemagne, seul pays de l’UE dont le commerce est pratiquement équilibré avec la Chine, maintient un commerce quasiment dénué de toute protection contre les menées de l’État-Parti chinois. 

En huit chapitres, Jean-Paul Guichard montre comment la nature de la crise des économies développées provenant du déséquilibre croissant du commerce extérieur est niée, comment les firmes multinationales ont été appâtées par le confortable système totalitaire chinois, comment la sous-évaluation du yuan sert de barrière protectionniste. Il montre également qu’il existe une stratégie chinoise de contrôle mondial des matières premières, ainsi qu’un pacte germano-chinois qui aboutit à affaiblir l’Europe et que les Etats-Unis comptent sur la création monétaire pour maintenir la viabilité de leur énorme déficit avec la Chine.

On observe d’ailleurs que la BCE suit désormais la Réserve Fédérale Américaine en déversant des monceaux de liquidités sur le marché monétaire européen pour relancer l’économie européenne et affaiblir l’Euro. Cette mesure, artificielle et appauvrissante par ailleurs, signifie tout de même que la BCE s’inscrit désormais elle aussi dans la guerre des monnaies, pratiquées depuis longtemps par la Chine et les Etats-Unis et plus récemment par le Japon et la Suisse.

 

Dans son ouvrage, Jean-Paul Guichard a pour sa part l’immense mérite de braquer son projecteur analytique sur LE problème central des économies européennes et américaines, la persistance et la croissance du déficit commercial avec la Chine, grâce à la complicité active des multinationales. 

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FRANCO SELON MICHEL DEL CASTILLO

26 Février 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

FRANCO SELON MICHEL DEL CASTILLO

FRANCISCO FRANCO, CAUDILLO

 

Le 1er avril 1939 le général Franco proclamait la victoire des armées nationalistes sur les armées républicaines.

 

Dans son ouvrage « Le temps de Franco », Michel del Castillo  ne porte pas spécialement Francisco Franco dans son cœur, d’autant plus qu’il a personnellement souffert de la guerre d’Espagne. Mais cela ne l’empêche pas de présenter Franco comme un guerrier courageux, doté d'un sens extraordinaire de l'organisation, véritable meneur d'hommes, sachant imposer une discipline féroce, se montrant impitoyable et sévère, mais juste, affichant une impassibilité glaciale et ayant une redoutable intelligence politique. Il s'interroge encore sur le charisme indéniable, et inexplicable, que possédait ce petit homme dénué de prestance et à la voix incertaine.

Il dresse le portait du généralissime, qui n'était pas un fasciste mais un catholique de tradition, qui a bénéficié de l'aide de Hitler et de Mussolini, tout en se gardant bien de leur rendre la pareille.

L'air du temps de l'Espagne lors de la naissance de Franco est celle d'un pays au glorieux passé mais au présent terne, en plein marasme économique, perdant guerre coloniale sur guerre coloniale, avec un pouvoir monarchique incompétent, enfonçant le pays dans le conservatisme social, avec de brèves et violentes révoltes.

Né dans une famille de militaires, élevé dans une ville de garnison, dans un pays pauvre et conservateur, Franco est  un militaire « chimiquement » pur. Mais la famille de Franco est désunie, son père vivant en couple avec une autre femme. Il se destine à la carrière d'officier de marine, comme son frère aîné,  mais l'académie navale ferme ses portes l'année où il devait y entrer. Il se résigne donc à une carrière d'officier d'infanterie où il ne bénéficie d’aucun appui familial.

Pendant ce temps, la République espagnole est fondée en 1931, après des années de dictature de Primo de Rivera.

En 1934, la droite emporte les élections législatives, mais se voit refuser de diriger le gouvernement. Il s'ensuit une période troublée, avec un Etat faible, incapable de maintenir l'ordre républicain, même si, à la demande du gouvernement légal, Franco réprime durement un soulèvement ouvrier dans les Asturies. Puis en 1936, une coalition de Front populaire emporte les élections de façon étriquée. Au sein de la coalition de gauche, les éléments les plus radicaux ne sont pas majoritaires aux Cortès, mais contrôlent le gouvernement, dans un climat de violences sociales et politiques effrénées.

