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Le blog d'André Boyer
Articles récents

Comment prendre un nouveau marché sans se fatiguer

5 Octobre 2011 Publié dans #INTERLUDE

Je reprends ici la suite du recit de mes activités professionnelles à la Mobil, à la suite de mon article du 16 août dernier, intitulé « la Mobil, le malchanceux et moi »


tassemobilAu printemps 1972, une année qui allait se révéler riche en événements, ma famille et moi quittâmes Saint Germain en Laye pour Dijon, dans une petite rue tranquille derrière le célèbre Hôtel de la Cloche. L’appartement était agréable, vaste et calme, la ville se traversait en quelques minutes et nous avions des parents dans le voisinage. Je sollicitais l’installation d’un téléphone dans l’appartement (six mois à deux ans de délai) et en attendant je passais mon temps dans les Postes et les cabines téléphoniques pour communiquer avec la Mobil et ses clients, mes clients désormais.

Après les premiers contacts, je découvris rapidement que je n’avais pas grand-chose à faire, à moins que cette découverte ne soit liée à mon manque de savoir-faire et de motivation. Les clients avaient signé avec la Mobil des contrats pour une durée de trente ans, lorsqu’il s’agissait de petites stations-service ou de fourniture d’huile. Ils ne se renégociaient donc pas tous les jours. Que leur dire, entre-temps ?

Il y avait tout de même les contrats de FOD (Fuel Oil Domestique) avec les collectivités locales qui devaient être renégociés tous les ans ou presque, et qui me permirent de découvrir l’univers des ententes illicites sur les marchés et les prix entre pétroliers.

Je me souviens d’un exemple précis, que j’ai souvent raconté à mes étudiants. La direction de la Mobil m’avait demandé de « prendre » le marché de FOD de la ville de Dole, dans le Jura. C’était un marché détenu par la Shell. Je demandais à la direction à quel prix je devais faire mon offre. C’était le temps où le FOD se négociait autour des vingt centimes de francs le litre, aujourd’hui ce serait plutôt quatre-vingt centimes d’Euros, 28 fois plus ! On me ria au nez, me répondant que je n’avais qu’à offrir le prix que je voulais…

Le prix que je voulais ? je ne comprenais pas et lorsque j’insistais pour avoir une fourchette de prix, je n’obtins pas de réponse. Un peu énervé, je demandais par téléphone si je pouvais en faire cadeau du FOD ? Lorsque l’on m’eut répondu de ne pas jouer à l’imbécile, je finis par comprendre qu’il n’y avait qu’une solution raisonnable, celle de négocier avec l’heureux détenteur du marché de Dole. J’appelais mon homologue de Shell et quelques minutes au téléphone public à la Poste après avoir fait la queue pour avoir une cabine (pas de portable, pas de ligne à la maison) nous suffirent pour régler la question entre nous.

Après lui avoir rappelé qu’une guerre des prix serait contreproductive pour les marges de nos compagnies et avant tout pour nos primes, nous convînmes qu’il devait m’abandonner le marché de Dole sans combattre puisque mes chefs m’avaient donné l’ordre de le conquérir. Mais comme toute peine mérite salaire, je lui laissais en échange, bien sûr sans lutter, le marché de Chenôve, ville située en banlieue de Dijon : ses chefs à la Shell lui avaient en effet donné instruction de prendre le marché. C’était parfait : nous avions rempli tous deux nos objectifs, gagnant-gagnant, sans perdre de temps, ni d’énergie, ni d’argent pour nos deux entreprises. Quant à ces dernières, elles n’avaient ni gagné ni perdu de volume de ventes ou de marge. Par contre, mon homologue de la Shell et moi-même avions créé un mouvement qui démontrait que les services commerciaux des pétroliers étaient actifs en Bourgogne, luttant chaque jour pour étendre nos territoires dans une guerre de mouvement fourmillant de combats incertains, conquérant une ville ici, nouveau point rouge sur la carte, tout en perdant hélas, mais c’est la vie, une autre ville ailleurs, point rouge enlevé.

Bien sûr, le seul perdant était le contribuable qui payait trop cher le FOD, mais n’est-il pas destiné à se faire plumer, un jour pour nourrir les pétroliers, un autre jour pour engraisser les politiciens et un autre pour maintenir ces pauvres Grecs dans l’Eurozone ? Inutile de souligner aussi que ces manœuvres étaient parfaitement illégales, qu’elles ont donné lieu à de nombreux procès qui n’ont jamais abouti, personne apparemment ne se demandant comment la Mobil, comme les autres compagnies, parvenait à conserver depuis les années trente, une part de marché constante égale à six pour cent sans aucune fluctuation.

C’est ainsi que j’ai commencé à comprendre la profondeur de l’hypocrisie des jeux de pouvoir dans les sociétés humaines, les faibles faisant semblant de croire en l’honnêteté des prédateurs tandis que ces derniers font semblant de créditer les faibles de leur crédulité pour leur permettre de sauver la face, parce que les victimes veulent bien payer la note mais ne veulent pas avoir de surcroît à reconnaître qu’elles le savent.

 

Il ferait beau voir que les victimes reconnaissent qu’elles préfèrent payer plutôt que de livrer bataille pour défendre leur territoire : plutôt mourir ! 

