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Le blog d'André Boyer

histoire

L'affaire Battisti/Bruni

23 Janvier 2009 Publié dans #HISTOIRE

Très récemment, nous avons appris que le gouvernement brésilien avait accordé l’asile politique à Cesare Battisti. Les médias français ont mentionné l’affaire brièvement, mais l’opinion, la presse et la classe politique italienne se sont enflammées. L’affaire Battisti menace de devenir un incident diplomatique entre l’Italie, le Brésil et la France. Carla Bruni risque d’être poursuivie par les tribunaux italiens pour avoir œuvré afin de soustraire un condamné à la justice italienne.

Que s’est-il passé et surtout pourquoi un tel acharnement à soutenir Cesare Battisti de la part des cercles les plus élevés de la nomenklatura française ?

Rappelons nous les faits qui fondent cette affaire. Cesare Battisti, un ancien dirigeant du Mouvement des Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC),   a été condamné pour quatre meurtres. Il a été jugé et condamné en mars 1993 à la réclusion à perpétuité par contumace lors de trois procès par la Cour d’Assise de Milan. L’absence de l’accusé au procès ne l’a cependant pas empêché, selon la loi italienne, d’être défendu par des avocats qui ont deux fois interjeté appel. Les Cours d’Appel ont confirmé les jugements rendus en première instance. Avant que ne commencent ses assassinats, Cesare Battisti avait déjà purgé une peine de prison pour des délits de droit commun. Caché à Paris, il est devenu gardien d’immeuble et surtout auteur de romans policiers, ce qui l’a introduit auprès de Fred Vargas, l’écrivaine bien connue de romans policiers.

C’est alors que François Mitterrand, pour se donner l’image d’un homme de gauche et de cœur, décide un jour de protéger les terroristes italiens réfugiés en France. Le 20 avril 1985 au congrès de la Ligue des Droits de l’Homme, il fait la déclaration suivante : « Prenons le cas des Italiens : sur quelque trois cents qui ont participé à des actions terroristes avant 1981, plus d’une centaine sont venus en France, ont rompu avec la machine infernale, le proclament et ont abordé une deuxième phase de leur vie. J’ai dit au gouvernement italien que ces Italiens étaient à l’abri de toute sanction par voie d’extradition… » .

On notera l’extraordinaire mépris de la loi professée par l’ex-avocat Mitterrand, alors Président de la République Française : « j’ai dit ». Ce « j’ai dit » suffira pour protéger Cesare Battisti : il avait été adoubé par le Président de la République, il faisait désormais partie de l’oligarchie, sa personne était sacrée. L’avocat Jean-Pierre Mignard, conseil de Mitterrand pour les réfugiés italiens, affirmera : « il s’agit d’une politique de l’État, qui a engagé la République, plusieurs ministres, les services de la justice, de la police, sous les gouvernements Mauroy, Fabius, Chirac, Rocard, Cresson, Bérégovoy, Balladur, Juppé, Jospin. Soit deux présidents de la République, trois septennats et neuf Premiers ministres. » Alors, peu importe la loi, pensez donc !

Entre-temps, l’Italie a demandé l’extradition de Battisti dés 1991. Les arguties juridiques commencent en France, toutes en faveur de Cesare Battisti. La Chambre d’accusation française refuse l’extradition au motif qu’elle est fondée sur des mandats d’arrêt et non sur une condamnation définitive. Cette dernière arrive finalement et le Garde des Sceaux demande au Parquet Général de Paris l’arrestation de Battisti, qu’il n’obtient pas. En février 2004, Battisti est finalement arrêté, puis remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le 30 juin 2004, il comparait libre devant la Cour d’Appel de Paris qui ordonne son extradition. Battisti fait appel devant la Cour de Cassation, qui rejette son pourvoi. Du coup, il décide de se cacher jusqu’à ce qu’on le retrouve au Brésil où il est finalement arrêté, dans l’attente de son extradition. Entre-temps on n’avait pas consacré de gros efforts en France pour le retrouver.

Avec la recommandation de Nicolas Sarkozy, Fred Vargas s’adresse à Ignacio Lula da Silva Lula, le président du Brésil, puis comme cela ne suffit pas, Carla Bruni  intervient elle-même auprès du Chef de l'Etat brésilien. On imagine que l’affaire a été définitivement bouclée lors du voyage au Brésil du couple Sarkozy à la fin de l’année 2008 et le gouvernement brésilien, qui le détenait depuis mars 2007, a soudainement accordé « l’asile politique » à Cesare Battisti, comme si ce dernier était persécuté par une dictature !