Jusqu’à cette date, Franco n'aspire à rien d'autre que servir un ordre, fusse-t-il monarchique ou républicain. Mais le gouvernement de Front populaire laisse s'installer une situation prérévolutionnaire dans laquelle les pouvoirs institutionnels perdent la réalité de leurs pouvoirs, au profit des polices et des justices aux mains des communistes ou des anarchistes, si bien que la guerre d'Espagne ne correspond pas à la lutte d’un gouvernement légal contre un coup d'Etat fasciste mais plutôt à une guerre à mort entre deux projets politiques radicalisés.

Après la sanglante guerre civile qui voit des massacres perpétrés des deux côtés, le Caudillo s’installe au pouvoir et l’exerce avec prudence. Michel del Castillo rapporte ainsi l'agacement d'Hitler après sa rencontre avec Franco en octobre 1940 : « je préfèrerais me faire arracher trois dents que de reprendre un tel dialogue avec lui ». Au final, l'Espagne restera neutre pendant la guerre de 1940-1945. Il a la même prudence quand il s'agit de régler la question de la nature de l'Etat. Franco restera Chef de l'Etat, tandis que la restauration de la monarchie se fera très lentement au profit de Juan Carlos.

Au final, Michel de Castillo dresse le portrait d'un dirigeant qui aurait agi en 1936 pour éviter une dictature stalinienne sur l'Espagne et qui se serait maintenu au pouvoir pour empêcher la résurgence de ce danger. Il souligne aussi que la démocratie s'est installée au terme d'une transition, et non d'une rupture avec le franquisme, menée par l'héritier même de Franco, avec un gouvernement dirigé par un ancien dirigeant franquiste.

 

Et il conclut son ouvrage en invitant les Espagnols à  accorder à leur propre histoire, la lucidité et l'équanimité.

 

 

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LE TEMPS DE FRANCO

21 Février 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LE TEMPS DE FRANCO

"LE TEMPS DE FRANCO" DE MICHEL DEL CASTILLO

 

Si un temps ne parait pas d’actualité, c’est bien celui là ! Le temps de Franco est un ouvrage de Michel del Castillo écrit il y a six ans. Ce n’est pas une nouveauté mais c’est un livre rare parce qu’il a le mérite de présenter Franco sous un jour non systématiquement défavorable, alors que Michel Del Castillo était un opposant à Franco.

 

En effet, la condamnation systématique de la personne de Franco et de ses actes, privés et publics contribuent à obscurcir la compréhension de la guerre d’Espagne. Il est pourtant utile aujourd’hui de comprendre cette guerre.

Comment un pays civilisé comme l’Espagne en est-il venu à une guerre d’une telle sauvagerie ? Quelles en sont les causes ? Comment Franco en est-il sorti vainqueur ? Quelle était la situation de l’Espagne avant et après ? Toutes ces questions ne sont pas qu’espagnoles, car elles nous ramènent aux facteurs qui provoquent des guerres civiles, des facteurs qu’il serait bon d’identifier plutôt que de subir.

C’est ce qui motive mon intérêt pour la guerre civile espagnole et pour Franco, avec comme point de départ analytique, le refus viscéral de me laisser imposer quelque jugement préfabriqué que ce soit. C’est pourquoi je rends compte ici du livre de Michel del Castillo, dont l’honnêteté intellectuelle me paraît suffisante pour en tirer des informations utiles.

Michel Del Castillo est né à Madrid le 2 août 1933 et il a donc vécu la guerre civile. Il est le fils d’un français, George Michel Janicot, qui travaillait pour le bureau madrilène du Crédit Lyonnais et d’une espagnole, Candida Isabel Del Castillo, qui divorcent alors que leur fils a deux ans, en 1935. Michel Del Castillo se retrouve alors seul avec sa mère à Madrid. Un an plus tard, cette dernière est emprisonnée bien que républicaine. Elle sort de prison en 1937, se marie avec un combattant des Brigades Internationales José Sfax, qui perd la vie dans les combats contre les troupes de Franco quelques mois plus tard.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, Michel Del Castillo et sa mère s’installent en France où son père l’envoie dans un camp de réfugiés à Mende. Michel Del Castillo s’en enfuit avant d’être enfermé dans un autre camp, puis dans un établissement de redressement en Espagne, dont il s’enfuit également pour se réfugier à 16 ans dans une école jésuite en Andalousie. Au total, on peut avancer qu’il a eu une enfance particulièrement difficile et mouvementée.