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Les principes de notre première Constitution

29 Septembre 2011 Publié dans #HISTOIRE

Le 4 septembre dernier, j’ai publié un article qui raconte comment les Etats Généraux, s’étant eux-mêmes érigés en Assemblée Constituante, accouchèrent de la première constitution française, qui sera suivie de nombreuses, de très nombreuses autres.

King-Louis-Xvi--281754-93-29-Accepts-And-Swears-To-The-Cons.jpgPour instituer la liberté et l’égalité, le préambule de cette constitution commençait par faire place nette de tous les privilèges de la naissance, des charges, des corporations et des vœux religieux, en somme de tout ce qui faisait obstacle au pouvoir d’un État chargé d’unifier une nation :

« L'Assemblée nationale voulant établir la Constitution française sur les principes qu'elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits.

- Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d'ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations, pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse, ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autre supériorité, que celle des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions.

- Il n'y a plus ni vénalité, ni hérédité d'aucun office public.

- Il n'y a plus, pour aucune partie de la Nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception au droit commun de tous les Français.

- Il n'y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers.

- La loi ne reconnaît plus ni voeux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution. »

 

Il restait à la mettre en œuvre. Elle fut acceptée par le roi dés le 13 septembre 1791, et il prêta ensuite serment de la respecter. Lorsque l'Assemblée Nationale Législative se réunit pour la première fois le 1er octobre 1791, c’était un régime monarchique et parlementaire d’une grande nouveauté pour la France, alors que le même type de régime fonctionnait depuis longtemps en Grande-Bretagne.


Mais les conditions de son fonctionnement étaient toutes différentes dans les deux pays, comme on le verra plus loin. 

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Encore un moment, monsieur le bourreau!

22 Septembre 2011 Publié dans #ACTUALITÉ

 

 

Encore un moment, Monsieur le bourreau, un petit moment, prière adressée par Marie Jeanne Bécu, comtesse du Barry le 8 décembre 1793 avant d’être guillotinée. 

 

 

Avant-propos : cet article tient des propos optimistes, très optimistes !

 

Nous voulons croire que nous avons des dirigeants qui dirigent. Nous ne voulons pas voir que nos dirigeants sont de petites gens décidées à faire fortune par la politique, prêt à tout pour rester en place avec l’aide du mensonge, du refus d’assumer ses responsabilités et de la manipulation du système politique.

 

Du-Barry.jpegNaturellement nous sommes responsables de cet état de fait, en raison de notre vision du monde du « tout, tout de suite », à moins que nous voulions nous en exonérer en revendiquant le statut de victime des mirages de la société de consommation.

Quoi qu’il en soit, le moment est venu de solder les comptes et de prendre une autre direction, car, comme le déclarait Winston Churchill en se référant à la politique étrangère et militaire de la Grande-Bretagne en 1936[1], le temps des conséquences est arrivé. Ce temps est à l’évidence venu dans le domaine économique, et sautant de conséquences en conséquences, il menace d’atteindre le social, le politique et finalement notre vision du monde. Dans ces circonstances, nous avons  besoin de témoins qui nous disent la vérité et de décideurs qui en assument les conséquences.

Nous disposons des témoins et je pressens que les Français, comme tous les Européens, ont compris leurs messages. Ils ont compris que la situation économique actuelle n’était pas viable. Ils ont compris qu’un budget de l’État dont les dépenses sont financées au tiers par la dette était intenable. Ils ont compris que la Grèce ne rembourserait jamais sa dette publique et ils ont compris que leurs propres banques devraient être nationalisées et recapitalisées.

Quant aux hommes politiques, ils ne savent plus ni quoi dire, ni quoi faire. Ils vont répétant, comme des robots déconnectés de leurs télécommandes, que tout est sous contrôle. Mais dés qu’ils se sentent libre de parler, ils nous assènent comme des évidences des vérités opposées. Pour prendre deux exemples extraordinaires, on voit DSK et Christine Lagarde dirent le contraire, respectivement à propos de la  dette grecque et des banques françaises, de ce qu’ils affirmaient six mois plus tôt ! Mais peu importe désormais, car quoi qu’ils disent ou taisent, leur temps est tout simplement fini et ils le savent : autant mourir pavillon haut !

En effet, aujourd’hui nous n’avons plus besoin d’eux, sauf comme boucs émissaires de nos inavouables faiblesses. Ils servaient à nous raconter des histoires de réduction de temps de travail, de maintien des avantages acquis, de sécurité sociale généralisée, de retraite garantie, d’emplois crées du fait du prince. C’est fini. Nous avons désormais besoin de politiciens qui nous sauvent de la faillite, qui restaurent nos capacités de production, qui arrêtent notre chute vers l’enfer de la pauvreté et du désordre. Nous connaissons tous, que nous voulions l’avouer ou non, la contradiction que nous devons dénouer, collectivement et individuellement: tout simplement trop de consommation, pas assez de production. Les déficits du budget de l’Etat, de la Sécurité Sociale mais surtout celui du commerce extérieur, ne font qu’exprimer cette contradiction  centrale que les politiciens ne veulent en aucun cas aborder et qu’ils ne traitent qu’avec des ruses de sioux.

