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Le blog d'André Boyer

LE VIEILLARD SOUS LE PORCHE

21 Septembre 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

LE VIEILLARD SOUS LE PORCHE

Il était temps de quitter Pékin. Nous approchions de la fin juin, la chaleur montait et, de toutes façons, j’avais décidé que j’avais compris ce que je voulais comprendre de la Chine.

 

Bref, deux mois à Pékin c’était beaucoup pour quelqu’un comme moi qui n’avait aucune intention de s’immerger dans la société chinoise. D’ailleurs, les rapports avec mes étudiants étaient restés distants et j’avais fait le tour de la routine des repas à la chinoise, des déplacements en vélo et des efforts de socialisation avec les quelques expatriés que nous rencontrions, français de l’Ambassade plus que des affaires, anglais qui organisaient des joggings hebdomadaires dans Pékin ou italiens affables.

Je quittais Pékin fin juin 1985, avec tout de même un pincement au cœur lorsque je revoyais le petit groupe que nous avions formé à l’École et lorsque je pensais que le décor de ma vie pékinoise allait m’abandonner pour toujours, celui de l’école comme celui de la chambre du Friendship Hotel, sans compter qu’il fallait renoncer à mon vélo Flying Pigeon grâce auquel j’avais pu observer les Chinois de près.

Je me suis embarqué pour Hong Kong, où j’avais prévu une escale de 24 heures avant de prendre l’avion pour Paris et Nice, le Hong-Kong de 1985, où tout a changé depuis : l’atterrissage au ras des toitures, mais depuis l’aéroport a été déplacé. Le désordre, la vie, la liberté d’une ville qui était possession britannique pour douze ans encore.

On y voyait alors des policiers habillés à la britannique. Dans une ville bien plus moderne alors que Pékin, toute chargée de gratte-ciels, on y voyait aussi des tramways verts un peu vermoulus que j’ai utilisés pour passer de Kowloon vers l’ile de Hong Kong.

Je suis descendu du tramway au hasard, et aussitôt, face à moi, dans le renforcement d’une porte, j’ai vu, à deux mètres de moi, un vieux chinois décharné, qui selon tous les signaux que je recevais de lui, était sur le point de mourir, apparemment dans l’indifférence générale.

J’ai décidé qu’il pouvait mourir dans ma propre indifférence aussi. En effet, à l’instant, j’ai pensé, spontanément, sans contrôler ma pensée, sans surmoi, qu’il allait mourir, mais moi non, et que tout était très bien comme ça, dans l’ordre naturel des choses.  

Et puis mon surmoi est revenu me hanter. Comment pouvais je penser comme cela, d’une manière aussi froide, aussi détachée, aussi dure ? J’ai tout de suite trouvé une explication, et en même temps, l’homme étant ainsi fait, je me suis trouvé une excuse : on pourrait disserter longtemps sur les explications-excuses…

J’avais vécu deux mois en immersion dans la société chinoise. Il n’y avait pas de société où le « struggle for life », la lutte pour la vie, le chacun pour soi n’était plus prégnant que dans cette société, une société qui m’avait imprégné. Voilà l’explication de ma cruauté, j’étais tout simplement contaminé par la société chinoise.

Du coup, j’étais rassuré, mon ego était préservé.

En même temps, la comparaison avec l’Afrique, où je résidais encore un an et demi auparavant, m’est venue à l’esprit. Ce n’était pas en Afrique que j’aurais eu cette réaction de rejet. Je me suis souvenu avec émotion des lépreux qui s’introduisaient dans ma 104 pour la nettoyer, avec des chiffons plus noirs que gris, tandis que je prenais un café au Laetitia, en face de la cathédrale, à Dakar.

Les lépreux faisaient partis de la vie sénégalaise. On leur donnait un peu d’argent, on les acceptait, même si on ne les aidait pas vraiment. Les malades, les perdants faisaient partie intégrante de la société sénégalaise, c’était une société inclusive. Mais pas la société chinoise où on éjectait sans ménagement les vaincus, inutiles, nuisibles. Un mourant, c’était fait pour mourir, c’était trop tard pour socialiser avec.

 

Voilà ce que je me suis dit, en m’éloignant piteusement du porche où agonisait un vieillard dans cette rue de Hong Kong. J’avais eu un choc, mais,Dieu merci j’avais pu me rassurer sur ma santé mentale en me défoulant sur la société chinoise.

Il était vraiment temps que je rentre chez moi, en France.

À SUIVRE

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