La popularité de Carla Bruni  dans les cercles de l’oligarchie française en sort  heureusement renforcée. En outre, Elle a démontré aussi qu’elle était capable d’influencer son mari, assez pour qu’il accepte d’en subir les effets négatifs sur les relations avec l’Italie et d’en payer le prix auprès du Brésil, sans doute sous la forme de transferts technologiques.  Il faut convenir que cela vaut le coup, tant l’affaire Battisti suscite de passions au sein de nos élites. Alors il vaut mieux se fâcher avec l’Italie et céder au Brésil plutôt qu’être boudé par des gens que l’on fréquente quotidiennement.

Car ils sont furieusement entichés de ce terroriste romantique, nos oligarques ! Souvenons-nous : lorsque la Cour d’Appel de Paris demande l’extradition de Cesare Battisti, le 30 juin 2004, c’est un tollé général. Libération a raconté la scène : Jacques Bravo, le maire du XIe arrondissement est décomposé.  Fred Vargas est en larmes ; il faut dire qu’elle a écrit un livre pour défendre Battisti. Guy Bedos déclare que « le gouvernement vient de se déshonorer en faisant ce cadeau à Berlusconi ». Dominique Grange et Lola Lafon chantent, le poing levé. Un peu à l’écart, Philippe Sollers et Bernard Henry Levy s’indignent. Ils sortent du Théâtre de l’Oeuvre où les personnes citées s’étaient réunies avec, en autres, Danielle Mitterrand, les chanteurs Georges Moustaki et Lio et l’actrice Miou-Miou : tout un peuple indigné par la condamnation qui frappe l’un des leurs. Ils sont appuyés dès le lendemain par un communiqué des Verts qui «demandent solennellement au Premier Ministre de ne signer en aucun cas le décret permettant l’extradition de Cesare Battisti »

 C’est que l’un des membres coopté par l’oligarchie est en danger. L’Etat français et maintenant l’État brésilien, que l’on indemnisera au besoin, doivent voler à son secours. Dans une telle situation, l’État français n’a de compte à rendre à personne, ni à l’État italien, ni aux principes du droit. Nicolas Sarkozy s’inscrit dans cette tradition. Il a cru habile de se défausser sur le Brésil, la suite de l’histoire montrera si cette habileté fera long feu ou non.

Mais l’essentiel de cette histoire se situe dans l’obligation qu’il a, lui et son épouse, de rassurer l’oligarchie française. Il faut dire à ces gens qu’on les écoute même lorsqu’ils s’entichent pour un assassin. Il faut qu’ils sachent que, tant qu’ils font partie de l’élite et qu’ils ne trahissent pas le pouvoir en place, ils seront toujours protégés.

Après avoir écrit l’article ci-dessus, j’ai vérifié ma documentation et j’ai découvert l’article suivant de Cesare Martinetti, du Journal La Stampa, écrit dans le Monde du 16 janvier 2009, sous le titre « Cesare Battisti bientôt libre, l'Italie à nouveau offensée ». Je vous en livre quelques extraits, qui expriment bien ce que pensent la presse italienne :  « Après le président français Nicolas Sarkozy (qui, le 12 octobre, a refusé l'extradition de la brigadiste Marina Petrella), c'est au tour d'Ignacio Lula da Silva, président du Brésil, d'offenser l'Italie en refusant l'extradition d'un terroriste condamné à des sentences passées en jugement, à l'issue de procès réguliers tenus devant des jurys populaires et validés par la Cour de cassation. (…) Derrière l'opération Battisti, en effet, comment ne pas deviner la main de Sarkozy ? Depuis que le président s'est marié avec Carla Bruni, il n'est plus le même qu'avant. L'ex-mannequin italien, désormais première dame de France, a introduit à l'Elysée le virus de ce milieu intellectuel, bourgeois et gauchiste qui a accueilli, protégé et flatté les réfugiés italiens avec une fraternité inconnue aux quelques terroristes autochtones. (…) Quand, enfin, les juges ont accordé son extradition (été 2004), Battisti a été mis en condition de s'échapper. Quand, enfin, il a été arrêté au Brésil, Sarkozy a demandé à Lula de hâter la sale besogne (...) Cesare Battisti, un assassin condamné, peut recouvrer la liberté. La justice italienne est mortifiée. Les librairies du boulevard Saint-Germain se préparent à accueillir le nouveau roman du terroriste-écrivain. »

Monsieur Martinetti, vous oubliez qu’en France, la loi n’est contraignante que pour les faquins. Battisti, tout assassin qu’il est, a été adoubé par notre Président de la République: il peut dormir tranquille.



