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Le blog d'André Boyer

MA GRAND-MÈRE ET MOI

24 Mars 2019 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

MA GRAND-MÈRE DANS SA QUARANTAINE

MA GRAND-MÈRE DANS SA QUARANTAINE

 

Je tiens à écrire ce billet, l’un des plus personnels que j’ai jamais publié, parce que, si vous cherchez sur Internet, vous ne trouverez jamais mentionnée l’existence de ma grand mère et c’est injuste. 

 

Voici pourquoi. 

Je n'ai jamais connu ma grand-mère paternelle, mais ma grand-mère maternelle est née le 29 avril 1889 à Umbertide (Ombrie) en Italie. Elle s’appelait Rose Zucchini (courgette en français) avant de se marier à l’âge de 24 ans avec Antoine Passeron, dont elle a eu deux enfants, mon oncle Louis et ma mère Odette. 

Elle était issue d’une famille pauvre. Son père, Dominique, un régisseur d’un grand domaine situé prés de Citta di Castello (Ombrie) et sa mère Caroline voulaient émigrer aux Etats-Unis, mais faute d’argent pour payer le voyage transatlantique, ils durent se rabattre sur la France. Ils s’établirent à Nice vers la fin du dix neuvième siècle, où il leur fallut, pour subsister, trouver du travail pour eux et leurs neufs enfants vivants. 

Dans ces conditions, Rose ne fit pas beaucoup d’études, sauf celles de couturière, études rapidement rentables. Mais elle savait lire et écrire, je ne sais pas depuis quand. Tout de suite, elle montra du caractère et du professionnalisme, ce qui lui valut de devenir rapidement couturière en chef. Elle rencontra à cette époque son futur mari, Antoine, qui devait sans doute être garçon boucher. Il s’était à peine écoulé un an et deux jours depuis leur mariage que la guerre de 1914 éclatait. Une période terrible, dont ma grand-mère ne parlait pas, mais mon oncle naquit en 1915 (ma mère en 1921) et mon grand-père revint miraculeusement de la guerre, sans doute en parvenant à éviter les pires endroits. 

Ils se mirent au travail. Mon grand-père s’associa avec la famille Massa et créa le marché de Magnan à Nice où il s’attribua quatre cabines. La boucherie marchant bien, mes grands parents construisirent une villa et huit appartements de rapport.

Ils s’embourgeoisèrent, ce qui se traduisait, entre autres, par des cours de piano pour ma mère, une moto pour mon oncle, l’achat d’une belle voiture pour la famille ou des vacances d’été à la montagne. Il est certain que ma grand-mère menait d’une main de fer la famille qui comprenait, à la maison, outre son mari et ses deux enfants, les grands-parents et des cousins moins fortunés …

Puis à nouveau vint la guerre. Ma mère se maria avec mon père, mon grand-père fit du vélo, trop de vélo et il finit par faire une crise cardiaque qui l’emporta en 1945. Ma grand-mère se retrouva veuve à 56 ans et elle allait le rester pendant 25 ans. Il lui fallait gérer les affaires qu'avaient laissé son mari, ce qu’elle fit avec beaucoup d’autorité tout en aidant ses deux enfants, qui en avaient besoin. 

Elle aida tellement ses enfants qu’elle m’accueillit chez elle, moi, l’un de ses cinq petits enfants, avec Jean-Marc, Christiane, Bernard et Mireille, lorsque j’entrais en sixième au Lycée Felix-Faure (aujourd’hui Masséna). Mes parents avaient en effet décidé que je devais faire mes études à Nice où le niveau de formation leur paraissait supérieur à celui du collège de Puget-Théniers. 

Donc, à moins de onze ans, j’étais éjecté du douillet cocon familial pour aller en pension chez ma grand-mère. Pas si facile. Il fallait que je m’habitue aux contraintes de la ville après la liberté vécue au village, il fallait que je m’insère dans le lycée, un monde plus rude que l’école rurale. Je rencontrais des inconnus au lieu de mes copains. Je subissais l’horrible cantine du lycée au lieu des bons repas familiaux et le soir, je me retrouvais en tête à tête avec ma grand-mère au lieu de partager la vie de notre famille à Puget-Théniers. 