Or c’est non seulement une question qu’il faut aborder de front mais traiter en pratique d’urgence, sous peine de descendre plusieurs marches supplémentaires. C’est pourquoi il nous faut le plus rapidement possible d’autres leaders, des leaders qui savent mettre des mots sur la réalité nouvelle et qui trouvent la force de mettre en œuvre les moyens pour atteindre nos nouveaux objectifs, y compris celui de nous contraindre à nous y tenir. Vérité, Leadership, Valeurs, voilà ce que nous attendons de nos futurs dirigeants. Haro sur le mensonge compatissant pour nos faiblesses, la dispute permanente sur les moyens et les fins et l’apologie de la jouissance égoïste. À l’évidence, ce ne sont pas des gens anxieux de se servir de la politique pour profiter des facilités du pouvoir et pour s’enrichir qui sont adaptés à la situation.

En clair, ce ne sont pas des personnes qui sont à la recherche de valises de billets ou qui couvrent des mafieux parce qu’ils leur apportent des paquets de voix dans les congrès qui correspondent à nos besoins. Nous cherchons des gens sincères, désintéressés et  capables de nous mobiliser. Il nous reste à les trouver et à les hisser sur le pavois, en dépit de la foule des ambitieux qui veulent les faire tomber. Lourde tâche induite par les bouleversements des rapports de force et des valeurs qu’elle implique, mais de toutes manières le temps des facilités est terminé. 

Chacun l’a compris, en espérant toutefois faire partie le plus longtemps possible des derniers passagers clandestins de la société d’abondance. Il reste donc à ce que la prise de conscience du retour du primat de la production sur la consommation se généralise avant d’en tirer les conséquences. Période exaltante que celle qui est à venir pendant laquelle nous allons construire une nouvelle société à l’opposé, tout à fait à l’opposé, de la délicieuse et détestable société de consommation dont nous avons joui depuis trois générations.

 

Bienvenue à la société suivante, celle que vont devoir accoucher au forceps nos enfants nourris au sein du confort, de l’oisiveté et des artifices !




[1] Dans son discours du 12 novembre 1936, Winston Churchill déclarait à la Chambre des Communes : « Le temps de la procrastination, des demi-mesures, des expédients apaisants et étonnants, approche de sa fin. Nous entrons dans l’ère des conséquences ». 

 

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Chaque jour, répondre pratiquement aux attentes de la vie

17 Septembre 2011 Publié dans #PHILOSOPHIE

Dans un blog publié le 21 août dernier, intitulé « Le silence et la propagande, je notais qu’il était inconcevable de se faire le champion de convictions pratiques au nom de la science, car c’était compter pour rien les valeurs qui s’affrontent pour juger de la validité de nos actes. Quel est donc l'apport positif de la science à la vie pratique et personnelle?

 

4278974-lgPoser en ces termes cette question, c’est s’interroger encore et toujours sur la capacité de la science à répondre à nos problèmes existentiels, une science capable de nous apporter aussi bien les connaissances grâce auxquelles nous dominons la vie du point de vue matériel que des méthodes de pensée. Mais cette même science ne sait toujours pas si la fin justifie les moyens; à peine peut-elle nous éclairer sur la relation entre les objectifs que l’on se donne et leurs conséquences prévisibles.

Aussi, si vous persistez à rechercher quelqu’un qui vous dise ce que vous devez faire dans la vie ou comment organiser votre vie, ne vous adressez pas à la science. Cherchez plutôt un Messie. Et si vous ne parvenez pas à entendre la voix de ce Messie, acceptez donc de vivre sans Messie.

Et n’allez pas croire qu’une théologie, censée offrir une rationalisation intellectuelle de l'inspiration religieuse, puisse répondre à vos interrogations. Déjà la science exige de nous que nous acceptions ses postulats sans nous apporter la moindre preuve de leur validité. Les théologies en rajoutent d'autres concernant le sens de la vie et du monde, selon une démarche identique à celle de la théorie de la connaissance de Kant qui partait de la présupposition que la vérité scientifique existe et qu’elle est valide, pour se demander ensuite, et seulement ensuite, quelles étaient les présuppositions qui rendaient cette même vérité scientifique possible!

En outre, les théologies nous demandent de croire à des révélations supposées indispensables au salut de notre âme sans que nous ayons les moyens de comprendre d’où proviennent ces présupposi­tions! Croyez! Obéissez aux préceptes du Livre! Mais si nous ne croyons pas, elle baisse alors les bras, avouant que ses raisonnements ne sont valables que si nous avons, au préalable, la foi. Et voilà le croyant ramené de force à la maxime de Tertullien, à moins qu’elle ne soit de saint Augustin :

Credo non quod, sed quia absurdum est.

Il faut donc se résoudre, avec ou sans l’aide de la théologie à sacrifier l'intellect pour croire, ce qui aboutit à une tension insurmontable entre la croyance à la science et la recherche du salut…

Mais nos temps modernes n’ont rien prévu pour résoudre cette tension. Ce sont des temps rationnels, qui ne comptent que sur l'intellect pour comprendre un monde qu’il s’agit à tout prix de désenchanter. Ce sont des temps qui obligent les êtres humains à extraire leurs valeurs personnelles du champ de la vie publique, pour ne les exprimer que dans le cadre de la transcendance ou dans celui de l’intimité des  relations personnelles entre individus. Ils poussent celui qui ne parvient pas à supporter le vide spirituel de l’époque à rechercher un refuge douillet dans les vieilles croyances, au prix du sacrifice de son intellect. Encore heureux s’il ne cède pas à la faiblesse de croire que de nouveaux prophètes viendront, un jour béni, à son secours, pour révéler à tous et pour toujours, qu’il avait bien raison de croire. Une faiblesse sans espoir, tant l’histoire la appris depuis des millénaires à l’humanité qu’aucun sauveur ne viendra jamais, alors que, régulièrement, de nouveaux prophètes n’annoncent la fin du monde.  

