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Le blog d'André Boyer

histoire

Une constitution royaliste pour la France

4 Septembre 2011 Publié dans #HISTOIRE

Dans mon blog du 11 août dernier, j’ai décris comment l’Assemblée légiférait dans une ambiance agitée, avec pour objectif de détruire les fondations de la croyance au roi de droit divin et de faire disparaître les contre-pouvoirs susceptibles de s’opposer au règne de la raison, que l’Assemblée Constituante prétendait incarner.

insurrection-copie-1Ce n’était pas pour plaire au roi et lorsque ce dernier tenta sans succès de quitter la France avec sa famille, il fit voler en éclats l’unité de façade de la Révolution.

Dans la nuit du lundi 20 au mardi 21 juin 1791, Louis XVI parvint en effet à s’enfuir des Tuileries avec sa famille. Se considérant comme prisonnier des émeutiers des faubourgs parisiens depuis le 6 octobre 1789, date à laquelle il avait dû quitter Versailles, le roi s’était finalement décidé à rejoindre l’armée du marquis de Bouillé, concentrée à Montmédy et à Metz.

Les fais sont bien connus : parvenue à Sainte-Menehould, la berline royale avait pris du retard, si bien que le détachement de hussards envoyé par le marquis de Bouillé pour assurer sa protection n'était pas en selle. Les villageois laissaient partir la berline suspecte mais retenaient les hussards, tandis que le fils du maître de poste Drouet, mandaté par la municipalité, sautant sur un cheval, devançait la berline à l'étape suivante, Varennes en Argonne, où il alertait les habitants et le procureur de la commune, l'épicier Sauce, qui arrêtaient la voiture royale.

Le 23 juin au matin, la berline reprenait le chemin de Paris, rejointe par trois députés envoyés par l'Assemblée. Le 25 juin, le cortège entrait à Paris dans un silence funèbre. Le roi, reconduit au palais des Tuileries, était placé sous la «surveillance du peuple» et il était provisoirement suspendu de ses pouvoirs. Pour maintenir la souveraineté du roi sur un peuple qu’il avait essayé de fuir, l'Assemblée se résolut à qualifier la péripétie de Varennes « d'enlèvement ».

Il n’est pas étonnant dans ces circonstances qu’au Club des Cordeliers, Danton et Marat aient lancé une pétition pour la déchéance du roi, pétition déposée au Champ de Mars accompagnée par les habituels manifestants des faubourgs.

L'assemblée réagissait en proclamant la loi martiale et la garde nationale sous les ordres de La Fayette, faisait feu sur les pétitionnaires, provoquant des dizaines de morts. Danton et Marat s'enfuyaient provisoirement en Angleterre pour en revenir sans encombre, apprenant ainsi  que l’on pouvait être émeutier sans en mourir.

Mais au Club des Jacobins, la majorité des députés, y compris Robespierre, souhaitaient maintenir la monarchie par stratégie, afin d’éviter que la déchéance de Louis XVI n'entraîna la France dans une guerre contre les autres monarchies européennes, dans laquelle la Révolution aurait pu se perdre. Une partie d’entre eux, qui, comme La Fayette, souhaitaient que les pouvoirs du roi soient accrus dans la future Constitution de manière à restaurer un minimum de confiance entre le roi et la Révolution, se séparaient du Club des Jacobins pour former le Club des Feuillants.

Finalement, l’Assemblée parvenait à produire le 3 septembre 1791, une Constitution pour le Royaume, à laquelle le roi voulut bien prêter serment.

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Le pouvoir glisse des mains du roi

11 Août 2011 Publié dans #HISTOIRE

Je terminais mon blog du 23 juillet dernier,  en rappelant la signification symbolique du 14 juillet 1789 : ce jour là, tandis que la cour concentre des troupes autour de Versailles, des émeutiers prennent la Bastille à la recherche d’armes. Le roi recule, le roi capitule, les premiers émigrés quittent la France.

images-1La municipalité parisienne est de facto le nouveau maître et commence la dictature de l’émeute, qui est paradoxalement célébrée comme une victoire sur la tyrannie.  C’est sous la protection du Faubourg Saint-Antoine que l’Assemblée Constituante peut écrire sereinement la première constitution de l’histoire du pays.

Sereinement ? l’émeute gronde en province. Les paysans sont agités par la « Grande Peur ». Ils croient que les nobles vont lâcher sur eux des nuées de brigands pour se venger de leur perte de pouvoir. Pour anticiper cette réaction inventée, ils brûlent les châteaux, ils tuent. Après le roi, cette fois c’est l’Assemblée qui cède sous la pression en supprimant les privilèges, les inégalités fiscales et les droits féodaux. Puis, dans un grand élan de foi en l’humanité, elle produit l’immortelle « Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen », le credo de la France nouvelle et le catéchisme de tous les hommes, de tous les temps et de tous les pays !

Il est vraiment étonnant, à la reflexion que la date du 26 août 1789, qui est celle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen » n’ait pas été retenue comme celle de la fête nationale. C’est pourtant au nom de cette déclaration que nos gouvernants se croient autorisés à faire la leçon aux dirigeants politiques de tous les pays du monde. On ne peut pas croire, à moins d’être un esprit très cynique, qu’il s’agisse de faire comprendre aux citoyens français, de manière subliminale, que la République a choisi le 14 juillet comme fête nationale afin de célébrer l’émeute en tant que procédé politique, de préférence  au respect des règles démocratiques.

En août 1789, la Déclaration a pour premier effet de renverser le fondement du pouvoir en France, puisqu’elle remplace l’onction du sacre de Reims qui faisait du roi de France « le lieutenant de Dieu sur terre » par la « Nation ». Désormais, le roi n’était comptable du pouvoir de l’État non pas devant Dieu, mais devant la Nation qui le chargeait de faire respecter la Déclaration des Droits de l’Homme. Puis l’automne 1789 voit le pouvoir échapper concrètement au roi, lorsque l’émeute vient le quérir dans son palais de Versailles pour le forcer à s’installer à Paris. Le roi otage est désormais contraint d’entériner les actes fondateurs de sa dépossession, sous la menace permanente des groupes d’insurgés actionnés par les clubs.

