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Le blog d'André Boyer
Articles récents

Que fait le marketing?

26 Novembre 2010 Publié dans #PHILOSOPHIE

pub-nike-write-the-futurCertains lecteurs de ce blog m’ont parfois reproché de ne jamais y traiter du marketing ou du management. C’est que je l’enseigne quotidiennement et je souhaite que ce blog soit l’expression de l’ensemble de mes préoccupations et qu’il soit un lieu de partage d’idées sur le monde et sur la vie en général. Mais après tout, le marketing et le management n’ont pas lieu d’en être totalement exclu et je m’essaie aujourd’hui à un premier blog sur le sujet.

S’il ne peut pas être exclu de nos préoccupations d’ordre  général, c’est que les techniques du marketing contribuent fortement à modifier le monde dans lequel nous vivons. Par exemple, l’utilisation du téléphone portable, qui nous est tout à fait indispensable aujrd’hui, nous était inconnue il y a quinze ans. Or, si on nous privait maintenant de ce jouet qui est devenu un élément indispensable de notre vie courante, nous manifesterions dans la rue en masse. La technologie et ses évolutions a un effet majeur sur les changements de notre façon de vivre, mais chaque innovation technique est adossée à  un immense effort de persuasion qui fait appel aux techniques du marketing.

Même en dehors des changements technologiques, le marketing ne crée pas de besoin, mais il influence fortement nos choix par exemple dans le domaine vestimentaire ou pour nous mobiliser pour des causes humanitaires, pour prendre deux exemples parmi mille. Il fait tout ce qu’il peut pour peser sur notre comportement, en ce qui concerne la consommation mais aussi en politique, ou en matière de santé. Ce qu’il cherche à faire, c’est nous faire acheter un produit et tout aussi bien nous faire voter pour quelqu’un ou nous pousser à ne plus fumer ou à trier nos déchets. Dans le domaine public, il vient au secours de la loi afin d’obtenir de nous une adhésion plus volontaire que contrainte.

Bien sûr, il ne peut pas aller tout à fait contre nos attentes ou nos désirs. Il doit en tenir compte, mais il peut les orienter et il ne s’en prive pas ! Tout est dans le symbole, c’est-à-dire la signification que chacun d’entre nous donne à son achat ou à tout autre acte. 

Par exemple, si j’achète des chaussures Nike, je sais bien que je ne vais pas courir plus vite que si j’achète des chaussures Reebok ou Adidas. Mais avec ces chaussures Nike, « j’écris le futur », comme le raconte le clip de trois minutes réalisé pour la Coupe du monde de football. Trevor Edwards, le directeur marketing de la marque estime d’ailleurs que ce fut une des meilleures publicités jamais réalisée pour Nike. Pour ce clip, il a mobilisé un grand réalisateur, Alejandro Gonzalez Inarritu, et un grand nombre de stars du football comme d’autres sports, comme Ronaldinho, Homer Simpson, Gael Garcia Bernal, Kobe Bryant, Wayne Rooney ou Roger Federer, autour du thème  « et si ? » Et si le poteau avait été rentrant, et si Wayne Rooney n'avait pas taclé comme cela ou le contraire ? chaque star écrit son avenir en prenant une décision au temps présent. Bien sûr, la marque espère attirer l’attention sur son nom et ses produits, de manière à ce que, par analogie, l’acheteur de chaussures Nike estime également qu’il « écrit le futur » grâce à cette acquisition.

Le but du marketing, dans ce genre d’opération publicitaire, c’est de donner à la consommation du produit qu’il met en vedette une signification qui dépasse les fonctions simples du produit. Ce qu’ambitionne Nike pour nous, ce n’est pas de nous vendre des chaussures, mais d’écrire le futur avec nous et les chaussures qu’il nous a vendues.

En somme, on peut écrire que le marketing cherche à nous faire acheter un produit non pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il signifie.

 

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Les étranges défaites de la Guerre de Cent Ans

21 Novembre 2010 Publié dans #HISTOIRE

Dans le Blog du 11 novembre dernier, je présentai le règne de Philippe le Bel, créateur du pouvoir centralisé de l'Etat Français. Après son règne, les XIVe et XVe siècles sont des temps de crise, notamment en raison de la Peste. La guerre de Cent Ans qui se déroule en France à partir de 1328 n'est pas une guerre populaire mais une guerre entre deux factions du pouvoir central. Elle est encore aujourd'hui révélatrice de la manière dont la France est gérée. 

bataille-crecy-france_-1157402.jpgLa guerre de Cent Ans présente un double intérêt pour notre époque moderne, par ses motifs et le résultat des batailles. Par ses motifs, car cette guerre a eu lieu parce que les cercles du pouvoir en France ne voulaient pas céder leurs prérogatives, quoi qu’il en coûte au pays. Elle est le résultat du conflit entre deux prétendants au pouvoir de la superpuissance qu’était alors la France. En 1328, Philippe de Valois a été  choisi comme Roi de France parce que l’entourage du roi défunt, son cousin Charles IV Le Bel, ne voulait pas être évincé par l’équipe du roi d’Angleterre, Edouard III, pourtant petit fils de Philippe le Bel alors que Philippe de Valois n’est que son neveu.

C’est un décision que l’on présente comme l’expression d'une conscience nationale naissante : les pairs de France refusent de donner la couronne à un roi étranger, en pratique à un roi qui leur est étranger. Mais est-ce l’intérêt de la France que de déclencher une guerre dynastique ? Ils ne se posent pas la question, donnant la priorité au maintien du pouvoir sur toute autre considération, ce qui est une figure qui se retrouve tout au long de l’histoire de France.