Pour les autres, ceux qui cherchent à résoudre la tension entre la foi en leurs valeurs et le silence de la science, qu’ils se convainquent le plus tôt possible que rien ne s'est jamais fait par l’attente d’un Sauveur qui viendra leur rendre Justice.

 

Qu’ils se mettent au travail et répondent concrètement aux demandes que la vie leur présente chaque jour dans leur vie d’être humain...

 

(Adapté de Max Weber, « le métier et la vocation de savant »)

 


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L'aventure au bureau

8 Septembre 2011 Publié dans #INTERLUDE

Certains croient que, pour vivre des aventures, il faut aller loin, prendre des risques, et que celui qui se rend tous les jours au bureau ne peut avoir qu’une vie monotone et banale.

Il n’en est rien, la preuve :

Fenetre-copie-1.jpegC’est l’après-midi, il y a quelques jours. Je m’attarde dans mon bureau. Lorsque j’estime que j’ai terminé mon travail, il est déjà dix-neuf heures passé, le temps s’écoule vite lorsqu’on est occupé. Je sors dans le couloir. Vide. Personne. Je descends en vitesse pour constater, de porte en porte, que toutes les issues du bâtiment sont verrouillées, les volets descendus. Je ne peux plus sortir ! Que faire ? tambouriner aux portes ? appeler ? le responsable du campus est loin. Il a déjà fermé toutes les issues du campus et il doit être tranquillement chez lui, devant la télé. Je pense qu’il a vu ma voiture, mais il ne s’est posé aucune question, sinon il serait venu frapper à ma porte, il l’a déjà fait. Téléphoner, mais à qui ? Appeler les pompiers : un peu excessif. Il faut que je sorte par moi-même.

Un peu inquiet, Je cherche une fenêtre à ouvrir. Au niveau du rez-de-chaussée, les rares fenêtres sont grillagées et les portes sont verrouillées avec un signal d’alarme qu’il vaut mieux éviter de déclencher. Je  trouve quand même un vasistas, à mi-hauteur, au bout du couloir. Il est haut, malaisé d’accès et demande un saut assez périlleux d’environ trois mètres pour sortir. C’est déjà ça, j’ai une solution.

Mais comme je n’ai pas un entraînement commando, ce serait préférable de trouver mieux. Je repère une fenêtre au milieu du couloir donnant vers le Nord, qui me semble plus abordable. Elle m'offre le choix, soit de me laisser glisser jusqu’à un goulet trois mètres en contrebas, juste au-dessous de la fenêtre, soit de sauter depuis la fenêtre jusqu’à une surface herbée un peu éloignée mais qui n’est qu'à deux mètres en contrebas. Je choisis la seconde solution, ouvre les vantaux, monte sur un fauteuil, passe la fenêtre, descend sur un rebord situé à l’extérieur, jette mon cartable en cuir dans le gazon, tire sur les vantaux derrière moi pour ne pas laisser de trace de mon forfait et saute !

L’arrivée est un peu brutale, malgré l’herbe. Le sol est assez dur et je manque apparemment de souplesse, mais rien de cassé ni d’ébranlé. Je ramasse le pauvre cartable que je balance à nouveau de l'autre côté, monte sur la grille, manque d'y laisser le fond de mon jean et saute à nouveau, de pas très haut cette fois-ci.

Me voilà sauvé, hors de l’enceinte du campus. Mais ma voiture est restée sur le parking, à l’intérieur. Bien sûr, la clé de la maison est dans la voiture. Pour la récupérer, il faudrait repasser encore deux fois la grille qui entoure le parking, et sa hauteur de plus de deux mètres exigerait un effort d’escalade plus accentué que celui qu'a necessité la barrière que je viens de franchir.

Point trop n’en faut, le jeu n’en vaut pas la chandelle, j’abandonne contraint et forcé la voiture et volontairement les clefs, pour me diriger à pied vers la maison, assez soulagé. Vingt minutes de marche, c’est tout. Mais voilà, c’est le jour et l’heure à laquelle ma femme, occasionnellement, participe à une réunion et elle a fermé  l'accès à son téléphone pour ne pas perturber les débats. Il ne me reste plus qu’à lui laisser un message téléphonique  et à venir chercher sa clé dans la salle de la réunion. Vingt minutes de marche de plus…

Finalement, j’arrive dans la salle pour constater que ma femme est partie, mais comme elle a entendu mon message, elle m’attend devant la grille.

Le lendemain, en revenant à pied devant le campus, j’ai regardé de manière étrange ma voiture sagement garée depuis la vieille sur le parking : si elle savait…

Comme quoi, il suffit d’un rien pour que la vie monotone et réglée d’un bureaucrate, comme celle d’un professeur d’université, se transforme en une aventure prodigieuse dans laquelle l’initiative, les réflexes et l’instinct de survie s’imposent tout d’un coup à vous, comme si vous étiez soudain précipité dans une jungle inextricable !

PS : à l’instant où  je termine ces lignes dans le même bureau, je regarde l’heure, il est près de sept heures du soir. Et si toutes les issues étaient encore fermées ????