Dans une ambiance constamment agitée, l’Assemblée qui a rejoint Paris, légifère, modifie la fiscalité, l’armée, les régions. Elle crée quatre-vingt-trois départements qui deviennent le nouveau cadre administratif du pays. Elle définit un corps électoral, la Nation, qui exclut les femmes, les domestiques et les pauvres. Puis elle s’attaque à l’Église par la confiscation de ses biens. C’était logique puisqu’il fallait détruire les fondations de la croyance au roi de droit divin et faire disparaître le contre-pouvoir susceptible de s’opposer au règne de la raison, que l’Assemblée Constituante prétendait incarner.

 

C’est un long combat qui s’amorçait, un combat qui  contribua à affaiblir les cadres moraux de la Nation.

 

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Sous la pression de la dette, le roi ouvre la boite de Pandore

23 Juillet 2011 Publié dans #HISTOIRE

Le 7 juillet dernier, dans un article intitulé « La Révolution, mère du pouvoir centralisé et des coups d’États », j’introduisais une réflexion sur le rôle de la Révolution dans la manière de gouverner la France aujourd’hui. Penchons nous donc sur l’histoire de cette révolution, en se souvenant qu’elle a été instrumentalisée par tous les pouvoirs depuis le début. Son histoire est donc toujours écrite et réecrite en fonction des besoins du pouvoir du moment.

Mirabeau.jpegDans les années 1780, la France n’est pas une puissance en péril. Elle rassemble la première population d’Europe avec vingt-huit millions et demi d’habitants. Elle en est aussi la première puissance économique et commerciale. Elle possède le quart des terres arables européennes ; la peste, la guerre et la famine ont cessé d’exercer leurs effets. On y observe des progrès dans tous les domaines matériels : les hôpitaux se multiplient, les rues sont pavées, les marécages sont drainés. Trente mille kilomètres de routes, empierrées et ombragées par des files d’arbres, couvrent le pays. Le réseau de canaux de navigation est le plus moderne d’Europe. L’agriculture a accru sa production de quarante pour cent en moins d’un siècle et, la production industrielle croît d’un pour cent et demi par an : malgré les difficultés conjoncturelles de 1788, la prospérité de la France est remarquable à la veille de la Révolution.

Ce qui provoque cette révolution, ce n’est donc pas la pauvreté de la France mais l’action de l’État. Depuis Philippe Le Bel, les rois ont créé progressivement une administration centralisée de plus en plus prégnante sur toutes les activités du pays. Dans son ouvrage célèbre, l’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville souligne que « la centralisation administrative est une institution de l’Ancien Régime » et que « la révolution administrative avait précédé la révolution politique ». C’est pourquoi la logique du royaume de France le conduit  à unifier ses administrés, ce qui implique de supprimer les privilèges de l’aristocratie. Or la royauté est profondément liée au clergé et à la noblesse, qui fondent sa légitimité. C’est cette dernière qui permet à Louis XV de déclarer en 1766 devant le Parlement de Paris : « Comme s’il était permis d’ignorer que c’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine…Que mon peuple n’est qu’un avec moi et que les droits et les intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’en mes mains ».

Comment supprimer les privilèges sans détruire la noblesse ? C’est ce nœud gordien que Louis XVI et ses ministres n’arrivent pas à desserrer, et que la Révolution tranchera en mettant hors-jeu la noblesse et le clergé, ce qui aboutira bien au renforcement de l’État dont avaient rêvé les Rois et leurs agents.

Tout a vraiment commencé lorsque, sous la pression des dettes, le Contrôleur Général des Finances, Charles Alexandre de Calonne, reprit les idées de Turgot et Necker. Il proposa à une assemblée de notables, réunie le 22 février 1787, la mise en place d’assemblées provinciales et municipales composées de propriétaires qui seraient associés à la répartition des impôts. Pour faire bonne mesure, il y ajoutait la suppression des douanes intérieures, un impôt foncier sans privilèges, l’abolition de la corvée et la subvention territoriale qui remplacerait les vingtièmes, l’adoucissement de la taille et de la gabelle. Naturellement, il se heurta à une violente opposition, qui ne laissa plus d’autre choix à Louis XVI que de convoquer les États Généraux pour éviter la banqueroute.

C’est ainsi que, le 4 mai 1789 à Versailles, le roi ouvrit la boîte de Pandore en même temps que les États Généraux. Ces derniers étaient précédés et appuyés par la masse des cahiers de doléance rédigés dans les moindres baillages.

Dés l’ouverture de ces États Généraux, l’épreuve de force s’engagea entre le Roi et la majeure partie des représentants du Tiers État : alors que le roi ne pensait qu’à obtenir la permission de lever des impôts supplémentaires, le Tiers État cherchait pour sa part à transformer les États Généraux en Assemblée Nationale constituante.

Il s’agissait donc de trancher qui, du pouvoir du roi ou celui de l’assemblée, primerait sur l’autre. 


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La Révolution, héritière du pouvoir centralisé et mère des coups d'États

7 Juillet 2011 Publié dans #HISTOIRE

Le 20 juin dernier, nous avons vu la Royauté s’effondrer avec Louis XVI. J’ai observé alors que l’Etat centralisé, qui était l’apport fondamental de la monarchie française depuis Philippe le Bel, ne disparaissait pas pour autant avec l’avènement de la République, bien au contraire.

images-copie-26.jpegLorsque Alexis de Tocqueville déplore, dans « l’Ancien Régime et la Révolution ». que la Révolution n’ait pas su rompre avec la centralisation que lui léguait la monarchie, il se trompe, elle n’a jamais eu cette intention. C’est que le mot d’ordre de la Révolution était à la lutte contre l’absolutisme, non à la déconcentration des pouvoirs. Au reste depuis 1789, aucun pouvoir politique important n’a été concédé aux pouvoirs locaux, ni la police, ni l’éducation, ni la santé, ni la politique sociale, ni même la culture. Au sommet, on a toujours voulu contrôler les esprits, les corps et les revenus des citoyens. Les préfets de l’an VIII sont toujours là, et la décentralisation reste une façade.

