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Le blog d'André Boyer

VIE RÊVÉE À KINGSTON

9 Décembre 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

Un coin de Queen's university

Un coin de Queen's university

L’été 1987, je ne restais pas longtemps à Nice. Presque aussitôt après mon deuxième retour de Chine, je partais à Kingston (Canada) pour un bon mois.

 

En été, le Canada est une merveille, si l’on parvient à échapper aux moustiques. Kingston est un bijou. Une petite ville de moins de cent mille habitants au bord du Lac Ontario, non loin des Mille Isles sur lesquelles les Américains ont construit d’adorables petites maisons d’été colorées, devant lesquelles stationnent yachts et barques.

Fort Frontenac renommée Kingston après la conquête, est restée fidèle à sa vocation martiale avec, entre autres, le Collège Militaire du Canada. Mais la ville abrite aussi une université bien connue, Queen’s University, qui était à son ouverture, en 1841, un collège presbytérien écossais. Il lui en reste quelque chose, en particulier dans l’architecture. Le campus principal de Queen’s s’étend sur une centaine d’hectares et jouxte le centre historique de Kingston, les deux n’étant séparés que par le City Park qui s’étend du Palais de Justice jusqu’aux rives du Lac Ontario.

Kingston, c’est ma ville au Canada, ma ville rêvée, mais aussi ma ville vécue de Princess Street à Queen’s University dans un carré déterminé par Clergy Street au nord et le lac au sud. Kristian Palda m’y a reçu plusieurs années de suite comme Professeur chargé du « Summer Doctoral Seminar in Marketing » et j’y ai amené une fois femme et enfants.

Au cours des séjours à Kingston où j’étais seul, comme en 1987, J’ai passé dix heures par jour dans la bibliothèque, utilisé toutes les cafeterias du campus, joué au tennis sur d’improbables terrains en ciment installés sur des toits, couru sur ses pistes, sillonné la ville de mes pas à toute heure.

Mais j’avais aussi un cérémonial quotidien. J’étais logé dans une maison en bois sur Brock Street. Je me levais assez tôt le matin, je me rendais à pied dans ses rues parcourues par les écureuils qui grimpaient prestement devant moi dans des allées bordées d’arbres qui cachaient le ciel. Je vous assure que c’était un plaisir de marcher matinalement dans ces rues paisibles.

En quelques minutes, je me retrouvais sur la place, au cœur du centre historique tout prés de l’hôtel de ville, chez Morrison’s, un bar pour les ouvriers où étaient servis de solides petits déjeuners avec œufs (two sunny side eggs), bacon cassant, frites huileuses, jus d’orange à base de concentré que j’enfilais en lisant soit The Globe and Mail (journal de gauche), soit le National Post (journal de droite) selon mon humeur et l’actualité. Personne à Kingston ne parlait en français et les grands journaux québécois y étaient inconnus.

Après avoir réglé une somme ridicule (3$ peut-être) pour mon énorme et peu digeste petit déjeuner, je me rendais à la bibliothèque de Queen’s, toujours en marchant dans un cadre bucolique, fait de parcs et de rues pimpantes encadrées de maisons en bois colorées, un cadre que l’on retrouve dans les vieux films américains à l’eau de rose.

Je travaillais longuement à la bibliothèque, souvent pour des articles en préparation avec Kristian, entrecoupant mes recherches par des cafés longs et sans saveur et par des repas guère plus goûteux sur le campus, observateur anonyme au milieu de la foule bruyante des étudiants et des enseignants. À ce programme, il y avait toutes sortes de variantes, des séminaires de recherche, des visites à des professeurs, des livres à acheter, des courses à effectuer, quelques découvertes à faire.

Au milieu de ces variantes, subsistait l’invariant des rendez-vous avec Kristian et sa femme Isabelle dans leur jolie maison en pierre de William Street, toute proche, ou couraient aussi les écureuils au grand dam du chat de la famille. La culture encyclopédique de Kristian, autant en histoire qu’en économie et ses idées bien affirmées dans de nombreux domaines suscitaient d’immenses discussions et des prêts d’ouvrages inattendus que je ramenais précieusement chez moi, finissant parfois par les acheter dans la belle librairie Indigo à plusieurs étages, avec café et fauteuils en cuir de Princess Street, aujourd’hui déportée à l’extérieur de la ville.

Ce n’est plus une curiosité aujourd’hui, mais cela l’était à l’époque pour moi en 1987, je terminais la journée en me rendant dans le supermarché tout proche « Metro » ouvert toute la nuit et dinait ensuite dans l’appartement de Brock Street où même la douche était en bois.

Un décor de rêve, une université idyllique, un climat parfait, un confort sans failles, une réflexion théorique de haute volée, des débats intellectuels intenses, des amis délicieux, lorsque les Palda m’accompagnaient, toujours très en avance, à la gare de Kingston à dix miles au nord, pour prendre à la volée le train Toronto Montréal avant de reprendre l’avion vers Paris et Nice, ce n’était pas sans un pincement au cœur que je les voyais s’éloigner dans leur Volvo break.

Cette parenthèse idyllique qu’étaient ces séjours de professeur visitant auprès de l’attachante famille Palda, composée de Kristian, Isabelle, Filip et Valérie, symbolisait tout ce que j’aimais dans la vie universitaire, une ville à l’exacte taille humaine, une belle université avec une maison de rêve à quelques centaines de mètres, tous les moyens d’échanger et de progresser, un salaire confortable, des collègues qui respectaient ce rarissime professeur qu’était Kristian.  

Bien sûr, je ne voyais que le meilleur, il y avait des failles et des complications dans ce que j’imaginais parfait. Kingston pouvait bien se transformer en enfer de glace l’hiver, la vie universitaire se gripper, les collègues devenir envieux et les étudiants se rebeller, la vie pouvait même devenir fort cruelle, au delà de l’attendu et elle ne s’est pas privée de l’être.  

Tout ce que j’ai vécu pendant ces quelques étés est par la suite littéralement parti en vrille. La vie rêvée des Palda, s’ils l’ont jamais vécu, a disparu. Pourtant ces intermèdes heureux, dans la vie des Palda et dans la mienne, ont bien existé, ils ont nourri mes fidélités et mes rêves et ils m’ont poussé en avant.

 

Je n’ai pas oublié les ingrédients de cette vie rêvée, ils vibrent toujours au fond de mon cœur et ils nous rendent inséparables, les Palda, Kingston, Queen’s et moi. Le plus beau est qu’au moment où je vivais réellement ces temps d’enchantement, je savais que le rêve était en train d’effleurer ma vie réelle. Je le savais.

 

À SUIVRE

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J
Cher André, Quel plaisir de te lire, merci de nous faire voyager, tu nous donnes vraiment envie de découvrir ce petit paradis canadien !<br /> Ma prochaine destination dés que ce virus sera éradiqué, ce sera le Canada, j'ai tellement hâte de pouvoir réaliser un de mes rêves, pouvoir admirer les chutes du Niagara qui sont toutes proches de Toronto et de ta petite ville d'affection. J'attends avec impatience de lire, la suite de tes péripéties canadiennes. Bonne continuation. Christiane
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