 

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Une constitution royaliste pour la France

4 Septembre 2011 Publié dans #HISTOIRE

Dans mon blog du 11 août dernier, j’ai décris comment l’Assemblée légiférait dans une ambiance agitée, avec pour objectif de détruire les fondations de la croyance au roi de droit divin et de faire disparaître les contre-pouvoirs susceptibles de s’opposer au règne de la raison, que l’Assemblée Constituante prétendait incarner.

insurrection-copie-1Ce n’était pas pour plaire au roi et lorsque ce dernier tenta sans succès de quitter la France avec sa famille, il fit voler en éclats l’unité de façade de la Révolution.

Dans la nuit du lundi 20 au mardi 21 juin 1791, Louis XVI parvint en effet à s’enfuir des Tuileries avec sa famille. Se considérant comme prisonnier des émeutiers des faubourgs parisiens depuis le 6 octobre 1789, date à laquelle il avait dû quitter Versailles, le roi s’était finalement décidé à rejoindre l’armée du marquis de Bouillé, concentrée à Montmédy et à Metz.

Les fais sont bien connus : parvenue à Sainte-Menehould, la berline royale avait pris du retard, si bien que le détachement de hussards envoyé par le marquis de Bouillé pour assurer sa protection n'était pas en selle. Les villageois laissaient partir la berline suspecte mais retenaient les hussards, tandis que le fils du maître de poste Drouet, mandaté par la municipalité, sautant sur un cheval, devançait la berline à l'étape suivante, Varennes en Argonne, où il alertait les habitants et le procureur de la commune, l'épicier Sauce, qui arrêtaient la voiture royale.

Le 23 juin au matin, la berline reprenait le chemin de Paris, rejointe par trois députés envoyés par l'Assemblée. Le 25 juin, le cortège entrait à Paris dans un silence funèbre. Le roi, reconduit au palais des Tuileries, était placé sous la «surveillance du peuple» et il était provisoirement suspendu de ses pouvoirs. Pour maintenir la souveraineté du roi sur un peuple qu’il avait essayé de fuir, l'Assemblée se résolut à qualifier la péripétie de Varennes « d'enlèvement ».

Il n’est pas étonnant dans ces circonstances qu’au Club des Cordeliers, Danton et Marat aient lancé une pétition pour la déchéance du roi, pétition déposée au Champ de Mars accompagnée par les habituels manifestants des faubourgs.

L'assemblée réagissait en proclamant la loi martiale et la garde nationale sous les ordres de La Fayette, faisait feu sur les pétitionnaires, provoquant des dizaines de morts. Danton et Marat s'enfuyaient provisoirement en Angleterre pour en revenir sans encombre, apprenant ainsi  que l’on pouvait être émeutier sans en mourir.

Mais au Club des Jacobins, la majorité des députés, y compris Robespierre, souhaitaient maintenir la monarchie par stratégie, afin d’éviter que la déchéance de Louis XVI n'entraîna la France dans une guerre contre les autres monarchies européennes, dans laquelle la Révolution aurait pu se perdre. Une partie d’entre eux, qui, comme La Fayette, souhaitaient que les pouvoirs du roi soient accrus dans la future Constitution de manière à restaurer un minimum de confiance entre le roi et la Révolution, se séparaient du Club des Jacobins pour former le Club des Feuillants.

Finalement, l’Assemblée parvenait à produire le 3 septembre 1791, une Constitution pour le Royaume, à laquelle le roi voulut bien prêter serment.

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Merci, Steve.

30 Août 2011 Publié dans #ACTUALITÉ

D’accord, l’actualité c’est celle de la Libye et de la Syrie, des dettes européennes, de la perte du triple A, des émeutes de Londres ou du lamentable feuilleton DSK, mais aujourd’hui je préfère écrire sur Steve Jobs. 

Steve-Jobs.jpegL’autre jour, à 56 ans, le génial fondateur d’Apple, Steve Jobs, s’est retiré, sans doute vaincu par la maladie. Je voudrais le remercier: depuis que j’ai des ordinateurs, je n’utilise que les siens. Je me demande d’ailleurs comment on peut continuer à se servir d’autres ordinateurs tant le sien me paraît bien supérieur, sauf à invoquer pitueusement la difficulté à changer de système. Longtemps, j’ai cru que je n’étais qu’un marginal nostalgique qui ne pouvait pas avoir raison contre 97% des gens et puis, ces dernières années, tout le monde s’est mis à utiliser des produits Apple. La firme, sous sa géniale impulsion est du coup devenue la première entreprise du monde, si on s’en réfère à sa valeur sur le marché : à ce jour, Apple a vendu grâce à lui 314 millions d’Ipod, 129 millions d’Iphone, 30 millions d’Ipad. 

Qui est-il donc ce Steve Jobs, qu’a t-il à nous apprendre, cet homme qui a su rassembler en lui la créativité d’un visionnaire et l’esprit de décision d’un joueur de poker ? On peut le découvrir en regardant, grâce à You Tube, le discours qu’il a prononcé devant les étudiants diplômés de l’Université de Stanford, le 14 juin 2005. 

Que leur dit-il ?

À ces étudiants si fiers de leurs diplômes, il commence par leur expliquer que lui, il n’a jamais été diplômé par sa propre université, Reed College, parce qu’il avait trouvé ennuyeux leurs cours obligatoires. Alors, au bout de six mois, il ne s’était mis à suivre que les cours qui l’intéressaient, comme la calligraphie par exemple, dont il s’était servi, dix ans plus tard, pour définir le design de son premier ordinateur. 