La Révolution est en effet la source d’une légitimité renouvelée du pouvoir central. Plus personne ne croyait, en 1789, à l’origine divine du pouvoir du roi de France. Il fallait en trouver une autre, que l’on garde ou non le roi en devanture. Ce fut une nouvelle abstraction, forgée par les têtes pensantes du tiers-état pour justifier leur future mainmise sur le pouvoir royal : la Nation: dans son article 3, la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen proclame, dès le 26 août 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ».

C’est ainsi que le pouvoir central royal, à bout de souffle, a passé le flambeau à la République, porteuse d’une idéologie plus moderne, avec pour mission de garder intact le vrai trésor, la concentration du pouvoir.

Il était convenu qu’une fois la « Nation » définie, donc dotée de volonté, cette dernière déléguerait sans barguigner sa souveraineté à peine acquise à ses représentants, qui l’exerceraient en son nom. La Constitution de 1791 fait de la Nation la source de sa légitimité dans l’article 2 de son Titre III : «  La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. La Constitution française est représentative : les représentants sont le corps législatif et le roi. » 

Il en est toujours de même pour la Constitution de 1958, qui écrit, dans son Titre I, Article III : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum». À partir de cette construction intellectuelle, l’affaire était donc dans le sac.

La Révolution est aussi la mère de tous les coups d’État.

La première Constitution française affirme, dans les mêmes termes que l’actuelle constitution, « qu‘aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. » C’est une pétition de principe, car la Nation a été constamment prise en otage par « une section du peuple » depuis le 10 août 1792, qui est la date de la fin de la royauté, mais aussi de la légitimité du pouvoir.

À moins de considérer que les artisans révoltés du quartier Saint-Antoine ou les grenadiers de Napoléon étaient représentatifs de la Nation et autorisés à décider à sa place, le coup de force du 10 août 1792 inaugure en effet une incroyable succession de coups de force, sans aucune légitimité « nationale », qui vont se succéder, sans compter les tentatives qui ont échoué,  à raison de six en huit ans, les 10 août 1792, 2 juin 1793, 27 juillet 1794, 4 septembre 1797, 11 mai 1798 et 9 novembre 1799.

Les quatre temps de la Révolution, le temps de la chute de la royauté, le temps de la Terreur, le temps du Directoire et le temps du Consulat et de l’Empire offrent chacun des enseignements précieux pour comprendre comment la France est dirigée aujourd’hui.

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Leviathan dévore le Roi

20 Juin 2011 Publié dans #HISTOIRE

Je reprends aujourd’hui le fil de mon récit de l’histoire du pouvoir royal, qui aide beaucoup à comprendre pourquoi nos dirigeants se croient toujours au-dessus du peuple.

 

ace481d92a1862808d59d1f3fbb87bf3.jpgBeaucoup d’encre a coulé de mes blogs depuis le 25 avril dernier, date à laquelle j’ai traité du comportement  au pouvoir de Louis XV. Souvenez-vous, j’écrivais alors que, lorsque Louis XV mourut, ce fut dans l’indifférence ou l’hostilité, tant ses actes à la tête du pouvoir avaient paru illégitimes, même si cette illégitimité tenait plus à la structure de l’Etat qu’à ses actes personnels.

Le dernier acte avant la révolution restait encore à jouer, car Louis XV annonçait Louis XVI, que je qualifiais de roi trop faible pour un pouvoir trop lourd. C’est ainsi qu’après avoir dévoré ses sujets, le Léviathan découvrit, à califourchon sur son cou monstrueux, un petit roi timide. Aussitôt, il le dévora.

Devant le tribunal de l’histoire, comment condamner Louis XVI ? Certes, il n’a pas su résoudre les contradictions entre la nécessité de procéder à des réformes et le besoin de conserver les traditions. Mais qui l’aurait pu ? Un roi autoritaire aurait-il pu garder le pouvoir après les excès de Louis XIV ? comment l’absoudre par ailleurs, lui qui était assez inconscient pour prétendre maîtriser un système dont il avait perdu toutes les clefs ?

Louis XVI, dernier roi de l’Ancien Régime fut exécuté pour des raisons politiques, seulement accusé d’avoir été roi. Petit-fils de Louis XV, devenu dauphin en 1765, roi en 1774, il commença par faire machine arrière en rétablissant les Parlements dans les pouvoirs que Louis XV avait rognés, leur abandonnant un lambeau du pouvoir royal. Il se consacra ensuite à reformer l’économie en pratiquant une saine gestion des finances royales, des réductions d’impôts et en laissant la liberté de circulation aux produits.

Lorsqu’il supprima la corvée et les corporations. Les parlementaires y virent l’annonce de la fin de la société d’Ordres ; leur opposition contraignit Louis XVI à faire machine arrière, mettant fin à sa tentative de révolution par le haut. De même, les propositions de Necker de mettre en place un système de régie pour la perception des impôts et de créer des assemblées provinciales se heurtèrent à la résistance des parlementaires mobilisés contre cette atteinte à leurs pouvoirs.

En soutenant la guerre d’indépendance des colonies d’Amérique, Louis XVI s’engagea dans une opération idéologique où il s’agissait de délier des sujets de leur obéissance envers un souverain européen au nom de principes universels. L’introduction dans le vocabulaire de mots comme « patriote » ou « convention » témoigne des bouleversements de l’opinion publique, dont l’influence sur les affaires de l’État alla croissant.

Devant la persistance des difficultés financières fortement aggravées par la guerre d’Amérique, Louis XVI appela Calonne qui élabora un plan « d’amélioration des finances ». Ce plan consistait essentiellement à  introduire des impôts sur les biens fonciers, selon une répartition effectuée par des propriétaires élus au sein d’assemblées consultatives et sans distinction d’ordre. Elle engendra un mouvement de protestation des élites traditionnelles contre ce qui apparaissait comme une contestation de l’ordre établi, un mouvement qui se révéla suffisamment fort pour faire chuter Calonne en 1787, ce qui rendait à terme indispensable la convocation des États Généraux.