En 1950, il est engagé comme ouvrier dans une cimenterie près de Barcelone, une condition matérielle et sociale qu’il ne supporte pas longtemps. Il regagne alors la France où il se rapproche de son père, qui ne lui prête toujours qu’une faible attention. Désorienté, il s’adresse enfin à son oncle, qui, divine surprise, l’accueille avec sa femme à bras ouverts. 

Il fait alors des études et publie en 1957 un premier roman proche de l’autobiographie « Tanguy » qui reçoit un excellent accueil, ce qui l’encourage à publier d’autres romans et des écrits plus engagés. Il reçoit des prix littéraires pour la trentaine d’ouvrages qu’il publie, dont le « Dictionnaire amoureux de l’Espagne » pour lequel il recevra le Prix Méditerranée en 2005.

En 2008 parait « Le Temps de Franco », une biographie surprenante pour un antifranquiste.

 

L’histoire de Michel del Castillo ne prête guère au soupçon de tendresse pour le dictateur. Qu’écrit-il donc sur Franco ? Quelles leçons pouvons nous en tirer ? 

À SUIVRE

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TRAHIR NAPOLÉON

7 Janvier 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

TRAHIR NAPOLÉON

TRAHIR NAPOLÈON PAR ROBERT COLONNA D'ISTRIA

Robert Colonna d’Istria vient de publier un ouvrage profond et surprenant et intitulé « Trahir Napoléon».

Qui est Robert Colonna d’Istria ?

Issu d’une grande famille originaire d’Ajaccio, comme Napoléon  Bonaparte, passant de la Corse et Marseille à l’IEP de Paris, Robert n’a jamais renié la Corse sur laquelle il a écrit plusieurs ouvrages sans négliger de s’intéresser à l’économie ou la vie publique comme en témoigne son ouvrage sur « Le Sénat : enquête sur les supe privilégies de la République ». C’est le deuxième ouvrage qu’il consacre à Napoléon après ses  « Mémoires de Napoléon »

« Trahir Napoléon » est un livre de 158 pages, composé de deux parties distinctes et complémentaires:

En premier lieu une réflexion sur le concept de trahison et une bibliographie du sujet. Cette partie est, nous allons le voir, très riche de réflexions potentielles sur le pouvoir. En second lieu, un dictionnaire qui présente les traitres à Napoléon et la nature de leur trahison. Par chance, l'ordre alphabétique désigne Talleyrand comme le traître final, ou le « Napoléon » des traîtres.

Trahir. L’auteur ne se fait aucune illusion sur la nature de la politique, voire de l’âme humaine. Le pouvoir attire les ambitieux, qui veulent « arriver » à n’importe quel prix, y compris par la trahison. Il convoque à l’appui de sa thèse les bons auteurs, Zweig, Shakespeare, Chateaubriand pour montrer que la politique appelle la trahison (j’en connais le gout âcre, même dans mon village). Une trahison justifiée de milles manières (Chirac et VGE, Sarkozy et Chirac, Monsieur et Madame Chirac, Mitterrand et tout le monde).

Le traitre, lorsqu’il réussit, est paré de toutes les vertus, il est celui qui « écrit l’histoire » au point que «l’avenir appartient aux traitres ».

Au passage, je découvre le nombre incroyable d’auteurs qui se sont passionnés pour les traitres et la trahison en général.  Et notre auteur de démontrer que le Christianisme doit beaucoup aux traitres, Judas, saint Pierre, saint Paul.

Au fond la trahison s’impose au pouvoir, tandis que celui qui l’exerce commettrait la plus impardonnable des erreurs s’il oubliait, même une seule seconde, que le plus proche de ses collaborateurs est susceptible, à tout moment, de le trahir. N’est ce pas, Monsieur De Villiers, qui avez ainsi perdu le département de Vendée ?

Napoléon, ce génie, sait tout cela. Il ne peut être que trahi parce qu’il se situe trop haut pour des traitres qui ne rêvent qu’à le ramener à leur niveau. Il s’organise pour lutter contre la trahison, diviser les pouvoirs, organiser des surveillances croisées, mais ses précautions accroissent les rancœurs. Avec Napoléon, les traitres ont de l’ouvrage. Comment abattre un homme aussi intelligent, « animé par une énergie prodigieuse », audacieux, lucide sur les autres et sur lui-même ?