La guerre de Cent Ans est aussi intéressante, pour notre époque, par le résultat des batailles. Elle met en relief l’inefficacité de l’armée française, qui s’appuie sur un pays exploité, démoralisé, appauvri par Philippe Le Bel et ses successeurs. Philippe VI, le nouveau roi a laissé  pour sa part la réputation d’un grand fêtard, selon le chroniqueur  Jean Froissart. Il  envoie à la bataille de Crécy ses chevaliers accompagnés d’une mauvaise piétaille, composée à cinquante pour cent de mercenaires génois. Ils trouvent en face d’eux une petite armée d’un modeste royaume. D’un côté quinze millions d’habitants, de l’autre trois millions, et ce sont les seconds qui gagnent !

En effet, à la bataille de Crécy (1346), trente mille hommes d'armes français et génois qui font face à moins de sept mille anglais, et ces derniers les bâtent à plat de couture. La victoire des Anglais à Crécy a été la victoire de l'obéissance sur l'indiscipline, de l'organisation sur l'imprévoyance, de l'arc anglais sur l'arbalète génoise, du commandement anglais sur le commandement français. Elle fut la première d’une longue série de batailles perdues par un pouvoir français arrogant, désorganisé et prodigue du sang de ses soldats. De Crécy à Mai 1940, les étranges défaites de la France se sont succédées, qui n’ont qu’une explication commune : un pouvoir central incapable de rassembler le pays autour de lui pour livrer bataille. Preuve en est à l’époque que les paysans français, loin de se mobiliser pour le roi de France comme le laisse entendre la belle histoire de Jeanne d’Arc, ont fui autant qu’ils l’on pu la mobilisation pendant toute la guerre de Cent Ans.

À partir de 1347, ce ne fut que successions de défaites, de révoltes, de complots, de trahisons, de capitulations. Le royaume de France en profita pour inventer l’impôt permanent, sous la forme d'une gabelle sur le sel, de taxes indirectes et d'impôts directs levés sur chaque feu : les fouages. Petit à petit, des trêves interrompirent la guerre qui reprit sporadiquement jusqu’au mois d’août 1415, date à laquelle le Roi Henry V d'Angleterre débarqua dans l'estuaire de la Seine.
azincourtarchersPour l’arrêter, Charles VI envoya à sa rencontre une armée forte d'environ vingt cinq mille hommes.

Henry V, quant à lui, ne disposait que de six mille hommes. Le 25 octobre, les deux armées se rencontrèrent près d’Azincourt. À nouveau la tactique française conduisit à une débandade, pire encore que la bataille de Crécy, puisqu’il y eut dix mille morts du côté Français contre six cent du côté Anglais.

Puis le conflit des Armagnacs et des Bourguignons domina le conflit qui s’acheva vers 1453 par la reconquête des territoires perdus par le roi de France, Charles VII. Incidemment, ce dernier fut aussi en novembre 1439 l’inventeur dupremier impôt permanent institué en France, la taille. La nouvelle menace venait désormais des ducs de Bourgogne, une menace que Louis XI  parvint à écarter.

 

Il faut souligner que Louis XI se préoccupa, qualité rare au sein des cercles du pouvoir français, d’encourager la prospérité économique, qu’il sut se montrer souple à l’égard des franchises des villes et du pouvoir de l’Église et qu’il parvint même, vertu rarissime, à réduire la pression fiscale. Un roi libéral.

 

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Images de Rome

17 Novembre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Rome qui commence juste par un expresso, un capuccino, un miracolo italiano, une joie simple…

Rome qui continue par la majesté baroque de la Basilique Saint-Pierre qui se déroule le long de ses  136 mètres, baroque au sens où elle contient tous les styles.

pieta.jpgPuis, à l’intérieur de Saint-Pierre, la Piéta qui s’impose par l’amour et la force tranquille qui se dégagent d’elle, une Piéta qui tient dans ses bras ce grand garnement de Jésus.

On se demande comment, malgré l’immobilité de la pierre, Michel-Ange a réussi à faire passer, par le volume des plis, par la grâce d’un doigt qui dépasse de l’étoffe, par le sourire, par la pose d’abandon de Jésus, la vibration de l’amour? Où est-il allé cherché ces liens entre ces formes et notre subconscient ?

Et puis voilà les couleurs du plafond de la Chapelle Sixtine, encore qu’elles soient difficiles à apprécier dans la foule. Mais, malgré la tête renversée, on n’oubliera plus jamais  les mouvements et les couleurs de la scène qu’a représenté tout la haut Michel-Ange, sa vision de la création du monde. On ne peut pas non plus négliger la crypte de la Basilique, toujours baroque, et ces innombrables petites lumières dédiées à Saint Pierre et à sa relique.imageoeuvre.gif

Avec le jour qui s’achève, le froid, le froid glacé de cette fin d’automne tombe sur moi et sur la forteresse Saint Ange, ce château qui date d’Hadrien, au 1er siècle après Jésus-Christ.

Je me représente cette année 1527, pendant laquelle le Pape Clément VII du s’enfuir par les égouts pour rejoindre la forteresse, la seule qui lui restait. Il y  résista des mois aux mercenaires allemands du connétable de Bourbon au service de Charles-Quint. Derrière ces murs, enfermés avec quelques rares troupes, j’imagine l’horreur du siège alors qu’au-dehors les soudards tuent leurs familles, pillent la ville, que les flammes embrasent Rome et le Vatican, que les objets les plus précieux sont détruits ou volés. Et sans doute entendaient-ils les menaces, les injures, les rires qui pleuvaient sur eux, les assiégés.

mausolee_hadrien_chateau_saint_ange.gifIls ont laissés passer l’orage, Rome a continué, et voilà la ville devant moi, éternelle.

Éternelle ? 

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Jean Jaurès lutte contre l'horrible cauchemar

14 Novembre 2010 Publié dans #ACTUALITÉ

 

Aujourd’hui, je vous propose de lire le dernier discours de Jean Jaurès, prononcé  à Lyon-Vaise le 25 juillet 1914.