Libération du 1er juillet 2004, pages 4,6 et 7.

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Vous voulez faire partie de l'élite, pauvre hère?

22 Janvier 2009 Publié dans #HISTOIRE

Je signalais dans mon Blog de lundi 19 janvier, les trajectoires opposées des carrières politiques de Barak Obama et de Jacques Chirac. J’ai choisi l’exemple de ce dernier parce que son mode d’accès au pouvoir illustre jusqu’à la caricature la fermeture des élites françaises, par comparaison avec l’émergence d’un Barak Obama surgi des profondeurs de la société américaine. J’aborderai plus tard l’explication historique de la fermeture, et naturellement les possibilités d’évolution du système français de répartition des pouvoirs.

J’invoque la fermeture des élites. Imaginez un instant que vous, pauvre hère, vous donniez pour objectif d’entrer dans le cercle merveilleux des oligarques afin d’y vivre à votre aise, célèbre et célébré, sinon heureux. Il existe trois voies pour en approcher : le pouvoir politique central, la gloire, qu’elle soit artistique ou scientifique, ou l’argent. Mais, quelle que soit la nature de vos mérites, il vous sera indispensable de soutenir l’oligarchie par vos actes et par vos déclarations si vous voulez qu’elle ne vous élimine pas brutalement. Coluche l’a mesuré, Dieudonné le constate aujourd’hui. Pour être agréé, il est indispensable de ne pas scier la branche sur laquelle l’oligarchie est assise. N’attaquez pas le fonctionnement des institutions politiques. Ne vous offusquez pas du faible pouvoir du Parlement, de l’inutilité du Sénat, de l’omniprésence du Président, de la partialité du Conseil Constitutionnel. Trouvez les institutions de la République plutôt bonnes, même si vous pouvez toujours déclarer qu’elles sont perfectibles, bien sûr. C’est une remarque qui ne choquera personne.

En un mot, soyez Républicain.

Ne vous avisez pas de dénoncer les combines qui lient le pouvoir politique, le pouvoir économique, les medias et les célébrités. Emmanuelle Béart, Claude Bébéar sont de bonnes âmes. La speakerine Béatrice Schönberg a fait un mariage d’amour avec le Ministre Jean-Louis Borloo ; l’un et l’autre font leurs métiers respectifs en toute indépendance. Criez avec les loups, signez les pétitions, allez manifester pour les justes causes, celles qui consistent à dénoncer les injustices extérieures au système comme la faim dans le monde, les ségrégations, la lutte contre les maladies, l’intolérance. Alors vous aurez rempli quelques-unes des conditions nécessaires pour être accepté par l’oligarchie.

Ce n’est naturellement pas suffisant. Pour y pénétrer vraiment, il faudra en outre disposer d’amis d’école, habiter depuis longtemps dans les bons quartiers, avoir rendu des services et être en position d’en rendre de nouveaux. Au sein de l’oligarchie, chacun veille à ce qu’aucun trublion issu d’une lointaine province ou d’une quelconque entreprise ne vienne troubler le jeu. On sait comment les hommes politiques issus de la base comme Pierre Bérégovoy ou René Maunoury ont dû composer, limiter leurs ambitions et capituler face au noyau oligarchique central. Bernard Tapie a cru pouvoir y entrer en force ; sa manière d’agir n’a pas plu, et il s’en est trouvé exclu jusqu’au moment où il a accepté de se limiter au rôle d’amuseur public et où il a rencontré un ami puissant à la tête de l’Etat qui lui a permis de toucher le jackpot.

Une fois entré dans le cercle, il n’existe quasiment aucun risque d’en être ensuite éjecté. Certes, le combat entre les membres de l’oligarchie ne cesse pas pour autant. Il consiste à écarter les rivaux pour la fonction que l’on guigne. Pour les plus ambitieux, le pinacle peut être envisagé qui consiste à obtenir les postes de Ministre, de Premier Ministre voire de Président de la République. Les membres plus modestes du cénacle peuvent toutefois envisager des fonctions plus circonscrites, comme la présidence d’une organisation publique par exemple, qui ont tout de même le mérite de fournir des avantages substantiels et qui ne nécessitent pas de batailles trop farouches. Car si l’on veut s’approcher du cœur battant du pouvoir, la férocité est la règle et le combat occupe presque entièrement les esprits des oligarques qui s’y risquent.