Quelques années plus tard, il fonde Apple dont il est évincé, à 30 ans, par l’adjoint qu’il avait lui-même recruté. C’est la vie : il est brisé, dévasté et il ne lui reste plus qu’à repartir de zéro. Steve Jobs découvre alors que « la lourdeur de la réussite avait été remplacée par la légèreté d’être à nouveau un débutant sûr de rien. Cela m’a libéré pour entrer dans l’une des périodes les plus créatrices de ma vie ». Il aura une revanche complète, il reprendra les rênes d’Apple, il aura de plus en plus de pouvoir, ses limites sembleront se fondre avec l’horizon. Mais le sort n’en a pas fini avec lui : un an avant son discours, il y a 7 ans, il découvre qu’il est atteint d’un cancer dont on lui apprend qu’il ne lui laisse que quelques années à vivre. Personne n’est un surhomme.

C’est pourquoi il se met soudain à entretenir ces étudiants d’un sujet auquel ils ne veulent en aucune manière penser, eux qui ont toute la vie devant eux, la mort : « Personne ne veut mourir et pourtant la mort est la destination que nous partageons tous. C’est très bien comme ça, parce que la mort est la meilleure invention de la vie. C’est l’agent du changement, car ça déblaye l’ancien pour faire place au neuf. » Puis il s’adresse à nous tous : « Puisque votre temps est limité, ne gâchez pas votre vie en essayant de vivre celle des autres. Ne vous enfermez pas dans le dogme qui postule qu'il faut  vivre en fonction des pensées des autres. Ne laissez pas le bruit de l’opinion des autres étouffer votre propre voix intérieure. Ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition et n’oubliez pas que tout le reste, succès, réputation, richesse, n’est que secondaire. »

Il termine en évoquant le dernier numéro d’un magazine des années 60, sur lequel les rédacteurs avaient fait leurs ultimes recommandations à leurs derniers lecteurs fidèles : "stay hungry, stay foolish". Maintenant que vous êtes diplômés, leur dit Steve Jobs, je vous laisse ces quatre mots comme feuille de route pour la nouvelle vie qui s’ouvre devant vous. Il le leur répète encore une fois en conclusion : "stay hungry, stay foolish." 

C’est bien ce qu’a su conserver en lui Steve Jobs, avoir toujours envie, rester toujours un peu fou. Et c’est ce que je nous souhaite pour demain à nous tous, ne pas nous épuiser à vivre la vie des autres, ce qui nous permettra de continuer à avoir faim de vivre et nous donnera les moyens d’être un peu fous…

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le silence et la propagande

21 Août 2011 Publié dans #PHILOSOPHIE

Dans l’article de mon blog, publié le 31 juillet dernier et intitulé « Un projet scientifique sans signification? », je m’interrogeais sur le sens de la science. Dans cet article, nous confrontons les sciences à la pratique de la vie.

images-3-copie-4.jpegLe silence

Tout travail scientifique présuppose toujours la validité des règles de la logique et de la méthodologie qu’on lui applique. En outre, on présuppose également que le résultat auquel aboutit le travail scientifique vaut la peine d'être connu.

Or, l’intérêt du résultat que l’on recherche n’est pas démontrable par des moyens scientifiques. Les sciences de la nature, comme la physique, la chimie ou l'astronomie présupposent qu'il est essentiel de connaître les lois dernières du devenir cosmique, non seulement pour les résultats pratiques que l’on en attend, mais aussi par principe, parce que cette connaissance a une valeur intrinsèque. Pourquoi? Parce que.

Selon le même angle, regardons quels sont les principes de la médecine. Cette dernière pose comme principe premier que le devoir du médecin consiste à  conserver la vie de ses patients le plus longtemps possible et à limiter, autant que faire se peut, leur souffrance. C’est en vertu de ce principe, débattu à juste titre, que le médecin s’efforce de maintenir en vie tout  moribond même si ce dernier  ou sa famille le supplie d’abréger ses souffrances. Sous peine de poursuites pénales, le médecin ne peut pas agir autrement, car il s’écarterait du principe fondamental de la médecine qui refuse de se poser la question de savoir si la vie mérite toujours d'être vécue, quelles que soient  les conditions dans lesquelles elle se déroule. 

C’est ainsi que les sciences physiques ou médicales nous apportent des réponses techniques sur ce qu’il faut faire pour maîtriser la nature ou la vie, mais qu'elles refusent de se poser la question de savoir si cela a un sens, en fin de compte. Elles n’y répondent pas parce qu'elles n’ont rien à dire sur le sens de la vie.

La propagande

Mais nous n’avons pas encore abordé le cas des sciences humaines, qui posent de leur côté la redoutable question de leur utilisation à des fins politiques ou idéologiques. Rien n’est plus facile en effet de mêler l'analyse et le jugement de valeur dans le cadre de la sociologie, de l’économie, du droit, de la psychologie, de l’histoire, de la géographie ou de l’ethnologie. Aborder scientifiquement une structure humaine est une chose, prendre une position politique en est une autre. Les termes  que l’on utilise alors ne sont plus les moyens d'une analyse scientifique, mais ceux d’un appel politique en vue de solliciter des prises de position chez ceux qui vous lisent ou vous écoutent. Ce ne sont plus des outils d’analyse mais des moyens de combat. C’est une vilenie que d'employer ainsi les mots dans une salle de cours ou dans un studio de télévision. Naturellement, on attend par principe des professeurs ou des journalistes qu’ils n’imposent pas à leur auditoire une quelconque prise de position, mais il est aussi facile que déloyal de prétendre « laisser parler les faits » tout en les choisissant et en les orientant pour influencer ses auditeurs. C’est toute l’ambiguïté des sciences humaines qui sont parfois dévoyées en plaidoyers politiques.

