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Le blog d'André Boyer

Des vertus du mensonge

20 Avril 2014 Publié dans #PHILOSOPHIE

Le 6 avril dernier, dans un blog intitulé « Vive nos ennemis », je rappelais ce que Nietzsche percevait de positif dans le face à face avec la souffrance ou la méchanceté, comme dans la lutte contre sa propre faiblesse :  la nécessité pour l’homme de donner le meilleur de lui-même.

 

Chagall.jpgLa richesse d’une vie ne réside pas tant dans un bien-être sans accrocs que dans la manière dont nous faisons face aux tragédies. C’est pourquoi nous devons agir, tout en ne réfutant pas une démarche pessimiste face à la vie, un pessimisme bien défini par Schopenhauer, lorsqu’il décrit la cruauté aveugle et absurde de l’existence.

Faut-il en tirer pour autant des conséquences mortifères ? En somme, n’est-il pas envisageable d’être heureux, tout en étant pessimiste ?

Après tout, même lorsque la vérité est déprimante, voire désespérante, elle n’est pas tout, car elle n’obère pas une capacité plus fondamentale de l’homme que celle de la connaissance, que constitue sa capacité d’inventer,

sa capacité de créer,

sa capacité de fabuler,

et finalement sa capacité de mentir, de se mentir.   

Car il faut bien observer le mensonge sous deux angles opposés.

D’un côté, il traduit notre incapacité à regarder la réalité en face afin de répondre à notre désir de nous dérober à nos responsabilités. De ce point de vue, Nietzsche a particulièrement bien observé le rôle du mensonge qui sert à se consoler de l’inaptitude à affronter les souffrances inévitables de l’existence :

« Quelle quantité de vérité peut supporter, voire oser un esprit ? Tel a été pour moi, de plus en plus, le véritable critère de la valeur. Tout pas en avant dans la connaissance résulte du courage, de la dureté envers soi » (Nietzsche, Ecce Homo, préface, 3)

Quelle quantité de vérité peut en effet supporter notre esprit ?

Car chercher la vérité implique d’être impitoyable face à ses propres souhaits, à ses besoins de certitudes et de consolations. C’est alors que l’erreur, toujours plus ou moins acceptée, voire volontaire, relève d’une forme de fuite devant l’insupportable.

Aussi peut-on en conclure que le mensonge est nécessaire à la vie. Toutes nos croyances, toutes nos connaissances, tous nos systèmes de représentation sont, en bonne partie, des mensonges.

Nous sommes bien obligés de plier la réalité à nos exigences.

Nous sommes bien obligés de simplifier la complexité des messages que nous recevons. Nous ne recevons que les messages que nous sommes capables de traiter et nous rejetons tous les autres. Sinon, comment vivre, au milieu de l’inacceptable, de l’incompréhensible ? 

De tous les mensonges que l’homme est capable de produire pour survivre, l’art est sans doute la technique la plus élaborée. L’art nous offre en effet une représentation du monde qui le rend plus intense, plus beau, plus « vrai » que le réel.

C’est en s’opposant à l’humanisme qui veut nous convaincre que la connaissance ouvre la porte au bonheur et à la liberté que Nietzsche peut expliquer de manière convaincante le rôle de l’art pour l’humanité.

Puisque « la vérité est laide » (Nietzsche, Fragment posthume de 1888, 16 (40)), l’art est  le meilleur outil dont dispose l’homme pour maquiller la laideur du monde, afin de faire du beau avec du laid.

 

C’est l’immense vertu de l’art : nous permettre d’échapper à la laideur du monde.

Pouvons nous aussi échapper au tragique de l’existence ?

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