L’Empereur ambitionne l’unité nationale, il essaye sans cesse de « sauver les meubles » de la Nation jusqu’au derniers instants de son épopée en juin 1815. La lecture de ses courriers est fascinante à cet égard. Alors comment le suivre, lorsque l’on veut  sauver ses propres meubles, sa propre carrière, sa peau ? C’est pourquoi les traitres à Napoléon pullulent, les imbéciles, Marmont, Ney, les caricatures, Bernadotte, Murat, Soult, Caroline, Fouché, et dominant le tout ce traitre génial ou abominable, comme l’on voudra, de Talleyrand.

Napoléon, « le pauvre diable », a tenté de sauver du naufrage le monde ancien dans lequel l’honneur est la vertu cardinale, remplacé par le monde d’aujourd’hui où « les arrivistes, les ectoplasmes, les sinueux, les souples, les accommodants connaissant leur heure de gloire ». À cet égard, il suffit de contempler le spectacle médiatique pour s’en convaincre.  

Ces réflexions amères et profondes trouvent leur illustration dans « un dictionnaire de quelques traitres à Napoléon » qui constitue la deuxième partie de l’ouvrage, qui révèle sa profondeur par l’illustration du tableau de la traitrise développé en première partie. 

 

En le refermant, songeant aux figures de quelques contemporains, je me suis demandé ce que l’on pensera demain de quelques uns de nos contemporains qui se sont révélés assez habiles en traitrise pour en tirer profit.

Je me le demande. 

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PASSEPORT À L'IRANIENNE

11 Décembre 2014 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

PASSEPORT À L'IRANIENNE

L'AUTEUR ET L'HEROÏNE DE CETTE HISTOIRE

 

Il ne m’arrive presque jamais de recommander pleinement la lecture d’un livre, mais cette fois-ci je le fais sans hésiter pour mes lecteurs, en considérant d'office qu’ils s’intéressent au monde, à l’humain, à la vie.

 

Il s’agit de « Passeport à l’iranienne » écrit par Nahal Tajadod en 2007 et disponible en livre de poche pour la modeste somme de 6,50 €. Dans un élan d’enthousiasme que j’ai ensuite réprimé, on ne sait jamais, j’ai même écris que je rembourserais toute personne qui trouverait cet ouvrage sans intérêt et qui m’expliquerait de manière convaincante pourquoi.

Nahal Tajadod n’est pas n’importe qui. Née en Iran en 1960 d’une famille très cultivée, elle vient en France deux ans avant la chute du shah d’Iran, Mohammad Reza Pahlavi. Elle est alors âgée de 17 ans et elle vient étudier le chinois à l’Institut National des langues et civilisations orientales, qu’elle achève par une thèse sur Mani, le fondateur du manichéisme.

Depuis, elle a écrit de nombreux livres savants, dont récemment un livre sur une comédienne iranienne très connue, « Elle joue », bannie d’Iran pour avoir montré fugitivement sa poitrine dans une cérémonie. Il faut ajouter à cette biographie qu’elle est mariée au metteur en scène Jean-Claude Carrière, dont elle a une fille.

Alors le livre ? c’est une histoire très simple, quasiment autobiographique : l’auteur, Nahal, doit renouveler son passeport iranien pour rentrer en France dans les prochains jours, même si elle possède déjà un passeport français. Mais elle tient à garder son passeport iranien.

Cette toute petite histoire, sans intérêt à priori, prend des dimensions épiques au fur et à mesure qu’elle se déroule, d’autant plus qu’elle s’installe dans le cadre de la société de Téhéran, qui est décrite de manière extrêmement fine et pleine d’humour.

L’histoire commence un samedi avec la recherche d’un studio de photographe qui doit permettre d’obtenir une photo compatible avec la loi islamique en vigueur. Vous allez découvrir en fonction de quels critères Nahal choisit le photographe, ce qu’évoquent pour elle les photographies dans la vitrine, comment se comporte la classe moyenne iranienne. Vous allez aussi savoir comment elle confie aux deux photographes son sèche-cheveux en panne, en quoi elle ne supporte pas le shanbelileh (vous allez apprendre ce que c’est), pourquoi les deux photographes lui donnent des formulaires rédigés en suédois et refusent obstinément d’être payé. À cette occasion, vous allez comprendre le fin fond de la culture perse, avec l’usage généralisé du tarof, cette arme fatale.

Puis, sans souffler un instant, vous allez saisir la psychologie du gardien de l’immeuble où habite la famille de Nahal et la raison inimaginable pour laquelle les croyants iraniens veulent aller en pèlerinage en Syrie (l’histoire se déroule avant la guerre civile).