J’ai pour but de vous rappeler quelle horreur fut la Guerre de 1914-1918, une horreur pourtant prévisible comme ce discours le démontre. Si je veux rappeler cette boucherie, c’est pour que vous vous souveniez que des hommes politiques français démocratiquement élus l’ont décidé et que vous n’oubliez pas que les hommes politiques d’aujourd’hui ont exactement les mêmes motivations et les mêmes réflexes que ceux de 1914. Seules les circonstances sont différentes, mais à certains égards pas meilleures pour le peuple français,     qu’il ne s’agit plus de tuer mais de faire disparaître.

Voici le contenu du discours de Jean Jaurès, dont il faut saluer a contrario la lucidité, le courage et la probité. C’est pour toutes ces raisons que son discours fut prophétique et qu’il fut assassiné six jours plus tard et trois jours avant la déclaration de guerre :

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Citoyens,

Je veux vous dire ce soir que jamais nous n'avons été, que jamais depuis quarante ans l'Europe n'a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l'heure où j'ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demie heure, entre l'Autriche et la Serbie, signifie nécessairement qu'une guerre entre l'Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l'Autriche le conflit s'étendra nécessairement au reste de l'Europe, mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l'heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l'Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu'ils pourront tenter.

Citoyens, la note que l'Autriche a adressée à la Serbie est pleine de menaces et si l'Autriche envahit le territoire slave, si les Germains, si la race germanique d'Autriche fait violence à ces Serbes qui sont une partie du monde slave et pour lesquels les slaves de Russie éprouvent une sympathie profonde, il y a à craindre et à prévoir que la Russie entrera dans le conflit, et si la Russie intervient pour défendre la Serbie, l'Autriche ayant devant elle deux adversaires, la Serbie et la Russie, invoquera le traité d'alliance qui l'unit à l'Allemagne et l'Allemagne fait savoir qu'elle se solidarisera avec l'Autriche. Et si le conflit ne restait pas entre l'Autriche et la Serbie, si la Russie s'en mêlait, l'Autriche verrait l'Allemagne prendre place sur les champs de bataille à ses côtés. Mais alors, ce n'est plus seulement le traité d'alliance entre l'Autriche et l'Allemagne qui entre en jeu, c'est le traité secret mais dont on connaît les clauses essentielles, qui lie la Russie et la France et la Russie dira à la France :

"J'ai contre moi deux adversaires, l'Allemagne et l'Autriche, j'ai le droit d'invoquer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne prendre place à mes côtés." A l'heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille du jour où l'Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l'Autriche et l'Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c'est l'Europe en feu, c'est le monde en feu.

Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les patries, je ne veux pas m'attarder à chercher longuement les responsabilités. Nous avons les nôtres, Moutet l'a dit et j'atteste devant l'Histoire que nous les avions prévues, que nous les avions annoncées; lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc, c'était ouvrir l'ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous a dénoncés comme de mauvais Français et c'est nous qui avions le souci de la France.

Voilà, hélas! notre part de responsabilités, et elle se précise, si vous voulez bien songer que c'est la question de la Bosnie-Herzégovine qui est l'occasion de la lutte entre l'Autriche et la Serbie et que nous, Français, quand l'Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n'avions pas le droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres.

Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l'Autriche:

"Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous passiez le Maroc" et nous promenions nos offres de pénitence de puissance en puissance, de nation en nation, et nous disions à l'Italie. "Tu peux aller en Tripolitaine, puisque je suis au Maroc, tu peux voler à l'autre bout de la rue, puisque moi j'ai volé à l'extrémité."

Chaque peuple paraît à travers les rues de l'Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l'incendie. Eh bien! citoyens, nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d'une part, la sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d'autre part, la duplicité de la diplomatie russe. Les Russes qui vont peut-être prendre parti pour les Serbes contre l'Autriche et qui vont dire "Mon cœur de grand peuple slave ne supporte pas qu'on fasse violence au petit peuple slave de Serbie. "Oui, mais qui est-ce qui a frappé la Serbie au cœur? Quand la Russie est intervenue dans les Balkans, en 1877, et quand elle a créé une Bulgarie, soi-disant indépendante, avec la pensée de mettre la main sur elle, elle a dit à l'Autriche "Laisse-moi faire et je te confierai l'administration de la Bosnie-Herzégovine. "L'administration, vous comprenez ce que cela veut dire, entre diplomates, et du jour où l'Autriche-Hongrie a reçu l'ordre d'administrer la Bosnie-Herzégovine, elle n'a eu qu'une pensée, c'est de l'administrer au mieux de ses intérêts."

Dans l'entrevue que le ministre des Affaires étrangères russe a eu avec le ministre des Affaires étrangères de l'Autriche, la Russie a dit à l'Autriche: "Je t'autoriserai à annexer la Bosnie-Herzégovine à condition que tu me permettes d'établir un débouché sur la mer Noire, à proximité de Constantinople." M. d'Ærenthal a fait un signe que la Russie a interprété comme un oui, et elle a autorisé l'Autriche à prendre la Bosnie-Herzégovine, puis quand la Bosnie-Herzégovine est entrée dans les poches de l'Autriche, elle a dit à l'Autriche : "C'est mon tour pour la mer Noire." - "Quoi? Qu'est-ce que je vous ai dit? Rien du tout !", et depuis c'est la brouille avec la Russie et l'Autriche, entre M. Iswolsky, ministre des Affaires étrangères de la Russie, et M. d'Ærenthal, ministre des Affaires étrangères de l'Autriche ; mais la Russie avait été la complice de l'Autriche pour livrer les Slaves de Bosnie-Herzégovine à l'Autriche-Hongrie et pour blesser au cœur les Slaves de Serbie.

C'est ce qui l'engage dans les voies où elle est maintenant.