Face à ces derniers, Louis XVI était à la fois privé du soutien des « privilégiés » et déconsidéré aux yeux des « patriotes ». La prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, ruina tous ses efforts pour contrôler le jeu politique. Dés octobre 1789, Il fut pris en otage par la foule parisienne qui l’obligea à accepter les décrets d’août 1789 et à s’installer à Paris avec sa famille.

La situation lui échappa ensuite progressivement jusqu’au 21 juin 1791, ou la famille royale quitta Paris dans l’espoir de passer sous la protection de l’empereur d’Autriche. Ramené à Paris, il soutint, dans un dernier effort de résistance, un affrontement armé entre l’aile radicale de la Révolution et les défenseurs du roi, qui tourna à son désavantage et marqua la fin de la monarchie.

La monarchie succombait provisoirement, avant de réapparaître pour un petit tiers de siècle en 1814. Mais l’Etat centralisé, qui était l’apport fondamental de la monarchie française depuis Philippe le Bel ne disparaissait pas pour autant, au contraire.

Tombant des mains débiles de Louis XVI, le pouvoir échut à des maîtres autrement plus énergiques, qui le sanctifièrent au nom de principes supposés universels, à la manière de la monarchie qui s’était adossée à l’onction divine. Pour plus de sûreté, à l’aide de vigoureux massacres à l’intérieur et de la guerre révolutionnaire portée à l’extérieur du pays, les nouveaux détenteurs du merveilleux pouvoir centralisé français firent savoir urbis et orbis qu’ils ne s’en laisseraient pas déposséder facilement.

 

La « France » était de retour.  

 

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L'ultime victoire de la Grande Armée

28 Mai 2011 Publié dans #HISTOIRE

Pour traiter de l'affaire DSK, nous avons délaissé quelques jours le récit de l'extraordinaire aventure de la Bérézina.  Rappelons nous que les dernières troupes organisées de la Grande Armée traversent les deux ponts de la Bérézina le 27 novembre 1812, tandis que deux armées russes se rapprochent, l'une sur la rive droite commandée par Tchitchakov  et l'autre talonnant l'arrière garde de Victor sur la rive gauche, commandée par Wittgenstein. 

 

berezina6.jpgDans la nuit du 27 au 28 novembre, c'est le désordre: des militaires isolés traversent, ainsi que de l’artillerie et des bagages, mais dans le désordre. Désarmés, regroupés autour de leurs feux, cachés dans leurs cambuses auxquelles ils s'accrochent, les trainards ont enfin compris qu’il fallait bouger lorsqu'ils entendent le son des canons russes. Une horde compacte se rue sur les ponts, alors que la nuit précédente personne n’avait traversé.

Napoléon a décidé de garder les ponts encore ouverts dans la journée du 28 novembre pour permettre au maximum de troupes, de trainards, de civils et de bagages de s’enfuir. Face à l’armée de Wittgenstein qui attaque, quatre mille hommes de Victor restent sur la rive gauche pour protéger le passage, appuyés par trois cent cavaliers et l’artillerie de la Garde positionnée dans les marais sur la rive droite.

Le 28 novembre 1812 se déroule la dernière bataille de la campagne de Russie, et cette bataille est encore victorieuse pour la Grande Armée, aussi affaiblie soit-elle. Ce ne sont pas moins de deux batailles simultanées qui se déroulent. En effet, pendant que Napoléon prenait des dispositions pour permettre le franchissement des attardés, Tchitchakov l’attaque avec toutes ses forces sur la rive droite. Pour l’affronter, Oudinot et Ney réunis ne disposent que de huit mille cinq cent hommes, dont mille cinq cent cavaliers. 

Le terrain est couvert de bois clairs et de champs. Depuis le Nord, le vent chasse une neige épaisse, les mains engourdies des soldats  privés de vivres ont du mal à tenir le fusil. Oudinot est blessé. Le combat dure depuis deux heures sur la rive droite quand Wittgenstein attaque Victor sur la rive gauche. La foule des trainards se rue alors vers les ponts, formant une multitude compacte de cent hectares! tout en se défendant à un contre cinq, Victor réussit malgré tout à s’emparer d’un bois d’où l’artillerie russe, semant la terreur, tirait sur la foule massée à l’entrée des ponts. L'image que la postérité a retenu de cette bataille, c'est ce moment où les hommes et les chevaux se noient dans la Bérézina, les voitures se renversent, les fuyards éperdus courent en tous sens sous les boulets…

Sur la rive droite, les attaques de Tchitchakov sont repoussées par l’artillerie et par les cuirassiers de la Grande Armée. Il n'est même pas nécessaire de faire donner la Garde pour l'emporter. Mais c'est un combat très sanglant, car, lorsque la nuit sépare les combattants, la moitié des officiers et des soldats qui ont combattu dans la journée ont été blessés. Quant aux autres, ils sont presque tous malades.

Le soir du 28 novembre, Eblé fait pratiquer une sorte de tranchée dans l’encombrement, par laquelle les troupes de Victor, à l’exception d’une arrière garde au contact de l’ennemi, se fraient un chemin sur l’autre rive entre 21 heures et une heure du matin. Il se passe alors un événement extraordinaire : les ponts sont libres mais personne, ou presque, ne passe. Il y a pourtant sur la rive gauche un grand nombre de soldats isolés, d’employés, de domestiques, de familles fugitives. Mais l’apathie les a gagnés, à force de fatigue, de maladies et de blessures. Aussi, dans la nuit, malgré les efforts de Victor et d’Eblé, la plupart refusent de  quitter leur bivouac

Le 29 novembre à six heures et demi du matin, lorsque Victor fait passer son arrière garde sur l’autre rive, la multitude prend enfin conscience qu’il faut quitter les lieux et se précipite vers les ponts. Deux heures plus tard, Eblé doit se résoudre à faire détruire les ponts alors qu’il reste encore cinq mille personnes sur la rive gauche, hommes, femmes et enfants qui hurlent leur désespoir. À neuf heures, les cosaques les entourent et les font prisonniers. À neuf heures et demi, Eblé achève la destruction des ponts tandis qu’apparaissent les premières troupes de Wittgenstein.

La suite n’est qu’une longue fuite vers Vilnius puis vers Königsberg, au cours de laquelle la Grande Armée se désagrège en quasi totalité. Déjà, à peine trois jours après avoir franchi la Bérézina, elle ne compte plus que huit mille quatre cent combattants !