Il est vrai qu’il est difficile, voire impossible d’être neutre, que soit pour un professeur, pour un écrivain ou pour un journaliste. Mais on peut du moins attendre de celui qui professe ou qui s’exprime dans les medias de la probité intellectuelle. Cela signifie qu’il doit faire saisir à son auditoire qu’il faut toujours distinguer les faits, les logiques ou les structures des sociétés humaines et les réponses à apporter à la manière dont il faudrait agir dans la cité. Si bien que la tâche primordiale de celui qui veut enseigner à l’autre les sciences humaines consiste à lui apprendre que l’on y trouve des faits inconforta­bles, c’est-à-dire  des faits discordants avec l’opinion personnelle que l’on s’est forgé à priori.

Se faire le champion de convictions pratiques « au nom de la science » est finalement inconcevable, parce que c’est faire fi des différentes valeurs qui s’affrontent dans le monde : du point de vue scientifique, « œil pour œil » est-il une meilleure réponse que de « tendre l’autre joue » lorsque vous subissez un affront?

 

(Adapté de Max Weber, « le métier et la vocation de savant »)

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La Mobil, le malchanceux et moi

16 Août 2011 Publié dans #INTERLUDE

Comme je vous l’ai raconté dans mon article précèdent relatif à mes aventures à la Mobil, je m’étais lancé dans une grande enquête sur l’huile Mobil Delvac, dans le but de démonter les erreurs commises par la Mobil et de montrer par ricochet combien j’étais fort et perspicace,

images-1-copie-1Je le remettais cérémonieusement à mon Chef qui me promit de le lire, ainsi qu’à quelques cadres amis qui le rangèrent dans leur tiroir. Et ce fut tout.

Quelques jours plus tard, j’interrogeais mon chef pour lui demander ce qu’il pensait de la lecture de mon rapport. Il me répondit vaguement que c’était très bien. Manifestement il ne l’avait pas lu et il ne comptait pas s’en servir. Il me fallut admettre que ce travail et ce rapport n’avaient été que des coups d’épée dans l’eau, ce qui pour moi constituait un grand coup sur la tête alors que je me l’étais donné moi-même en prenant l’initiative de ce rapport. Et je me posais désormais une question existentielle: à quoi je servais, dans cette boîte ?

Finalement, la « boîte » m’a trouvé un emploi. Vers le mois de mars 1972, après six mois de stage assez fade, elle m’a nommé à Dijon comme responsable commercial de la région Bourgogne. Comme je l’ai écrit dans le blog intitulé «J’ai rêvé la Mobil O. », il s’agissait de gérer les « distributeurs » de la Mobil, petits et moyens dans une grande et belle région, qui allait d’Auxerre et Troyes à Pontarlier, comprenant à la fois la Bourgogne et le Jura. Je devais remplacer le titulaire du poste, en très long congé de maladie à la suite d’une série de trois accidents successifs. Ce commercial que nous appellerons ici Michel Bauerman, était un sympathique père de famille nombreuse d’origine alsacienne ; il se croyait, à l’inverse de moi-même, doué pour le bricolage, quoique les faits se soient chargés de démontrer qu’il surestimait ses aptitudes dans ce domaine :

Un jour où il installait un câble électrique dans son garage, il a saisi le fil dénudé dans sa main droite alors qu’il était sous tension. Je crois que c’était du 380 volts, ce qui explique sans doute qu’il soit resté accroché au câble électrique, tout en étant précipité violemment contre toutes les parois du garage jusqu’à ce que les brûlures de sa main fassent isolant. Ce n’est qu’avec retard que sa femme le découvrit inconscient avec de multiples contusions, la main brûlée et ayant subi un sérieux choc cardiaque.

Il a donc bénéficié d’un congé maladie que la Mobil espérait bref, puisqu’elle laissa son poste vacant. C’était sans compter sur l’exigeant besoin d’activité physique du convalescent.

Imprudemment chaussé de sandales découvertes, il estima qu’il était de son devoir de seconder son épouse en tondant le gazon autour de son pavillon. Le terrain était en pente, la tondeuse à moteur dérapa sur son pied gauche dont elle sectionna deux doigts, dont le pouce. On parvint heureusement à retrouver les doigts et à les greffer, mais cet accident imprévu retarda encore la reprise des activités professionnelles de mon prédécesseur. Néanmoins la Mobil patienta, espérant une reprise du travail prochaine de son directeur régional qui connaissait bien le secteur.

C’était faire fi de l’incroyable malchance qui s’acharnait à cette époque sur monsieur Bauerman et par ricochet sur les services commerciaux de la Mobil en Bourgogne:

Alors qu’il achevait sa période de convalescence, Monsieur et Madame Bauerman et leurs enfants décidèrent légitimement de rendre visite à leurs familles en Alsace. Si la Mobil pouvait nourrir une certaine amertume à l’égard de Monsieur Bauerman, eu égard à sa maladresse domestique qui la privait momentanément d’un cadre exemplaire, elle ne put que maudire le sort qui s’acharna sur lui lors de son escapade sur les routes alsaciennes : alors que l’automobile de la famille Bauerman roulait tranquillement le long d’une forêt qui bordait une belle route nationale sur la plaine alsacienne entre Mulhouse et Colmar, surgit sur sa gauche un puissant cheval de trait qui s’était échappé d’une ferme proche.