Si depuis trente ans, si depuis que l'Autriche a l'administration de la Bosnie-Herzégovine, elle avait fait du bien à ces peuples, il n'y aurait pas aujourd'hui de difficultés en Europe; mais la cléricale Autriche tyrannisait la Bosnie-Herzégovine; elle a voulu la convertir par force au catholicisme; en la persécutant dans ses croyances, elle a soulevé le mécontentement de ces peuples.

La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l'Autriche ont contribué à créer l'état de choses horrible où nous sommes. L'Europe se débat comme dans un cauchemar.

Eh bien! citoyens, dans l'obscurité qui nous environne, dans l'incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j'espère encore malgré tout qu'en raison même de l'énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n'aurons pas à frémir d'horreur à la pensée du cataclysme qu'entraînerait aujourd'hui pour les hommes une guerre européenne.

Vous avez vu la guerre des Balkans; une armée presque entière a succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d'hôpitaux, une armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d'hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.

Songez à ce que serait le désastre pour l'Europe: ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d'hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l'orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s'il nous reste quelque chose, s'il nous reste quelques heures, nous redoublerons d'efforts pour prévenir la catastrophe. Déjà, dans le Vorwaerts, nos camarades socialistes d'Allemagne s'élèvent avec indignation contre la note de l'Autriche et je crois que notre bureau socialiste international est convoqué.

Quoi qu'il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n'y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu'une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c'est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d'hommes de s'unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l'horrible cauchemar…

 

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Philippe le Bel se saisit du pouvoir

11 Novembre 2010 Publié dans #HISTOIRE

Dans le blog du 3 novembre dernier, je concluais ma description de la tendance permanente de la France au renforcement toujours plus accentué du pouvoir de l’État sur la société, en indiquant que Philippe IV le Bel allait s’affirmer comme le maitre d’œuvre d’une monarchie française impérieuse.

SC_PhilippeIV_WEB.jpgPhilippe IV le Bel, Roi de France de 1285 à 1314, est en effet l’organisateur d’une monarchie française dotée d’une très nombreuse administration centrale. C’est lui qui procède massivement à la confiscation des biens des particuliers et à l’expulsion collective des groupes qu’il considère comme des corps étrangers, des obstacles à son pouvoir. Il innove aussi en lançant de grandes  campagnes d’opinion, en recourant au nom de la raison d’État, à la calomnie, à l’intimidation et à la désignation de boucs émissaires individuels ou collectifs. L’affaire des Templiers est ainsi montée de façon à attiser les fantasmes d’une population appauvrie par l’Etat et la conjoncture. On voit les conseillers du roi accuser sans vergogne les Templiers d’être tout à la fois secrètement affiliés à l’islam, de cracher sur la croix et de pratiquer des rites obscènes, avec pour objectif central d’obtenir l’adhésion de l’opinion publique à la confiscation de leurs biens. Au total, il n’a de cesse d’accroître sa puissance par la guerre et par de nouveaux carcans administratifs. Comme il lui faut toujours plus d’argent pour sa magnificence, mais aussi pour payer l’administration, financer la guerre et son action diplomatique, il épuise le pays, rançonne les juifs et les lombards et s’empare des richesses des Templiers. Il est aussi le premier à oser dévaluer la monnaie.

En mettant en œuvre pendant ses trente-neuf années de règne la plupart des outils de pouvoir qui fondent encore aujourd’hui la spécificité de la France, Philippe Le Bel se retrouve à la tête d’un Etat puissant qui compte plus de sujets que tout autre Etat en Europe.

Il reste que ses difficultés financières le contraignent à convoquer des assemblées appelées à le soutenir par des subsides, les premiers « États Généraux », dont on retrouve l’écho à l’aube de la Révolution Française. Il échoue aussi dans sa tentative d’inventer l’impôt permanent en raison de l’incapacité de son administration, encore trop faible, à fixer l’assiette de l’impôt. C’est un problème dont ses successeurs sauront d’ailleurs tirer  la leçon, y compris de nos jours avec l’ISF qui permet de connaître à l’Euro prés la valeur des biens des « riches », c’est-à-dire de ceux qui sont propriétaires d’un bien immobilier de moyenne valeur.

L’État fort aux dépens des Français : on ne saurait faire plus moderne.

Après le règne de Philippe le Bel, les XIVe et XVe siècles furent des temps de crise. La guerre de Cent Ans entraîna la révolte des campagnes et des villes, ce qui provoqua en retour un nouveau durcissement du corset étatique et fiscal de la France.

 

 

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Fair Game

7 Novembre 2010 Publié dans #ACTUALITÉ

Ce blog part de ma réaction à la projection du film Fair Games qui conte l’histoire, fondée sur des faits historiques, d’une espionne jetée en pâture à l’opinion parce que son mari, professeur d’université et ex-ambassadeur, dénonce l’un des mensonges qui servent à justifier la décision de l’administration Bush d’envahir l’Irak.

fair-game-movie-posterBien sûr, on peut s’intéresser au sort de cette famille américaine composée d’une  espionne recrutée par la CIA au débouché de ses études, fière de sa résistance, de son père militaire et de son pays, d’un professeur qui a une vision de la politique américaine  et de leurs enfants ballottés dans le conflit qui oppose la Maison-Blanche à leurs parents. Finalement, sauf les Irakiens qui ont cru aux engagements de la CIA, tout ce petit monde s’en sort sans trop de casse, parce que c’est un film américain donc optimiste et qu’il existe aux USA des contre-pouvoirs à la toute puissance de la Maison-Blanche, notamment celui du Sénat et de ses commissions d’enquête.