Une oligarchie verrouillée à double tour, donc. Pour survivre, il lui faut se défendre collectivement, ce qui signifie qu’elle se doit de protéger ses membres lorsqu’ils sont attaqués. Et elle le fait avec une rare énergie même pour ses membres les plus indignes. En observant l’acharnement qu’elle y met, on peut mesurer la hauteur de la barrière qu’elle dresse entre elle et le peuple, un rempart qu’elle élève entre l’assassin défendu par « l’élite », l’escroc qui détourne des dizaines de millions d’Euros et n’est condamné qu’à une peine avec sursis, le haut fonctionnaire qui dilapide des milliards d’Euros et jouit tranquillement de la retraite, et ceux qui doivent acquitter tout de suite leurs contraventions pour excès de vitesse même si leur compte en banque est vide, qui perdent leur emploi parce qu’un imbécile a fait une erreur stratégique, ou à qui on inocule du sang contaminé pour faire des économies. Un mur infranchissable, vraiment.

J’en donnerai un exemple dans mon prochain blog, avec l'affaire BRUNI /BATTISTI avant d’en aborder les conséquences.

 


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Obama et Chirac, deux styles opposés d'accession au pouvoir

19 Janvier 2009 Publié dans #HISTOIRE

L’élection de Barack Obama suscite d’immenses espoirs, trop grands sans doute pour qu’ils ne soient pas déçus. Mais laissons l’espoir vivre encore un peu, un espoir qui provient de la nouveauté de cette élection, celle  d’un noir américain issu d’un milieu assez modeste, sans appui politique particulier et n’appartenant pas à « l’élite » américaine. Il est bien possible qu’un jour, la France ait un président de couleur ou issu de l’immigration, mais ce sera pour l’image, comme lorsque Nicolas Sarkozy est allé chercher le directeur d’Audencia, kabyle d’origine, pour en faire avec un succès mitigé, un préfet. C’était pour l’image. De même a t-il choisi Rachida Dati pour le symbole. Mais c’est lui qui l’a choisie, pas Rachida Dati qui s’est imposée à lui, encore que l’image commence, semble t-il, à échapper à son inventeur.

En France, on trouve déjà remarquable que Nicolas Sarkozy soit Président de la République alors qu’il n’est même pas Énarque. Mais il est tout de même issu du sérail. Il a fait ses classes auprès de Jacques Chirac tout jeune, à 22 ou 23 ans, et il a gravi depuis toutes les marches du pouvoir, sauf les toutes dernières, cornaqué par Chirac puis Balladur. Aussi serait-il extravagant qu’un outsider tel que Barack Obama devienne Président de la République Française sans avoir été au préalable adoubé par le haut personnel politique. Il faut en effet prendre conscience de la fermeture du système politique français. Lorsque l’on n’y est pas né, il n’est pas simple d’entrer dans cette oligarchie qui constitue une forme particulière de regroupement familial. La plupart du temps, on y accède à la naissance ou au plus tard à l’âge de vingt ans. Dans ce dernier cas, c’est l’accession aux grandes écoles qui ouvre la porte, à condition d’avoir aussi des relations dans l’oligarchie. Aujourd’hui, l’E.N.A. a pris la suite de l’Ecole Polytechnique, qui a glissé d’un corps d’ingénieurs à un corps de managers à dominante scientifique. L’E.N.A. sert de  paravent  à Sciences-Po Paris qui fournit comme par hasard l’essentiel de ses élèves, et dont on voit d’ailleurs le rôle éminent accordé par le pouvoir politique à son directeur, considéré comme une sorte de gourou.  C’est Sciences-Po Paris qui constitue le vivier des cadres du pouvoir politique français d’aujourd’hui et cette ambition ne serait pas outrecuidante si elle ne visait pas à éliminer toute concurrence. Essayez donc de devenir Directeur du Trésor sans être Enarque...