Vous en avez alors fini avec le samedi de Nahal, vous pouvez la regarder s’endormir avec la conscience du devoir accompli, sur le canapé de la bibliothèque, sa fille de trois ans dans les bras.

À ce moment, Nahal ne sait pas que cette histoire de passeport va l’emporter dans un tourbillon d’aventures où les rebondissements ne vont pas manquer, mais qui va surtout nous révéler l’humanité profonde de la société iranienne, la culture raffinée de ce peuple auprès de qui l’on se sent un butor. Progressivement, un véritable tourbillon d’aventures, d’impressions et d’émotions finit par nous arracher des larmes de nostalgie et de tendresse.

Je ne veux pas en raconter plus mais, au long du récit, vous découvrirez la qualité de son écriture, l’intérêt de cette soi-disant petite histoire et vous communierez avec ce peuple iranien tant vilipendé par des commentateurs imbéciles qui croient qu’en écrasant les autres, ils se grandissent.

Car vous finirez par découvrir qu’il n’est pas donné à tout le monde de se hisser à la hauteur des héros de cette histoire que nous présente Nahal. Et lorsque vous quitterez l’héroïne de cette histoire à regret alors qu’elle ôte son foulard dans l’avion, votre regard sur l’Iran, cet avatar de la Perse éternelle, aura changé du tout au tout.

 

Un livre, rare, pour sourire, pour s’émouvoir, pour ouvrir les yeux…
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Gary Becker, honoré par une École de Chicago en déclin

12 Novembre 2014 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

Gary Becker, honoré par une École de Chicago en déclin

Gary Becker, Prix Nobel d'Économie 1992

Par Filip Palda, Professeur titulaire à l’École nationale d'administration publique (ENAP), Université de Montréal. Traduction et adaptation par André Boyer.

 

Un important rassemblement d'économistes a eu lieu la semaine dernière à l'Université de Chicago. Près de cinq cents sommités de la recherche en économie se sont réunies pour honorer Gary Becker, le lauréat 1992 du prix Nobel, décédé en mai dernier à l'âge de 83 ans.

Si le public cultivé connaît les noms des économistes vedettes comme Thomas Picketty, auteur du Capital au XXIe siècle ou de Steven Levitt, co-auteur des Freakanomics, peu connaissent Gary Becker en dehors du milieu universitaire, alors qu’il est reconnu par ses pairs comme l’un des plus brillants économistes de ce temps.

Milton Friedman lui-même, alors qu’il était particulièrement avare en compliments, a déclaré que « Gary Becker était le plus grand spécialiste des sciences sociales depuis cinquante ans ». Or Friedman a été le professeur de nombreux prix Nobel dont il a souvent fait savoir qu’ils ne l’avaient guère impressionné lorsqu’ils étaient ses étudiants. Pour Becker, il a fait une remarquable exception en écrivant que ce dernier « avait un brillant esprit d'analyse, une grande originalité et une compréhension profonde du fonctionnement du système de prix, notamment quant à son importance pour protéger la liberté individuelle. »  Les superlatifs surprennent de la part d’un Friedman qui n’avait rien d’un flatteur, lorsqu’on ne sait pas qu’il était ébloui par Becker, non seulement par son intelligence mais par sa vision novatrice de l’économie.

Nombre d’économistes merveilleusement intelligents ont été oubliés. Qui se souvient de Lester Thurow, l’étoile des années 1980 qui a écrit « The Zero-Sum Solution : Building a world-class American economy » ? Mais la renommée de Becker repose surtout sur une vision de l’économie qui n’est pas seulement une science utilisable sur les marchés boursiers ou pour gérer les exportations, mais un outil destiné à comprendre le comportement des individus et des groupes. Becker arguait que cet outil n’avait pas été complètement utilisé, uniquement en raison du manque d’imagination des économistes.

Il posait comme postulat que l’économie n’est ni une croyance ni un système moral, mais un guide pratique pour gérer des relations humaines pratiquées à grande échelle et un judas pour jeter un regard indiscret sur le contenu des motivations individuelles.

C’est ainsi qu’il a appliqué les techniques économiques au mariage, à la criminalité, à la discrimination raciale, à la gestion du temps, aux interactions sociales, au pouvoir politique ou à la toxicomanie. Alors que le nombre de ses écrits est relativement modeste comparé à d’autres chercheurs, ils ont tous provoqué une onde de choc au travers des sciences sociales, car si Becker était assez modéré sur le plan politique comparé à son mentor Milton Friedman, il exprimait dans ses écrits un point de vue profondément subversif.