Si vous lisez régulièrement mes blogs, vous savez déjà que ce n’est pas le sujet de cette famille américaine qui me paraît le plus intéressant dans ce film, mais la question du rapport entre le pouvoir politique et les sujets auxquels il s’applique, c’est-à-dire nous-même. De ce point de vue, je suis fasciné de la capacité de la société occidentale à accorder foi aux allégations sur ces  « armes de destruction massive » qui auraient menacé la « sécurité » des USA. Quiconque connaît un peu le fonctionnement d’un État comme l’Irak savait bien pourtant que, si Saddam Hussein menaçait bien sa propre population, il n’avait aucun moyen de menacer les USA…

De même, il est troublant d’observer le manque total de scrupule de ces politiciens qui écrasent sans se gêner ces fonctionnaires de la CIA parce qu’ils osent contredire par leurs enquêtes et leurs analyses, leur credo qui est censé justifier l’opération « Iraqui Freedom ». Rappelons nous que cette dernière  a entraîné environ 100000 morts du côté irakien et 5000 du côté de la coalition, sans compter le coût financier énorme de l’opération militaire et le traumatisme infligé à la société irakienne. Certes, la fin justifiait les moyens selon l’équipe de la Maison-Blanche de l’époque Bush, mais de quelle fin s’agissait t-il ? La disparition du régime irakien justifiait-elle de tels dégâts ? Qui donnait la légitimité à la Maison-Blanche pour décider de la mort de tous ces gens ? Ces premières questions en entraînent d’autres, encore plus troublantes :

-L’équipe Obama est t-elle capable d’en faire autant ? Si vous répondez non, c’est que vous croyez qu’Obama est plus gentil que Bush, c’est que vous n’avez rien compris au film, au sens propre comme figuré.

-Comment des dirigeants peuvent-ils faire des choix aussi catastrophiques ? Parce que le pouvoir rend fous les êtres humains : ils se prennent pour des êtres à part, parce qu’ils ont le pouvoir de tuer d’autres êtres humains, exactement comme l’assassin qui jouit du pouvoir d’ôter la vie à sa victime, avec en plus la  bonne conscience de la raison d’État et l’approbation de la société : la jouissance absolue, à l’égal des Dieux !

-Pourquoi ne sommes-nous pas capables de les en empêcher ? parce que nous sommes obligés de leur faire confiance, incapables que nous sommes de leur opposer la moindre force crédible, individuellement et collectivement : nous les avons élus. Que nous reste t-il pour ne pas devenir désespérés ou fous de rage, sinon essayer de nous convaincre qu’ils ont certainement des raisons valables d’agir comme ils le font parce qu’ils sont nécessairement plus raisonnables et plus intelligents que nous, puisqu’ils sont au pouvoir alors que c’est l’inverse, justement puisqu’ils sont au pouvoir, ils ne sont plus ni raisonnables ni intelligents, s’ils l’ont jamais été.

-Que faire alors ? dans le film, au cours d’une conférence à des étudiants, le mari de l’agent de la CIA prononce ce qui est à mon avis la phrase la plus importante du film : vous ne pouvez pas confier l’État à une élite, c’est à vous de gérer l’État, de défendre la démocratie. C’est bien beau, mais en pratique comment organiser autrement nos sociétés pour empêcher les élites de s’emparer totalement du pouvoir ?

-Et, pour revenir à nous, qui défend l’intérêt général des Français ? La Cour des Comptes le fait, dans un domaine bien limité, celui de la bonne gestion des fonds publics, mais je n’en vois guère d’autre, pas même le Conseil Constitutionnel, trop politique et trop empêtré dans une Constitution sans cesse remodelée par les politiques.  Mais il est assez visible que ce n’est ni le Président de la République, ni les Assemblées qui lui sont totalement inféodées, ni les féodalités avec lesquelles il négocie, syndicats, corps constitués, groupes de pression, qui se sentent en charge de la défense de l’intérêt général. Le Président s’en targue, constitutionnellement, mais l’ivresse du pouvoir centralisé français l’empêche d’y parvenir. 

Alors qui défend les intérêts des français face aux élites, aux féodalités et à ses propres démons ? Personne. Une autre structure de pouvoir est donc à construire, sauf à nous résoudre à être livré sans défenses à un pouvoir détenu par des détraqués.

 

 

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En attendant Philippe le Bel

3 Novembre 2010 Publié dans #HISTOIRE

Lors du dernier blog que j’ai consacré à l’histoire, le 3 octobre 2010, j’ai rappelé que les Rois, avant la République, ont très rapidement cherché à accroître leur contrôle sur la société française. C’est ce que je vais m’efforcer de montrer dans ce blog et ceux qui vont lui succéder sur ce thème, afin de permettre de mieux comprendre la logique et la permanence du système français dans lequel  nous vivons aujourd’hui.

La tendance permanente de la France au renforcement du pouvoir de l’Etat pointe déjà sous Philippe Auguste (1180-1223), qui assure la diffusion de l’autorité du monarque par la mise en place des baillis. Ces derniers sont des Commissaires Royaux investis de pouvoirs d’administration, de justice et de finances. Philippe Auguste a créé cette fonction pour affermir son pouvoir sur son domaine royal, un domaine qui ne comprend pas encore les possessions de ses vassaux, comme la Bretagne par exemple. D’abord itinérants, les baillis deviennent sédentaires au XIIIe siècle, ce qui renforce leur pouvoir aux dépens des seigneuries locales, par le biais de levées de taxes extraordinaires, d’interventions dans les affaires municipales ou même d’annexions pures et simples dans les cas litigieux.

Saint Louis (1226-1270) succède à Philippe Auguste. Il acquiert pour sa part une réputation d’arbitre international qui est sanctionnée par sa canonisation équivalente aujourd’hui à un prix Nobel de la Paix. Grâce à lui, le Roi de France, déjà le premier de la chrétienté sur le plan matériel, devient également primus inter pares sur le plan spirituel. Mais c’est après lui que commence à s’affirmer la toute puissance de la monarchie française, qui fait aujourd’hui de la France le seul État centralisé du continent européen, sinon du monde.