Pour illustrer par un exemple concret la fermeture du système politique français, il suffit d’observer l’ascension vers le pouvoir de l’un quelconque de nos présidents de la Ve République. J’ai choisi le cas de Jacques Chirac qui est encore frais dans nos mémoires sans être toutefois encore en place, ce qui nous évitera de tomber dans une actualité politique trop brûlante. Si vous croyez que Jacques Chirac est un enfant corrézien qui est monté à Paris, vous vous trompez du tout au tout. Il est issu d’une famille aisée qui habitait dans l’un des quartiers les plus huppés de Paris. Il a fait ses études aux Lycées Carnot et à Louis le Grand, l’un des lycées de l’élite parisienne où, dés l’adolescence, il a fait la connaissance de ses futurs condisciples de la haute société politique, administrative et économique. Il s’est inscrit  à l’IEP de Paris où il a retrouvé ses  condisciples du Lycée Louis le Grand, entre autres.

L’IEP de Paris constituait le marchepied idéal pour réussir l’ENA et pour y faire l’opportune rencontre d’une jeune fille dont la famille était très influente. Bernadette Chodron de Courcel, sa camarade de classe de l’Institut d’études politiques de Paris et sa future femme, est en effet l’une des nièces de l’aide de camp du Général De Gaulle pendant la guerre. Sortant de l’ENA à vingt-sept ans après son service militaire en Algerie, Jacques Chirac est nommé auditeur à la Cour des Comptes. Marcel Dassault prend alors en main la carrière politique du jeune Chirac qu’il connaît depuis l’enfance. En effet, les familles Bloch Dassault et Chirac étaient très amies depuis les années trente et le père de Jacques Chirac avait été le directeur général d’une des sociétés de Marcel Dassault. Il faut convenir que Marcel Dassault avait une bonne intuition politique puisqu’il avait confié en 1935 une partie de ses affaires à Edmond Giscard d’Estaing dont le  fils deviendra aussi Président de la République, comme par hasard. Pour le moment, Marcel Dassault s’engage à obtenir pour le fils Chirac un poste de secrétaire d’État à l’Aviation, comme par hasard aussi. L’opération n’aboutit pas, mais il obtient en compensation que Jacques Chirac soit nommé chargé de mission à l’aéronautique, aux transports, à la construction et à l’aménagement du territoire dans le cabinet du Premier ministre Pompidou, à l’age de trente ans. Beaucoup de jeunes gens de trente ans aimeraient qu’on leur confie seulement le centième des responsabilités que la République Française, confiante, octroya les yeux fermés au jeune énarque. 

Il ne lui restait plus qu’à recevoir l’onction du suffrage universel. Le cabinet du Premier Ministre, où il officiait, n’eut pas trop de mal à lui en trouver un, en le faisant d’abord entrer au conseil municipal de Sainte-Fereole sans même qu'il se soit présenté, puis en l’envoyant au combat contre l’opposition dans la circonscription d'Ussel en Corrèze. Bénéficiant du soutien de Marcel Dassault et de son journal, il battit en mars 1967 son adversaire communiste Georges Émon, en bénéficiant de la neutralité bienveillante d’Henri Queuille et du maire d'Égletons, le socialiste Charles Spinasse. Auréolé de cette belle victoire, il fut immédiatement appelé au poste de Secrétaire aux Affaires Sociales dans le gouvernement de Georges Pompidou. À 35 ans, n’ayant jamais eu aucune responsabilité au sein d’une entreprise ou d’une administration, il était chargé de l’ensemble des affaires sociales du pays. Un an plus tard, en mai 1968, il conduira sous la houlette de Georges Pompidou les négociations de Grenelle. Protégé par Marcel Dassault et par Georges Pompidou, Jacques Chirac était désormais en mesure de faire valoir son dynamisme, son appétit et sa capacité à écarter les concurrents de son chemin. Il ne décevra pas ses mentors.

L’ensemble du personnel politique français se reconnaîtra aisément dans le parcours de Jacques Chirac, car ils ont tous suivi, avec des fortunes diverses, le même processus d’accession au pouvoir que lui. Ce processus ne laisse pas beaucoup de place à des outsiders du genre de Barack Obama, de petits avocats de province (l’expression « province » est déjà éclairante) qui se feraient  élire députés puis brigueraient la Présidence de la République  sans avoir été adoubés par le Président de la République en place ou par les dirigeants du principal parti d’opposition. Je montrerai dans l’article suivant quelques-unes des  conséquences que cette fermeture des élites provoque sur la société française, sur son bien être et sur ses complexes.