Quant à Napoléon, il quitte l’armée six jours plus tard, le 5 décembre, pour rejoindre Paris via Vilnius. Il rejoint la capitale le 19 décembre.

Il y aurait beaucoup à conter encore, notamment sur l’odyssée des troupes que Napoléon laisse au débouché de la Bérézina ou  sur le changement radical qui se produit en Europe lorsque l’on découvre que le grand conquérant a perdu son armée.

Mais arrêtons nous à la Bérézina, car ce récit avait pour objectif de décrire les efforts inouïs que Napoléon, ses généraux, ses officiers et ses troupes ont déployé pour survivre face à la faim, à la marche, au froid et bien sûr face aux troupes russes. Lorsque, pratiquement encerclée, la Grande Armée se retrouve contrainte de traverser la Bérézina en catastrophe, l'extraordinaire réside, dans sa capacité collective à s’organiser, à tromper l’ennemi, à combattre et finalement à passer.

 

Une leçon de courage, de volonté de courage, une victoire vraiment… 

 

PS: parmi les ouvrages dont je me suis inspiré pour écrire cette série sur la Bérézina, je vous recommande l'ouvrage, téléchargeable sur Google, du Général Georges de Chambray, Histoire de l'Expédition de Russie, 1823, dont le récit me semble particulièrement proche des événements qui se sont effectivement déroulés. 

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Le passage de la Bérézina, enfin!

19 Mai 2011 Publié dans #HISTOIRE

En attendant de revenir sur l’affaire DSK, qui est également une sorte de « Bérézina », je poursuis le récit du passage de la Bérézina.  

berezinaLe général Eblé a établi les plans[1], organisé le travail des pontonniers et Napoléon n’a pas quitté les travaux du regard depuis qu’ils sont commencés. Le 26 novembre, à une heure de l'après-midi, le premier pont est terminé.

Tout de suite, il fait passer devant lui le 2e corps d’Oudinot, sept mille hommes. Ce dernier repousse aussitôt les troupes légères de Tchitchakov, commandées par Tchapanitz, vers Borisov. Puis il dirige un détachement ver Zembin, qui permet de controler le débouché de la route vers Vilnius. 

Pendant ce temps, Tchitchakov reste étrangement inactif. Il avait recu un message de Koutousov qui lui indiquait que Napoléon allait tenter de passer la Berezina par Bérézino, au sud de Borisov. Tchitchakov n’y croyait pas ; il pensait pour sa part que le passage serait Borisov, dont le pont n’était pas détruit, mais seulement coupé et où il voyait de ses yeux la plus grande partie des troupes de Napoléon. Même lorsque Tchapanitz, qui est en face de Studianka, informe Tchitchakov que Napoléon y fait des préparatifs évidents de passage, il n’est pas entendu et recoit  l’ordre de ramener la plupart de ses troupes devant Borisov.

Si bien que la nuit du 25 au 26 novembre, il n’y avait plus que deux régiments et 12 canons russes face à Studianka ; par crainte de les voir détruits, ces canons ne sont pas mis en batterie. Bref, Napoléon a trompé Tchitchakov.

Le 26 novembre à  4 heures de l’après-midi, le pont de gauche, destiné à l’artillerie et aux voitures, est terminé. Aussitôt l'artillerie du 2e corps passe, suivie par celle de la Garde. Au débouché du pont, la gelée permettait le passage du marais alors que  deux jours auparavant, cela n’aurait pas été possible.

Toute l’armée se met en mouvement. Ney arrive et se prépare à passer dans la nuit, Davout se rapproche. Le 9e corps de Victor décroche pour rejoindre Borisov. Les soldats dépenaillés de la Grande Armée, épuisés par la faim, le manque de sommeil et les marches, sont tout surpris de les voir avancer avec leurs armes, en rangs et en uniformes. Cela ne durera pas.

Dans la nuit du 26 au 27 novembre, deux ruptures de chevalets se produisent à une heure d’intervalle. Les pontonniers harassés sont tirés du bivouac par Eblé qui parvient à en mobiliser la moitié. L’encombrement s’accroit devant le pont. On repare, à 6 heures du matin la communication est rétablie.

Napoléon a passé la nuit du 26 au 27 dans une chaumière à Studianka. Au matin du 27 novembre, aidé par Berthier, Murat ou Lauriston, il s’occupe personnellement de réguler le passage, puis il se décide à traverser la Bérézina à une heure de l’après midi. Il s’installe à quatre kilométres du pont à Zavniki, puis revient à cheval prés des ponts et s’efforce d’accélérer le passage des 4e, 3e, 5e et 6e corps.

Davout arrive, suivi par Victor qui est parti de Borisov à 4 heures du matin. Il a laissé la division Partouneaux, forte de 5000 hommes  vers Borisov, pour tenir le passage jusqu'à ce que le 1er corps et la cohue des traînards, qui le suivent, se soient écoulés. Mais Wittgenstein se rapproche et Partourneaux se rend compte qu’il est désormais coupé de Studianka. Pour se frayer un passage vers le pont de Studianka, il passe avec résolution à l’attaque avec ses trois brigades, environné par une foule désordonnée de trainards.

Mais ses efforts se brisent contre la supériorité numérique des troupes russes ; il est fait prisonnier avec l’une de ses brigades. Les deux autres brigades et la cavalerie se replient à Borisov; encerclées, elles doivent capituler le 28 novembre au matin.  Dans le combat, la moitié des troupes ont été tuées ou blessées, et en sus des troupes combattantes, cinq mille trainards sont faits prisonniers par Wittgenstein ; seul un bataillon de 150 hommes parvient à rejoindre Studianka. 

Pendant que Partourneaux était pris à la gorge le 27 novembre, le franchissement de la Bérézina continuait en assez bon ordre.

Je ne sais pas si nous pouvons imaginer le passage des régiments de Davout qui se présentent le soir devant les ponts dans leur plus belle tenue, au son des fifres et des tambours !



[1] 24 travées de 4,30 mètres, 23 chevalets par pont  de 1 à 3 mètres avec des chapeaux de 4,50 mètres et des poutrelles de 5,50 métres de longueur et de 15 cm de  diamètre.