À cette époque, les Anglais viennent d’arracher la Grande Charte qui constitue le premier grand texte reconnaissant des libertés et des droits intangibles aux sujets du royaume anglais. Alors que Philippe Auguste règne en France, la Grande Charte, appelée Magna Carta, est concédée en juin 1215 par Jean sans Terre sous la pression des barons et de l’Église. Elle garantit à tous les hommes libres le droit de propriété, la liberté d’aller et de venir en temps de paix. Elle donne aussi des garanties en cas de procès criminel, comme l’impartialité des juges ou la nécessité et la proportionnalité des peines. Elle pose le principe essentiel, pour un régime parlementaire, qu’aucun impôt ne sera levé sans le consentement du Conseil du royaume, un Conseil où siégent les barons, les comtes et les hauts dignitaires ecclésiastiques.

Pendant ce temps, les souverains hispaniques ne parviennent pas encore à atteindre l’unité politique de la péninsule, les principautés italiennes se livrent à des luttes intestines, l’Allemagne est éclatée entre de multiples souverainetés hétérogènes coiffées par un Saint Empire Romain Germanique. Ce dernier forme un tissu monarchique et corporatif doté de très peu d'institutions impériales communes. Il sert de cadre juridique à la cohabitation de princes et de ducs quasi autonomes qui reconnaissent l'Empereur comme le dirigeant de l'Empire, mais c’est un Empereur qu’ils élisent eux-mêmes. Il reste que les habitants de l’Empire ne sont pas les sujets directs de l'empereur, contrairement aux sujets du Roi de France, car ils ont soit leur propre seigneur, soit appartiennent à une ville d’Empire dirigée par un Maire élu.

 

Philippe IV le Bel (1285-1314), Roi de France, n’a pas ces soucis de pouvoir concurrentiel. Il devient le  maître d’œuvre d’une monarchie française  qui ne cesse de s’affermir en droit et en fait. C’est pourquoi le régime de Philippe le Bel apparaît étrangement moderne, à l’aulne de la situation actuelle de la France. 

À SUIVRE

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Churchill

30 Octobre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Churchill

Vers 7 heures 30, la lumière sinon le soleil, je ne sais, se lève sur une étendue d’eau et de tourbe, couverte d’une végétation privée d’arbre à peine discernable.

Tout est encore gris, sombre, vide. Si nous étions arrivés à l’heure, nous aurions raté ces paysages faute de lumière. En approchant de Churchill, les arbres reviennent mais rachitiques, écrêtés par le vent et étranglés par le froid. Je me rends une dernière fois dans le wagon-restaurant pour le breakfast usuel avant que le train, après avoir littéralement montré son hésitation à entrer en gare en effectuant une curieuse marche arrière, ne se décide hardiment à nous livrer à la ville de  Churchill.

Tout d’un coup saisis par le froid et le vent, nous sortons du train sous un ciel gris. Jusqu’ici nous avions bénéficié de températures douces, mais c’est bien fini. Tout le monde se rue à la gare pour s’habiller. J’ajoute au pull et à la veste standards, l’imperméable, le foulard, le bonnet et le gant. Le gant parce que je m’aperçois que j’ai pris deux fois la même main, la droite ! je finis par mettre l’un à l’endroit et l’autre à l’envers. Ainsi harnaché, j’avance avec ma sacoche « Université de Nice » à pied dans Kelsey Bd, la rue principale de Churchill, et je sens bien que je ne vais pas marcher bien longtemps dans cette bise, d’ailleurs il n’y a personne à pied dans le boulevard.

Churchill est une ville d’un millier d’habitants, dont l’activité tourne autour de la faune et du port de céréales, en dehors des administrations, de l’hôpital ou de l’école ; sa première activité est certainement le tourisme auquel s’ajoute une forte activité scientifique de surveillance de la faune, qui va jusqu’à mettre en prison les ours réputés dangereux. Je trouve porte close chez la loueuse de voiture ; heureusement, elle a la bonne idée de venir prendre un café au même endroit que moi ! Il faut dire qu’il n’y a pas vraiment le choix pour aller boire un café au chaud.  Les deux sas successifs pour entrer au café témoignent de la violence de l’hiver. J’hérite d’un 4x4 rural, qui porte fièrement à l’arrière une affiche en faveur d’une femme candidate à la mairie de Churchill. Bien au chaud dans le véhicule, c’était le but caché de cette location, je me dirige le long d’Hudson Bay, environné de flou. Le plan indique toute sorte de « curiosités », mais encore faut-il les apercevoir. Moi, je ne vois que du gris sur les 30 Kms de route utile, déjà plutôt des pistes que des routes. Comme j’ai décidé de laisser tranquille les ours blancs, ces pauvres bêtes, car ce qui m’intéresse c’est la façon dont les gens vivent dans cette situation limite, je décide aussi de ne pas m’aventurer tout seul et sans information sur les petites pistes et je reviens vers la civilisation, je veux dire Churchill et son millier d’âmes. L’aventure a ses limites.

Je me rends ensuite dans une sorte de magasin militant en faveur des Inuits où je rencontre la patronne, dans le coin depuis trente ans. Son mari et elle ont dû s’enticher d’une tribu d’Inuit. Si j’ai bien compris, ils se sont mis en tête de ramener la tribu du Grand Nord vers Churchill, et, m’a t’elle dit tristement, une fois à Churchill leurs Inuits ont sombré dans le welfare et l’alcool. À mon avis, son mari et elle auraient mieux fait de les laisser tranquille, les Inuits. C’est fou ce que les gens ont tendance à se mêler de ce qui ne les regarde pas, toujours pour le bien des autres. Quant à elle, elle semblait contente de sa vie personnelle, quatre mois à rencontrer les touristes comme moi et huit mois à rester au calme, bien au frais. 