Le cheval s’élança sur la chaussée à la perpendiculaire de la voiture, se cabra puis retomba de tout son poids, qui était considérable, sur le pavillon à la hauteur de Monsieur Bauerman. Le pavillon du véhicule fut enfoncé et ce dernier se retrouva coincé entre le pavillon, le siége et le volant, incapable d’enlever son pied de l’accélérateur. Du coup, au lieu de s’arrêter, la voiture  vint percuter un arbre. Miraculeusement, seul Monsieur Bauerman fut blessé dans ce double accident. Il fallut découper les tôles du véhicule pour l’extraire et découvrir qu’il avait des plaies ouvertes, souffrait à la fois de multiples fractures et d’un violent tassement de la colonne vertébrale.

Le corps médical prévoyait une longue période de convalescence, d’autant plus que les deux accidents domestiques précédents avaient affaibli le bléssé, encore que son moral, à ma surprise, me parut excellent lorsque je le rencontrais. Cette fois ci, on la comprend, la Mobil avait perdu patience, estimant désormais que la mauvaise fortune de Monsieur Bauerman menaçait  de devenir un phénomène permanent. Quoi qu’il en soit, elle  ne voulut pas tenter le sort et décida de le remplacer in petto. Et m’affecta à son poste.

Lorsque j’appris, de la bouche de Monsieur Bauerman, l'invraisemblable série de coups du sort qu’il avait subie, je me pris à espérer que cette dernière n’était en aucune manière liée à la fonction qu’il occupait. 

 

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Le pouvoir glisse des mains du roi

11 Août 2011 Publié dans #HISTOIRE

Je terminais mon blog du 23 juillet dernier,  en rappelant la signification symbolique du 14 juillet 1789 : ce jour là, tandis que la cour concentre des troupes autour de Versailles, des émeutiers prennent la Bastille à la recherche d’armes. Le roi recule, le roi capitule, les premiers émigrés quittent la France.

images-1La municipalité parisienne est de facto le nouveau maître et commence la dictature de l’émeute, qui est paradoxalement célébrée comme une victoire sur la tyrannie.  C’est sous la protection du Faubourg Saint-Antoine que l’Assemblée Constituante peut écrire sereinement la première constitution de l’histoire du pays.

Sereinement ? l’émeute gronde en province. Les paysans sont agités par la « Grande Peur ». Ils croient que les nobles vont lâcher sur eux des nuées de brigands pour se venger de leur perte de pouvoir. Pour anticiper cette réaction inventée, ils brûlent les châteaux, ils tuent. Après le roi, cette fois c’est l’Assemblée qui cède sous la pression en supprimant les privilèges, les inégalités fiscales et les droits féodaux. Puis, dans un grand élan de foi en l’humanité, elle produit l’immortelle « Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen », le credo de la France nouvelle et le catéchisme de tous les hommes, de tous les temps et de tous les pays !

Il est vraiment étonnant, à la reflexion que la date du 26 août 1789, qui est celle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen » n’ait pas été retenue comme celle de la fête nationale. C’est pourtant au nom de cette déclaration que nos gouvernants se croient autorisés à faire la leçon aux dirigeants politiques de tous les pays du monde. On ne peut pas croire, à moins d’être un esprit très cynique, qu’il s’agisse de faire comprendre aux citoyens français, de manière subliminale, que la République a choisi le 14 juillet comme fête nationale afin de célébrer l’émeute en tant que procédé politique, de préférence  au respect des règles démocratiques.

En août 1789, la Déclaration a pour premier effet de renverser le fondement du pouvoir en France, puisqu’elle remplace l’onction du sacre de Reims qui faisait du roi de France « le lieutenant de Dieu sur terre » par la « Nation ». Désormais, le roi n’était comptable du pouvoir de l’État non pas devant Dieu, mais devant la Nation qui le chargeait de faire respecter la Déclaration des Droits de l’Homme. Puis l’automne 1789 voit le pouvoir échapper concrètement au roi, lorsque l’émeute vient le quérir dans son palais de Versailles pour le forcer à s’installer à Paris. Le roi otage est désormais contraint d’entériner les actes fondateurs de sa dépossession, sous la menace permanente des groupes d’insurgés actionnés par les clubs.

Dans une ambiance constamment agitée, l’Assemblée qui a rejoint Paris, légifère, modifie la fiscalité, l’armée, les régions. Elle crée quatre-vingt-trois départements qui deviennent le nouveau cadre administratif du pays. Elle définit un corps électoral, la Nation, qui exclut les femmes, les domestiques et les pauvres. Puis elle s’attaque à l’Église par la confiscation de ses biens. C’était logique puisqu’il fallait détruire les fondations de la croyance au roi de droit divin et faire disparaître le contre-pouvoir susceptible de s’opposer au règne de la raison, que l’Assemblée Constituante prétendait incarner.

 

C’est un long combat qui s’amorçait, un combat qui  contribua à affaiblir les cadres moraux de la Nation.

 

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