 

 

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Echec et mat à Borisov?

15 Mai 2011 Publié dans #HISTOIRE


Pour retarder l’échec et mat, le joueur déplace le roi puis il prend un pion avec la seule tour qui lui reste, mais son adversaire riposte en bloquant tous ses mouvements avec un fou.


berezina7.jpgLe 23 novembre, Napoléon s’établit à Bobr, quelques kilomètres au sud-est  de Borisov pour faire croire à Tchichakov qu’il va passer au sud. Oudinot reprend Borisov, mais Tchichakov fait aussitôt détruire le pont.

Dans la nuit du 23 au 24 novembre, Oudinot fait procéder à des reconnaissances le long de la Berezina de part et d’autre de Borisov. Il trouve un passage au-dessous de la ville qui s’avère peu praticable pour l’artillerie et trois au-dessus, dont celui de Studianka, à 16 kms au nord de Borisov et celui de Wésélowo quatre kilomètres encore plus au nord. C’est le choix de Studianka qui s’impose à Oudinot grâce au passage de la Bérézina qu’a réalisé Corbineau à cet endroit : une de ses patrouilles a remarqué un paysan dont les vêtements étaient mouillés et ce dernier leur a montré l’emplacement du guet, entre Studianka et Brillowo. Les rives ont donc été  reconnues des deux côtés et l’on sait que la rivière y est peu profonde, que les abords sont faciles et que le débouché marécageux est possible grâce à la gelée. Il reste que la colline en face peut permettre à l’ennemi, s’il s’y installe, d’empêcher la traversée.

Le 24 novembre, Napoléon met tous les pontonniers, tous les sapeurs et tous les mineurs qui lui restent aux ordres d’Oudinot pour construire les ponts. Le même jour, il fait brûler la moitié des voitures dont il récupère les chevaux pour l’artillerie, qui seule donne les moyens de tenir les ponts. Faisant feu de tout bois, il forme deux compagnies de cavalerie en rassemblant tous les officiers montés. 

Ces instructions données, Napoléon quitte Bobr pour Losnitza le 24 à 10 heures du matin, se rapprochant encore de Borisov. Dans la Grande Armée, l’angoisse est palpable, car chacun sait que le pont de Borisov est coupé, que Tchichakov empêche le passage de la Bérézina, que Wittgenstein est à droite, si prés que l’on entend le feu de ses canons contre Victor, et que Koutousov, derrière, se rapproche. Chacun conjecture[1] sur les chances de pouvoir sortir vivant de ce guêpier.

Napoléon lui-même ne cache pas son inquiétude lorsqu’il écrit, dans l’instruction qu’il envoie, le 25 novembre à 5 heures du matin : « …Faites donc brûler ; dans 24 heures nous serons peut-être obligés de tout brûler… » Ce matin-là, il va à Borisov où il s’efforce de faire croire, en déployant moult activités visibles, que rien  de sérieux ne se trame à Studianka. Pendant ce temps, il ordonne d’y commencer la construction des ponts dés le soir.  Malheureusement, si on a bien fabriqué une vingtaine de chevalets, le bois utilisé se révèle trop faible, ils sont inutilisables.

Le 26 novembre, Napoléon se rend à 6 heures du matin chez Oudinot à Studianka pour évaluer la situation tactique. Il ne sait pas que la construction n’a pas encore commencé. Sa présence accélère tout.  Il fait passer à la nage quelques cavaliers et, par radeaux, quelques centaines d’hommes qui chassent les cosaques, mais pas les vedettes russes qui courent prévenir Tchichakov de ce qui se trame à Studianka. Quelques canons russes sont foudroyés par le feu des quarante canons disposés par Napoléon pour protéger le passage. On se rassure lorsque les prisonniers interrogés confirment que Tchichakov ne réagit pas, pas encore, puisqu’il est toujours en face de Borisov.

La construction des ponts ne commence que dans la matinée du 26 novembre. Elle comprend deux ponts séparés de 200 mètres, l’un à droite pour les cavaliers et l’infanterie, l’autre à gauche plus solide, pour l’artillerie et les voitures. La longueur des ponts est de 100 mètres, plus que prévu, et la profondeur maximale  est déjà de deux mètres à cause de la crue en cours. En silence, Napoléon assiste à la construction et avec lui toute l’armée. Tous regardent les pontonniers d’Éblé se jeter à l’eau jusqu’à la poitrine, ce qui, chacun le sait et eux les premiers, les condamne à une mort certaine, compte tenu du froid, de leur condition physique et de l’état de la médecine de l ‘époque : ils sacrifient leur vie pour que la Grande Armée vive…

Une Grande Armée, qui, ce matin du 26 novembre, n’est plus composée que de vingt-neuf mille sept cent combattants, dont quatre mille cavaliers, sans compter les traînards. Autour de lui, cent quarante mille Russes l’encerclent.

 

Neuf jours après Krasnoï, ce 26 novembre 1812, à une heure de l’après-midi, le pont de droite, celui réservé aux cavaliers et à l’infanterie, est achevé.



[1] Le général Rapp rapporte : « Ney me prit en particulier, nous sortîmes; il me dit en allemand: « Notre position est inouïe; si Napoléon se tire d’affaire aujourd’hui, il faut qu’il ait le diable au corps. » Nous étions fort inquiets, et il y avait de quoi. Le roi de Naples vint à nous, et n’était pas moins soucieux : « J’ai proposé à Napoléon, nous dit-il, de sauver sa personne, de passer la rivière à quelques lieues d'ici ; j'ai des Polonais qui me répondraient de lui, et le conduiraient à Wilna; mais il repousse cette idée, et ne veut pas en entendre parler. Quant à moi, je ne pense pas que nous puissions échapper. » Nous étions tous les trois du même avis.

 

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Survivre après Krasnoï

12 Mai 2011 Publié dans #HISTOIRE

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Le 17 septembre à Krasnoï la bien nommée[1], Napoléon échappe à l'encerclement grâce à la lenteur de Koutousov. Maintenant il lui faut durer.