Sorti du magasin et de la classiquement triste histoire des Inuits, je me décide à faire un tour dans une zone un peu déshéritée entre Churchill et la baie d’Hudson. C’est si déshérité que je vois un panneau qui dit qu’il ne faut pas se promener dans la zone à cause des ours ! J’étais sorti de la voiture, j’y retourne dare-dare, avant de continuer à rouler le long de la baie d’Hudson, grise, venteuse, désertique. Il faut dire que la présence toute proche des ours polaires, ces petites bêtes d’une demi tonne de chair et de muscles, a de quoi inquiéter. Une brochure est remise à tous les visiteurs de Churchill. Elle signale à ceux qui se déplacent seuls, comme moi, à l’extérieur de «  l’agglomération » toute relative de Churchill, de demeurer à proximité de son véhicule et de ne pas oublier que l’on peut croiser un ours à tout moment. Dans ce cas, il s’agit de s’éloigner lentement, en amont du vent si possible. Mais si le vent souffle vers l’ours ? et si finalement l’ours décide de vous attaquer? eh bien, dit la brochure « Tenez bon et soyez prêt à vous défendre ! » contre la bestiole de 500 kilos !

Aussi, chaque fois que je m’arrêtais pour faire une photo, par exemple de la carcasse d’un avion qui s’écrasa non loin de la ville, je regardais, inquiet, si je n’avais pas d’ours derrière moi ! on devient facilement paranoïaque dans une ambiance aussi sombre… 

Puis, selon les indications de la loueuse, j’ai fait le plein à l’unique station-service, j’ai amené la voiture (à moins que ce ne soit l’inverse) jusqu’au modeste parking du modeste aéroport d'où j'allais retourner vers Wiinipeg et laissé la clef au contact : qui volerait une voiture à Churchill, pour aller où ? À l’aéroport, pas de contrôle des bagages ni d’identité, pas de place attribuée, un dernier petit parfum d’exotisme avant de retrouver les masses à Winnipeg !

C’est ainsi que, pendant quelques heures, j’ai côtoyé un autre type de vie, très marginal, selon lequel la priorité est de lutter contre la nature plutôt que contre ses semblables…

 

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De Winnipeg à Churchill: une journée en train

26 Octobre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Le lendemain, je m’éveille dans le noir avant 6 heures. Le soleil tarde à se lever. J’ai longtemps cru que nous avancions dans la grisaille, la multitude des arbres gris sombre coulissant le long de ma fenêtre dans une noirceur d’ensemble qui permettait à peine de les distinguer

photo-1-copie-1.JPGEn regardant de prés la cabine, on s’aperçoit que tout a été conçu pour le confort et la sécurité des passagers, comme la place au centimètre prés pour se lever entre le lit et la porte, l’eau potable et non potable, les encoches dans la cabine pour mettre ses diverses affaires, la disposition des prises, les trois points d’éclairage et jusqu’aux deux miroirs, dont l’un surplombe le lavabo, amovible, et l’autre emplit toute la porte. Un petit loquet astucieux en deux parties, l’une coinçant l’autre, permet de bloquer la porte coulissante. Derrière la porte, un curieux rideau qui permet de s’isoler, car la porte ne ferme pas de l’extérieur.

J’avais fini par croire que le soleil ne consentirait à se lever qu’à condition de la faire pudiquement derrière un gros matelas de nuage. Mais non. Une lueur rose apparaît désormais quelque part sur la droite, tandis qu’à gauche les flaques d’eau le disputent aux rideaux d’arbres de plus en plus malingres. Ils ne font pas plus de 6 à 8 mètres. Des bouleaux et des érables sans doute. On ne peut pas dire que l’ambiance soit riante, si bien que je ne peux m’empêcher de ruminer le même genre de mornes pensées qui doivent hanter ceux qui habitent ces contrées désolées, jusqu’à ce que la nécessité d’agir pour survivre ne les contraignent à chasser les idées noires pour se consacrer à l’action.

Mon besoin immédiat est simple, pour ma part : le breakfast. À l’Est, le soleil se lève sur des arbres gris qui défilent devant moi à petite vitesse.  On annonce un court arrêt, cinq minutes, à Wabowden, où l’on arrive avec presque trois heures de retard qui s’expliquent par le passage prioritaire des trains de céréales qui montent décharger leur chargement dans les cargos ancrés à Churchill. Notre train, qui ne transporte que des êtres humains, est sommé de se faufiler entre les chargements de blé.

À Wabowden, on y dépèce le poisson pêché. Des types et des femmes sans trop de dents, rient lorsqu’ils ne savent pas trop quoi répondre, mais le train s’impatiente et siffle trois fois.

À nouveau dans le train face à de faméliques bouleaux qui défilent, plus ou moins bien rangés dans une forêt clairsemée. Quelques heures après, nous arrivons à Thompson. Sous un soleil un peu voilé mais par une bonne température, je suis parti d’un bon pas vers ce que je croyais être la ville de Thompson mais qui s’est révélé n’être qu’une vague zone industrielle. Après de savantes manœuvres, notre train repart avec désormais trois heures de retard sur l’horaire officiel. Qu’importe !

Le soleil tombe, le gris revient tout doucement, le paysage change encore. La mer ou les lacs, je ne sais, succèdent aux forêts inondées. Des bateaux apparaissent, hissés sur les rivages. Hélas, le décor se noie dans mon inconscient alors que je m’endors sur mon siège au point d’avoir bien du mal à basculer le lit et à m’y hisser avant de me rendormir.

Dans ce séjour de deux jours et deux nuits en train, j’ai apprécié son rythme, son confort, son luxe offert à peu de frais, son calme, le côté rétro du voyage, l’espace privatif de la cabine dont j’ai fait mon domaine, une sorte de cellule de moine ambulante, et bien sûr ces paysages infinis, passant des champs aux forêts clairsemées.

Le luxe du Canada réside dans ses espaces illimités qui vous délivrent de ces foules qui viennent vous voler la possibilité de vivre à votre guise.

 

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De Winnipeg à Churchill...En train!