Par exemple, si vous acceptez son point de vue selon lequel décider d'avoir des enfants est une décision rationnelle, cela implique de contraindre les partisans de la contraception à modérer leur propagande en faveur du contrôle démographique. Le problème des pays en développement ne réside pas directement dans l’excès de leur population, qui n’est que la conséquence de l’absence d’institutions permettant aux individus d’amasser un capital ou des revenus pour leurs vieux jours et qui les contraint à fonder leur avenir sur une famille élargie.

Plutôt que de se mêler de la vie privée des individus en les contraignant à pratiquer des méthodes de contraception, les penseurs sont incités par Becker à inciter les gouvernements à mettre en place un système juridique efficace permettant un bon fonctionnement des banques et le développement de l’économie. Friedman voyait dans la vision de l’économie de Becker une relation directe entre le système de prix et le respect de la liberté humaine.

Le point de vue de Becker sur la criminalité était également à l’opposé de celui des sociologues qui traitent la criminalité comme une pathologie. Pour Becker, les criminels sont des sortes d’hommes d'affaires qui prennent en compte deux variables médiatrices pour mettre en œuvre leurs délits, la répression de la criminalité et la probabilité d'être arrêté. Il s’agit simplement de savoir si les criminels sont plutôt sensibles à l’échelle des peines ou à la probabilité d’être arrêté, pour décider d’utiliser les budgets publics à accroître la durée de la détention ou le nombre de policiers.

Mais la découverte la plus subtile de Becker réside sans doute dans le lien qu’il établit entre le crime et la politique puisque les deux domaines mettent face à face des prédateurs et du gibier.

 

…Un Becker auteur d’une application nouvelle de l’économie…

 

En politique, les prédateurs y gagnent mois que le gibier y perd. En effet, lorsqu’un groupe de pression parvient à obtenir un million de dollars de l'État, les entreprises qui paient cette somme perdent non seulement un million de dollars mais aussi subissent le risque de la faillite qui peut leur faire le bénéfice de tous leurs d’efforts.

Cette asymétrie des gains des prédateurs comparé aux pertes infligées au gibier donne à ce dernier un avantage structurel puisqu’il incite les victimes à embaucher des prédateurs rivaux afin de les protéger, comme les villageois dans le film de Kurosawa, « Les Sept Samouraïs » l’ont instinctivement fait. Ainsi, s’installe un marché des services de protection du gibier où les prédateurs relativement modérés doivent normalement supplanter leurs rivaux plus virulents.

Becker voyait dans ce processus de sélection des prédateurs l'émergence de systèmes politiques plus efficaces. Mais l'efficacité de ce processus reste relative, car elle ne découle pas d'échanges mutuellement bénéfiques comme dans les marchés privés, mais de la concurrence entre les prédateurs pour dominer leurs victimes.

Il n’est pas nécessaire d’avoir une connaissance profonde des théories de Becker pour constater que l’application qu’il faisait des mécanismes économiques était de nature à ébranler les convictions de ceux qui estiment que l’État est le système le plus abouti des sociétés humaines. Sa façon de voir a galvanisé les chercheurs de l’École de Chicago qui pouvaient ainsi montrer que si l’on considérait les individus comme des gestionnaires rationnels de leur propres intérêts, alors ils développeraient des contre stratégies face à celles des politiciens qui cherchent à les dominer en les entraînant à cet effet dans des directions sociétales contraires à celles des individus

Par exemple, lorsque l’État emprunte sous le prétexte de stimuler l'économie en utilisant en faveur des politiciens l’argument keynésien, les individus réduisent leur consommation car ils savent que la dette se traduira plus tard en impôts plus élevés pour rembourser la dette. Ainsi, lorsque l’on dénonce l’épargne « excessive » des Français, on ne veut pas voir que c’est une réponse rationnelle à l’accroissement de la dette de l’État.

Ces idées ne sont pas le seul apanage de Becker, pas plus que l'école de Chicago qui n’a pas le monopole des théories qui ont permis le développement de l'économie moderne. Ainsi l’un des ouvrages fondamentaux de l'économie moderne, les « Fondements de l'analyse économique », a été écrit en 1947 par Paul Samuelson au MIT.