Il prend quelques heures de repos, puis repart dans la nuit alors que la température remonte quelque peu et  que le dégel s’amorce, qui rend les chemins boueux. Il parvient néanmoins à atteindre Dubrovno le 18 novembre avant le jour, cinquante kilomètres plus loin.

Pendant que la troupe abat des maisons pour alimenter les feux, il apprend la perte de Minsk, prise par  les troupes de l’amiral Tchitchakov. C’est une catastrophe majeure, puisque sa retraite est désormais coupée. Comme à son habitude, Il réagit aussitôt en ordonnant à la division Drombrowski, chassée de Minsk, de se porter à Borisov et d’y défendre la tête de pont sur la rive droite de la Bérézina. Il ordonne aussi au corps d’armée du maréchal Oudinot, qui s’est replié de Polotsk deux cents kilomètres au Nord, de se joindre à la division Drombrowski afin de reprendre  Minsk. Mais comment enlever Minsk avec deux fois moins d’hommes que l’ennemi ?

À trois heures du matin, le 19 novembre, toujours depuis Dubrovno, Napoléon donne l’ordre au maréchal Victor de contenir autant que possible  les troupes russes de Wittgenstein. Enfin, au petit matin du même jour, Il fait mettre la Vieille Garde en carré, puis, se plaçant au centre, il la fait témoin de la désorganisation de l’armée pour lui confier le soin de maintenir la discipline. Sacrée nuit !

Il se remet aussitôt en marche vers Orsha, à trente kilomètres de là. Orsha est une ville de garnison située sur le Dniepr, qu’il atteint le 19 novembre à midi. Il s’y efforce de réorganiser ses troupes. Avec les trente-six canons et les chevaux qu’il y trouve, il fait six batteries. Il demande inlassablement de détruire les voitures non indispensables et il fait lire partout un ordre du jour enjoignant aux traînards de rejoindre les unités régulières. Sans beaucoup de succès.

Il quitte Orsha le 20 novembre au soir pour s’installer quinze kilomètres plus loin, à Baranui. C’est dans ce bivouac qu’il apprend la bonne nouvelle du sauvetage de Ney. Enfin une bonne nouvelle ! La tentation était grande de faire enfin une pause. Le temps était plus clément et à Orsha, on avait enfin trouvé des vivres. Or, il fallait continuer à avancer coûte que coûte, à cause de la prise de Minsk par Tchichakov. Mais qu’elles étaient silencieuses et accablées, ces troupes qui avançaient sans relâche ! Et que dire des traînards qui les entouraient !

Le 21 novembre, l’arrière-garde détruit à Orsha les ponts sur le Dniepr, tandis que Napoléon s’établit à Kokhanov, tourmenté par la question du pont de Borisov, qu’il faut à tout prix conserver. 

Las, le 22 novembre, alors qu’il marche vers Tolotchino, il apprend que Tchichakov vient de s’emparer, non seulement de la tête de pont, mais de la ville de Borisov elle-même ! Car Dombrowski n’a pas pu résister, avec ses cinq mille cinq cent hommes, à l’armée de Tchichakov, cinq fois plus nombreuse. En apprenant la nouvelle, Napoléon, d’ordinaire si maître de lui, ne peut s’empêcher de montrer sa consternation…

Comment s’en sortir ? Il ne reste qu’une seule solution, trouver un passage pour traverser la Bérézina malgré Tchichakov, et tout de suite, pour ne pas être pris en tenaille par Wittgenstein et Koutousov ! En plus, comme on n’a plus d’équipages de pont, il va falloir construire des chevalets et tout cela sans outils ! Mission impossible !

Napoléon voit bien que la situation est redevenue aussi critique qu’à Krasnoï. Platov talonne son arrière-garde. Wittgenstein le serre à droite, avec pour seul écran le corps d’armée de Victor. Comment empêcher Tchichakov et Wittgenstein de se réunir pour couper sa route ? Rien d’autre à faire que de prendre toutes les mesures possibles : faire face, le reste sera donné de surcroît. Napoléon se hâte vers Toloczin. Puisque Dombrowski a pu s’enfuir de Borisov avec mille cinq cent hommes, qu’il se joigne à  Oudinot. Que ce dernier marche sur Borisov pour reprendre la ville. Qu’il prévoit la construction de deux ponts, à droite ou à gauche de Borisov, si d’aventure le pont actuel était détruit. Qu’il soit maître d’un passage dans 48 heures. Il n’y a pas une minute à perdre !

Mais où passer, sans laisser le temps à Tchichakov de réunir son infanterie pour attaquer le pont ?

Dès lors, la partie d’échec commence.



[1] КРАСНЫЙ : rouge. 

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Bain de sang à Krasnoï

9 Mai 2011 Publié dans #HISTOIRE

Ayant perdu le contact avec Koutouzov au cours des deux semaines précédentes, Napoléon a cru à tort que l'armée russe était aussi affaiblie que la sienne. C’est pourquoi, à partir du 11 novembre, il commet l'erreur de reprendre sa retraite par petites unités et sur plusieurs jours, ne s'attendant pas à une offensive des Russes.

BD17pO23sWs5qUOB41QjFb.jpgLe 14 novembre, en tête de l'armée, les Corps de Poniatowski et de Junot passent Krasnoï, à 80 kilomètres de Smolensk et continuent à l'Ouest vers Orcha, 50 kilomètres plus loin.

Le lendemain 15 novembre, Napoléon, avec les seize mille hommes de la Garde impériale, arrive à son tour à Krasnoï où il pense rester quelques jours. Il s’agit de permettre aux six mille hommes du IVe Corps d’Eugène de Beauharnais, aux neuf mille hommes du Ier Corps de Davout et aux huit mille hommes du IIIe Corps de Ney, de le rejoindre pour poursuivre la retraite. Ces derniers, qui constituent l’arrière-garde, ne quittent Smolensk que le 17. À ces troupes organisées se sont joints quarante mille hommes et femmes qui marchent en désordre autour de ces divisions.

Plus au sud, dans des régions moins dévastées, l'armée de Koutouzov se dirige aussi vers Krasnoï dont elle atteint les environs  en même temps que Napoléon, le 15 novembre. Les Russes disposent de soixante mille hommes, d’une importante cavalerie et de 500 canons auxquels s’ajoutent les vingt mille cosaques qui  harcèlent les troupes françaises le long de la route.