Je découvrais, non plus en visiteur occasionnel mais en pensionnaire, une dame qui n’était pas vraiment drôle, parce que sévère et pleine de principes. Car, à onze ans, je n’étais pas encore en mesure de comprendre la chance que j’avais de partager ma vie avec une personne d’une telle qualité.  

En plus, la maison était trop grande pour nous deux. Cela se sentait en particulier l’hiver, car ma grand-mère cloisonnait notre espace de vie avec des rideaux épais pour garder la chaleur et ne chauffait vraiment cet espace que deux ou trois heures par jour, le soir. Elle faisait des économies de mazout. Car elle était économe, mais pas avare. Elle disait toujours qu'elle n'était pas assez riche pour acheter des produits de mauvaise qualité. 

Je me couchais à peu prés au chaud dans une chambre contiguë à la sienne, tandis qu’elle relisait sans se lasser ses trois livres préférés, Le mie prigioni, Michel Strogoff et L’Ami Fritz. En hiver, le lendemain matin, c’était dur, car il faisait 10 ou 12 degrés dans la maison : sortir du lit et aller se laver dans une salle de bains glacée demandaient un  certain effort de volonté.   

Pour être juste, la maison avait des bons côtés, on pouvait se cacher dans plein d’endroits et il y avait un jardin où je jouais aux soldats, où je martyrisais une vieille tortue qui se vengeait en me mordillant les pieds et où j'observais les poissons rouges dans un bassin. 

Le temps passa et je m’habituais à Nice et à ma grand-mère. Mes parents, mon frère et ma sœur, mes copains, tous s’éloignèrent, car je ne les voyais plus que de temps en temps, un week-end sur deux et pendant les vacances scolaires. Et à Nice, je ne manquais de rien. Je commençais à me sentir chez moi dans sa maison, d’autant plus que ma grand-mère me chouchoutait. Une légende familiale raconte même qu’elle me laçait les chaussures pendant que je prenais le petit déjeuner, mais la vérité est que cela n’est arrivé qu’une seule fois, parce que j’étais en retard pour le lycée. De plus, elle était une excellente cuisinière. Je me souviens du jour où mon cousin Jean-Marc et moi avons ingurgité des casseroles entières d’excellents raviolis, au fur et à mesure où elle les faisait...  

Et puis, au bout de deux ans, mon frère vint nous rejoindre, ce qui créait plus de vie. Plus tard, ma sœur s’y ajouta, mais j'étais parti pour deux ans et elle resta peu.

En grandissant, je devins petit à petit complice avec ma grand-mère. Je n’avais pas encore réalisé l’être exceptionnel qu’elle était, après tout, pour moi, elle n’était que ma grand-mère, mais je découvrais lentement sa rigueur, son intelligence et sa capacité à analyser les situations sans aucun préjugé. Je me rappelle qu’un jour je fus  stupéfait de la voir agir avec une telle audace que, si je ne l’avais pas vue devant moi, j’aurais cru qu’elle avait 20 ans, pas 70.  Deux anecdotes pour l’illustrer. Quand j’eus 14 ans, ma grand-mère, au reste fort prude, m’amena au cinéma voir Et Dieu créa la femme, pour me déniaiser sans doute. Et à 70 ans, elle décida d’acheter une voiture et me demanda de lui apprendre à conduire, ce que je faisais régulièrement en fin de semaine. D’elle, j’ai appris à analyser les situations avec le minimum d’à priori, l’esprit libre de toutes les idées reçues. Libre.  

Vue de l’extérieur, ma grand-mère, quoique très respectée, n’était pas forcément populaire parce qu’elle se montrait dure en affaires, stricte et peu indulgente. Il est vrai qu’elle n’aimait ni les benêts, ni les paniers percés, mais foncièrement elle était généreuse et juste. Et puis le «couple» que nous formions désormais était regardé avec suspicion. 

Il est vrai que j’aimais désormais son caractère, qui m’avait d’abord rebuté. Je cherchais à m’inspirer d’elle, j’admirais sa capacité à s’attaquer en priorité aux questions les plus difficiles, sans hésiter et sans faiblir. À la fin, il nous est arrivé de décider ensemble, ma grand-mère et moi, sur des questions qui, à vrai dire, dépassaient mon entendement, et cela n’a pas toujours été à bon escient. Elle me faisait confiance, ce qui me permettait à mon tour de prendre confiance et d’apprendre de mes erreurs. La confiance, c'est elle qui me l'a donné.