Pourtant, si un extraterrestre avait été téléporté à la conférence économique qui s’est tenue récemment à Chicago, il aurait fondé de croire que la théorie économique mondiale était issue de Chicago et que Becker en était le principal inspirateur.

L'extraterrestre aurait été fasciné par le discours de clôture du prix Nobel James Heckman qui mit Becker sur un piédestal au sommet d'un temple d’où il le présentait régnant sur les théories du capital humain, du droit, de l'économie, de l'éducation, de la démographie, de la justice et de la formation des préférences, parmi nombre d'autres sujets.

…Un Becker, sanctifié par une école de Chicago en déclin

 

Pour les participants, il était difficile de ne pas voir dans ce discours une sorte de canonisation religieuse. Cette canonisation est certainement destinée à la création d’une marque, qui fait de Becker une sorte de saint, placé au beau milieu des croyants, qui témoigne de la capacité de l’Église dont il relève, en l’occurrence l’École de Chicago, de régner sur de vastes domaines imaginaires.

En effet, l’École de Chicago a besoin de saints dans la mesure où sa réputation ne peut pas être protégée par des droits d'auteur ou par le dépôt d’une marque. Or un saint n’est reconnu, au plan spirituel comme intellectuel, que grâce aux efforts des prêtres qui le célèbrent et mettent en place un lieu de pèlerinage. Becker dispose désormais d’un tel sanctuaire de Becker, le nouveau bâtiment Saieh Hall où l'Institut Becker-Friedman commence à s’installer et ses grands prêtres se nomment Heckman et tous les autres Prix Nobel de l’École de Chicago.

George Stigler, qui peut revendiquer avec Milton Friedman la fondation de l'école de Chicago, était parfaitement sincère lorsqu’il a admis que les sciences économiques étaient un jeu où la stratégie tout autant que le mérite intellectuel, permettaient à des concepts de s’imposer. Cette analyse de Stigler avait d’autant plus de sel qu’il avait contribué par ses travaux à l'analyse des barrières à l’entrée par lesquelles des entreprises tentent de protéger leur marché contre les nouveaux arrivants potentiels. Or, la conférence en l'honneur de Becker peut être vue comme une tentative de créer une barrière à l'entrée. Et il en faut une, car l’École de Chicago est une institution intellectuelle en voie de déclin, malgré le nombre considérables d’autorités académiques rassemblées pour la conférence, drapées dans leurs magnifiques atours.

L’Ècole de Chicago est à l’opposé de ce qu’elle était dans les années cinquante, alors qu’elle rassemblait des exclus opposés à l’establishment des économistes de l’époque, rassemblés dans l’Église keynésienne. Ils n’avaient alors rien à perdre à mettre en doute leurs certitudes. 

Lors de la conférence, Samuel Peltzman a rappelé qu’Harvard, le MIT et presque toutes les autres Écoles traitaient en parias les économistes de Chicago. Puis, tout a changé dans les années quatre-vingt-dix quand Chicago s’est retrouvé au centre de la nouvelle Église des économistes, et que tout chercheur qui y était rattaché était nobélisable, parfois dans des conditions scandaleuses.

Les prix Nobel de l’École de Chicago sont extraordinairement nombreux, leurs noms claquent au vent de la renommée, qu’ils se nomment Becker, Coase, Friedman, Hansen, Hayek, Heckman, Lucas, Myerson, Miller, Schulz, Stigler, ou Vogel. Ce qui fait que l’École de Chicago est progressivement devenue la victime de son développement. Elle a accumulé un immense capital intellectuel que les nouveaux économistes de l’École ne peuvent se permettre de dilapider en prenant les risques intellectuels qu’implique l’exploration de nouvelles voies de recherche, par prudence.

De plus, l’École de Chicago est victime du phénomène d’anti-sélection qui fait qu’un chercheur ambitieux aura tendance à s’éloigner de l’École pour donner l’image d’un innovateur économique radical, laissant la place au sein de l’École aux chercheurs plus conformistes.

Il ne saurait être question pour autant de dénigrer les contributions intellectuelles de Becker et de l'école de Chicago.

Durant la période de l'hégémonie keynésienne sur les politiques publiques, les économistes de Chicago ont été la voix qui criait dans le désert. Ils proclamaient que les marchés étaient efficients et répétaient en vain que l’intervention de l’État était contraire au principe d’efficacité. Ils rappelaient aux économistes que les individus n’étaient pas des pantins mais des acteurs qui avaient une vision et une stratégie concernant leurs destinées. Ils ont montré, qu’en adoptant une attitude proactive, ces individus pouvaient contrecarrer les efforts des politiciens pour les manipuler.