  Mais pour aujourd’hui cela suffit. Réjouissons nous avec les Américains qu’un homme sans appuis ait réussi, par chance et par mérite, à devenir Président des Etats-Unis d’Amérique. C’est déjà ça. 

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Une société francaise en loques

6 Janvier 2009 Publié dans #HISTOIRE

Quelle société voulez vous laisser à vos enfants ? Nous n’avons, nous individus, qu’une seule arme pour lutter contre la dérive d’une société qui nous opprime, la lucidité. Ces écrits veulent contribuer à une prise de conscience des effets de la tyrannie de l’oligarchie sur la vie de « citoyens » réduits à l’impuissance, jamais consultés, toujours méprisés. Observez ce que vous vivez :

Vous arrivez en France après un séjour à l’étranger, même court. Vous débarquez à Roissy. Des douaniers vous regardent passer, faussement indifférents et indubitablement ennuyés. Comme ils sont héroïques de venir travailler dans ce lugubre aéroport si tôt le matin ! Ils devisent entre eux, sans s’occuper de vous.  Ce n’est pas qu’ils constatent que vous n’avez rien à déclarer ou que votre tête leur plait, mais c’est que leur travail les ennuie. Le fait même de travailler les horripile. Ils mériteraient bien mieux que ce job minable, on les sous-estime, on les sous-emploie, on les sous-paie bien sûr. Leurs chefs sont, par définition, des incapables. Heureusement qu’ils ont les trente-cinq heures, les RTT, les congés, la retraite à 55 ans ou 56 ans, la pêche, les copains.  Et vous voudriez qu’ils soient sympathiques, souriants, zélés ? Voilà ce que vous exprime le regard torve qui vous accueille.

Avec la coopération gracieuse et involontaire des douaniers, vous êtes tout de suite dans l’ambiance que vous retrouverez partout, dans les rues, dans les magasins, dans les cafés et bien sûr dans les administrations. Bonjour les relations humaines, vous êtes de retour au pays des mécontents de leur sort. Une barrière s’est automatiquement élevée entre vous, qui êtes mal vu à priori, et celui qui est chargé de vous aider, de vous servir ou de vous contrôler. Le fait que vous rémunériez ses services, soit avec votre argent personnel (le serveur de café) soit avec vos impôts (le douanier), n’impressionne pas le bougon qui vous fait face. Ne lui demandez rien de plus que le strict minimum. Soyez heureux qu’il daigne bien vous écouter, il ferait beau voir, qu’en plus, il vous réponde ou qu’il se presse. « Chacun son tour, Madame, calmez-vous, vous voyez bien que je travaille » comme si c’était un exploit individuel et gratuit. « S’il ne tenait qu’à moi, Monsieur, je serais ailleurs plutôt qu’à vous servir ».

Je crois que vous voyez assez clairement ce que je veux dire, vous l’avez vécu des centaines de fois : vous êtes un gêneur pour celui qui a la lourde charge de vous fournir une prestation quelconque, et il tient clairement à vous faire savoir qu’il n’est à son poste que contraint et forcé par les dures circonstances de la vie, la malchance en fait. Il ne fera que le minimum, et s’il est de mauvaise humeur, rien du tout. Je vous laisse le loisir de nourrir cette réflexion par vos expériences personnelles.

Dans la rue, ne vous avisez pas de sourire à quelqu’un : il vous prendrait au mieux pour un fou. Les « gens » passent, indifférents et maussades, sans vous regarder ni s’intéresser à votre sort. Je ne mentionne que pour mémoire la tête sinistre que font les « gens » dans le métro. Ne les bousculez pas, ne les « calculez » pas, ils pourraient se vexer, venir vous demander des explications ou pire vous agresser. Dans les bus, n’attendez pas que quiconque se lève pour vous laisser sa place. Ne vous aventurez qu’avec prudence sur un passage protégé qui ne sera respecté que contraint et forcé. Évitez de faire remarquer à celui qui vous a doublé dans une file d’attente qu’il est incorrect. Si vous vous y risquez, il se chargera en échange de porter un jugement sévère sur votre intolérance. Intolérance, le mot est lâché qui permet à chacun d’agir à sa guise sans se préoccuper le moins du monde des effets de ses actes sur l’autre. Ne protestez pas, bien sûr, contre celui qui brûle un feu rouge : il serait capable de prendre la peine de s’arrêter pour vous casser la figure. Ce serait une bonne leçon pour vous : en l’interpellant, vous avez insulté sa dignité et vous vous êtes mêlé de ce qui ne vous regarde pas, étant donné que c’est son affaire s’il veut brûler un feu rouge, pas la vôtre.