Vint le Bac. Il me fallut quitter ce qui était désormais ma maison pour une chambre chez une logeuse à Lyon, afin de faire Maths Sup, puis Maths Spé. Deux ans après cette étape difficile, j’étais de retour pour un an chez elle, dans une autre chambre mieux adaptée à un jeune de 20 ans. C’est alors qu’elle m’acheta une armoire que j’ai toujours et un beau bureau en teck sur lequel j’écris ce billet : ma grand-mère est toujours là, sous mes doigts… 

Puis je partis deux ans à la Cité Universitaire Montebello avant de revenir encore chez ma grand-mère pour un an, jusqu’à ce que je me marie. Il me fallut alors la quitter, et cette fois-ci définitivement. Quoique pas tout à fait, car elle nous prêta un appartement, ma femme et moi, jusqu’à ce nous nous installâmes pour deux ans au Maroc. 

Et alors que nous étions en voyage, le 6 septembre 1970, j‘appris qu’elle avait été renversée par une voiture en sortant de celle de mon oncle qui l’avait amenée manger une glace à Cagnes sur Mer.

Après deux jours de coma, elle décéda le 8 septembre 1970. Elle était en pleine forme. Elle montait en courant les trois étages de sa maison. Elle aurait pu vivre un siècle! Bêtement, je m’en voulais comme si j’avais déserté, la laissant, celle qui était devenue ma petite grand-mère, toute seule en butte à des forces hostiles…

Avec sa disparition, un pan entier de ma vie s’achevait. Tout se passait comme si ma grand-mère avait décidé de me laisser me débrouiller avec ma vie d’adulte, alors que je venais de partager avec elle neuf ans de vie qui allaient forger mon existence. Car, vous l'avez compris, c’est à bien des égards ma grand-mère qui m’a élevée, j'ai fais miens la plupart de ses principes et je suis fier qu’il en soit ainsi. Mission remplie? 

 

Enfin, vous l’avez compris aussi, je l’aimais, ma grand-mère. Il était plus que temps que je l’écrive… 

 

PS : je dois la photo qui illustre ce billet et l’exactitude  des dates de la biographie de ma grand-mère à l’immense gentillesse de ma cousine Annie-Jo, l’épouse de Jean-Marc. 

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N
quel délicieux billet ! Votre grand mère méritait bien cet hommage ! Ah l’importance des grands parents. J’ai eu aussi une grand-mère modèle , la mère de ma maman trop tôt partie. J’y pense tous les jours ... <br /> Bien amicalement <br /> Nathalie (lunettes !)
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A
C'était un billet très personnel, mais j'y tenais beaucoup, vraiment beaucoup, à rendre hommage à ma grand-mère et beaucoup d'entre nous ont eu de délicieuses grand-mères. La mienne avait ceci de particulier qu'elle a joué plus le rôle de mère que de grand-mère! <br /> Amitiés, <br /> André
M
merci bien pour ta memoire qui nous montre comme on vivait à l'époque
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A
Merci Mario<br /> Amitiés, <br /> André
M
Une histoire de famille qui nous montre comme on vivait à quelle époque. Merci André
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M
J'ai beaucoup aimé ce témoignage émouvant qui m'a permis aussi de te connaître et t'apprécier un peu plus encore.<br /> Amitiés<br /> Albert
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A
Merci Albert. <br /> Amitiés, <br /> André
A
Cher André,<br /> Magnifique hommage à ta grand-mère... La mienne aussi a tenu une grande place dans ma vie,... C est important de ne jamais oublier combien certaines personnes chères ont compté et ont grandement contribué à ce que nous sommes aujourd'hui,<br /> Bises<br /> A prestu <br /> Therese
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A
Merci Thérèse. <br /> je constate que nous partageons des expériences analogues. Pour ma part, je tenais depuis longtemps à écrire ce billet et j'avais l'impression d'une trahison de ne l'avoir pas encore fait. <br /> Bises<br /> André
S
Bravo André d'avoir réussi à rendre hommage à ta grand mère ! j'avais l'impression de lire Pagnol (le Chateau de ma mère)...un scénario de film peut-être ? sa photo nous permet de voir qu'il y a bel et bien un "air de famille"...<br /> A bientôt.
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A
Merci Marie-Christine. <br /> je me suis un peu déboutonné! <br /> À mardi <br /> Amitiés, <br /> André