Aujourd’hui Becker n’a pas besoin d’être sanctifié, il suffit de l’étudier et d’apprécier ses travaux.

À cet égard, la présence des plus grands économistes du monde et de plus d'une centaine de ses anciens Ph. D. à la conférence de Chicago est un hommage rendu à son excellence et à son influence durable.

 

Filip Palda est Professeur titulaire à l’École nationale d'administration publique (ENAP), Université de Montréal. Il a assisté à la conférence en l’honneur de Gary Becker en tant que l’un de ses anciens Ph. D.

 

Si vous ignoriez les théories de Gary Becker avant la lecture de ce blog, vous avez des excuses : aucun de ses livres n’a encore été traduit en français, à ce jour. Vous trouverez ci-joint un document résumant ses oeuvres

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L'esclave

29 Octobre 2014 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

L'esclave

L’esclave

Sous ce titre, Michel Herland brosse un triple fil romanesque autour de trois époques et de deux personnages centraux, Michel et Colette.

C’est un livre dérangeant qu’a bâti Michel Herland qui n’autorise pas le lecteur à rester indifférent. Le style classique, parfois poétique, nous confronte à des scènes souvent sensuelles et parfois d’une violence sans concession. Les personnages ont une épaisseur psychologique, les évènements sont dramatiques, les dialogues portent sur des sujets qui nous interpellent, la religion, le sens de la vie, l’amour.

Ce sont trois romans en un qui nous sont proposés. L’histoire commence en 2081, loin devant nous, lorsque Colette apprend que Michel, son amour d’autrefois, vient de mourir à l’âge respectable d'un siècle, tandis que les amours de Colette et Michel datent de 2009. Deux visions cohabitent déjà, ces amours vus en 2081 sous la forme d’une série de lettres de Colette à l’adresse du cher disparu et le récit direct de cette rencontre en 2009. Grâce à ces deux voix, la vérité sur ces amours torrides se révèle progressivement au long des pages. Il s’y ajoute les conversations de Michel avec Colette, ses cours devant les étudiants qui présentent les points de vue des philosophes, tant sur la religion que sur l’esclavage.

Mais ces amours passées sont confrontées aux évènements inquiétants et aux alertes majeures qui environnent Colette en 2081. Ils semblent conforter le roman qu’écrivait Michel en 2009 et qu’il avait fait lire à Colette à cette époque.

Ce roman dans le roman qui est censé se passer en 2014 peut être lu comme une suite d’aventures picaresques, mais aussi comme une vision prémonitoire d’une France soumise, au moins en partie, à de sanguinaires musulmans qui pratiquent l’esclavage et la violence barbare pour se faire obéir, à côté de pratiquants plus sincères qui n’en peuvent mais. C’est la partie la plus originale de L’Esclave, un monde qui n’est plus dominé par les puissances occidentales, où s’impose un intégrisme religieux et un djihadisme mâtiné d’hypocrisie, confronté à la crise écologique. La lecture de ce futur possible fait froid dans le dos, même si un paradis bucolique parvient à cohabiter de manière fragile et marginale avec cette sauvagerie conquérante.

Le mérite de l’auteur est de ne pas nous proposer un simple exercice de futurologie. Les personnages sont des êtres de chair et de passions, composés de sages et de fous, de sincères et de fourbes, d’amoureux et de jaloux, de rancuniers, d’orgueilleux, de cruels et de saints. Les femmes jouent un rôle majeur dans ce roman construit autour des passions humaines. On tremble pour Mariam, que Michel décrit comme l’arrière-arrière-petite-fille de Colette, devenue esclave de Selim, un riche propriétaire terrien converti par arrivisme à la religion des envahisseurs. Pendant ce temps, dans les Pyrénées, quelques territoires demeurés libres accueillent des insoumis : à Ercol, une petite communauté s’est organisée autour d’Emmanuel…

Je ne puis révéler la fin ou plutôt les fins, mais pour ma part, je dois avouer que ce livre m’a fortement touché et interrogé.

Références : L’Esclave, de Michel Herland, Editions Le Manicou, 2014, 410 pages sous forme de livre et d’e-book.

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