Les dix sept mille hommes de Miloradovitch barrent l’accès à Krasnoï. Napoléon, à la tête des seize mille hommes de la Garde impériale, décide  de marcher sur lui. Impressionné par l’allure de la Garde, Miloradovitch refuse[1] le combat. Les troupes de Napoléon n’ont plus alors qu’à chasser les trois mille cinq cent cosaques d’Ozarowski qui défendent Krasnoï avant d’en décimer la moitié dans une attaque aussi surprise que nocturne. À ce moment-là, Napoléon envisage de rester à Krasnoï quelques jours pour permettre au reste de son armée de se regrouper. Les événements vont en décider autrement.

Le 16 novembre, le IVe Corps d’Eugène de Beauharnais se présente à son tour devant Krasnoï. Il perd, dans les combats que lui imposent les soldats de Miloradovitch, le tiers de ses hommes, son artillerie et son train des bagages.

Le 17 novembre, dans l'après-midi, le Ier Corps de Davout se hâte à son tour vers Krasnoï. La nouvelle de la défaite d'Eugène fait que Davout a décidé de ne pas attendre le IIIe Corps de Ney, qui n'a toujours pas quitté Smolensk. Miloradovitch déclenche un barrage massif d'artillerie contre lui, menaçant rapidement le Ie Corps d'anéantissement. Napoléon décide alors de le soutenir en simulant une offensive de la Garde impériale contre les troupes de Miloradovitch. Dans le même temps, ce qu’il subsiste du IVe Corps d'Eugène passe à l'ouest de Krasnoï pour sécuriser la route de retraite vers Orcha. Dès que Davout et Ney seront arrivés, Napoléon espère reprendre aussi rapidement que possible sa retraite afin de ne pas présenter son flanc à Koutouzov lorsqu’il marchera vers Orcha. 

En attendant, après que le simulacre d’attaque eut sauvé Davout, il envoie ce même 17 novembre à cinq heures de l'après-midi, onze mille soldats de la Garde pour sécuriser l'est et le sud-est de Krasnoï. Tandis qu'une colonne de cinq mille hommes marche le long de la route de Smolensk, une autre de six mille hommes marche au sud vers Ouvarovo. Koutouzov, impressionné, annule l'offensive prévue malgré l'écrasante supériorité numérique de ses troupes. Pendant ce temps, au nord de Krasnoï, les troupes de Davout commencent à arriver, fortement affaiblies par l’artillerie russe et le harcèlement des cosaques. Tous ces combats consomment quantité de soldats : c’est ainsi que, prés d’Ouvarovo, le 1er régiment d'infanterie légère de la Jeune Garde se retrouve réduit à onze officiers et cinquante soldats…

Afin de ne pas prendre le risque de se laisser encercler, la hantise de tout général, Napoléon décide de repartir aussitôt vers Orcha, quitte à sacrifier le IIIe Corps de Ney. Ce ne fut pas une décision facile, mais il finit par se résoudre à ordonner à la Vieille Garde de rejoindre le IVe Corps d'Eugène, à l'ouest de Krasnoï. De son côté, la Jeune Garde est relevée par les troupes de Davout, troupes qui ne comptent plus que la moitié des hommes partis de Smolensk. Seule une division de trois régiments commandée par le général Friedrich est laissée à Krasnoï.

Koutousov finit la journée du 17 novembre en submergeant l’arrière-garde de Napoléon, qui perd la totalité d'un régiment, tandis que sur la route d’Orcha, ce dernier pulvérisait un petit détachement de troupes russes dans un extraordinaire capharnaüm d'explosions, de wagons renversés, de fugitifs paniqués et que les cosaques s’emparaient du train de bagages du Ier Corps et même des effets personnels de Davout !thumbnail-1.aspx

À la nuit, ce 17 novembre, les soixante dix mille  soldats de Koutouzov occupent Krasnoï et ses environs. Pendant ce temps, sans se douter que c’est Koutouzov, et non Napoléon, qui l’attend à Krasnoï, le maréchal Ney, après avoir  quitté Smolensk le matin même, se dirige droit dans le piège.

C’est le lendemain 18 novembre à trois heures de l'après-midi  que se joue enfin le dernier acte de cette sanglante représentation, une aventure extraordinaire qui commence lorsque le IIIe Corps de Ney rencontre les 12 000 hommes de Miloradovitch. Ney dispose de 8 000 hommes qui sont pris sous le feu de l’artillerie russe. Miloradovitch, qui sait bien que Ney n’a aucune chance de percer au travers de l’ensemble des armées russes qui l’entourent, lui offre une reddition honorable. Ney la rejette, croyant toujours que Davout se trouve à Krasnoï et tente au contraire de se frayer un chemin à travers les rangs ennemis. Il parvient à percer les deux premières lignes d'infanterie, mais ses troupes épuisées succombent face à la troisième ligne. Miloradovitch fait alors à Ney une seconde proposition de reddition, que ce dernier rejette encore pour se lancer au  combat à la tête de ses hommes, un fusil à la main.

Il résiste jusqu’à la nuit, puis laissant ses feux de bivouac allumés, profite de l'obscurité pour s'échapper vers le Nord à travers la forêt, franchir à gué le Dniepr à peine gelé, se jeter dans la forêt avec deux mille rescapés poursuivis par les Cosaques de Platov et finit par rejoindre les troupes françaises à Orcha le 20 novembre. Ils ne sont plus que huit cent survivants, mais Napoléon qui les croyaient perdus, décerne  à Ney le titre de « Brave des braves » et puise dans cet exploit de nouvelles espérances, même si les combats de Krasnoï ont réduit la Grande Armée à trente mille hommes et vingt-cinq canons, sans aucune cavalerie.

Mais l'armée française n'était pas totalement anéantie.

 

Il lui restait à franchir la Bérézina…

 



[1] « La garde impériale avec Napoléon parmi eux traversa les rangs de nos Cosaques comme un navire de 100 canons aurait traversé une flottille de bateaux de pêche. »

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