Dans un immeuble, il est rare que les « gens » se parlent dans les ascenseurs et à fortiori fassent connaissance entre eux, se côtoyant sans s’adresser la parole pendant une décennie ou plus si nécessaire. Sauf si le voisin du haut fait du bruit ou fait couler de l’eau sur votre balcon. Alors le contact s’établit, mais sur le mode de la guerre à outrance.

Je le sais, je brosserais un tableau trop noir des relations sociales à la française, si je n’ajoutais pas qu’elles ne signifient en rien que les individus ne sont ni plus mauvais ni meilleurs en France qu’ailleurs sur Terre, que ces relations sociales n’ont aucun rapport avec les relations affectives qui se créent entre des personnes qui se connaissent et enfin qu’il existe de nombreux contre-exemples, que vous avez en tête comme moi, de personnes rencontrées charmantes, serviables, disponibles, alors que vous vous attendiez, comme moi, au pire. Mais c’est là que le bât blesse : d’une façon générale et à priori, on ne s’attend pas à être bien reçu, ou bien traité, ou bien considéré lorsque l’on prend contact de façon anonyme et impersonnelle avec l’un des habitants de ce pays qui est le mien. L’accueil varie certes selon les régions. Mais aujourd’hui, il diffère moins à l’intérieur du pays qu’en comparaison avec les pays étrangers. Il me rappelle parfois l’accueil que l’on trouvait avant 1989 dans les pays de l’Est. Cette comparaison n’est pas fortuite, car elle signifie que cette insatisfaction tient moins à des facteurs culturels qu’à une insatisfaction ressentie vis-à-vis de l’activité que l’on effectue, et d’une façon plus générale par rapport aux leçons de vie que la société nous a données. Il y a quelque chose de bureaucratique, de glacé, de stalinien dans la société française. Ce n’est pas par hasard que la France soit devenue la patrie de la pensée unique.

 

 

 

 



Je me souviens de ce petit événement banal et sans gravité : un agent de la RATP chargé de vendre des billets dans une station de métro ou il n’y avait pas de distributeurs automatiques et qui a quitté brusquement le guichet qu’il occupait devant une file de dix personnes, arguant hautement que son service venait juste de se terminer à l’heure pile. Que chacun se débrouille !  Il est intéressant que ce soit une histoire banale.

Charmante expression passée dans le langage courant, qui exprime la hargne de celui qui estime que le fait de le regarder est déjà une provocation insupportable. C’est dire s’il a un préjugé favorable sur son prochain.

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Pour ne pas se résigner

4 Janvier 2009 Publié dans #HISTOIRE

Cet article est le premier d’une série consacrée au fonctionnement oligarchique de la société française. Il reprend les principaux arguments, en les actualisant, que j’ai utilisé pour écrire mon ouvrage intitulé « Trente trois ans d’arrogance »

 

Les Français sont pris en otage par une oligarchie qui les dirige avec incompétence, qui leur ment et qui les exploite.  Tous les jours, à la télévision, dans les radios, les périodiques, des journalistes se chargent de filtrer les nouvelles en mettant en avant ce qui leur paraît important et en laissant dans l’ombre ce qu’ils considèrent comme nocif pour la vérité officielle. Chacun d’entre nous, témoin d’un événement relaté par les medias, a été surpris par la manière dont les faits étaient relatés. De plus, les medias se chargent de nous expliquer ce qu’il faut en penser, et ils ne se gênent guère pour porter des jugements de valeur sur les gens et les choses. La situation est aggravée par le fait qu’il existe en France entre l’ensemble des medias, à de très faibles exceptions prés, un extraordinaire consensus qui traduit leur profonde connivence. Avez-vous entendu une seule chaîne de TV ou de radio, un seul quotidien national ou régional prendre parti pour le « non » au referendum du 29 mai 2005, alors que la moitié de la population au moins, d’après les sondages, votait « non » ? On essaye d’imposer aux Français une façon « convenable » de penser, comme disait Chirac. En France, le délit d’opinion existe, il est durement réprimé par le biais d’associations financées par les subventions de l’État, qui se chargent de porter plainte à sa place contre vous, dès que vous pensez mal. Voilà pourquoi j’écris que les Français sont pris en otage.