21 Octobre 2010 Publié dans #INTERLUDE

Cela faisant longtemps que cela me démangeait. Saisissant l’opportunité d’un voyage professionnel, j’ai décidé de consacrer trois jours, du 12 au 14 octobre dernier, pour faire un voyage en train vers le Nord du Canada, entre Winnipeg et Churchill, au cœur de la province  du Manitoba au Canada. Ce qui suit est le récit de ce voyage. Pour ne pas vous lasser, cela fera trois blogs…

train-cn 

Au sein du « Friendly Manitoba »

Le voyage commence dans un hôtel par un bon petit-déjeuner très canadien: je prends des forces. L’aventure commence : sans doute plus de liaisons par téléphone. Comment sera le train ? le temps ? l’avion de Churchill repartira t-il dans les temps ?

Quoi qu’il en soit, je quitte l’hôtel pour rejoindre la gare. Winnipeg me fait une drôle d’impression. Je marche vers la gare dans une atmosphère faite de silence et de vide au milieu d’immeubles imposants. La gare est un monument d’une autre époque, le hall monumental est insulté par la présence d’un petit café assez minable. On sent bien qu’il a vu passer autrefois des générations de riches fermiers et de négociants alors qu’aujourd’hui il ne voit plus que des pauvres, des touristes et des nostalgiques.

Au guichet qui délivre les billets officie un employé à moustache, très canadien des années cinquante. Je ressors à la recherche d’un magasin pour acheter des douceurs pour le voyage. J’en déniche un, bien caché dans un immeuble anonyme, au bord de la semi autoroute où se ruent les manitobains entre deux feux rouges. Petit magasin biscornu, très fréquenté comme si c’était le seul lieu de vie à des centaines de mètres à la ronde. Je reviens à la gare pour entrer dans une salle d’attente d’autrefois, toute sombre, peuplée de vieilles ombres. Ce train n’attirerait-il que des vieillards nostalgiques des voyages d’antan ? vais-je être le benjamin ridicule de ces voyageurs dépassés par la marche inexorable du progrès ?

Les quelques dizaines de voyageurs entrent en file indienne dans la train, bine filtrés par deux portes, l’une pour les pauvres, l’autre pour les riches en wagons-lits. Dans cette dernière zone où je me trouve, il n’y a que des vieux assez décatis. Comme, en plus, les employés du train sont effectivement courtois, on peut définitivement en conclure que c’est bien un voyage dans le passé. Je commence par m’enfermer dans la cabine, que je perçois tout d’abord comme se situant à mi-chemin entre la cellule haute sécurité et les wagons-lits des fifties, avant de me l’approprier. C’est un espace restreint doté d’un wc, d’un siège pas trop confortable, d’un lit encastré dans la cloison, d’un lavabo et, hourra, de deux prises !!!! l’ordinateur et l’iphone sont sauvés !

Je prends possession de ce royaume pour 46 heures, espace privé face à l’immensité de la prairie. Il est midi. Le train sort de la ville, passe un pont, longe un immense espace où courent des enfants en récréation, puis s’avance lentement au milieu des champs, longe des fermes, croise des routes où foncent d’immenses camions…

Sonne rapidement l’heure du repas au wagon-restaurant aux prix modestes. Peu de monde pour le premier repas. À ma gauche un vieux et une jeune, cette dernière un peu hystérique dans le genre anglo-saxonne anguleuse. En les saluant, je découvre qu’ils sont australiens avant de comprendre plus tard qu’ils ne sont pas vraiment passionnants à fréquenter.

Dans ma cabine située à l’ouest, le soleil tape étonnamment fort. Je vois défiler des champs, des pâturages, des terrains vagues mais pas de forêt. Je somnole, assommé par le décalage horaire de sept heures, entendant vaguement la corne du train beugler à chaque approche de route, de piste, de maison, c’est-à-dire tout le temps. Nous finissons par nous arrêter  à Dauphin, une petite ville déjà très calme où les gens semblent avoir du mal à s’y bousculer. J’aime cela, cette impression de pays du bout du monde.

Le train repart, le dîner arrive, le soleil tombe, le paysage change, des collines surgissent, des arbres un peu rachitiques défilent, des bœufs, des vaches se montrent. Nous partons vers l’ouest, traversant un bout de Saskatchewan. Le tracé de la voie a dû en effet éviter les énormes étendues d’eau qui barrent le passage, d’où ce crochet vers l’Ouest avant de reprendre la direction du Nord, vers Churchill. En tout, le trajet Winnipeg Churchill s’étend sur 1700 Kms.

Face au soleil qui tombe, le paysage défile, somptueux dans ses couleurs roses de plus en plus passées. Tout d’un coup, on traverse de sombres forêts grises au fond d’une vallée perdue qui serpente vers nulle part. Puis la nuit tombe, le ronronnement du train me berce jusqu’à ce qu’un silence insolite ne me réveille brusquement. Nous venons en effet de nous arrêter à Canora. Il fait frais dehors. Face à la gare, une rue centrale qui ne déparerait pas dans un western : de petits immeubles à un étage,   des cafés violemment éclairés et quasiment vides. Dehors, personne. Une boutique, fermée à cette heure, vend de « l’huile arctique » censée soigner tous les maux. Un café Wong, tout à fait chinois.

Au coin de la rue à gauche, un hôtel café. J’y entre. Des machines à sous, un bar, une grande salle, quatre personnes au bar qui me regardent, intriguées par l’arrivée insolite d’un client, de plus inconnu. Sur le mur, des photos d’enfants recherchés, des amendes surréalistes censées punir les gens qui auraient l’audace d’y apporter leur boisson. Le local présente toutes les caractéristiques  d’un vrai saloon de western, sauf les armes à feu. Canora est peuplée d’éleveurs de porcs et de bétail.

Après Canora et les manœuvres subtiles et mystérieuses du train qui stoppe puis fait marche arrière peu après avoir abandonné à leur solitude les éleveurs de porcs, il est temps d’aller dormir après tant d’émotions !

 

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