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Le blog d'André Boyer

L'AFFAIRE PIERUCCI ET LA VENTE D'ALSTOM À GE

16 Juin 2019 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

FREDERIC PIERUCCI, LE CADRE PIÉGÉ

FREDERIC PIERUCCI, LE CADRE PIÉGÉ

 

En avril 2013, arrivant d’Asie Frédéric Pierucci, directeur monde de la division chaudière d’Alstom, est arrêté à la sortie de son avion à l’aéroport JFK de New York. 

 

Il se retrouve à Wyatt Detention Facility, passant des hôtels quatre étoiles à une prison de haute sécurité, avec les chaînes aux chevilles et aux poignets,  dans la promiscuité avec des barons de la drogue et les truands de la finance, avec des soins de santé défaillants, des avocats qui jouent contre lui du fait du lâchage de son entreprise et bien sûr, la séparation avec sa femme et ses quatre enfants, qui luttent depuis Singapour pour l’aider à sortir  de ce piège.  

J’ai déjà décrit une situation analogue au sujet de mon beau-frère, piégé d’une manière analogue par la « Justice » américaine en 2007-2008,  dans trois articles intitulés « Le gibier », « le convict » et « l’exfiltré » écrits en octobre 2013.

Il s’agit d’une tactique d’intimidation courante des autorités américaines vis-à-vis des individus, des entreprises et des États étrangers, aujourd’hui popularisée par le Président Donald Trump qui, chaque semaine, menace l’un ou l’autre de ses interlocuteurs jusqu’à ce que ce dernier accepte de consentir à passer des accords favorables aux États-Unis.  

Fréderic Pierucci raconte dans son livre, Le piège américain, que son premier interlocuteur, David Novick, procureur fédéral dans le Connecticut, lui propose de « faire des choses pour eux et contre Alstom et sa direction ». Le procureur reconnaissait que Frédéric Pierucci « n’était pas décisionnaire mais était au courant de tout ce qui se passait ». En d’autres termes, un lampiste, qui n’allait pas accepter de payer pour la direction d’Alstom, la vraie fautive. Car ce que voulait le Département de la Justice (DoJ) « c’était de poursuivre la direction générale d’Alstom et notamment son PDG, M. Kron ».

Appliquant les consignes d’Alstom, Pierucci refusa de coopérer dans le sens demandé par le Procureur, tout en étant convaincu qu’en retour, douce illusion, sa direction allait voler à son secours. 

Il décida donc de plaider non coupable et en réponse le procureur sortit le gros bâton. Théoriquement, Pierucci avait bien le droit de plaider non coupable, mais il risquait alors une peine de 125 ans de prison (pourquoi pas mille années?). Quelle était donc l’énorme faute que lui reprochait la justice américaine ? D’avoir été, dix ans auparavant, l’un des treize cadres d’Alstom qui avait donné leur aval, par leur signature au bas d’un document que détenait le DoJ, pour recruter un consultant, en clair un intermédiaire, afin de faciliter une vente d’Alstom en Indonésie, pour un montant de 118 millions de dollars. Or ce consultant avait versé des commissions à des élus indonésiens qui avaient ensuite témoigné devant le DoJ. Cela suffisait pour que l’on puisse accuser Pierucci aux États-Unis d’être l’un des responsables de ce délit commis par des Français aux dépens des Indonésiens, mais payé en dollars, ce qui suffisait pour que le DoJ, avec un cynisme confondant, procède à son arrestation, à peine le pied posé sur le sol américain. 

Au cours de ses différentes auditions, Pierucci comprit que son emprisonnement avait pour but de mettre la pression sur la direction afin qu’elle coopère. Il comprit progressivement qu’Alstom allait plaider coupable et qu’il lui fallait faire de même, ce qui lui permit, après 14 mois de prison et en pleine période de vente d’Alstom, d’être mis en liberté conditionnelle jusqu’à son jugement en 2017. Il fut alors remis en prison pour 12 mois de prison supplémentaires, histoire de montrer que sa condamnation n’avait rien à voir, bien sûr, avec l’achat d’Alstom par GE, qui avait eu lieu entretemps.  

Dans l’affaire Pierucci, tout se passe comme si les Américains avaient monté cette affaire pour faire peur au PDG d’Alstom et l’obliger à vendre l’entreprise à GE. Il existe d’ailleurs un indicateur décisif de la collusion entre le DoJ et GE : alors que les juges exigent normalement le paiement de l’amende dans les dix jours qui suivent la validation de l’accord entre le « criminel » repenti et le DoJ, dans le cas d’Alstom, les juges ont attendu onze mois pour exiger le paiement de l’amende, le temps que les autorités européennes eussent approuvé la vente. Il est fort probable que, si GE n'était pas parvenu à acheter Alstom, les juges auraient fortement accru l’amende et inculpé Patrick Kron. 

Kron avait donc un intérêt personnel à la transaction, puisqu’elle lui a permis d’éviter une inculpation aux États-Unis et de recevoir en outre 6,5 millions d’Euros de bonus pour ses services à la tête d’Alstom. 

Il me semble donc que l’on peut tirer deux leçons de l’achat d’Alstom par GE : 

- Les Etats-Unis, sans qu’il faille distinguer l’administration, la justice et les entreprises puisqu’elles agissent de concert, utilisent avec un mélange spécifique de cynisme et de bonne conscience tous les moyens à leur disposition, et ils sont nombreux et puissants, pour s’emparer des entreprises qu’ils convoitent. 

- La France, en revanche, défend ses intérêts avec faiblesse, légèreté et sans coordination.

 

Mais, si l’État français renonce à protéger ses acquis pour se placer à la remorque des intérêts américains, il ne nous reste plus qu’à nous demander où nous conduisent donc les Etats-Unis par le licol ?

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J
2013...Obama....<br /> Il semble donc évident que si la politique intérieure du Président Obama était différente de celle de Trump, les méthodes utilisées sur le marché international, faites de pressions et de coups bas se ressemblent à s'y confondre.
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A
Absolument d'accord! Je découvre tardivement ton message! <br /> André
A
Absolument <br /> André