Qui les mène par le bout du nez ? Une oligarchie jalouse de ses prérogatives.

Il est patent, au point que plus personne ne s’en étonne, que ce pays est dirigé par un petit groupe de quelques milliers de personnes qui se réservent l’exclusivité du pouvoir politique et économique. Très rares sont ceux qui parviennent à être élu sans avoir leur aval. Il suffit de regarder la composition des assemblées, les noms des membres des corps constitués ou des patrons des grandes entreprises. Il suffit de parcourir les curriculum vitae de ces gens-là pour comprendre comment ils sont arrivés au pouvoir. Ni par hasard, ni par mérite, mais par cooptation. Prenez le cas,  que vous avez déjà probablement oublié, de ce pauvre Gaymard par exemple, ex-ministre des Finances et maladroit occupant d’un appartement de 600 m2. Il serait sans nul doute resté un obscur énarque, s’il n’avait été coopté par l’influente famille Legendre. Une oligarchie nous gouverne, qui s’auto reproduit et qui a donc besoin de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, afin d’assurer la pérennité de son pouvoir.

Ce serait acceptable, à tout le moins tolérable, si les membres de notre oligarchie étaient compétents, s’ils étaient sélectionnés en fonction de leur mérite et écartés lorsque leur incompétence éclatait au grand jour. Ils essaient de nous le faire croire. Nous avons, disent-ils, les meilleurs hauts fonctionnaires du monde, et les politiques les plus intelligents. Avant la Société Génerale et son système de contrôle interne qui laisse filer 5 milliards d’Euros sans s’en apercevoir , il y a eu l’énorme scandale du Crédit Lyonnais qui a coûté au peuple français aux alentours de 17 milliards d’Euros.  Il n’aurait pu intervenir nulle part ailleurs qu’en France, et nulle part ailleurs on n’aurait osé prendre aucune sanction à l’encontre de ses responsables. Haberer coule une retraite tranquille dotée d’une très confortable pension. Mieux encore, Trichet a été promu président de la BCE, la Banque Centrale Européenne. Incompétence, gabegie, impunité, voilà les trois devises logiques de notre oligarchie.

La population française est prise en otage par une oligarchie qui l’exploite. C’est tout naturel, sinon à quoi serviraient tous ces efforts pour contrôler le peuple, le mener en bateau et le faire avancer dans la direction voulue ? Ils font ce qu’ils peuvent, nos dirigeants, pour tirer le maximum de nous. Ils nous taxent à satiété, parvenant à un quasi-record du monde des prélèvements obligatoires. Plus il y a d’impôts, plus il existe de possibilités de commissions. Les nombreux procès relatifs au détournement de fonds de nos élus s’étalent sous les yeux des candides. On peut aussi jeter un coup d’œil aux palais de la République Française, aux logements de fonction, aux avantages en nature pour s’en convaincre. Il paraît qu’ils doivent s’accorder des privilèges pour le prestige du pays, prendre des avions spéciaux ou aménager de luxueuses ambassades à nos frais. Les Français sont exploités par des gens qui les prennent manifestement pour des imbéciles.

Ce que j’écris ne plaira ni aux oligarques qui nous gouvernent ni à leurs contempteurs. Jailli d’un sentiment d’indignation, un sentiment quotidiennement entretenu par la honteuse propagande médiatique qui nous enveloppe, je m’adresse à ceux qui ne croient pas que vivre consiste fondamentalement à se résigner. Ceux qui proclament qu’ils resteront en place quoi qu’il advienne, ceux qui renient leurs promesses aussitôt arrivés au pouvoir, ceux qui échouent toujours mais qui ne le reconnaissent jamais, ceux qui changent les lois électorales pour garder le pouvoir, ceux qui menacent les électeurs s’ils ne votent pas bien, ceux qui adaptent le système judiciaire pour protéger leurs forfaits, comptez vous les approuver longtemps ? Quelle société voulez-vous laisser à vos enfants ?



« Régime politique dans lequel la souveraineté appartient à un petit groupe de personnes, à une classe restreinte et privilégiée », selon le Petit Robert. J’emploierai également les termes d’élite, de microcosme ou de nomenklatura, le premier exprimant la prétention d’un groupe de personnes à conduire le pays, le second une société restreinte dans laquelle se déroulent les luttes d’influence du pouvoir central et la troisième regroupant les personnes qui bénéficient des avantages réservés à ceux qui gravitent autour du pouvoir. 

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