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Le blog d'André Boyer

Regard sur l'Équateur

24 Août 2012 Publié dans #ACTUALITÉ

En accordant l’asile politique au fondateur de Wikileaks, le président équatorien Rafael Correa, au travers de la Grande-Bretagne et de la Suède, défie les États-Unis, ce que n’ose faire aucun pays européen.

 

equateur YasuniEn dehors des spécialistes et des alpinistes, qui, en Europe, connaît l’Equateur, ce pays de 284.000 km2 peuplé de 14 millions d’habitants, traversé par l’Amazonie et la Cordillère des Andes ? C’est pourtant cet étrange pays qui vient d’accorder l’asile politique à Julian Assange, réfugié depuis deux mois dans son ambassade londonienne. Le Royaume-Uni a en effet décidé d’extrader le fondateur de Wikileaks en Suède où il est accusé de viol. Mais d’aucuns redoutent que la Suède ne l’extrade ensuite vers les Etats-Unis où il pourrait être emprisonné à vie, sinon executé, en raison de la diffusion par Wikileaks de quelque 250.000 télégrammes diplomatiques américains.

Pourquoi l’Equateur, et en premier lieu son président Rafael Correa, s’implique-t-il à ce point dans ce dossier? À priori, Julian Assange n’a pas grand-chose à voir avec Rafael Correa, le président équatorien, un économiste âgé de 49 ans qui a fait ses études supérieures en Belgique et aux Etats-Unis. Entré en politique en 2005, lors de la destitution de l’ancien président Lucio Gutierrez, il devient brièvement ministre de l’Economie avant de se présenter à l’élection présidentielle sous la bannière du parti de la coalition de gauche «Alianza Pais». Il remporte les élections en novembre 2006 face au milliardaire Alvaro Noboa, un magnat de la banane.

Élu sur un programme revendiquant un «socialisme du XXIe siècle» proche de celui d’Hugo Chavez au Venezuela, il fait voter une nouvelle constitution renforçant les pouvoirs présidentiels et le contrôle du pays sur les secteurs des hydrocarbures, des mines, des télécoms et de l’eau. Le nouveau texte reconnaît aussi les droits des indigènes qui représentent le quart de la population. Sur sa lancée la même année, il déclare l’Equateur en défaut de paiement, renégocie la dette du pays et obtient une décote de 65% de sa valeur. Comme quoi le défaut de paiement et le non-paiement des dettes ne sont pas des pratiques exceptionnelles, contrairement à ce que l’on essaie de faire croire au pauvre peuple grec.

Rafael Correa est réélu en 2009 aux termes d’une élection présidentielle anticipée. Il adhère alors à l’Alliance Bolivarienne des Peuples d’Amériques (ALBA) créée en 2004 par le Venezuela et Cuba, rassemblant aussi la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, Antigua-et-Barbuda, St Vincent et les Grenadiness. L’ALBA a pour vocation d’affirmer la souveraineté des petits pays face aux grandes puissances et d’organiser une coopération commerciale grâce à une Banque commune et une monnaie virtuelle, le SUCRE. Au sein de l’ALBA et dans les échanges internationaux, la force de l’Equateur réside dans ses exportations de pétrole: la production de 500.000 barils par jour représente près de la moitié des exportations du pays, 40% de ses recettes budgétaires et 15% de son PIB. Au total, la croissance de l’économie équatorienne reste forte, avec +8% en 2011.

Sur ces bases économiques, Rafael Correa a un projet politique symbolisé par sa proposition de sanctuariser le parc national de Yasuni (en vert foncé sur le coté droit de la carte ci-dessus), une zone de 10000 km2 abritant une biodiversité exceptionnelle, des populations indiennes, mais aussi quelque 20% des réserves de brut du pays. L’idée est de ne pas exploiter ce pétrole, en échange d’une rente annuelle de 350 millions de dollars versée aux habitants du parc.

Dans le même esprit, 30.000 plaignants indiens équatoriens constitués  en «class action» (voir le livre «Un brin d’herbe contre le goudron»), ont remporté début 2012 une victoire historique contre Chevron. En effet, au terme de 18 ans de procédures, la compagnie américaine a été condamnée en appel par un tribunal équatorien à une amende de 18 milliards de dollars. Les faits incriminés portent sur la période 1964-1992, durant laquelle le pétrolier a lourdement pollué l’Amazonie équatorienne en déversant ses déchets dans des fosses à ciel ouvert, contaminant le sol et l’eau, dégradant faune et flore et générant au sein des populations amérindiennes des maladies graves. Aussi peut-on comprendre que les relations entre l’Equateur et les Etats-Unis ne soient pas bonnes, d’autant plus que Rafael Correa a refusé en 2009 le maintien d’une présence militaire américaine.

 

L’asile politique offert à Julian Assange est donc un geste de défi à l’égard des Américains et un moyen pour Rafael Correa d’apparaître comme un défenseur déterminé de la liberté d’expression face au géant américain, si prompt à s’ériger en défenseur des Droits de l’Homme chez les autres, mais prêt à poursuivre éternellement de sa vindicte un homme seul qui a osé réveler ses sales petits secrets…

Sources : Anne Denis, « Julian Assange. L’Equateur: petit pays, grandes ambitions », Slate, 18 août 2o12 et Maria Aguinda, avec la collaboration de Patrick Bèle,  «Un brin d’herbe contre le goudron», Editions Michel Lafon.

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